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La confiscation, par le gouvernement turc, des biens arméniens


Auteur :
Éditeur : Compte d'auteur Date & Lieu : 1987, Montréal
Préface : Pages : 322
Traduction : ISBN : 2-9800423-1-5
Langue : FrançaisFormat : 135x210 mm
Code FIKP : Liv. Fra. Bag. Con. 430Thème : Général

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Table des Matières Introduction Identité PDF
La confiscation, par le gouvernement turc, des biens arméniens

La confiscation, par le gouvernement turc,
des biens arméniens... dits «abandonnés»

Kévork K. Baghdjian

Compte d'auteur


Il est absolument faux de prétendre que, les auteurs du génocide des Arméniens perpétré en 1915 étant morts depuis déjà longtemps, il suffirait à la Turquie de reconnaître la réalité historique de ce génocide et de tourner la page. La reconnaissance historique du génocide entraîne subséquemment la reconnaissance juridique.

Il y a eu génocide en 1915 et, en vertu de la Résolution 2391 du 26 novembre 1968 de l’ONU, le crime de génocide est imprescriptible, indépendamment de la date à laquelle il a été commis, même si les auteurs du crime ont disparu.
D ’ailleurs, il est absurde de prétendre que les auteurs du génocide des Arméniens ont disparu: en vertu d’un principe immuable de droit, le mal perdure tant que ses effets durent.

Donc, tant et aussi longtemps que nos territoires historiques resteront usurpés par le Gouvernement turc, tant et aussi longtemps que nos biens resteront illégalement confisqués, le génocide continuera en Turquie.



Spécialiste du problème arménien, Kévork K. Baghdjian est docteur en sociologie juridique. Émigré au Canada, il a d’abord enseigné l’arménologie à l’Université Concordia puis les civilisations arménienne et arabe ainsi que l’histoire d’Arménie et la langue arménienne dans le cadre de l’Éducation permanente à l’Université du Québec à Montréal.

Président élu de la Fédération des Groupes Ethniques du Québec depuis 1975, il est profondément impliqué dans les affaires publiques et joue un rôle important tant dans la communauté arménienne que dans les autres communautés culturelles de son pays d’adoption.

Il a publié en 1985 un livre sur le Problème arménien, qui a connu une large diffusion.
Officier dans l’Ordre des Palmes Académiques depuis 1953 «pour services rendus à la culture française», il a été nommé membre de l’Ordre du Canada en 1978.

 



PREFACE


En 1914, deux millions de citoyens ottomans d’origine arménienne vivaient dans l’Empire. Les 2 / 3 disparurent corps et biens, victimes d’un génocide. 600.000 environ survécurent, réfugiés ou exilés, définitivement coupés de leur passé et de leurs racines, définitivement privés de leurs biens. Ils accusèrent le gouvernement de leur pays d’avoir, sous le prétexte de mesures de sécurité, prémédité et exécuté l’anéantissement de leur communauté, ce qui, à l’époque semblait évident. Profitant d’une conjoncture politique favorable, les gouvernements de la Turquie s’obstinèrent depuis 1923 à rejeter en bloc cette affirmation et à refuser tout dialogue sur la question arménienne. Cette tactique s’est révélée jusqu’à présent payante, car cette négation globale paraissait tellement incohérente qu’on n’y voyait que la réaction à une susceptibilité blessée, alors qu’elle masquait le souci de préserver des intérêts politiques et économiques.

La ruse a fait long feu mais son effet s’épuise. Si la seule conséquence de la reconnaissance du génocide arménien était morale, la Turquie pourrait l’assumer, d’autant plus que la condamnation affecterait un régime qui a, en 1918, fui le pouvoir et qu’un gouvernement de transition a, les années suivantes, condamné par ses tribunaux. Mais l’État turc a hérité des terres et des biens et s’il reconnaît que ses ancêtres ont tué et volé, il ne pourra se soustraire à une demande de réparation des légitimes héritiers des victimes de 1915. Cette vérité demeure incontournable et les parties le savent, qui se parent de la morale avant de s’affronter sur le terrain du droit.

Le crime avait, en fait, été grossièrement maquillé. Les témoignages étaient accablants. Dès le début de son exécution tous, -alliés, ennemis et neutres- avaient constaté, impuissants, que le gouvernement jeune-turc, en proie à un délire nationaliste confinant à la paranoïa, entreprenait l’extermination des Arméniens de l’Empire. La déraison totalitaire engendrait l’illusion malsaine d’un corps ethnique pur. Le touranisme était le prétexte à la démesure du rêve. Une longue tradition de diplomatie fondée sur la ruse et le mensonge fournissait aux meurtriers les moyens de la falsification. Derrière le camouflage, l’objectif réel devait demeurer dissimulé. L’honnêteté et la bonne foi cachaient l’intention perverse. La destruction était programmée de telle façon que chaque séquence pût être ultérieurement regrettée comme excès, débordement de la colère populaire, à la rigueur, bavure de fonctionnaires trop zélés. La justification a posteriori fut, dès la "conception, fondue dans le programme.
Indissociable des composantes du crime, elle était destinée à permettre de rejeter toute accusation de préméditation.

La preuve de cette préméditation est bien la mise en évidence des éléments du camouflage qui exclue la spontanéité de la violence passionnelle. Les meurtriers tenaient à préserver les apparences et parvinrent à mener à son terme un programme d’anéantissement tout en maintenant une couverture juridique dans la mise à mort comme dans la spoliation. Tandis que des instructions secrètes donnaient à des militants unionistes et à des dirigeants de l’Organisation Spéciale l’ordre de liquider les Arméniens sur place ou de les décimer dans les convois de déportés, des documents officiels établissaient parallèlement la préservation de leurs droits. Les premières devaient être détruites après leur exécution, les seconds négligés et conservés dans les archives. Ces matériaux seraient ainsi disponibles pour des lendemains qui promettaient d’être agités. Des documents d’archives démontreraient la nécessité de transférer des populations suspectes loin de la zone des combats afin d’éviter leur collaboration avec l’ennemi. Ils prouveraient que toutes dispositions avaient été prises pour protéger les personnes et les biens.
Si ces mesures légales, justifiées par les circonstances exceptionnelles de la guerre, n’avaient pas été appliquées avec la modération requise par le texte, la faute ne pouvait en incomber au gouvernement mais à l’hostilité que, par leur turbulence et leurs trahisons, les Arméniens avaient engendrée parmi la population turque. Telle est depuis soixante dix ans la thèse farouchement opposée par le gouvernement turc à toute allégation de massacre et, depuis 1948, de génocide. À ceux qui démontrent l’intention, les officiels -ministres, diplomates et historiens «à l’ordre»- se défendent en tirant de leur manche comme autant de preuves de leur bonne foi ces pièces officielles fabriquées en leur temps à cet effet. Plus, à l’accusation, l’accusé réplique par des libelles rageurs, rejetant toutes les responsabilités sur les victimes, n’hésitant pas à s’empêtrer dans des contradictions. Une formule, adaptée par Pierre Vidal-Naquet du discours révisionniste des négateurs du génocide des Juifs, résume la teneur du propos: «Il n'v a pas eu de génocide des Arméniens, mais ce génocide était entièrement justifié; les Arméniens se sont massacrés eux mêmes, ce sont eux qui ont massacré les Turcs.»

Ces méthodes de dissuasion n’ont jamais ébranlé les convictions de ceux qui savaient ou avaient souci de s’informer. Les récits des témoins et des survivants, les rapports des diplomates, les enquêtes des journalistes, les minutes des procès, tout un ensemble documentaire apportait l’évidence de la volonté de détruire un peuple par le sabre et le couteau, par la faim, la soif, l’épuisement et la maladie. Entre la fiction d’une réinstallation des «émigrants» et la réalité des charniers, il n’y a de place ni pour le doute ni pour le dialogue. L’obstination dans la négation dessert le menteur et renforce la victime dans son exigence de définir avec précision les éléments de la preuve. Les pièces initialement déposées suffisent à l’établir. Le Tribunal des Peuples, la sous-commission du Conseil économique et social de l’ONU et, le 18 juin de cette année, dans une décision qui fait honneur à ses membres, le Parlement européen, ont établi le fait de génocide. Pour faire pièce à la dérisoire tentative de désinformation du gouvernement turc, les historiens se sont mis à la tâche. Ils se sont rendus dans les centres d’archives des ministères des Affaires Etrangères allemand, autrichien, anglais, français, américain, ont dépouillé la presse de Constantinople de décembre 1918 à Avril 1920 et ont traduit les publications en vieil ottoman du Journal officiel et les débats de la Chambre des Députés turcs. Ils ont épluché les ouvrages publiés en Turquie depuis les événements et confronté l’évidence par des documents inattaquables. Le bluff imposait la relance. À ce jeu, celui qui dispose des meilleures cartes gagne lorsqu’il les étale. Le jeu turc est faible et son indigence révélée par les moyens de sa défense. «La politique ne peut ignorer ni l’Histoire -surtout lorsque certains ne veulent l’écrire qu’avec une gomme- ni l’éthique démocratique» écrivait récemment le parlementaire européen Ernest Glinne. Cet usage de la gomme par les laboratoires de désinformation de l’université d’Ankara consiste à blanchir toute pièce compromettante. Aux termes de cette opération, d’autres pièces sont exhibées, tirées d’archives jusqu’alors interdites aux chercheurs sous prétexte d’interminables classements, mais à propos accessibles aux bonimenteurs. Un tel trafic de documents discrédite celui qui y recourt car il n’est de bonne histoire qu’écrite au moyen de sources utilisables à l’exposé d’une thèse comme à sa controverse. À se revêtir d’aussi piètres oripeaux, le charlatan découvre sa nudité et révèle son infirmité. Le gouvernement jeune turc était accusé de meurtre au premier degré, le voici convaincu de vol. L’indignation des héritiers donnait jusqu’alors l’illusion de préserver leur passé de la honte. Il s’avère avec ce livre qu’il tenait surtout à conserver un héritage indûment approprié.

Le Docteur Baghdjian est de ces hommes qui ne se lassent pas de dire le droit. Il déroule le fil de la logique juridique et le conduit jusqu’à son terme. Puisqu’il y a eu génocide, que ce crime est défini par une convention et qu’une autre convention en a établi l’imprescriptibilité, tous les composants du délit méritent d’être analysés comme éléments d’un recours. Ce génocide reste imprescriptible tant qu’il n’a pas été réparé. Qui doit réparer? Que signifie l’obligation de réparer?

La reconnaissance du génocide arménien par les nations définit le préjudice. Il est moral et matériel, c’est-à-dire qu’il concerne aussi les biens mobiliers et immobiliers, individuels et communautaires. La simple reconnaissance du génocide par la sous-commission de l’ONU et le Parlement européen ne devait pas en principe être suivie d’effet juridique. À ce propos, les paragraphes 38 à 40 du rapport Vandemeulebroucke sont précis: l’action juridique est interrompue par la mort des intéressés; la reconnaissance par la Turquie du génocide des Arméniens n’aura aucun autre effet. Les instances internationales semblent ainsi se satisfaire d’une sanction morale. Consciente ou non, cette position n’est pas claire. La réaction de défense du gouvernement turc au vote du Parlement européen révèle une vision plus objective des conséquences juridiques de ce vote. La Turquie ne veut pas être happée par un engrenage infernal.

Le Docteur Baghdjian se réserve, à son tour, de critiquer les éléments du rapport Vandemeulebroucke et entend démontrer que l’action en réparation matérielle des ayants-droit n’est pas éteinte par la reconnaissance du préjudice moral. Ce point de vue est jugé extrême par une partie de la communauté arménienne qui avait déclaré qu’elle se satisferait d’une réparation morale. Mais le juriste -comme le politicien- fait valoir d’autres droits et l’historien se doit de constater que cette requête n’est pas sans fondements et qu’elle s’inscrit dans un cadre judiciaire qui connaît en la matière nombre de jurisprudences, comme celle concernant les citoyens canadiens d’origine japonaise enfermés et spoliés pendant la lie Guerre Mondiale par le gouvernement canadien qui accéda ultérieurement à leur demande de réparation. En outre, cette question n’avait jamais été approfondie auparavant et le document demeure, même sous la forme d’une revendication.

Ce livre révèle l’ampleur d’une escroquerie qui aboutit à la spoliation totale des biens arméniens. Avant le génocide près de 2 millions d’Arméniens étaient des citoyens protégés par la loi, ils possédaient des terres, des commerces, des entreprises. Ils avaient déposé des liquidités dans des banques et détenaient des actions. La gestion de ces biens contribuait à la prospérité économique de l’Empire ottoman. Cette propriété leur fut ravie par des moyens prétendument légaux. Les mêmes procédés utilisés pour camoufler le meurtre collectif servirent à organiser le détournement de fonds. Le gouvernement procéda en deux temps: une réglementation a angélique» organisa la gérance des biens des déportés, ou des ventes aux enchères publiques à des prix dérisoires. L’administration fit montre d’une remarquable ingéniosité pour dépouiller ses victimes tout en se protégeant contre toute allégation d’illégalité par une profusion de précautions juridiques: inventaire des propriétés et des biens mobiliers, enregistrement des dettes et des dépôts en banque au nom des propriétaires. Des reçus furent remis aux déportés, plus tard dénoncés comme chiffons de papier, sans que fussent tenus en contre-partie des registres de dépôts. Dans les villes comme dans les campagnes, les civils comme les communautés religieuses furent sommés de déguerpir et contraints de remettre tout ce qu’ils possédaient à des fonctionnaires qui poussèrent le cynisme jusqu’à les assurer qu’ils veilleraient sur leur fortune, la géreraient scrupuleusement et la leur restitueraient intégralement, intérêts compris.

La plupart des familles disparurent totalement et il n’y eut plus de corps pour venir réclamer les biens. Lorsque les survivants brandirent leurs reçus pour reprendre leurs dûs, le gouvernement devenu alors kémaliste, n’entendit pas honorer les engagements de ses prédécesseurs. Les Jeunes Turcs avaient avec le meurtre organisé le pillage en transformant des appropriations arbitraires en délégations de gestion. Les Kémalistes mirent à profit le pouvoir de légiférer pour donner forme à l’appropriation et interdire tout recours devant leurs tribunaux. La Turquie recueillait les bénéfices du crime. Elle se garda bien de mettre en péril son économie en rendant ce qu’elle s’était déjà approprié. Le gérant s’institua de facto propriétaire légal. Le gouvernement rédigea des lois qui établissaient en bonne et due forme juridique mainmise sur des biens déclarés abandonnés par leurs propriétaires légitimes, absents ou en fuite. Il s’opposa à tout mandat ou à toute procuration et par des pratiques frauduleuses entachées de vices de forme et de fond, avalisa l’escroquerie. Par une série de métaphores et d’euphémismes, avec une arrogance soutenue par l’impunité, le législateur paracheva l’œuvre du criminel. Les «personnes en question », contraintes par les nécessités de la guerre à un transfert et à une réinstallation, n’étaient pas revenues réclamer leurs biens. Puisqu’ils avaient été abandonnés, ils devenaient propriété de l’État. Ces méthodes révèlent la continuité et la nature de l’intention: au-delà de ses motivations idéologiques, le génocide avait pour but d’effacer toute trace matérielle de présence arménienne sur le territoire de la Turquie. La cause première de ce crime fut le besoin -ressenti comme nécessité vitale- d’homogénéiser la nation en faisant disparaître les minorités ou en les rendant impuissantes. L’idéologie engendra la volonté d’élimination. La crainte de voir ces minorités -et en particulier la minorité arménienne- exploiter une éventuelle défaite de la Turquie pour arracher une indépendance nationale qui se solderait par une amputation territoriale, précipita le processus éliminateur. La guerre rendit la menace plus précise et offrit en même temps l’opportunité d’agir. Programmée, l’opération devait assurer un double bénéfice: politique et économique. Le danger d’une indépendance arménienne serait levé et la fortune arménienne -des personnes privées et des communautés- serait détournée par l’État et les particuliers. Le partage du butin garantirait la collaboration et le silence des pillards. Les précautions juridiques tisseraient la couverture légale. L’affaire était bien montée, mais elle était conçue d’une seule pièce, de telle sorte que si l’on découvrait une faille, l’ensemble risquerait de s’effondrer.

Les Alliés étaient persuadés à la fin de la Guerre mondiale qu’il suffirait d’établir les faits -ce qui ne présentait aucune difficulté- pour réparer le dommage causé. Les événements en disposèrent autrement. L’Arménie fut abandonnée et oubliée. Les Arméniens furent unanimes, un demi siècle plus tard, pour réclamer réparation du préjudice moral. La Turquie se défendit de l’accorder car elle mesurait le risque. Ce préjudice est aujourd’hui largement reconnu par les nations mais il n’est et ne demeure qu’un des éléments du préjudice global créé par le génocide. La morale est indissociable du droit. Le droit est rédigé pour protéger la propriété de l’individu contre un éventuel spoliateur qui «s’empare de la chose sans droit et la détient sans le consentement de son propriétaire». Les atteintes à la propriété ne connaissent pas de prescription et le voleur est tenu de restituer avec l’ensemble de ces détournements les fruits qu’il a perçus. Le Docteur Baghdjian connaît bien son dossier et l’expose avec une argumentation chiffrée détaillée. Il est le plaignant; il ne reconnaît pas à la Turquie le droit d’arbitrer ce différend et l’accuse d’avoir détourné la loi à son profit, sa souveraineté ne l’autorisant pas à légiférer en toute indépendance, et entend soumettre sa plainte devant une instance internationale seule compétente pour en débattre. Il démontre qu'un État par exemple le Liban, la Grèce ou Chypre serait habilité à parrainer l’introduction de la cause en restitution et réparation des biens arméniens confisqués par le gouvernement turc devant les instances internationales, qu’il s’agisse de l’ONU ou de la Cour internationale de La Haye. La plainte, répétons-le, ne préjuge pas de la décision finale. Mais, elle est là, démonstration rigoureuse d’une implacable logique.

À ceux qui se demandent pourquoi la Turquie ne se débarrasse pas de cette embarrassante question en reconnaissant sans l'assumer le crime de ses prédécesseurs, le Docteur Baghdjian apporte la réponse. La continuité juridique est évidente, la responsabilité matérielle de la Turquie ne peut être éludée. Les Jeunes-Turcs, comme les Kémalistes se placèrent sur le terrain du droit, et la partie se joue sur ce terrain. La Turquie s’est enfermée délibérément dans un piège et n’a d'autre issue que de tout nier en bloc contre l’évidence pour s’épargner les conséquences de son acte. Sa négation du génocide n’avait d’autres raisons que de prévenir des sanctions plus coûteuses. Elle avait suffisamment offensé la morale pour s’épargner avec l’aveu du crime d’un autre le remords qu’il l’eût commis, mais elle ne peut se permettre d’amputer son territoire et d’obérer son économie. Entre les victimes qui réclament et le coupable réfugié dans l’absurde qui prétend avoir légalement hérité d’un peuple qu’il n’aurait pas tué et qui d’ailleurs n’aurait jamais existé, il y a l’opinion publique questionnée par la parole et par l’écrit et appelée à débattre en son âme et conscience. Ce livre est une pièce essentielle du dossier. La passion qui l’anime est inspirée par l’indignation. Un juriste, le Docteur Baghdjian met à profit cette double compétence pour dresser un réquisitoire implacable contre le gouvernement turc. Il lui fallut des années pour réunir les éléments du dossier et une formation professionnelle pour les ordonner. Le talent de l’écrivain les rend accessibles aux lecteurs.

Yves Ternon
Juillet 1987
Paris



Un recul nécessaire

Un recul dans le temps nous paraît nécessaire pour mieux évaluer les événements que nous nous proposons d’étudier dans les pages qui suivent et pour mieux mesurer les dimensions du Problème arménien dans son ensemble.

Après les massacres des Grecs à Constantinople en 1821 et les sanglantes tueries organisées par les Turcs l’année suivante dans l’île de Chios, les remontrances des Puissances occidentales n’ont pas empêché les premiers massacres du Liban en 1845 ni les carnages à Djeddah en 1858.

Le sang a coulé une fois de plus dans la Montagne libanaise en 1860 à l’instigation de la Sublime Porte.
En 1862, des bandes d’irréguliers à la solde de la Sublime Porte, ont perpétré des forfaits abominables dans la région du Taurus.1

En 1876, la populace turque a mis impunément le feu aux quartiers arméniens de Van.2

Malgré toute cette effusion de sang et en dépit de lourdes menaces qui pesaient toujours sur l’existence et la survie même de leur Communauté, les Arméniens continuaient obstinément à chercher une issue pacifique pour sortir de la situation tragique dans laquelle ils étaient condamnés à vivre et que des éléments fanatisés, de connivence avec les Autorités rendaient de plus en plus intenable. Ils préféraient une solution négociée à une insurrection armée qui mettrait le feu à la poudrière ottomane que constituaient à l’époque tous ces peuples allogènes de l’Empire brimés sous le joug turc mais toujours jaloux de leur liberté et de leur indépendance.

Une conférence internationale se tint à Constantinople en décembre 1876, peu avant le déclenchement de la guerre russo-turque. Elle s’était fixé pour objectif de régler la Question bulgare.

Le Patriarche arménien Mgr. Nersès Varjabédian, encouragé par un groupe de notables arméniens, adressa à cette Instance internationale un mémoire sur les persécutions, les vexations et les massacres auxquels étaient constamment soumis les Arméniens de Turquie - sujets ottomans - et réclama des réformes administratives et des garanties pour leur sécurité.

1 Langlois, Victor, Les Arméniens du Taurus et les massacres de 1862, Revue des Deux Mondes du 15 février 1863.
2 Blue Book, Turkey, 1877, N° 15 p. 8.

 




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