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La cause arménienne


Auteur :
Éditeur : Date & Lieu : 1983, Paris
Préface : Pages : 318
Traduction : ISBN : 2-02-006455-3
Langue : FrançaisFormat : 140x210 mm
Code FIKP : Liv. Fra. Ter. Cau. 38Thème : Politique

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La cause arménienne

La cause arménienne

Yves Ternon

Seuil


En 1915, le peuple arménien de Turquie qui avait déjà connu de nombreuses persécutions fut victime, de la part du gouvernement turc, d’une tentative d’anéantissement à peu près complet. Sur 1800000 personnes, 1200000 périrent. C’est avant l’holocauste juif et l’autogénocide cambodgien le plus effroyable massacre de l’histoire d’un siècle qui en a connu tant d’autres. Aujourd’hui, les Arméniens sont partagés entre une République en Union soviétique et une diaspora répandue en Europe, au Moyen-Orient, en Amérique et en Australie. En 67 ans de revendications et de combats, le peuple arménien n’a même pas obtenu la reconnaissance de son malheur: d’où, à l’instar des Palestiniens, le développement d’un terrorisme arménien principalement dirigé contre les intérêts turcs à travers le monde.

Minutieux, objectif et courageux, le livre d’Yves Ternon constitue une véritable somme de la question arménienne au XXe siècle.



Yves Ternon, né le 12 février 1932 à Saint-Mandé. Ancien interne des Hôpitaux de Paris. Chirurgien. A publié trois ouvrages, en collaboration, sur le nazisme: Histoire de la médecine SS, 1969; le Massacre des aliénés, 1971 ; les Médecins allemands et le national-socialisme, 1973. Ce livre termine un cycle de recherches sur la question arménienne, inauguré en 1977 par la publication de: les Arméniens, histoire d’un génocide.

 



INTRODUCTION


L’Arménie est le grand amour du peuple arménien, la mère de chaque Arménien. Ses montagnes, ses vallées, ses fleuves, ses monuments, ses fruits sont l’objet d’un culte d’autant plus assidu que la patrie — on devrait dire la matrie — est lointaine et mutilée. Son nom s’écrit dignité, gloire et liberté. Elle est la source de toute vie, la racine magique qui confère l’identité. Les Arméniens naissent et meurent avec une «braise ardente dans la poitrine», un feu qu’entretiennent l’exil et l’injustice.

La splendeur du mythe est à la mesure de la détresse d’une nation éclatée. Il faut arrêter le temps pour saisir l’instant de gloire d’une Grande Arménie, ses princes et ses palais, ses églises innombrables et ses étés fertiles. Tout n’est que cendres et terreur, pillages et dévastation, dans l’histoire de ce peuple tragique qui paraît s’éteindre en 1915 au terme du grand feu de tristesse allumé par des Turcs et nié par les Turcs.

Que faire lorsque le cataclysme, celui où le rêve se fracasse sur le tronc de l’arbre déraciné, semble n’avoir jamais été qu’un cauchemar dans l’imaginaire des survivants ? Que faire devant l’indifférence et l’oubli, devant la négation répétée de sa propre identité, que faire sinon laisser éclater une colère si longtemps contenue dans le champ clos de sa communauté que l’opinion publique, ignorant les causes, se trouve déconcertée par une si tardive explosion. Les bourreaux disparurent longtemps après les victimes. Mais leurs vies furent plus brèves que celles de ces morts trop précoces dont les enfants raniment, chaque année, sinon chaque jour, la flamme du souvenir. La mémoire arménienne est lourde de ses martyrs et, pour avoir vainement exigé des autres la justice, façonne ses propres vengeurs. Mais cette mémoire frustrée, arrosée de chaux vive, est le seul ciment qui joint les fragments d’un peuple disparu.

Si dévorant le patriotisme des Arméniens, si brûlante la plaie ouverte, qu’ils ne pouvaient demeurer longtemps loin de l’actualité politique. Il y a en ce domaine singulièrement matière à politique. L’événement déterminant de l’histoire contemporaine des Arméniens n’est pas seulement le génocide, mais aussi la soviétisation de l’Arménie. Depuis 1920, le pays historique est réduit au /dixième de sa surface, et cette unique terre arménienne se trouve être une République socialiste soviétique. En outre, c’est là-bas justement que réside le Saint-Siège de l’Église apostolique, avec le sol et la langue le troisième pilier du nationalisme arménien. Des hauteurs de l'Ararat, loin de ses légendes et de ses héros, le peuple arménien redescend dans la plaine d’Érevan: le cœur bat dans sa cage, privé de libertés démocratiques.

L’histoire n’a pas fait de cadeaux aux Arméniens et, au fil des siècles, leur principal objectif était de se maintenir en vie à travers la mêlée des grandes nations. Aujourd’hui, les besoins de la géopolitique les placent devant un dilemme : être utilisés par l’URSS — dont il ne fait guère de doute pour les plus naïfs que sa façade socialiste est une imposture — comme un instrument d’expansion idéologique, économique et territorial, tout en espérant tirer à long terme leur épingle de ce jeu mortel ; ou bien refuser d’être un pion entre les mains des Soviétiques et laisser dormir pour des temps immémoriaux la Cause arménienne dans la vase des marais où pour son plus grand confort, l’Occident l’a précipitée, au risque de voir la Diaspora disparaître dans l’assimilation. Dans la conjoncture actuelle, il n’est malheureusement pas d’autre alternative.

La ferveur nationaliste n’imagine pas la patience. Aux formulations claires, elle préfère la nourriture des chimères et le vertige des mots creux. La complexité des problèmes arméniens tend entre cette communauté et les non-Arméniens un écran suffisamment opaque pour que le désespoir exprimé dans la modernité du terrorisme politique soit perçu dans sa violence, non dans ses motivations. On ne peut d’ailleurs exclure l’hypothèse que des politiciens tablent sur l’ignorance du public pour mener le jeu à leur guise, placer sur le devant de la scène de «merveilleux» jeunes gens, qui aspirent à devenir les héros dont leur peuple est avide, et entretenir l’illusion de la renaissance de l’Arménie, qui n’est que résurgence de flots souterrains charriant de vieilles rivalités.

L’intervalle de soixante ans entre le génocide et l’explosion du terrorisme arménien n’a pas été rempli d’indifférence pour la Cause arménienne. La vieille question arménienne — aujourd’hui plus que séculaire —, que les Jeunes Turcs avaient espéré régler définitivement en 1915, s’est posée en termes différents après la soviétisation de l’Arménie russe. Comme il est évident que l’URSS considère la République socialiste soviétique d’Arménie comme partie intégrante de son territoire, les Arméniens d’Union soviétique doivent, de gré ou de force, être fidèles au régime, et ceux de la Diaspora sont également contraints, pour se définir politiquement, de se référer à cette situation. Depuis soixante ans les partis arméniens sont divisés en deux groupes : pro et anti-communistes, et devant l’apparition d’un terrorisme arménien depuis 1975, il importe de s’interroger sur sa nature afin de déterminer dans quelle mouvance opère chaque groupe terroriste.

Le génocide a formé le terreau où se cultive la mémoire. Les fleurs du désespoir y poussent naturellement, plus belles à chaque génération. Plantes éphémères d’un très vieux peuple, elles cherchent le soleil dans toutes les directions et les miroirs du prisme renvoient la lumière pour mieux en dissimuler la source. L’intolérance se nourrit du mensonge et la stratégie politique repose sur l’ambiguïté et spécule sur l’ignorance. Défaire l’écheveau et rendre rectiligne le fil de la vérité est le devoir de l’historien. A chacun ensuite de se définir en connaissance de cause selon ses convictions.




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