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Monde Arabe, Maghreb-Machrek: Mémoires d’Irakiens


Auteur :
Éditeur : La Documentation Française Date & Lieu : 1999, Paris
Préface : Pages : 310
Traduction : ISBN : 3 303331 801634
Langue : FrançaisFormat : 160x240 mm
Code FIKP : Liv. Fre. Lui. Mem. N°4117Thème : Général

Présentation
Table des Matières Introduction Identité PDF
Monde Arabe, Maghreb-Machrek: Mémoires d’Irakiens


Monde Arabe, Maghreb-Machrek

Pierre-Jean Luizard

La documentation Française


Comment parler de l’Irak alors que ce pays connaît depuis deux décennies une situation d’exception qui interdit tout véritable travail de terrain? La société irakienne est pour nous anonyme, inconnue, elle n’apparaît plus qu'à travers les discours éclatés d’une opposition condamnée à l’exil. Faire vivre cette société à travers des noms, des visages, reprendre un fil interrompu par la guerre et la violence intérieure, telles sont les idées qui ont guidé Pierre-Jean Luizard dans l’élaboration de ce numéro. D'où le choix de revenir à l’identité irakienne, aux identités irakiennes pour expliquer la tragédie actuelle. Des Irakiens de tous horizons évoquent ici leur itinéraire et leur vision des; événements de leur pays, s'interrogent sur leurs] appartenances: leurs témoignages montrent que les origines de la « question irakienne » remontent bien au-delà du régime actuel et qu'un retour sur l'histoire et la société est d'un grand intérêt pour comprendre le; présent.

La plupart des Irakiens semblent admettre que, pour construire une communauté nationale irakienne, il faut partir des identités réelles du pays. Et après? Les projets politiques développés par les trois grandes communautés irakiennes. Arabes sunnites, chiites et Kurdes, divergent. Néanmoins, une solution consensuelle peut-elle être trouvée? Que pèsent, par ailleurs, les enjeux intérieurs irakiens dans le contexte régional et international actuel? Et où se joue finalement l'avenir de l'Irak?



INTRODUCTION


Piorro-Joan Luizard*

Depuis longtemps déjà Moghreb-Machrek ressent le besoin de parler de l’Irak. Mais comment parler de l'Irak ? Comment parler d’un pays dont la société a été vaincue ? Vaincue, d’abord par un régime impitoyable, puis par l’attitude des Alliés qui n’a pas permis une solution à ce qu’il faut bien appeler la « question irakienne ». Une « question » qui plonge ses racines bien au-delà du régime de Saddam Hussein et que seul, un retour sur l’histoire et sur la société peut contribuer à mieux définir. Parce qu’elle a été vaincue, la société irakienne a été exclue des enjeux politiques tels qu’ils sont aujourd'hui mis en scène par les « vainqueurs » : le régime de Saddam Hussein et son « ennemi » américain. Cette société sans visage, anonyme, inconnue n’apparaît plus que dans les discours éclatés d’une opposition condamnée à l’exil. Même si elle continue à symboliser la permanence des courants politiques qui ont marqué l'Irak au cours du siècle, cette opposition, parce qu’elle est privée de son terreau naturel, la société au nom de qui elle parle, est à son tour touchée par le triomphe de toutes les ‘asabiyya-s (1), c’est-à-dire des solidarités de base, familiales, tribales et claniques. Deux Irakiens, trois partis, dit-on. Aucun ne semble en mesure de fédérer les identités irakiennes.

Car c’est bien l’idée de renouer un fil rompu qui a guidé l’élaboration de ce numéro. Il ne fallait pas tomber dans le piège de l’analyse de discours politiques connus et souvent partiels, au risque de devoir se déterminer dans ce qui est aussi une guerre civile (2). D’où l’idée de revenir à l’identité irakienne, aux identités irakiennes, qui expliquent la tragédie actuelle et lui donnent un sens. Saddam Hussein n’est pas un Martien pour les Irakiens. Les bases de son pouvoir ne sont que l’exploitation extrême d’un mode de fonctionnement social qui est commun à tous les Irakiens. Quelle logique a donc prévalu qui aboutisse à un tel déchirement ?

- Donner un visage à la société irakienne

Il s’agit ici de donner un ou des visages à cette société. Les auteurs de ce numéro sont tous des Irakiens. La plupart sont en exil, en France, en Angleterre, en Iran, en Egypte ou ailleurs (3). D’autres, moins nombreux, car la peur de s’exprimer est toujours là, sont de l’intérieur. Tous ont réagi à un même argumentaire trilingue (arabe/anglais/français). Nous leur demandions d’écrire sur ce qu’ils considèrent dans leur vie comme le plus significatif concernant leurs identités. Certains ont écrit facilement, se prêtant même à l’exercice avec enthousiasme, d’autres ont préféré répondre à des questions précises, d’autres encore n’ont pas voulu écrire, mais se sont exprimés devant le micro d’un magnétophone. Le choix des auteurs est empirique. Il y a eu, certes, la volonté d’ouvrir au maximum le spectre de la société. On retrouvera cette volonté dans l’éventail assez large des générations représentées (de 15 ans à des personnes récemment décédées mais qui pourraient avoir 90 ans ou plus), dans celui des milieux sociaux (depuis les ouvriers jusqu’aux intellectuels en passant par les responsables politiques et religieux et les membres de grandes familles ou les notables locaux), comme dans la palette assez large des appartenances communautaires (on a cependant refusé une représentation proportionnelle à la libanaise) et politiques (les articles expriment de nombreux courants et sensibilités, parmi les plus importants, mais pas tous). Certains auteurs qui n’étaient pas prévus se sont présentés, d’autres ont préféré se désister, le plus souvent décontenancés par ce strip-tease ou par ce qu’ils considéraient comme le « bilan d’une vie » que, dans la culture orientale, on ne fait qu’au soir de la sienne. Les auteurs chiites, à quelque tendance qu’ils appartiennent, ont été les plus avides de se raconter. Sans doute parce qu’ils en ont le plus besoin. Sans doute aussi parce que la culture chiite valorise et favorise l’écriture.

Ce n’est donc en rien un corpus constitué. Ce numéro n’a pas une prétention d’exhaustivité des identités irakiennes, ne serait-ce que parce qu’une telle prétention serait malhonnête en soi. C’est seulement un essai empirique qui tente de combler un vide : celui des connaissances sur la société irakienne. Les exilés et une certaine génération (les 50-60 ans) y sont majoritaires (alors que la majorité de la population irakienne a aujourd’hui moins de 30 ans). Un grand nombre de textes traite de périodes qui paraîtront souvent assez éloignées de l’actualité. C’est que les 50-60 ans, génération qui peut être candidate au pouvoir demain, ont une conscience politique et des identités qui puisent leurs racines dans une histoire récente qu’on ne peut pas occulter. Avec, peut-être, le danger d’un prisme, lié à une « génération » mais aussi, pour beaucoup d’auteurs, à l’appartenance à une « élite », dont il faut être conscient. Pour des lecteurs français, apprendre un peu de l’histoire de l’Irak par le biais de ces témoignages ne sera pas seulement une information brute sur l’histoire du pays, mais une mise en situation et en perspective des visions différentes, et parfois contradictoires, existant sur des événements qui ont marqué cette génération.

Ce retour en arrière de nombreux textes est aussi le résultat d’un effet inattendu : lorsqu’on a demandé de parler d’identités, beaucoup se sont naturellement retournés vers leur enfance, vers leur milieu familial, leur quartier, leur village et vers leur appartenance confessionnelle et ethnique. Et ceci quel que soit leur parcours politique ultérieur. Certes, la question posée était orientée vers les identités : les réponses le furent évidemment, avec le risque d’enfermer les auteurs dans une de leurs identités. Les premiers pas dans l’action politique ont aussi été privilégiés, à une époque où, pour cette génération, l’engagement politique a connu son âge d’or (la révolution de 1958, le régime de Kassem, le coup d’Etat de 1963). Ce qui vient après est comme un blanc : le régime de Saddam Hussein, les guerres et la répression. Comme si cette dernière période n’était pas propice à une identification quelconque (alors que la vision des événements antérieurs, telle qu’elle est exposée dans les textes, est, elle, bien actuelle et le fruit de l’évolution politique et sociale la plus récente). Il y a, bien sûr, une grande différence entre les Irakiens de l’exil, qui ne subissent pas l’embargo, et ceux de l’intérieur qui sont confrontés, de façon concrète, aux rigueurs du régime ajoutées à celles des sanctions internationales. Mais une chose est commune à tous : une distance surprenante par rapport au régime de Saddam Hussein, comme pour signifier que la situation actuelle ne peut être que transitoire, qu’elle n’est pas la conséquence d’une volonté irakienne propre, mais d’une décision extérieure à l’Irak. Des lors, plutôt que par l’analyse d’un régime condamné à disparaître tôt ou tard, on semble être plus concerné par les craintes, mais aussi les espoirs de l’après-Saddam.

- Identités, citoyenneté, démocratie : des questions universelles

La complexité apparente de l’histoire et de la société irakiennes ne doit pas cacher que les questions soulevées par les Irakiens sont des questions universelles. Quel est le rapport entre l’identité et le système politique ? Celui-ci doit-il s’émanciper de l’identité pour être démocratique ? La démocratie peut-elle exister sans laïcité ? Peut-il exister plusieurs formes de laïcité ?
Dans quelle mesure les identités majoritaires doivent-elles apparaître dans la loi commune, dans la Constitution, dans l’identité revendiquée par l’Etat ? La Constitution, dans le cas de l’Irak, doit-elle se référer à l’islam, à l’arabisme ? Sachant que ni l’islam ni l’arabisme ne sont des facteurs d’unité en Irak, ne doit-on pas préconiser une conception la plus abstraite possible du citoyen irakien ? Dans ce cas, la seule identité publiquement affirmée serait l’identité citoyenne et l’égalité entre tous les citoyens. Mais l’émancipation par rapport à l’identité est-elle souhaitable ou même possible ? A cette question, les minorités répondent, en Irak comme ailleurs, par l’affirmative : comme elles ne sont pas en mesure d'imposer leur identité propre dans le système politique, elles voient leur meilleure protection dans une égalité entre citoyens. C’est le cas des juifs ou des chrétiens d’Irak, qui, tout en se référant à des histoires mythiques de l’Irak, leur trouvent une traduction « moderne » dans un système suffisamment neutre où ils pensent trouver plus facilement leur place. Mais une telle abstraction n’est-elle pas, en retour, une injustice à l’égard des identités majoritaires qui se voient ainsi dénier tout droit à imprimer leur marque au système politique du pays ? La seule référence à la citoyenneté, indépendamment des identités d’une société, est-elle suffisante pour légitimer le lien social ?
La démocratie des citoyens est-elle compatible avec celle des identités communautaires ? Si l’on admet qu’il faut partir du particulier (la culture de chacun) pour accéder à l’universel, quel rapport ce particulier doit-il entretenir avec la culture de la communauté ? Doit-on reconnaître un droit aux communautés et, si oui, à toutes ? La « question irakienne » éclaire aussi le risque d’un enkystement communautaire, lorsque la mémoire d’une communauté tend à se fonder sur une « victimisation » qui empêche de considérer les peines et les souffrances des autres et qui devient, à son tour, un facteur d’injustice. Bref, on le voit, autant de questions qui ne se posent pas seulement aux Irakiens.

…...

* Chercheur du CNRS, Groupe de sociologie des religions et de la laïcité. Paris.

(1) Un glossaire des mois arabes, kurdes, syriaques cl persans figure en annexe 4, p. 243.
(2) L’expression guerre civile ne présume pas ici de l'existence d’une société civile en Irak.
(3) Les articles publiés dans ce numéro sont tous originaux, à l’exception de 5 d’entre eux, qui sont extraits de mémoires, d’ouvrages ou d’articles déjà publiés en arabe, en anglais ou en kurde. Parmi les 32 auteurs, 15 d’entre eux sont en exil en France, 11 en Grande-Bretagne, I en Iran, I en Egypte, 1 aux Etats-Unis, 1 en Suisse, I était à Tunis, I autre était à Bagdad. A cela s’ajoutent les témoignages de 9 personnes qui ont demandé à apparaître sous un pseudonyme : 5 émanent d’irakiens de l’intérieur (4 de Bagdad et 1 de Basra), les 4 autres d’irakiens récemment arrivés en exil eu Allemagne. Les sous-titres de ces textes sont de la rédaction.




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