La bibliothèque numérique kurde (BNK)
Retour au resultats
Imprimer cette page

L’Irak Nouveau et le Problème Kurde


Auteur :
Éditeur : Khayat Date & Lieu : 1977, Paris
Préface : Pages : 184
Traduction : ISBN :
Langue : FrançaisFormat : 130x210 mm
Code FIKP : Liv. Fre. Haj. Ira. N°4443Thème : Politique

Présentation
Table des Matières Introduction Identité PDF
L’Irak Nouveau et le Problème Kurde

L’Irak Nouveau et le Problème Kurde

Aziz El Hajj

Khayat


Quand la guerre de 1914 éclate, l’Irak était soumis à la domination turque à l’instar de la majorité des pays arabes. L’occupation turque avait commencé quatre siècles auparavant, précédée par celle des Bouyides de la Caspienne et par l’invasion des hordes mongoles. Le sanguinaire Houlagou investit la ville de Bagdad en 1258; il y met le feu, détruit les monuments abbassides sans épargner les barrages et les canaux d'irrigation dont dépendait l'agriculture irakienne — en principe toute l'économie — depuis les temps les plus anciens. Tamerlan ou Taymour le Boiteux donne en l’an 1401 le coup de grâce à la capitale actuelle en la rasant entièrement et en passant ses habitants au fil de l’épée. En 1534, le Sultan turc Soliman le Magnifique entre dans Bagdad comme dans un désert. Rien ne se fait pour sortir le pays de sa désolation, pas même une quelconque réforme. L’administration ottomane, corrompue et injuste, n’avait qu’un seul souci, celui de percevoir le tribut dû à la Sublime Porte. Et ce n'est pas tout, Bagdad est aussi le théâtre des luttes atroces engagées entre les occupants et l’empire perse séfévide. Les ...



PHYSIONOMIE DE L’IRAK


L’Irak ou ancienne Mésopotamie, ou encore « Pays des Mille et Une Nuits », est un territoire arabe qui s’étend entre les deux fleuves du Tigre et de l’Euphrate. Berceau de nombreuses civilisations et carrefour des routes reliant l’Orient à l’Occident, il est situé au nord-est de la Péninsule Arabique. Sa superficie est de 444.442 km2.

La nature l’a doté de régions dissemblables. Il est marqué au nord par une région montagneuse qui englobe le Kurdistan irakien. A l'ouest des espaces désertiques sont habités par les bédouins nomades. Le plateau du centre, enserré entre les fleuves, forme la région de la vallée. Des plaines alluviales font du sud une région de pâturages. La région désertique représente environ 37% de l'ensemble de la superficie de l’Irak, tandis que les terres cultivables n’atteignent que 35 à 40% du reste de la superficie. Son réseau hydraulique est constitué par le « Tigre — dont la longueur en territoire irakien est de 1418 km — et de ses deux affluents l’Euphrate (1213 km en territoire irakien) et le Shatt El Arab d’une longueur de 1213 km. Il se complète par de nombreux petits fleuves, des lacs et des marais. Le climat est en général chaud et sec en été, froid et tempéré en hiver. Les pluies ne tombent qu’en hiver.

L’Irak se divise en 18 unités administratives ou Mouhafazat (Départements). Chaque département est subdivisé en plusieurs circonscriptions appelées «Quadaa». Ces dernières à leur tour comprennent des « Nahia ». La capitale Bagdad, fondée en 762 par le Calife Abou Jaafar Al Mansour, compte environ 2 millions d’habitants. Les villes les plus importantes sont Basra, Mossoul, Suleymanié, Kirkouk, Kerbala et Arbil. L’Irak est entouré de six pays limitrophes. Ses frontières avec l’Arabie Séoudite, au sud-ouest, ont une longueur de 895 km; de 147 km à l'ouest avec la Jordanie; de 254 km au sud-est avec le Kowait; de 603 km au nord-ouest avec la Syrie; de 305 km au nord-ouest avec la Turquie et de 1315 km à l’est avec l’Iran.

La population de l'Irak est estimée à près de 12 millions composée de deux nationalités principales, l’arabe et la kurde. Cette dernière constitue 20% environ des habitants du pays. D’autres minorités nationales se partagent entre les Turkmènes, les Arméniens, les Chaldéens et les Assyriens (1).

Sur le plan religieux, la majorité de la population appartient à la religion musulmane, divisée en deux sectes: les chiites et les sunnites. Les kurdes de la région nord sont sunnites. Parmi les kurdes, se trouve une secte peu nombreuse qui professe une croyance particulière appelée le Yézidisme. A côté des chrétiens et des juifs, les Sabéens forment une petite confession, passage entre le christianisme et le judaïsme, qui se réclame de St Jean.

Le peuple kurde en Irak possède une identité nationale qui lui est propre. Il fait partie de la nation kurde répandue aujourd’hui non seulement en Irak, mais aussi en Iran, en Turquie et en Syrie. Une petite minorité se trouve également en U.R.S.S., en Afghanistan et en Balouchistan, mais la majeure partie vit en Turquie et en Iran. Les Kurdes forment une race qui a ses traditions, ainsi qu’une culture, une langue et une histoire nationales qui leur sont communes. Les territoires habités par cette nation dans les pays où ils sont éparpillés à présent constituaient une même région au relief montagneux connue sous le nom de Kurdistan, autrement dit la patrie des kurdes. Les kurdes d’Irak, concentrés dans la région nord du pays — le Kurdistan irakien — jouissent depuis le 11 Mars 1974 d’un statut autonome au sein de la république irakienne.

1. Les Assyriens copime les Chaldéens, de religion chrétienne, parlent la langue syriaque.



Avant-Propos

La présente étude se propose de parcourir l’évolution politique de l’Irak depuis la première guerre mondiale, en insistant davantage sur la période qui s’ouvre le 14 Juillet 1958 — date de la proclamation de la république irakienne — et qui s’étend jusqu’à l’octroi de l’autonomie au Kurdistan irakien. Si elle s’attache tout particulièrement et en premier lieu à l’évolution du problème kurde en Irak, c’est à cause de son lien organique avec l'ensemble des problèmes essentiels de l’Irak et partant de l'évolution politique générale du pays. Evolution qui a connu des développements dramatiques à certaines époques et dont la guerre civile entre le milieu de 1961 et Mars 1975 en a été le plus meurtrier. Le problème kurde exigeait par ailleurs de la part du lecteur occidental, français surtout, un exposé loyal qui ferait la lumière sur un sujet dont les médias d’information on dénaturé profondément la portée. Il s'est trouvé également certains chercheurs et commentateurs occidentaux qui n’ont eu à voir le problème que sous l'angle de leur ressentiment personnel tant envers la politique de l'Irak que celle des Arabes.
D’autres ont littéralement manqué d’objectivité en prenant fait et cause pour les rebelles kurdes. Leurs écrits attestent, en plus d’un manque d'information, d’une suite d’interprétations et d’analyses erronées. De sorte qu’il m’a semblé nécessaire de répondre au vœu du lecteur occidental en exposant le problème sous tous ses aspects et dans toute sa vérité. Pour ce faire je me suis référé à de nombreuses sources d’information et à des dizaines de documents tantes officiels que privés, aidé en cela par ma pratique personnelle des événements durant les vingt-cinq années qu'il m’a été donné de militer au sein du mouvement révolutionnaire irakien.

L’Irak en général et la question kurde en particulier ont été un sujet de constante préoccupation de la part des grandes puissances. Cela tient tout d’abord à la position stratégique qu'il occupe avec son territoire kurde. Etat du Moyen-Orient aux riches gisements pétroliers, il a toujours été au centre des conflits entre les puissances. L'avènement d’une révolution progressiste, hostile à la domination étrangère, n’était pas non plus de nature à plaire aux forces impérialistes mondiales, ni aux milieux sionistes à la remorque d’Israël, ni davantage aux régimes conservateurs de la région.

Déjà vers la fin du 19ème siècle et au commencement du 20ème nous assistons à un début de rivalités et de conflits entre la Russie et la Grande-Bretagne d’une part, puis entre la France et l’Allemagne, d’autre part. Les régions kurdes étaient comprises dans ces zones conflictuelles où s’agitaient les agents de toutes ces nations. Les Russes et le Anglais menaient leur action dans le Kurdistan septentrional, tandis que les Allemands et les Français avaient jeté leur dévolu sur le Kurdistan méridional. La rivalité colonialiste redouble d’intensité lorsqu’il se confirme que le nord de l’Irak renfermait d’abondantes richesses pétrolières. La Grande-Bretagne s’empare alors de la question kurde entre 1920 et 1925 et brandit la menace d’un démembrement de la région nord appelée à cette époque-là le Wilayet de Mossoul, lequel se verrait séparé du territoire irakien. Son principal objectif nétait-il pas de contraindre l’Etat irakien à lui concéder les champs pétrolifères.

Les Etats-Unis n’apparaissent sur la scène que pendant la 2ème guerre mondiale. Ses agents se concilient certaines catégories socio-politiques kurdes en laissant croire à la sympathie américaine à l'égard des aspirations nationales kurdes. Cependant n’est-ce pas grâce à leur soutien militaire que le premier gouvernement autonome kurde fut noyé dans le sang à Mohabad en 1945. Leur duplicité ne faisait l'objet d’aucun doute. La question kurde ne sera entre leurs mains qu’un instrument de leur politique en Moyen-Orient. L’activité américaine au nord de l’Irak, jointe à celle de l’Iran, s’intensifie à partir de 1958, si bien que le commandement de Barzani devient en quelques années un simple pion sur leur échiquier. On n'en veut pour preuve que le rapport rendu public au début de l’année 1976 du Comité Spécial de la Chambre des Représentants (1) sur les activités des services de renseignements américains. Ce rapport fait état de déclarations d’un haut responsable de la CIA reconnaissant que des millions de dollars sous forme de matériel militaire avaient été offerts en 1972 aux rebelles kurdes au nord de l’Irak (2). Quoi encore de plus probant que l'effondrement de la rébellion Barzanienne à la suite de l’accord d’Alger 1975 intervenu entre l’Irak et l’Iran réglant leur contentieux. Il a suffi que l’Iran coupe l’aide militaire à Barzani pour que celui-ci mette fin à son aventure.

L’Irak entretient aujourd'hui des relations normales et franches avec son voisin iranien. Il est souhaitable que les relations cordiales entre les deux pays se renforcent dans l’avenir étant donné les liens historiques, religieux et culturels qui rapprochent leurs peuples.

L’intervention étrangère dans le problème kurde n’implique pas nécessairement que ce problème n’existe pas ou qu’il a été créé de toutes pièces. Si elle l’a compliqué, elle ne l’a pas du tout exclu. Car il n’est pas permis d’ignorer l’existence de fait d’un peuple kurde ayant des droits nationaux légitimes en Irak. Ce principe que je considère fondamental, guidera ma démarche tout le long de cette étude. Le Parti Baas Socialiste Arabe qui conduit à l’heure actuelle le régime progressiste en Irak en a pris conscience. Toute sa politique nationale, agréée et soutenue par l’ensemble des forces progressistes arabes et kurdes, s’en inspire constamment. Elle s’est inscrite dans les faits depuis le Manifeste du 11 Mars 1970 jusqu'à l'accession de la région kurde à l’autonomie, Le peuple kurde en Irak jouit en toute liberté de ses droits culturels et linguistiques. La solution du problème kurde n’a été qu’un jalon de plus sur la longue voie que les deux peuples arabes et kurdes d’Irak ont suivi depuis l’antiquité la main dans la main. Cette solution va dans le sens d’une consolidation et d’un développement de ces liens fraternels à travers une lutte commune orientée vers l’édification d’une société irakienne nouvelle.

Le destin commun arabo-kurde a pris racine dans l'histoire et s’est nourri de toutes les civilisations qu’elle a engendrées depuis l’antiquité, qu’elle soit akkadienne ou babylonienne, ou encore assyrienne. Ensuite il a pris corps au sein d’un grand état arabo-islamique au 7ème siècle qui fut le départ d’une des plus riches civilisations qui aient conquis l’Occident.

L’art et la langue arabes se frottèrent aux cultures persanes, indiennes et grecques pour cristalliser et véhiculer une culture arabo-islamique à travers le monde. C’est elle également qui a servi à cimenter les différents particularismes tant religieux qu’ethniques. L’histoire de l’Irak ne témoigne d’aucun conflit violent entre kurdes et arabes. Saladin n’était-il pas kurde? Si ce n’était l’intervention étrangère, il n’y aurait eu ni crise ni confusion dans le problème kurde. L’Irak est le pays où coexistent arabes et kurdes en étroite symbiose que déforment à dessein certains kurdes fanatiques et sectaires. Les masses arabes et kurdes ont lutté côte à côte contre le conquérant et le colonialiste. Elles ont participé ensemble à des grèves, des manifestations et des soulèvements. Elles ont connu ensemble la répression, la persécution et la mort. Sur le plan sociologique, elles sont rattachées les unes aux autres par des liens de sang. De plus les intellectuels kurdes sont redevables de leur formation culturelle de base à l’arabe. Ce n’est nullement le fruit d’une quelconque influence ou d'une culture imposée. Ils ont saisi la richesse et la profondeur de la culture arabe si proche et si familière d’eux. Hélas une guerre civile, longue et sanglante, ponctuée de douleurs et de ruines, ne peut que laisser des traces fâcheuses. Néanmoins le sentiment de la solidarité et d'une destinée commune est ancré au plus profond des citoyens irakiens, qu’ils soient arabes ou kurdes.

La reconstruction et le développement accéléré de la région kurde autonome vont de pair avec le développement harmonieux de tout l’Irak. Le problème kurde n'a été au fond que le problème des masses laborieuses kurdes, paysans et déshérités, qui composent la majorité du peuple kurde. C’est à elles qu’incombe la tâche de sauvegarder les acquis dont le régime progressiste au pouvoir les a fait bénéficier et de poursuivre la réalisation du programme de développement qui leur est tracé. Cette région dotée de l'autonomie au sein de la république irakienne, avec ses deux organes exécutif et législatif, constitue un modèle du genre destiné à la solution des problèmes kurdes dans les pays environnants où est disséminée la majeure partie du peuple kurde en général, laquelle se trouve privée de ses droits nationaux élémentaires. Il est essentiel que l’intérêt des masses kurdes ne converge pas uniquement sur la mise en application du statut de l’autonomie, dont la réforme agraire est l'un des postes clef, mais encore sur la manière de le féconder et le perfectionner. Il est enfin du devoir des masses kurdes de protéger et de défendre le régime progressiste révolutionnaire qui, soutenu par toutes les forces démocratiques et populaires, les a en charge. Carie processus d’évolution de la région kurde autonome ne peut s’opérer que conjointement avec la dialectique révolutionnaire dont se prévaut le pouvoir irakien et qui tend à transformer la société irakienne en une société prospère et progressiste, dirigeant ses pas dans la voie de l’édification du socialisme (3).

Aziz El Hqjje, 1-12-1976

1. The House Select Committee on Intelligence.
2.  The International Herald Tribune, livraison du 27-1-1976.
3.  La majeure partie du présent essai a été rédigée durant l’année 1974, lorsque les hostilités dans la région kurde de l’Irak étaient toujours en cours.



Premiere Partie
L’Irak Ancien

Quand la guerre de 1914 éclate, l’Irak était soumis à la domination turque à l’instar de la majorité des pays arabes. L’occupation turque avait commencé quatre siècles auparavant, précédée par celle des Bouyides de la Caspienne et par l’invasion des hordes mongoles. Le sanguinaire Houlagou investit la ville de Bagdad en 1258; il y met le feu, détruit les monuments abbassides sans épargner les barrages et les canaux d'irrigation dont dépendait l'agriculture irakienne — en principe toute l'économie — depuis les temps les plus anciens. Tamerlan ou Taymour le Boiteux donne en l’an 1401 le coup de grâce à la capitale actuelle en la rasant entièrement et en passant ses habitants au fil de l’épée. En 1534, le Sultan turc Soliman le Magnifique entre dans Bagdad comme dans un désert. Rien ne se fait pour sortir le pays de sa désolation, pas même une quelconque réforme. L’administration ottomane, corrompue et injuste, n’avait qu’un seul souci, celui de percevoir le tribut dû à la Sublime Porte. Et ce n'est pas tout, Bagdad est aussi le théâtre des luttes atroces engagées entre les occupants et l’empire perse séfévide. Les calamités s’en suivaient avec leurs cortèges de victimes par milliers. Le Sultan turc Mourad à lui seul ordonne en 1638 le massacre de plus de vingt mille personnes à Bagdad.

Aussi ce sombre destin que lui réserva l’histoire ne nous …

 




Fondation-Institut kurde de Paris © 2024
BIBLIOTHEQUE
Informations pratiques
Informations légales
PROJET
Historique
Partenaires
LISTE
Thèmes
Auteurs
Éditeurs
Langues
Revues