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Les réfugiés kurdes d'Irak en Turquie


Auteur :
Éditeur : L'Harmattan Date & Lieu : 1998, Paris
Préface : Pages : 320
Traduction : ISBN : 2-7384-7009-2
Langue : FrançaisFormat : 135x215 mm
Code FIKP : Liv. Fra. Cig. Ref. 4355Thème : Général

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Les réfugiés kurdes d'Irak en Turquie

Les réfugiés kurdes d'Irak en Turquie

Sabri Cigerli

L'Harmattan


La violence étatique est une règle sur l’ensemble des régions kurdes. Assimilation forcée, répressions, exodes, massacres, disparitions, assassinats, transferts de population, déportations, état d’urgence, état de siège constituent le quotidien des Kurdes.

A la suite du bombardement chimique de 1988 qui coûta la vie à plus de 5 000 civils, des milliers de Kurdes d’Irak, qui voulaient échapper aux gaz de Saddam Hussein, se sont réfugiés en Turquie et depuis le partage du Kurdistan, l’histoire kurde est celle du déchirement et de la souffrance.

Cet ouvrage, issu d’une recherche universitaire, a été écrit au terme d’une enquête menée sur place dans les camps en Turquie. Il examine la convergence des intérêts turcs et irakiens sur le partage du territoire du Kurdistan.

On y trouve des témoignages et réflexions des autorités turques, des Kurdes de Turquie, des instances internationales sur la situation des réfugiés dans les camps. On y découvre le mode de vie des réfugiés, leur traitement par les autorités turques et le combat mené par les réfugiés pour préserver leur culture et leur dignité.

Un document indispensable pour comprendre la politique kurde de la Turquie et de l’Irak.



Docteur en sciences politiques, Sabri Cigerli enseigne à l’Université de Paris X-Nanterre. Depuis de nombreuses années, il lutte activement pour la cause des opprimés.

 



PREFACE

La condamnation des bombardements à l'arme chimique sur des Kurdes d'Irak par l'armée irakienne en 1988, à la fin de la guerre entre l'Irak et l'Iran, a été orchestrée et médiatisée avec des moyens considérables, en 1991, après l'annexion du Koweït, pendant la Guerre du Golfe et lors des soulèvements qui l'ont suivie, kurde au Nord et chiite au Sud. Il s'agissait de diaboliser le plus possible le régime de Saddam Hussein aux yeux des populations occidentales pour qu'elles ne s'opposent pas à la guerre, pour justifier les sanctions et leur maintien et essayer de se débarrasser de ce régime. Mais cette condamnation a été infiniment plus discrète en 1988.

A cette époque, la Ligue Arabe protestait contre les accusations dont l'Irak était l’objet auprès du Secrétaire Général de l'ONU. L'URSS et la Turquie démentaient l'existence des bombardements chimiques, alors même que des personnalités irakiennes les confessaient et que la presse turque se plaignait de leurs effets sur la production apicole des villages frontaliers. Jean-Pierre Chevènement, notre ministre de la Défense, faisait partie de ceux qui niaient la réalité des gazages. François Mitterrand signifiait à l'Irak son «inquiétude», «... sans vouloir s'immiscer dans les problèmes qui relèvent de la souveraineté irakienne», mais en s'autorisant «de dire son sentiment sur des événements qui mettent en cause les droits de l'Homme», en raison «des liens d'amitié qui unissent l'Irak et la France». La condamnation américaine a été beaucoup plus nette; mais on était très loin, en 1988, des futures campagnes de 1991 dénonçant les crimes contre l'humanité de Saddam Hussein, pour les mêmes faits.

La cause des Kurdes a toujours été instrumentalisée: par les Anglais au Traité de Sèvres, par les deux camps de la guerre froide (République de Mahabad, après la guerre; soulèvement de Barzani, en 1974), contre Saddam Hussein, contre la candidature de la Turquie à l'Union Européenne, etc. Cette instrumentalisation a souvent pour effet de susciter l'illusion, de précipiter les leaders kurdes dans des aventures d'autant plus dangereuses que le «martyr» a toujours été considéré comme une arme politique au cours de la «question d'Orient», depuis les massacres de Chios; et qu'il constitue l'un des ingrédients principaux du kurdisme. Aucune Grande Puissance n'envisage pourtant de faire exploser la poudrière de la région en démantelant un ou plusieurs Etats pour créer un Kurdistan; encore moins, évidemment, les Etats de la région. Eux aussi utilisent la question kurde de leurs voisins pour tenter d'atteindre leurs propres objectifs extérieurs ou intérieurs. Cela a souvent pour effet d'opposer entre eux des mouvements kurdes de différents Etats, comme pendant la guerre entre l'Irak et l'Iran; ou, comme aujourd'hui, le PKK de Turquie et le PDK d'Irak; alors même que, malgré les discours, leur stratégie de lutte contre leur Etat reste circonscrite dans son horizon, y compris quand elle est menée à l'extérieur des frontières ou soutenue par l'étranger; et, à l'intérieur de chaque Etat, à la lutte pour le monopole de la représentativité kurde, volontiers violente.

L'ouvrage de Sabri Cigerli ne fait pas seulement le point sur les gazages de Halabja et les Anfal de 1988, sur l'exode et la vie des «réfugiés» (auxquels le statut de réfugiés a été refusé) dans les camps de Turquie. Il analyse aussi l'extrême embarras du régime turc, à une époque où la guérilla kurde du PKK montait en puissance dans l'Est anatolien et pendant laquelle l'idéologie kémaliste fondatrice avait été maintenue et aggravée pour fonder la répression, après le coup d'Etat militaire du général Evren de 1980. Il était interdit de prononcer ou d'écrire le mot «kurde». Les Kurdes étaient sensés ne pas exister; on prétendait qu'il s'agissait de Turcs («turcs de l'Est» ou «turcs de la Montagne») arrivés en Anatolie bien avant les Seldjoukides et les Ottomans, qui auraient oublié leur langue au cours d'une période d'isolement et auxquels il fallait apprendre le slogan «heureux d'être Turc» (I)1. A cette époque, pourtant, plus personne ne croyait, en Turquie, à la fable du peuplement Turc précoce de l'Anatolie et de la turcité des civilisations hittite ou sumérienne.

Sous l'impulsion de Turgut Ozal, à l'occasion de la Guerre du Golfe et du nouvel exode bien plus considérable des Kurdes d'Irak qui s'ensuivra, par peur de nouveau gazages qui n'auront pas lieu, le régime turc a opéré un virage qu'on pouvait espérer prometteur. L'accueil des Kurdes d'Irak a été considérablement médiatisé; des milliers de prisonniers kurdes de Turquie ont été libérés; l'interdiction de prononcer le mot de Kurde a été levée et même celle de parler publiquement ou de publier en kurde. Ce virage s'était accompagné ensuite de l'élection d'un groupe de députés kurdes sous l'étiquette du SHP (Parti Populiste Social-démocrate) qui soutenait le gouvernement de coalition dirigé par M. Demirel; il devenait même de bon ton pour les politiciens de se qualifier d' «à demi-Kurdes». Le sort des «réfugiés» de 1988 s'est d'ailleurs beaucoup amélioré à ce moment-là, même si les effets de ce nouvel exode ont été très différents, en raison de l'opération «provide Confort», puis de la «zone de protection» imposées par les alliés de la Guerre du Golfe au Nord de l'Irak. Cet espoir a tourné court. Il ne suffit évidemment pas de reconnaître l'existence des Kurdes pour régler la question alors que l'Irak, par exemple, reconnaît depuis longtemps l'existence d'une «nation Kurde». La guerre et ses horreurs, des deux côtés, se sont aggravées après le bain de sang des fêtes du Newroz (Printemps kurde) de 1992, l'occasion de la trêve unilatérale décidée par le PKK en mars 1993 n'a pas été saisie ; Turgut Ozal est mort le 17 avril; la guerre a repris avec plus de férocité de part et d'autre, après une attaque du PKK sur une base militaire à Bingöl en juin; le HEP Kurde représenté à l'Assemblée a été dissout en juillet (en mars 1994, cinq députés kurdes, puis deux seront arrêtés; et six autres qui se trouvaient à Bruxelles ont refusé de retourner en Turquie). L'arsenal répressif contre le «séparatisme» n'a été corrigé que superficiellement.

L'optimisme n'est pas de mise aujourd’hui. En Irak, les affrontements entre le PDK de Barzani et l'UPK de Talabani, et leurs alliances avec Saddam Hussein et la Turquie pour l'un, l'Iran pour l'autre, ont enterré la Fédération autoproclamée, sans doute illusoire, dans la «zone de protection» (devenue terrain d'interventions répétées pour l'armée turque) et la perspective de l'union des opposants au régime en Irak. Il apparaît de plus en plus clairement que l'establishment politique turc et l'appareil d'Etat sont sérieusement gangrenés par les liens établis, à la faveur de la guerre, entre mafieux, appareils répressifs, extrême-droite nationaliste et certains politiciens. L'armée turque qui faisait déjà ce qu'elle voulait dans l’Est anatolien réussit à nouveau, par l'intermédiaire du Conseil National de Sécurité, à imposer sa tutelle, qu'elle a toujours revendiquée, sur la vie politique civile, sans coup d'Etat et sans doute mieux qu'avec un coup d'Etat, sous prétexte de défense de la laïcité. Elle avait pourtant soutenu, après le coup d'Etat du général Evren en 1980, l'idéologie de la «synthèse turco-islamique», favorisé le développement de l'enseignement religieux et fermait les yeux sur les règlements de compte du Hezbollah dans la région kurde. Pourtant, le débat s'est enfin ouvert en Turquie, remettant en cause la conception dogmatique de l'Etat unitaire à culture unique, y compris de la part de gens se réclamant de l'ataturkisme et de la laïcité. Et il aurait été parfaitement possible aux partis politiques classiques, s'ils n'étaient pas si divisés entre eux, tant à droit qu'à gauche, et surtout si dévitalisés par le clientélisme et la gangrène déjà signalée, de renverser par des moyens parlementaires le gouvernement de coalition dirigé par l'islamiste modéré Erbakan, après qu'il ait fait la preuve de son incapacité et banalisé l'alternative qu'il prétendait représenter.

Jean-Marie Demaldent
Professeur de Science Politique
Université Paris X - Nanterre



AVANT-PROPOS

Nous avons désiré étudier l'exode des Kurdes irakiens chassés d'Irak en 1988 du fait de leur massacre par gazage et sur la situation d'enfermement qui a résulté de leur arrivée en Turquie. Cet épisode, même s'il a été ignoré par l'opinion internationale, a fait l’objet d'une couverture par les médias, fait sans précédent. Et nous avons voulu le mettre en lumière plus complètement. Nous avons entrepris notre travail avec notre histoire personnelle, nous sommes d'origine kurde, citoyen turc et puis citoyen français, nous avons connu les affres d'exils massifs, nous avons été témoins d'horreurs et nous avons nous-mêmes vécu plusieurs déportations collectives dans notre enfance.
Pour rappeler Kant dans L'introduction à l'idée d'une histoire universelle, l'homme écrit des pages plus noires que les pages les plus noires des poètes:

«On ne peut se défendre d'une certaine humeur quand on voit leurs faits et gestes occuper la grande scène du monde, et, à côté de la sagesse qui apparaît ça et là en quelques individus, on trouve bien, en fin de compte, que tout, dans l'ensemble, découle de la folie, de la vanité puérile, souvent aussi d'une méchanceté et d'une soif de destruction puériles.»

Cet ouvrage est le fruit d'observations, d'entretiens et de contacts, et aussi la source de références d'ouvrages, d'articles et autres documents sur cet épisode et son contexte.

Notre connaissance personnelle du terrain et des populations n'est pas négligeable, tout comme celle des traditions et pratiques des Turcs et des Kurdes. Par notre pratique des langues turque et kurde, nous avons pu communiquer directement avec les différents protagonistes et n'être ainsi dépendants de personne pour mener les enquêtes et effectuer les traductions nécessaires.

Ceux qui nous liront verront parfois affleurer nos sentiments, mais nous avons d'abord voulu comprendre des faits sur lesquels nous avons pu rassembler des preuves et des témoignages: nous aurions fait de même pour d'autres peuples réfugiés, maltraités, opprimés.

En recherchant la vérité sur le peuple kurde qui vit souvent une condition injuste, inégalitaire, nous avons à l'esprit des idéaux de tolérance mutuelle, de justice et d'égalité entre les nations. Nous espérons que nos amis turcs - nombreux - nous comprendront et ne nous tiendront pas rigueur d'avoir été francs dans nos démarches sur un sujet pour lequel nous avons apporté le plus grand nombre possible de sources indépendantes y compris turques, mais qui est au cœur d'un conflit fait de passions, d'horreurs et de souffrances.



Introduction

La question kurde, surtout depuis la Première Guerre mondiale, demeure l'un des principaux enjeux au Moyen-Orient. Vivant sur un territoire éclaté ayant suscité tour à tour la convoitise des anciennes puissances coloniales (mondiales et régionales) en raison principalement des richesses pétrolières, bon nombre d'acteurs kurdes revendiquent depuis des années l'idée de représenter un peuple qui doit disposer d'une reconnaissance politique et culturelle. Ce problème a pris une tournure particulière depuis la Première Guerre mondiale. Des affrontements ont opposé régulièrement les populations kurdes vivant en Iran, en Irak, en Turquie et en Syrie 1, aux autorités politiques de ces pays. Des conflits entre ces différents Etats on pu conférer une dimension régionale au problème kurde, les populations kurdes de part et d'autre des frontières se trouvant directement impliquées. La guerre Iran-Irak qui a duré neuf ans (1979-1988) est un bon exemple d'un conflit qui a été lourd de conséquences pour ces populations, mais qui dans le même temps soulagea temporairement la pression que l'armée irakienne exerçait sur les maquisards et la population civile kurde.

Notre travail partira de la situation dans laquelle se sont trouvées les populations kurdes qui ont dû suivre un exil depuis la fin de la guerre entre l’Iran et l'Irak. Alors que les Kurdes d'Irak avaient connu, surtout depuis 1946, une histoire très mouvementée, la population civile ayant été maintes fois déportée et contrainte à s'exiler, cette guerre constitue un nouveau tournant. Profitant de cette situation, jugée «exceptionnellement favorable» dans le Nord de l'Irak, les «peshmergas»2 kurdes irakiens reprennent de nouveau le contrôle d'une partie des régions kurdes, qu'ils avaient perdues en 1974 après l'accord d'Alger conclu entre l'Iran et l'Irak. Un accord de cessez-le-feu est conclu entre l'Iran et l'Irak le 20 août 1988. Sitôt après, l'armée irakienne quitte la frontière iranienne, se dirige vers la partie de la région administrée de manière autonome par les combattants kurdes. Les populations civiles sont touchées par l'emploi des armes lourdes et des armes chimiques. Ayant déjà vécu l'expérience de la guerre chimique à Halabja, qui a coûté la vie d’environ 5 000 personnes en mars 1988, la panique submerge la population des régions protégées ...

1 Ici, nous parlons de minorité au regard du nombre: les Kurdes qui ont une langue des traditions et une culture différentes des Turcs et des Arabes, sont moins nombreux que les Turcs, les Irakiens, les Iraniens et les Syriens.
2 Littéralement en kurde «celui qui va vers la mort».

 




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