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Le destin des Kurdes


Auteur :
Éditeur : L'Harmattan Date & Lieu : 1998, Paris
Préface : Pages : 272
Traduction : ISBN : 2-7384-6797-0
Langue : FrançaisFormat : 135x215 mm
Code FIKP : Liv. Fra. Bou. Des. 4005Thème : Général

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Le destin des Kurdes

Le destin des Kurdes

Philippe Boulanger

L'Harmattan


De la profonde histoire kurde à la récente MED-TV, du tourisme en Turquie aux revendications du PKK, en passant par les différents acteurs régionaux et occidentaux de ce théâtre oublié, et pourtant en représentation permanente, le destin des Kurdes nous rappelle sans cesse la complexité décourageante de cette question proche-orientale, et maintenant européenne. Les raisons multiples qui entraînèrent l'arrivée de réfugiés kurdes sur les côtes italiennes, au début de l'année 1998, ne peuvent se comprendre qu'à l'aide d'une grille de lecture pluridisciplinaire.

Mêlant humour et humeur, Philippe Boulanger s'emploie à fournir ici une approche neuve et originale du dossier kurde.



Philippe Boulanger, né en 1974, est diplômé de l'Institut d'études européennes de l'université Paris VIII.

 



INTRODUCTION

Le plus passionnant des peuples du Proche-Orient est aussi l'un des plus tourmentés. Ce qui fait toute la particularité de la question kurde, prise dans sa globalité, c'est, d'une part, le mode de relations conflictuelles qui opposent les Kurdes (terme générique qui peut se rapporter autant aux mouvements politiques qu'aux communautés linguistiques et confessionnelles) aux Etats dont ils relèvent et, d'autre part, les rapports, parfois extrêmement tendus, que doivent gérer les mouvements kurdes entre eux.

Population large et hétérogène sur les plans religieux et linguistique, les Kurdes, qui ont le malheur de vivre sur un territoire qui abonde en pétrole, en eau et autres richesses naturelles, ne rentrent dans aucun moule explicatif déjà connu. Au Proche-Orient, ils demeurent une exception au sein d'une incroyable "mosaïque" de peuples taraudés par des cadres politiques et économiques souvent peu appropriés à la réalité culturelle de la région.

Bien que séparés en quatre populations minoritaires aux destins distincts depuis soixante-dix ans, les Kurdes revendiquent toujours leur appartenance à une véritable nation à part entière. La réalité kurde adoube difficilement cette profonde certitude: leur territoire, le Kurdistan (d'une superficie à peu près égale à celle de la France), peut être considéré comme un vaste espace géographique aux limites imprécises autant qu'un véritable pays avec ses particularités (montagnes et climat rude, par exemple).

Après les Arabes, les Turcs et les Persans, les Kurdes sont tout simplement la quatrième ethnie du Proche-Orient. Mais peu d'Etats de cette région en tiennent compte, principalement parce qu'ils en ont peur. En Europe, la Suède est le seul pays où les Kurdes sont reconnus comme Kurde à part entière, et non-résident turc ou irakien.

Les origines ethnique et linguistique des "Kurdes" -terme générique bien imprécis, comme nous le verrons - se caractérisent par une grande incertitude; celle-ci contraste d'ailleurs avec les propos catégoriques de certains spécialistes du Proche-Orient qui assurent que les Kurdes descendent directement des Mèdes, un peuple indo-européen reconnu pour sa bravoure guerrière. Essuyant la destruction de leur vaste empire par Cyrus II en 550 av. J.-C, les Mèdes participèrent aux guerres médiques menées par les Perses contre les Grecs. Mais de nombreux textes confirmant cette hypothèse ont été perdus ou détruits au cours de la mouvementée et turbulente histoire kurde. Peu de documents confirment cette hypothèse, mais aucun ne l'infirme également.

L'hypothèse n'est pourtant pas à rejeter: les Indo-Européens, qui n'ont jamais formé une race mais une communauté linguistique très étendue (non attestée par les textes), se caractérisaient par une société reposant sur trois classes fonctionnelles, chacune associée à l'une des "couleurs" du cosmos. Aujourd'hui, le fond indo-européen ne s'est pas éteint: il demeure présent, en particulier sur les drapeaux nationaux de pays européens tels la France, l'Allemagne, l'Italie et le Royaume-Uni, qui comptent tous les quatre trois couleurs. Les couleurs kurdes sont également au nombre de trois (rouge, jaune, vert). La cohérence de l'hypothèse n’oblitère cependant pas les incertitudes et interrogations quant au destin des Kurdes.

On prétend que les Kurdes adhéraient au Zoroastrisme (Mazdéisme réformé par Zarathoustra), avant que celui-ci ne soit supplanté par l'Islam. Les Kurdes sont en grande majorité des musulmans sunnites, que l'on dit plus libéraux que la majorité des musulmans. Une importante minorité chiite est néanmoins présente, au même titre qu'une communauté alévie, très singulière par son anticonformisme à l'égard de la religion et son attitude progressiste et communautaire. Certains Kurdes sont des yésidis, dont la confession reste mal connue; leurs pratiques culturelles sont très proches du Zoroastrisme: ils respectent ainsi beaucoup la nature (feu, eau, terre, soleil, air). Avant de devenir plus sédentaires, les Kurdes étaient principalement des nomades, s'établissant aussi bien en Mésopotamie qu'en Anatolie centrale.

Les Kurdes parlent une langue qui appartient à la branche iranienne des langues indo-européennes, et elle ne ressemble en rien à une langue turque archaïque. Le kurmancî (parlé par 70 % des Kurdes) et le soranî sont les deux principaux dialectes d'une langue qui se caractérise par un vocabulaire qui diffère sensiblement selon les régions. Le kurmancî, sur un plan grammatical, ressemble davantage à l'anglais et au français qu'au turc, alors que le soranî présente des similitudes avec le persan. Un exemple, peut-être isolé, illustre une certaine parenté: le mot "pentathlon" désigne un sport composé de cinq disciplines. En langue kurde, le chiffre cinq se traduit par le mot "penj". Il n'en demeure pas moins que l'homogénéisation de la langue kurde sera certainement très problématique car, si le kurmancî s'écrit grâce à l'alphabet latin, le soranî utilise, lui, l'alphabet arabe (les Kurdes de Géorgie et d'Arménie utilisent aussi l'alphabet cyrillique)1.

La culture kurde est aussi vaste qu'ignorée, car elle est toujours victime d'une négation radicale de la part de la Syrie, de l'Iran, de l'Irak et de la Turquie. La littérature, surtout orale, est très riche, et abonde en proverbes délicieux. Le théâtre kurde, bien que riche, est toujours méconnu; les romans sont peu nombreux, malgré la popularité du grand romancier Yachar Kemal - auquel on a reproché d'avoir tardivement reconnu son origine kurde. Newroz, le nouvel an kurde, célébré le 21 mars, caractérise à beaucoup d'égards la culture kurde.

Le plus complexe des problèmes

Les Kurdes ont longtemps rêvé d’un Etat indépendant, décidé lors de la signature du traité de Sèvres, promesse demeurée lettre morte. Cette terre promise est pour longtemps encore inaccessible car les lacunes du droit international à l'égard des minorités et l'incompétence des organisations internationales sont renforcées par les principes de souveraineté nationale et d'intégrité territoriale des Etats. Ce qui a de surprenant avec la question kurde, c'est que, paradoxalement, la notion d'"Etat" y est en effet omniprésente.

D'une part, les nationalistes kurdes, tout comme ceux qui se sont penchés sur la question kurde, ont toujours considéré que la question kurde ne pouvait se résoudre qu'au sein d'un cadre national. Mais le "nationalisme" - ou, dans le cas des Kurdes, le tribalisme - ne résout rien, il complique souvent tout, essentiellement au sein d'une ethnie dont la diversité est le premier des particularismes. Le mot "diversité" est même trop faible: il s'agit plutôt de désunions sempiternelles et de discordes profondes entre les clans kurdes.

D'autre part, les populations kurdes sont écartelées par les frontières arbitraires de quatre Etats-nations autoritaires. L'incapacité permanente des historiens et observateurs, en un sens remarquable, à appréhender correctement le cadre d'analyse concerné a freiné, et freine encore l'émergence d'une solution politique à l'affaire kurde.

En matière minoritaire, l'Union européenne autant que l'Organisation des Nations unies (ONU) pâlissent devant les intérêts de leurs Etats membres, et rendent caducs et impuissants des instruments internationaux qui ne devraient pas l’être: la Convention de l'Unesco (Organisation des Nations unies pour l'éducation, la culture et la science) concernant la lutte contre la discrimination dans le domaine de l'enseignement, et n'admettant aucune réserve émanant des Etats parties, grâce à son article 9, permettrait aux Kurdes, avec son respect et son application sous contrôle international, d'user de leur langue en Iran, membre de l'Unesco.

A sa manière, le caractère minoritaire représente toute la particularité du problème kurde. La question palestinienne n'est ainsi comparable à la question kurde que dans une certaine mesure: les Kurdes, peuple divisé sur son propre territoire, n'ont pas de représentation à l'Unesco au contraire des Palestiniens, peuple déplacé, qui ont droit à un statut d'observateur au sein de cet organisme indépendant de l'ONU.

Problème complexe dont le tiers-mondisme européen a fait ses délices, l'affaire kurde, souvent oubliée et mal appréhendée, ne répond à aucun schéma préétabli. Elle révèle également, du côté kurde ("responsables" politiques et intellectuels) comme du côté européen (journalistes, spécialistes, responsables politiques, intellectuels), une conscience historique bien ténue: pour comprendre le destin des Kurdes, ne faut-il pas replacer l'histoire kurde dans celle du Proche-Orient, voire du monde - auquel elle appartient? Par surcroît, trop nombreux et trop divisés pour s'insérer dans un cadre d'analyse classique, les Kurdes ne peuvent être correctement compris au moyen d'un schéma théorique unique: de multiples facettes composent la question kurde, pavant ainsi le chemin pour son analyse pluridisciplinaire et multidimensionnelle.

Quel avenir pour les Kurdes? La réalité kurde est vraiment pleine d'interrogations, souvent privées de réponses satisfaisantes. La situation des Kurdes est le reflet parfait de ce lien insaisissable et indéniable qui confronte de manière permanente l'Occident et le Proche-Orient. Ce dernier a toujours copié, plus ou moins librement, le "style occidental" en adoptant à tort la théorie stricte de l'Etat-nation, fortement remise en cause aujourd'hui, et des stratégies de développement inadaptées au cadre culturel et politique.

En un sens, le Kurdistan, l'un des derniers foyers endémiques de la troisième peste identifiée par l'OMS (Organisation mondiale de la santé), est un terrain de rugby embrumé, aux limites incertaines et floues, dont on ne peut décrire ni les équipes ni les règles du jeu... A ce jour, la question de l'autodétermination des Kurdes, assujettis à un environnement favorable à l'application catégorique de schémas rigides et autoritaires d'Etats-nations "unitaires" dans une région de "mosaïque"2, n'est toujours pas résolue.

1 En France, à Asnières, l'Institut national des langues et civilisations orientales (Inalco) - c'est-à-dire l'université qui dispense presque exclusivement un enseignement de langues orientales - est sans doute le seul établissement où il est possible d'apprendre les différents dialectes kurdes.
2 Sur ce point, voir le livre de Georges Corm, L'Europe et l'Orient, de la Balkanisation à la libanisation. Histoire d'une modernité inaccomplie, La Découverte, Paris, 1989.



Premiere Partie

Les Acteurs et les Enjeux


"Les évènements m'ennuient,
ce sont l'écume des choses,
ce qui m'intéresse, c'est la mer..."


Paul Valéiy

Chapitre 1

Panorama d'un scénario complexe

Le peuple kurde face à une "règle de quatre"


Les Kurdes ne vivent pas seulement en Turquie. Des populations kurdes d'importance variable se trouvent en Iraq, en Syrie et surtout en Iran. Quatre Etats du Proche-Orient se partagent donc une population kurde totale estimée à trente-cinq millions de personnes, une population amenée à croître dans les prochaines années en raison d'une vitalité démographique importante et d'une combativité légendaire1. Dans cette affaire kurde, la démographie occupe une place centrale qui peut, déjà, être introduite par l'interrogation suivante: si l'ensemble de la population kurde du Proche-Orient continue à croître, les minorités kurdes des quatre Etats régionaux concernés resteront-elles toujours des minorités?

Bien que l'avenir des Kurdes est étroitement lié à l'évolution du régime d'Ankara, il convient de rappeler que ...

1 Pinta Pierre, Les Kurdes, un peuple écartelé, Notre Histoire, n°125 septembre 1995 p 27 et Nezan Kendal, La question kurde, "Le concept des minorités à l'épreuve des faits", Université-Paris VIII, 30 novembre 1996.

 




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