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La Perse d'aujourd'hui


Auteur :
Éditeur : Armand Colin Date & Lieu : 1908, Paris
Préface : Pages : 444
Traduction : ISBN :
Langue : FrançaisFormat : 100x175 mm
Thème : Histoire

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Table des Matières Introduction Identité PDF
La Perse d'aujourd'hui

LA PERSE
d'aujourd'hui

CHEZ LES KURDES
D'Ourmiah à Saoudj-Boulak. — Le district de Soldouz. — Village offert en pichkech. — La migration des Karapapaks — En pays kurde. —Kérim Agha. — Tamacha ; musique ; jeu de taghaléh. — Mokris et Deh-Bokris. — Le tombeau de Pir-Boudaq-Sultan.—Le commerce de Saoudj-Boulak. — Le sunnisme persan : le mufti chaféi ; le chef des confréries religieuses. —  anse nationale : le ichioupi. — Les « diseurs de chansons ». — Poésie kurde. — Contestations de frontières. — Le village de Kadr Agha. — Hospitalité kurde ; chants de bienvenue. — Le sacrifice du mouton. — Le « joli garçon » de Kerbé Réza Khan. — La plaine de Miandouab. — Méragha. — Le prétendu tombeau d'Houlagou. — La tribu des Moghaddams. — Un mourchid Németoullahi. — Chez le prince Imam Kouli Mirza. - Dehkargan. — Retour à Tauris.


PREFACE

La Perse était le dernier grand pays d'Islam que je n'eusse point visité. Les circonstances m'y amenèrent en juillet 1906 ; je le quittai dans les premiers jours de juin 1907 ; mon séjour dans l'Orient Moyen avait duré un peu plus de dix mois. A peine installé à Téhéran, j'entrepris dans l'Azerbaïdjan une tournée de sept semaines, qui me conduisit autour du lac d'Ourmiah; le 1er  mars 1907, je prenais la route du Sud vers Ispahan et Bagdad; après avoir visité les villes saintes du chiisme, je descendais le Tigre et rentrais en Europe par le golfe Persique.

Ce livre contient le récit de ces divers voyages. Bon nombre des chapitres qui le composent ont été publiés dans le Journal des Débats; quelques-uns parurent dans le Temps, la Revue des Deux Mondes, la Revue du Monde Musulman et le Bulletin du Comité de l'Asie Française.

Si la monotone traversée de l'Iran pèche parfois sous le rapport du pittoresque, elle emprunte un véritable attrait à l'étude des peuples iraniens, également favorisés par la nature et par l'histoire... Les ruines de Persépolis datent des Achéménides ; les rochers, sculptés dans la montagne, gardent le souvenir de Darius, des Sassanides et de Tamerlan; sous leurs enveloppes de faïence, les mosquées et les tombeaux témoignent du martyre des Alides et de la splendeur des Séfévis. Sur l'immense plateau désertique, l'Islam a greffé au vieux tronc mazdéen une religion spéciale, faite à l'usage de la nouvelle nationalité persane, en même temps qu'une culture si rare et si délicate qu'elle réussit à imprégner la civilisation musulmane toute entière. Malgré la déchéance des deux derniers siècles, il existe toujours un Roi des Rois, installé par une tribu turque sur le trône de Cyrus. Téhéran a remplacé les anciennes capitales de Tauris, Ispahan et Chiraz. Aux jours de cérémonie, le demi-dieu Kadjâr s'y révèle à la foule dans l'éclat des diamants et des pierreries. Les migrations de peuples, les morcellements de tribus, l'exploitation de la piété publique ou de la superstition populaire ont fait émerger une aristocratie puissante, à la fois civile et religieuse. La Perse travaille pour une poignée de grands seigneurs, d'une richesse considérable et d'une extrême distinction de manières. Les mollahs de l'Iran ont inventé les systèmes de théologie les plus subtils, les philosophies les plus hardies ; les confréries de derviches ont raffiné les doctrines soufies, en introduisant dans notre Orient la pensée de l'Inde. Dès le moyen âge, la poésie, le roman persans avaient produit leurs plus belles œuvres. Les héros du poème de Firdousi continuent à peupler la légende iranienne ; les gens de Chiraz persistent à vénérer les tombeaux de Sacdi et de Hafiz; la jeunesse s'en tient à la science de vie, qu'ils ont enseignée dans leurs vers... Au fond des couvents de l'Asie Mineure, les derviches tourneurs s'agitent au rythme du Mesnévi.


La race, formée par de tels maîtres, garde une prodigieuse élégance d'esprit, une intelligence facile, une réelle douceur de penser et de vivre, une immoralité qui s'affiche et un abaissement de caractère, trouvant son excuse dans une séculaire habitude de la servilité. La grandeur d'un lointain passé, le charme étrange du présent, ont éveillé les talents innés dans la masse des voyageurs : diplomates, officiers, missionnaires, commerçants et archéologues, qui se succédèrent en Perse depuis le xvne siècle. Plusieurs d'entre eux ont laissé des noms célèbres : sir John Malcolm et James Morier, parmi les Anglais; Chardin et le comte de Gobineau, parmi les nôtres. Si bien que la littérature relative à l'Iran est d'une extrême abondance et porte sur
les objets les plus divers.

Le hasard voulut que mon séjour en Perse ait coïncidé avec des événements considérables : la mort ed Mouzafîer-ed-Din Schah, l'avènement de Mohammed Ali Schah marquèrent la fin d'une autocratie remontant à l'aurore des temps ; la révolution persane inaugura le régime constitutionnel. En même temps, les négociations relatives à l'arrangement anglo-russe préparaient, sur le terrain international, une meilleure chance d'avenir à la Perse, dont elles garantissaient l'indépendance, en cherchant à la préserver de conflits futurs entre les rivalités voisines. J'ai eu la bonne fortune de pouvoir suivre de très près la série d'incidents qui se sont déroulés, en 1906 et 1907, à travers tout l'Orient Moyen, — en y provoquant les bouleversements les plus imprévus pour ceux qui n'avaient point observé, sur les lieux mêmes, la transformation des idées. Successivement, j'ai vu l'esprit nouveau envahir les principales villes de la Perse : d'abord, la capitale ; puis Tauris, Ispahan, Kermanchah et Chiraz. Sous une poussée presque insensible, sans heurt, sans secousse violente, s'effondrait la vanité des pouvoirs existants; un commencement de liberté s'établissait sur leurs ruines.

Mon trop court séjour en Perse ne m'ayant point laissé le loisir d'entreprendre sur ce pays une étude méthodique, j'ai dû me borner à le dépeindre tel qu'il m'était apparu tout le long de ma route et par le fait des événements survenus. A la lumière des incidents de chaque jour, je me suis efforcé de faire ressortir le caractère durable, avec les tendances actuelles de l'Iran.

De nombreuses complaisances m'ont permis de recueillir les notes nécessaires à la rédaction de ce livre. Mohammed Djacfer Mirza 1 a bien voulu m'accompagner dans tout mon voyage et me servir d'interprète; je dois à sa connaissance des choses persanes une multitude d'indications. C'est un Kadjar, issu de la famille régnante; son propre grand-père, le Prince Roukn-ed-Dowleh, fils de Feth-Ali-Schah, fut gouverneur de Mechhed et Kazvin; lui-même est rentré dans le commun par l'effet des générations et se trouve maintenant au service de l'administration des douanes. Les Français établis en Perse m'ont aidé de leur expérience; je dois spécialement mentionner MM. Nicolas, aujourd'hui consul à Tauris, et de Rettel, qui se sont succédés comme premiers interprètes, Mirza Ibrahim Khan, interprète indigène de la Légation de France à Téhéran. De même, M. Joseph Richard Khan, un Français musulman, né d'une mère persane et mieux placé que quiconque pour servir d'intermédiaire entre la recherche européenne et la société orientale. Seyyed Djemal-ed-Din, qui prêcha la révolution dans les mosquées de la capitale, s'est prêté à de longs entretiens sur l'organisation du Chiisme et l'évolution de l'idéejreligieuse en Perse, — tous sujets qui sont le fondement même d'une étude sur le mouvement actuel. Un autre prédicateur de Téhéran, Mollah Nasroullah Behechti (le paradisiaque), Mélek-ol Moutékellémin (le roi des prédicateurs) m'a prodigué les détails sur le culte spécial à l'Iran. Nizam-os-Saltaneh, alors gouverneur général de Tauris, m'a fourni de précieuses indications sur les tribus de l'Azerbaïdjan; les diverses autorités m'ont volontiers renseigné sur leur domaine propre. Mollahs et derviches se sont montrés prodigues de récits et de légendes ; les gens du métier m'ont parlé de la musique et de la danse; Iqbal-ed-Dowleh, qui possède à Téhéran le plus bel équipage, m'a décrit l'élevage des faucons; Morîn-é-Boka les taziés de la cour, dont il est le metteur en scène. Je dois remercier, en outre, M. Lucien Bouvat, bibliothécaire de la Société Asiatique de Paris, qui a bien voulu revoir les orthographes persanes, contenues dans ce livre, et M. G. Hutin, géographe-adjoint du ministère des Affaires Étrangères, qui a dressé la carte ci-jointe.

La vieille Perse achève de mourir ; une nouvelle est en train de naître. L'avenir dira si la révolution persane est capable de créer dans l'Orient Moyen un état de choses définitif. Seuls parmi les musulmans, les Persans ont l'avantage de former une nation compacte, douée des plus éminentes facultés naturelles. La déformation chiite de l'Islam, l'évolution des sectes issues du soufisme y peuvent faciliter le progrès des réformes. La race est patriote et sent vivement l'opportunité de l'heure actuelle, où le consentement des puissances intéressées, paraît favoriser la constitution d'un tampon solide entre les ambitions atténuées des empires de l'Asie.

La révolution persane, qui dure déjà depuis deux années, se prolongera, sans doute, longtemps encore. Le temps n'est plus des bouleversements rapides et l'évolution de l'Orient Moyen devra se faire aussi lente que celle de la Russie, dont, par la force des choses, les destinées réagissent sur les siennes. Le libéralisme persan est né dans un groupe restreint de mollahs philosophes et de gens cultivés, mis en contact avec l'Europe; l'appel, qu'ils ont fait à notre culture, leur attire naturellement les sympathies françaises. Ils ont à réaliser de longs efforts pour acquérir le maniement utile de la liberté, pour en inspirer le goût aux masses indifférentes. Il leur faut être des éducateurs de leur peuple, autant que des réformateurs de leur gouvernement. Le mouvement initié par eux se développera plus ou moins rapide, selon qu'il sera loisible au Souverain de le favoriser ou de le retenir. Mohammed Ali Schah est intelligent et énergique; il doit être patriote et désireux du bien public; il a, depuis son avènement, traversé des heures difficiles, causées par la rivalité persistante des agents anglais et russes, malgré l'arrangement intervenu entre les deux gouvernements. Puisse-t-il, par une entente équitable avec son peuple, par un juste équilibre entre les deux influences extérieures qui s'imposent à lui, réussir à assurer dans son royaume l'établissement durable du système constitutionnel !

1. Le mot Mirza, placé avant le nom propre, indique un homme cultivé, instruit. Placé après, il désigne un prince de maison régnante.




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