NUIT TURQUE
I Que les histoires des anciens soient une leçon pour les modernes, afin que l’homme voie les événements qui arrivèrent à d'autres qu'a lui: alors il respectera et considérera attentivement les paroles des peuples passés et ce qu’il leur advint, et il se réprimandera. Aussi gloire à qui réservera les récits des premiers comme leçon à l'intention des derniers.
Et lorsque fut la nuit, il dit : Dans les jours d’il y a bien longtemps, vivaient en trois endroits de l’empire d’Orient sur lequel régnait le Sultan trois enfants, dont l’un s’appelait Soghomon, l’autre Archavir et le troisième Stepan. Ils n’étaient pas parents. Le premier, maladif et mélancolique, habitait une agglomération déshéritée appelée Erzindjan, sur les hauteurs lointaines du levant, le deuxième, robuste et espiègle, était orphelin de père et sa mère l’élevait dans la ville riante, baignée par le Bosphore et la Corne d’Or, et le troisième, on ne sait pas. Mais là où ils vivaient étaient, pour eux et leurs voisins, de grands troubles et de grands soucis.
II Il m’est revenu, lecteur fortuné, doué de bonnes manières, que dans le passé des âges et des moments la Turquie avait mauvaise presse en Europe. C’est pourquoi, lorsque survint la révolution, l’Europe se réjouit Alors, la Turquie se dota d’une constitution, d’un parlement et les gens s’embrassèrent follement. Dans les rues bruyantes et gaies s’assemblaient des hommes en canotier, des femmes en chapeau ou en cheveux.
L’Europe était satisfaite. Les Turcs également. Et on les comprend. Car les Turcs sont des gens comme tout le monde. Les nouveaux titulaires du pouvoir avaient l’aspect de tout un chacun. Ils portaient costumes, gilets et cravates, la moustache souvent, le fez parfois, parce que le fez était encore de mode à l’époque de la révolution, et ils s’exprimaient librement, en langage châtié, dans plusieurs langues. Ils n’avaient pas de mots assez âpres, assez rudes pour décrire ... |