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Guerre du Golfe: Verité sur un conflit - II


Auteurs : | |
Éditeur : Assemblée nationale Date & Lieu : 2001, Paris
Préface : Pages : 458
Traduction : ISBN : 2-11-115054-1
Langue : FrançaisFormat : 160x240 mm
Code FIKP : Liv. Fre. Caz. Gue. (2) N° 2112Thème : Général

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Guerre du Golfe: Verité sur un conflit - II


Guerre du Golfe: Verité sur un conflit - II

Bernard Cazeneuve,
Mıchèle Rivasi,
Claude Lanfranca

Assemblée Nationale

Dix ans après la guerre du Golfe, certains anciens combattants français se plaignent, à l’instar de leurs camarades américains, britanniques et canadiens, de maladies aux symptômes divers et inexpliqués.

Le présent rapport, fruit d’investigations approfondies et de la consultation de nombreuses données demeurées secrètes jusqu’alors, dresse un constat sans complaisances sur les conditions d’engagement des militaires français au cours du conflit. Il suggère également des recommandations utiles, alors que la professionnalisation des armées s’achève et que, corrélativement, leur implication dans des opérations similaires reste possible.

Dian, 17/2001

Les documents parlementaires (projets de loi, propositions de loi venant en discussion, rapports, comptes rendus des travaux des commissions et de la séance publique, etc) sont en ligne sur le site internet : www.assemblee-nationale.fr



AUDITION DU GENERAL MICHEL ROQUEJEOFFRE (C.R.),

ancien Commandant des forces françaises en Arabie Saoudite
au cours des opérations militaires de la guerre du Golfe
(Septembre 1990 - mars 1991)

(Extrait du procès-verbal de la séance du mardi 31 octobre 2000)

Présidence de M. Bernard Cazeneuve, Président

M. Bernard Cazeneuve, Président : Mes chers collègues, la mission d'information procède aujourd'hui à sa première audition publique et je voudrais remercier le Général Michel Roquejeoffre d'avoir bien voulu répondre à notre invitation dans des délais très brefs, ce qui a dû être pour lui assez contraignant.

Nous avions prévu d'auditionner en tout premier lieu - et cela aurait sans doute été plus cohérent car conforme à la hiérarchie militaire - le Général Maurice Schmitt, Chef d’état-major des Armées à l'époque du conflit du Golfe, mais un empêchement personnel ne lui a pas permis d'ouvrir le cycle de nos auditions. Nous l’entendrons dès que possible et probablement dès la semaine prochaine selon un calendrier prévisionnel que je vous communiquerai par la suite.
La mission d'information a convenu, comme cela a d'ailleurs été précisé au cours d'un point de presse qui s'est tenu le 18 octobre dentier, qu'elle retenait le principe de l’audition publique, excepté pour un certain nombre d'auditions de militaires et de fonctionnaires qui sont encore en exercice. Pour ce qui vous concerne, mon Général, vous avez souhaité être auditionné publiquement ce qui ne posait aucun problème de principe compte tenu du fait que vous n'ètes plus en activité.

Plus généralement, il a également été décidé que les auditions auraient lieu les mardis dans l’après-midi et les mercredis dans la matinée et l'après-midi après les questions au Gouvernement, sous réserve du programme de travail de la Commission de la Défense dont notre mission est une émanation et d'éventuelles obligations liées à la séance publique.
La presse sera tenue informée par des communiqués des dates et heures des auditions publiques. La mission d’information entend également travailler sur pièces et sur place. Sur pièces, elle a demandé au ministère de la Défense de mettre à disposition du Président et des deux co-rapporteurs la totalité des ordres de missions, comptes rendus d’opérations et notes, documents concernant l'accompagnement médical et les risques sanitaires du conflit pour les périodes des opérations et postérieures à celles-ci. Il est plus que probable qu’après avoir étudié de tels documents, nous serons amenés à compléter nos auditions. C’est là une méthode de rigueur. S’agissant du travail sur place, la mission se déplacera aux Etats-Unis, au Canada, au Royaume-Uni. L'Irak et le Koweït restent des déplacements possibles, sous réserve que des informations précises et crédibles puissent y être collectées.

Ces précisions étant apportées, je vais maintenant inviter le Général Roquejeoffre à bien vouloir se soumettre aux questions de la mission.
Mon Général, s’il ne fait pas de doute que vous avez conservé en mémoire des événements dont Vous avez été professionnellement un acteur important, j’ai conscience qu’il n’est jamais facile de retrouver, dix ans après les faits, non seulement leur exacte chronologie mais aussi certains éléments de fait comme de droit qui se sont inscrits au cœur d’une campagne militaire conduite en coalition avec nos alliés.

Sur ce point, votre expérience est essentielle à l’information de notre mission. Vous étiez, en effet, au contact direct du Haut commandement allié en assumant la responsabilité de l’ensemble de troupes françaises dépêchées dans la région du Golfe. Vous pourrez donc nous éclairer sur les conditions d’organisation d’une campagne de cette nature.
A cet égard, les responsabilités que vous exerciez en tant que Commandant de la force de réaction rapide constituent, en matière de renseignements militaires et de logistique, une précieuse source d’information dont la mission a besoin pour orienter ses travaux.
Avant que les rapporteurs, les commissaires et moi-même ne vous posions différentes questions, je vous donne la parole pour un exposé introductif qui nous éclairera sur vos missions, leur contenu et les conditions de leur déroulement.

Général Michel Roquejeoffre : Je serai très bref puisque, ainsi que vous me le demandez, je m’en tiendrai à vous fournir un aperçu de mon rôle et des missions qui m’étaient confiées personnellement, des missions successives confiées aux forces, de leur articulation, de leur implantation et surtout de leur subordination. A cet effet, je vous ai fait distribuer quatre documents qui illustreront mon propos.
J’ai été désigné comme Commandant des éléments français détachés en Arabie Saoudite - COMELEF - le 17 septembre 1990. Je suis arrivé le 19 septembre à Riyadh, d’où je suis reparti le 29 avril 1991. Je suis donc resté sur place durant sept mois et quelques jours.
J’étais nommé COMELEF, mais je suis passé commandant des forces françaises en Arabie Saoudite (COMFOR), le 8 janvier 1991, soit quelques jours avant l’attaque aérienne, le titre de commandant de forces ayant beaucoup plus de poids vis-à-vis des alliés que celui de commandant des éléments détachés.

A mon arrivée, le 19 septembre, j’étais en possession d’une lettre du Général Schmitt, dont vous avez cité le nom et qui était, à l’époque, Chef d’état-major des Armées. Cette directive personnelle me notifiait la mission des éléments français qui seraient dépêchés sur place. Je ne suis parti pour l’Arabie Saoudite qu’avec 10 officiers.
Cette mission consistait, d’une part, à participer à la défense du royaume d’Arabie Saoudite - cette première phase défensive a été suivie d’une participation à une phase offensive puis d’une période post-offensive et enfin du retrait-, d’autre part, à faire exécuter toute décision de l’ONU dont le Président de la République confierait l’application aux forces françaises.
Si je vous apporte ces précisions, c’est pour vous indiquer que je suis toujours resté sous commandement français. En effet, la lettre comportait, en outre, cette phrase importante : « Vous conserverez le commandement opérationnel des éléments français ».

La mission qui a été la mienne pendant toute la durée des opérations consistait à planifier l’emploi et l’implantation des forces et à évaluer les renforts nécessaires. Concernant le dernier point, le Président de la République est venu, le 4 octobre 1990, à Yanbu où je lui ai fait un exposé sur les renforts souhaitables qui ont d’ailleurs été accordés dans les semaines suivantes. En outre, j’avais en charge la liaison avec les autorités civiles et militaires saoudiennes et alliées.

Si vous souhaitez obtenir, par la suite, des précisions sur ce que recouvrent ces différentes responsabilités, je serai prêt à vous les fournir.
C’est le 11 novembre 1990 qu’a été diffusé l’ordre d'opération numéro 1 que j’ai signé et qui comportait une annexe sur les mesures de protection « NBC » - nucléaire, biologique et chimique -. C’est un document dont je n’ai pas ici les références mais que vous pourrez certainement vous procurer dans les archives.

Tout cela concerne la période défensive durant laquelle les troupes françaises se trouvaient dans le nord de l'Arabie Saoudite. Eiles auraient dû être mises sous contrôle opérationnel des forces saoudiennes ; cela n’a pas été le cas puisqu’en novembre intervenait le vote de la résolution de l’ONU stipulant que si l’Irak n’avait pas évacué le Koweït le 15 janvier 1991, on pouvait utiliser la force. A partir de là, nous sommes donc entrés dans la planification offensive qui, elle, ne se faisait plus avec les Saoudiens mais avec les Américains. Le 9 janvier 1991, j’ai reçu une directive particulière du Général Schmitt qui m’autorisait à planifier la manœuvre offensive, notamment avec le commandement américain. Il y était précisé : « l'otis reste: et resterez sous mes ordres directs. La division Daguet pourra, sur mon ordre, être placée sous contrôle opérationnel du 18e™' Corps américain, les forces aériennes sous contrôle opérationnel de AFCENT ... » - AFCENT étant le «Air force central», commandement aérien américain sur place - «... et la logistique restera sous commandement national ».

Cela confirme le fait que je sois toujours resté sous les ordres français, que je n’ai jamais été placé sous les ordres américains et que les forces elles-mêmes n’ont jamais été sous commandement américain mais sous contrôle opérationnel, ce qui constitue une différence fondamentale que je vous expliquerai par la suite.
Le 16 janvier, donc la veille de l'attaque aérienne, j’ai reçu l’autorisation de mettre les forces aériennes et la division terrestre sous contrôle opérationnel américain et j’ai signé un protocole d’accord, au nom du Général Schmitt et après décision du Président de la République, avec le Général Schwarzkopf. Vous me permettrez de citer une annexe dans laquelle il était précisé : « ... en permanence, prendre des mesures pour faire face au mieux à une agression terroriste ou chimique délivrée par missiles ou avions ».

Le 17 janvier, j’ai signé un deuxième ordre d’opération. L’organisation du commandement était la suivante : les forces françaises en Arabie Saoudite se trouvaient sous mon commandement ; la division terrestre et les éléments aériens, au moins ceux de combat, étaient sous contrôle opérationnel des Américains.
C’est le 18 février 1991 que rentre en application l’ordre d’opération numéro 1 de la division elle-même, signé du Général commandant de la division et accompagné d’une annexe «NBC».
Pour me résumer, en ce qui concerne le commandement et les missions, je répète que je suis toujours resté aux ordres directs du Chef d’état-major des Armées français, que les forces françaises sont restées sous commandement national et que les forces aériennes et la division terrestre étaient sous contrôle opérationnel américain.

Je vous demanderai maintenant de vous reporter à la carte qui vous a été distribuée pour attirer votre attention sur les distances.
Mon PC ainsi qu’une base aérienne logistique, avec des Transall, se trouvaient à Riyadh. La base aéroportuaire était à Yanbu, au bord de la Mer rouge, et la base aérienne de nos avions de combat, fabriquée de toutes pièces sur ce qui était un petit aérodrome civil de faible capacité, se situait à Al Ahsa.

La force terrestre, c’est-à-dire la division Daguet et le groupement logistique, était stationnée, dans un premier temps - pendant la phase défensive - à CRK, cité du roi Khaled dite « KKMC » pour King Khaled Military City, par les Américains - après le 17 janvier, elle a fait mouvement vers l’Ouest à Rafha où elle se trouvait implantée avant l’attaque terrestre. Vous noterez les distances dont je relèverai deux exemples. Premièrement, celle qui séparait les deux bases logistiques - Yanbu où les camions chargeaient, et CRK où ils déchargeaient - qui équivaut à la distance Nice-Dunkerque, ce qui explique que ces camions aient effectué chacun 45 000 km, soit le tour de la terre. Deuxièmement celle qui sépare Riyadh, où se trouvait mon PC, de Rafha, où était la division, et qui est équivalente à celle de Paris-Toulouse. Vous comprendrez que le commandement de forces sur un tel terrain n'a rien à voir avec un commandement en Europe centrale et a fortiori en France, lors de manœuvres...

Sur un autre document qui illustre les distances, vous trouverez Rafha en bas, As Samawa sur l’Euphrate en haut, et entre les deux As Salman, où se trouvaient l’aéroport, le camp et l’ancienne prison faisant office de PC qui ont été pris par la sixième division légère blindée (DLB), c’est-à-dire la division Daguet. Il faut savoir que 130 km séparent Rafha d’As Salman et que 120 km séparent As Salman d’As Samawa. Les distances avaient une grande importance !
Le 23 février, j’avais sous mon commandement 50 avions de combat et exactement 14 708 hommes ; chiffre oscillant entre 16 000 et 17 000 si on y inclut les relèves.

Le calendrier chronologique de l’attaque des forces coalisées vous permettra de mieux comprendre l’articulation des forces en présence au moment de l’attaque terrestre. A droite se trouve le Golfe persique, et à gauche la limite Ouest des forces implantées. Vous pouvez constater qu’il y avait cinq secteurs de corps d’armée : en partant de l’Est vers l’Ouest, on trouvait les forces conjointes islamiques Est - JFCE -, puis les Marines - MARCENT -, les forces conjointes nord ; ces trois corps d’armée faisaient face au Koweït. Toujours en allant vers l’Ouest, les 7èmc corps d’armée et 18èmc corps d’armée américains, faisaient face, quant à eux, à l’Irak.

La division française qui est représentée, juste au-dessous de la flèche, par les lettres DAG pour Daguet, se trouvait sous contrôle opérationnel du 18imc corps américain dans un secteur divisionnaire. La division Daguet avait elle-même sous son contrôle opérationnel la deuxième brigade de la 82iraeAirbome américaine ainsi qu’une brigade d’artillerie, également américaine.
A l’époque, la division Daguet comptait 9 500 hommes et disposait d’environ 3 000 soldats américains sous contrôle opérationnel.

Qu’est-ce que le contrôle opérationnel par rapport au commandement ? Quand on met une troupe aux ordres d’une entité supérieure, cela signifie qu’elle obéit à tous les ordres, quels qu’ils soient, que délivrera ladite entité. Le contrôle opérationnel - création française dans le cadre de l’OTAN, soit dit au passage - vise précisément et délibérément à ne pas se mettre sous les ordres mais à passer un contrat avec « un employeur » comme ce fut le cas lors du protocole-que j’ai passé avec le Général Schwarzkopf. Ce contrat dit que l’on met des forces à disposition pour une mission bien déterminée, pour une durée précise, dans un secteur bien défini, sans pouvoir les affecter à d’autres missions mais en pouvant les retirer en tant que de besoin.

Je pense avoir été complet sur ce sujet, mais je répondrai avec plaisir à vos éventuelles questions.




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