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La question kurde


Auteurs : | | | | |
Éditeur : Complexe Date & Lieu : 1991, Bruxelles
Préface : Pages : 162
Traduction : ISBN : 2-87027-416-5
Langue : FrançaisFormat : 115x180 mm
Code FIKP : Liv. Fre. Pic. Que. N°2203Thème : Général

Présentation
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La question kurde

La question kurde

Elizabeth Picard

Complexe

La guerre du Golfe a fait brusquement ressurgir le problème kurde au premier plan de l’actualité internationale. La tragédie de ce peuple dispersé entre plusieurs Etats date, on l’oublie souvent, de l’effondrement de l’Empire ottoman et des règlements imposés au Moyen-Orient par les vainqueurs de la Première Guerre mondiale.

Quels étaient les enjeux de ces règlements, et de quel poids particulier a pesé l'enjeu pétrolier? Comment depuis lors la « question kurde » a-t-elle été traitée par l’Irak, l’Iran, la Turquie? Enfin qui sont les Kurdes et comment cherchent-ils eux-mêmes à faire reconnaître leur identité? Peut-on parler d’un nationalisme kurde?

Sur cette question complexe, les analyses rassemblées par Elizabeth Picard apportent le point de vue de l’historien, du juriste, du sociologue, du politiste. Elles éclairent le destin d’un peuple qui, depuis soixante-dix ans, tente de surmonter ses propres contradictions et revendique son autonomie. Elles soulignent aussi l’impact du problème kurde sur l'équilibre régional et international.

Autour d’Elizabeth Picard, chercheur au CERI, ont collaboré à ce volume: Hamit Bozarslan, Stephan Marquardt, Yann Richard, Ghassan Salamé, Stéphane Yerasimos.



LES KURDES

Répartition


Les Kurdes sont vingt à vingt-cinq millions. La carte ci-contre montre la zone de peuplement kurde « d’un seul tenant » qui s’étend sur une partie de l'Irak, de la Syrie, de l’Iran et de la Turquie (mais qui n’est pas peuplée uniquement de Kurdes). Outre cette zone centrale, ces quatre pays comptent aussi dans leurs grandes villes (Istanbul, Téhéran, Damas...) d’importantes populations kurdes; l'Iran en a également dans certaines provinces du nord. Pour autant qu’on puisse l’évaluer en l’absence de véritables statistiques, les Kurdes de ces quatre principaux pays seraient au nombre de :

Turquie : 12 millions (sur 58 millions d'habitants)
Iran : 6 millions (sur 56 millions)
Irak : 3.5 il 4 millions (sur 18 millions)
Syrie : 800 000 à 1 million (sur 13 millions)

Des groupes kurdes existent également en URSS (moins de 300 000, implantés dans les républiques du Caucase et de l’Asie centrale).
Au Moyen-Orient, il faut signaler une importante présence kurde à Beyrouth (plusieurs dizaines de milliers).
La diaspora kurde en Europe est évaluée à 600 000 personnes.

Langues et religions


Les Kurdes descendent de populations pastorales établies depuis plusieurs millénaires dans la région. Us parlent des langues du groupe iranien (sorani, kurmanji, zazaï...) qui s’écrivent en caractères arabes en Irak, en Iran et en Syrie, en caractères latins en Turquie, en caractères cyrilliques en URSS.

Leur islamisation a commencé tôt, mais s’est faite lentement, La grande majorité d’entre eux est musulmane sunnite, mais il existe également des chi’ites et des alevis, ainsi que des yezidis et des chrétiens.

Présentation

Ce petit livre a été écrit dans l’urgence. Urgence d’une actualité qui nous a giflés au lendemain de l’éclatante victoire de la coalition internationale dans la guerre du Golfe, car derrière cette guerre éclair s’en précipitait une autre, interne à l'Irak. Nul ne savait alors précisément au prix de quelles violences la Garde républicaine matait les chi’ites au sud et les Kurdes au nord, mais chacun pouvait voir les images de ces millions de Kurdes en fuite devant le danger d’extermination chimique, eux qui n’avaient pas oublié le massacre d'Halabja.

Pas de sensationnel, pourtant, dans notre travail, pas de description qui relate l'horreur du drame, peu d’attention aux prouesses de l’opération «Provide comfort». Un peu, tout de même: Ghassan Salamé s’interroge sur les limites entre action humanitaire et ingérence militaire. Mais au total, historien, sociologues, politistes et juriste, nous considérons la question kurde comme une question politique, et pas seulement humanitaire. Qu'on ne s’y trompe pas: de très près ou de plus loin, chacun des auteurs de ce livre a été touché par le malheur kurde ; l'ironie ou la rigueur de certaines pages sont parfois le filtre de l'émotion.

En quelques chapitres, La question kurde tente de montrer les mouvements de résistance à la recherche d'une mobilisation nationale, leur organisation, les modalités de leur lutte contre les Etats, leur insertion dans un Moyen-Orient hautement conflictuel, leur écho sur la scène internationale. Non que ce livre prétende «tout» dire sur la question kurde; tout au plus met-il l’accent sur des aspects importants et des cas exemplaires du problème. Une bibliographie donne quelques pistes complémentaires, en particulier sur l'histoire des Kurdes, sur les Kurdes de Syrie (près d’un million) et ceux d’Union soviétique, minorité aux droits culturels protégés, mais dont le nombre (moins d’un demi-million) va diminuant en raison des processus d'assimilation.

Pour ouvrir le dossier, voici le récit de l’injustice originelle faite aux Kurdes, en toute sérénité et bonne conscience. Stéphane Yerasimos montre des diplomates et des ministres, l’œil rivé sur les puits de pétrole — cela a-t-il tellement changé en soixante-dix ans? — faisant surgir, entre poire et café, une hypothétique entité kurde, dans ce moment de légèreté «insoutenable» où les puissances européennes découpaient à leur profit les restes de l’Empire ottoman. Ensuite, tout aussi aisément, Grande-Bretagne et Turquie font «disparaître» l’entité à leur gré.

Ce qui existe, en tout cas, depuis la Conférence de Versailles de 1919-1920, ce sont les Etats. Ces Etats du Moyen-Orient dans le cadre desquels s’organisent tribus et partis politiques kurdes, contre lesquels combattent les peshmergas, et avec lesquels, parfois, les mouvements kurdes concluent des accords : d’abord, la Turquie, que Hamit Bozarslan montre pétrifiée durant des décennies autour de l'idéal kémaliste de nation unitaire, ébranlée par les longues révoltes d'un peuple dont elle nie l’existence même, hésitant aujourd'hui à ouvrir son espace politique aux identités plurielles afin de mieux servir ses ambitions sur la scène du Moyen-Orient. Ensuite, l’Iran, impérial puis islamique, plus disposé peut-être à gérer ses multiples minorités ethniques, voire à leur accorder, comme aux Kurdes, des droits culturels spécifiques, mais prompt à juger l’intégrité de l'Etat menacée et à agir avec brutalité. La République islamique, explique Yann Richard, oppose à ses Kurdes un nationalisme persan plus virulent encore que celui du Chah. Enfin l'Irak, nation impossible aux prises avec sa propre nation kurde, à propos duquel je suggère que l’octroi d'une autonomie aux Kurdes est la pierre d'achoppement de la démocratisation. A chacun de ces trois Etats, comme à la Syrie et à l'Union soviétique ébranlée par le réveil des nationalités, les Kurdes posent un défi multiple : ils menacent d'abord leur légitimité historique et leur affirmation identitaire; ensuite, leur autorité et leur intégrité territoriale ainsi que leurs relations avec les Etats voisins; enfin, le respect de leur souveraineté par la communauté internationale. La somme de ces menaces n'explique que trop bien la propension des Etats à « verrouiller » la question kurde.

En miroir de leurs politiques répressives, guérillas et soulèvements kurdes contre les Etats se succèdent d’un pays à l’autre, rarement d'un même rythme, parfois en contradiction, tournant même au combat fratricide. Il faut bien le reconnaître: leur bilan est désastreux. Hamit Bozarslan s’interroge sur la nature du mouvement kurde, enraciné dans une société longtemps marquée par le tribalisme, où la violence politique et la lutte armée (mais jamais jusqu’ici le terrorisme) sont plus souvent au rendez-vous que la négociation. 11 évoque les premiers intellectuels nationalistes, l'échec de leur rencontre avec une jeunesse kurde modernisée encore presque inexistante, leur alliance contre nature avec les chefs de guerre et les peshmergas.
Paradoxalement, ce n’est ni le nombre (après tout, les Kurdes sont plus de vingt millions), ni l’identité culturelle, ni la base territoriale qui font défaut à leur constitution en mouvement national et à leur reconnaissance sur la scène mondiale autrement qu’à titre de martyrs. La structure segmentée de leur société, la solidarité de la tribu dont l’honneur doit être défendu par les armes, la multiplicité et la dispersion des organisations entre plusieurs Etats toujours prêts à les manipuler, éclairent la primauté accordée à la lutte armée. D’autres modalités de lutte, plus politiques, quasi diplomatiques, peuvent-elles se développer aujourd’hui?

C’est justement à évaluer les chances politiques du mouvement kurde que s’emploie Ghassan Salamé, à l’heure où le règne de l’Etat-nation et le sacro-saint respect des frontières sont gravement ébranlés, et pas seulement au Moyen-Orient. En intervenant sélectivement dans la défense d’une minorité, les puissances ont aiguisé les contradictions des sociétés locales, pourtant riches de leur pluralité ethnique et religieuse. Partout au Moyen-Orient où craque le vernis de l’Etat-nation « moderne », surgissent des solidarités qui, pour traditionnelles qu’elles soient, apparaissent parfois comme les structures de communication et de mobilisation de l’avenir. Alors que la guerre du Golfe a révélé l’opposition inéluctable entre la recherche d’une stabilité régionale de la part des puissances et l’aspiration à la démocratie chez les populations locales, c’est peut-être le moment où jamais pour les Kurdes de « s’insinuer dans l’Histoire », eux qui ont manqué le grand rendez-vous de 1919. Mais comment concilier, en Irak et dans tout le Moyen-Orient, droits individuels, droits des minorités et démocratie représentative?

Est-il seulement possible de s'entendre sur la notion de droit des minorités? Le droit international, montre Stephan Marquardt, est encore timide sur ce sujet, conservateur au point que les Etats — y compris l’Etat irakien ! — gardent toute latitude pour juger de la légitimité d'une revendication autonomiste en leur sein. Plusieurs commissions, des centaines de juristes travaillent aujourd’hui à définir la minorité et à consolider ses droits. Patience, les Kurdes, encore quelques décennies...

D’ici là, le mouvement kurde cherche ses repères, bouleversé qu'il est par les contrecoups de l’effondrement du système bipolaire et par les ravages de la guerre du Golfe. Entre la négociation avec les Etats, nommément avec Saddam Hussein qui offre encore une fois l’autonomie, et la poursuite de la lutte armée, ses organisations pourront-elles construire un projet unitaire?

Elizabeth Picard



Première Partie

Des oubliés de l’Histoire

Les Kurdes et le partage
du Moyen-Orient, 1918-1926

par Stéphane Yerasimos


A propos de l’époque qui nous occupe, celle où se prépare, puis s'opère, le partage des dépouilles de l’Empire ottoman, il faut parler de « question de Mossoul » plutôt que de « question kurde »: en effet, entre 1914 et 1926, ce sont, bien plus que les Kurdes, Mossoul et son pétrole qui préoccupent les grandes puissances. Le problème principal est: qui contrôlera le pétrole? Les Kurdes se trouvent simplement là, et il faut « faire avec ».

Le pétrole, déjà...

Tout, en effet, est déjà subordonné au pétrole. Dès 1879, le géologue autrichien Emil Tietze a signalé la richesse et la qualité exceptionnelle des gisements de Kirkouk, et c'est dans l’impossibilité de se procurer …

 




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