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Le conflit Irak-Iran / 1979-1989


Auteur :
Éditeur : La Documentation Française Date & Lieu : 1989, Paris
Préface : Pages : 144
Traduction : ISBN : 0029-4004
Langue : FrançaisFormat : 155x230 mm
Code FIKP : Liv. Fre. Bal. Con. N° 1779Thème : Général

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Le conflit Irak-Iran / 1979-1989

Le conflit Irak-Iran / 1979-1989

Paul Balta


La documentation française


Rappelant à la fois la guerre de 1914-1918 par ses offensives si coûteuses en hommes, ou par l'utilisation de gaz de combat, la confrontation Irak-Iran présente aussi des aspects très modernes avec le maniement d’armes sophistiquées ou l’utilisation de l’arme économique. Ses dimensions géopolitiques, religieuses et idéologiques ne sont pas moins importantes ; en huit ans ce conflit a complètement modifié les enjeux dans la région.
Avec des analyses synthétiques sur les acteurs (Etats nationaux, minorités nationales ou religieuses, puissances extérieures à la région) et sur les enjeux de la guerre et de la paix, des cartes, des chronologies, et des documents dont le texte intégral de l’accord d’Alger, cet ouvrage apporte à un large public un instrument de référence indispensable sur un conflit révélateur des tensions qui agitent une région dont l’évolution conditionne l’avenir de l’Europe.
L’Institut Français de Polémologie est spécialisé dans l’étude des conflits et des phénomènes de violence politique : terrorisme, émeutes, guérilla, guerre civile... Il dispose d’une banque de données. Il est rattaché à la Fondation pour les Etudes de Défense Nationale (FEDN).
Le Centre d’Etudes de l’Orient contemporain a été installé à Paris en 1945. Lieu de rencontre et de recherche pour spécialistes de plusieurs disciplines et aires culturelles, il fonctionne dans le cadre de l’LIFR Orient-Monde Arabe de la Sorbonne nouvelle (Paris-lll). Son fonds documentaire comprend plus de 50 000 quotidiens du Monde Arabe, 150 titres de revues, 250 000 fiches répertoriées par pays. En 1989, il a constitué une équipe de recherche, « Femmes en Islam », dirigée par Magali Morsy, et a organisé un colloque sur l’avenir du Liban.
Paul Balta. Collaborateur au journal Le Monde depuis 1970, il dirige le CEOC depuis 1988. Il est l’auteur de nombreux ouvrages dont L’Iran insurgé (Sindbad, 1979), L’islam dans le monde (La Découverte/Le Monde, 1986), Algérie (Nathan, 1988).

Notes et Etudes documentaires — n° 4889 — 16 x 24 — 144 p. — 50 F



INTRODUCTION

Les enjeux de la guerre

Le 13 juillet 1988, l’hodjatoleslam Hachémi Rafsandjani, président du Majlis (Parlement) iranien, à qui l’ayatollah Ruhollah Khomeiny avait confié, le 2 juin, le commandement en chef des forces armées, annonce leur réorganisation « pour se préparer à une longue guerre». Le 18 juillet — coup de théâtre — l’Iran accepte la résolution 598 du Conseil de Sécurité de l’ONU demandant un cessez-le-feu avec l’Irak, lequel avait approuvé ce texte dès son adoption le 20 juillet 1987. Le cessez-le-feu deviendra effectif le 20 août : il met fin aux hostilités entamées huit ans plus tôt(1) et permet, dès le 25, sous la conduite de M. Perez de Cuellar, Secrétaire général de l’ONU, l'ouverture de négociations entre les deux belligérants ; elles se révéleront longues et ardues. Les déclarations officielles, faites à Bagdad et à Téhéran, indiquent que la reprise des combats n’est pas envisagée. Pourtant, la prudence s’impose.

Dans le rapport présenté à la Commission des affaires générales de l’Assemblée de l’Union de l’Europe occidentale (Z), M. Guido Martino, déclare : « Il ne sem ble pas à votre rapporteur que le cessez-le-feu (...) fournisse l’assurance d’une paix durable. Tous les problèmes qui se posaient en 1979 demeurent, et certains, comme la question kurde, se sont aggravés. La quantité d’armements dont disposent les pays de la région s'est notablement accrue. L’autorité des gouvernements s’est affaiblie (...). Ainsi, on ne peut considérer le cessez-le-feu du 20 août comme le rétablissement de la paix, mais tout au plus comme une première étape dans ce sens ».

C’est que les enjeux de la paix ne sont pas moindres que ceux de la guerre qui étaient considérables : ils étaient d’ordre à la fois territorial, stratégique, idéologique et économique. Le conflit s’est déroulé, en effet, dans une « zone de fracture » géographique, ethnique et culturelle, et il a opposé deux conceptions antinomiques du monde, de la société, de l’homme. Cette guerre, qui a fait, selon les estimations, plus d’un million de morts, a également été l’illustration sanglante des conceptions qui déchirent le monde arabe et le monde musulman.
« Zone de fracture », puisque l’Iran (1 626 000 km2 et quelque 50 millions d’habitants) est un plateau, protégé à l’ouest par la chaîne du Zagros, sa frontière naturelle, dominant l’Irak (442 000 km2 et 16 millions d’habitants), installé dans la plaine de Mésopotamie (où la Bible a situé le Paradis terrestre), éminemment vulnérable. En outre, l’Iran est peuplé d’Indo-Européens ou Aryens, alors que la majorité de la population irakienne (Kurdes mis à part) est arabe, donc sémite. C’est en Elam, au sud-ouest du plateau iranien, qu’est née au début du IIIe millénaire avant J.-C. la civilisation de Suse qui s’est opposée à celle du Sumer, laquelle a fleuri dans la plaine de Mésopotamie. Le zoroastrisme dominera pendant treize siècles en Iran, c’est-à-dire autant que l’islam, de ses débuts, au VIIe siècle, à nos jours. L’Irak, en revanche, pays du Code d’Hammourabi (3) 4, subira de multiples influences, avant et après l’avènement de l’islam.

Les conflits entre ces deux ensembles ont été fréquents dans l’Antiquité et dans la période musulmane. Depuis le XVIe siècle, ils n'ont cessé d’opposer la Sublime Porte {4), qui exerçait sa souveraineté sur la Mésopotamie, considérée comme un espace stratégique, au Trône du Paon, qui présidait aux destinées de la Perse. Ils se poursuivront entre l’Irak moderne — constitué en royaume sous tutelle britannique en 1920 — et l’Iran des Pahlavi (voir pages 16-17). Une des revendications constantes de Téhéran, depuis le XVIe siècle, a été d’obtenir que la frontière internationale passe par le thalweg (milieu) du Chatt el Arab ou Rivage des Arabes (appelé Arvand Roud par l’Iran), voie d’eau stratégique reliant les zones pétrolières des deux pays au Golfe, persique pour Téhéran, arabe pour Bagdad (voir page 14). Cette revendication sera tenue en échec par l’Empire ottoman, d’abord, ensuite par la monarchie irakienne et par la République, proclamée le 14 juillet 1958.

Le parti Baas, ou parti de la résurrection arabe, qui accède au pouvoir à Bagdad le 17 juillet 1968, a une idéologie pan-arabe, moderniste, laïcisante et socialisante. Il pratique une politique volontariste à l’intérieur et à l’extérieur ; il entend assurer le développement intensif du pays pour lui permettre de jouer un rôle de premier plan dans la région, voire à la tête du monde arabe, à la suite de la mort de Gamal Abdel Nasser, chef de l’État égyptien, en septembre 1970. La rébellion sporadique qui persiste au Kurdistan irakien entrave les ambitions du régime. Pour y mettre un terme, il promulgue le 11 mars 1970 un projet d’autonomie du Kurdistan qui reconnaît les droits nationaux et culturels des Kurdes et d’autres minorités comme les Assyriens et les Turkmènes ; un important plan de développement économique est mis en œuvre dans la région.

Le Chah d’Iran, Mohamed-Reza Pahlavi, s’inquiète de la montée en puissance de ce régime révolutionnaire et du statut d’autonomie, dans la mesure où il est susceptible de relancer le mouvement revendicatif au Kurdistan iranien. En outre, Bagdad encourage discrètement les aspirations autonomistes de la population de la province iranienne du Khouzistan, récente appellation de l’Arabistan ou pays des Arabes (voir page 30). De son côté, le Chah apporte aux Kurdes irakiens — condidérés comme frères de race parce qu’indo-européens — une aide modulée qui leur permet de résister au gouvernement central, mais ne leur donne pas les moyens de gagner ou de faire tache d’huile au Kurdistan iranien (voir page 27). Sous prétexte que Bagdad ne respecterait pas scrupuleusement l’accord d’autonomie, le général Mustapha Barzani, chef de la rébellion kurde, reprend ouvertement les hostilités à la fin de la période d’essai de l’accord, en mars 1974, et met en difficulté le Gouvernement baassiste.

C’est dans ce contexte que M. Saddam Hussein, qui n’est alors que vice-président mais qui est déjà le véritable homme fort du pays, assiste au premier sommet de l’OPEP qui se tient à Alger. A la clôture, le 6 mars 1975, il signe avec le Chah d’Iran «l’accord d’Alger» (voir page 13), en vertu duquel l’Irak consent quelques concessions territoriales et, surtout, accepte que la frontière passe par le thalweg du Chatt et Arab ; en échange, Téhéran retire son soutien à la rébellion kurde, laquelle s’effondre dans les semaines qui suivent. Jusqu’au départ sans retour du Chah de Téhéran, en janvier 1979, et malgré quelques retards, la mise en application de l’accord ne semble pas soulever de problèmes, dans la mesure où les deux régimes — ouvertement modernistes — apprécient les avantages de la paix retrouvée et du statu quo et en profitent pour consacrer la majeure partie de leurs substantiels revenus pétroliers au développement économique ; une autre, non négligeable il est vrai, est utilisée pour les achats d’armements.

La révolution iranienne qui se développe en 1978 et finit par provoquer la , chute de la dynastie Pahlavi, en février 1979, modifie l’équilibre régional. A l’exception des partisans du Chah, tous les courants politiques avaient participé à la lame de fond qui a emporté la monarchie ; toutefois, l’imam Khomeiny et les religieux rangés sous sa bannière n’ont pas tardé, après la proclamation de la République islamique, le 31 mars, à monopoliser le pouvoir, puis à le radicaliser tout en exprimant l’intention d’exporter leur révolution. L’affrontement entre l’Irak séculier et l’Iran théocratique paraissait dès lors inévitable.

La guerre va englober trois plans : national, religieux et idéologique. Elle v dressera aussi, l'un contre l’autre, deux hommes : Saddam Hussein, devenu Président en 1979, et l’imam Khomeiny, « guide de la révolution islamique ». Tout les oppose : leur conception du monde, leur philosophie de l’Histoire, leur vision de l’homme, tout comme les idéologies qui sous-tendent les mouvements qu'ils animent et les États qu’ils dirigent.

Saddam Hussein, né en 1937, se veut l’héritier de Sumer, de la dynastie abbasside et de l’arabisme ou nationalisme arabe. Ce dernier apparaît, dans sa forme moderne, au XIXe siècle avec le mouvement de la Nahda (Renaissance). Il s’affirme au début du XXe siècle comme le moteur de la libération des Arabes intégrés dans l’Empire ottoman et prône leur unification avant de s’imposer comme force internationale, dans les années cinquante, grâce à Nasser. Encore adolescent, Saddam Hussein milite au sein du Baas, fondé dans les années quarante, par le chrétien Michel Aflak et le musulman Salah Bitar, en rêvant peut-être de devenir, à son tour, le héraut de l’arabisme.

Ruhollah Khomeiny, né en 1900 ou 1902, se rattache, en revanche, au courant fondamentaliste dont le noyau dur est constitué par l’organisation des Frères musulmans, fondée en Égypte en 1927-1928, qui prône l’application intégrale de la charia ou loi islamique. Pour eux, l’arabisme et le modernisme, à l’instar de la lutte des Arabes contre les Ottomans, sont des déviations inspirées par l’Occident en vue de porter un coup à l’unité de la oumma, la communauté musulmane. A ces données, il convient d’ajouter, chez Khomeiny, la double dimension iranienne et chiite et l'animosité qu’il a nourrie à l’égard de Saddam Hussein et des dirigeants baassistes qui lui avaient imposé un devoir de réserve dans son exil à Néjef (5), ce qui le contraindra à quitter l’Irak, en 1978, pour Neauphle-Ie-Château d’où il retournera, en vainqueur, à Téhéran, le 1er février 1979.

Les chiites (environ 10 % d’un milliard de musulmans) ont toujours été condidérés par la majorité sunnite comme des schismatiques et, de ce fait, méprisés. Or, l'Iran est le seul pays musulman où le chiisme, proclamé religion d’État au XVIe siècle, est majoritaire à 85 %, de sorte qu’au fil des siècles chiisme et nationalisme persan ont fini par se confondre. La guerre a d’ailleurs apporté la preuve qu’il n’est pas aisé de faire le partage entre la volonté de revanche chiite et celle du génie hégémonique persan.

A l’échelle régionale, seule la Syrie, en raison de sa traditionnelle rivalité avec l’Irak, a été avec constance l’alliée de l’Iran, tout en s’efforçant de s’opposer à ses ambitions au Liban. L’Algérie et la Libye, d’abord proches de Téhéran, ont progressivement pris leurs distances avant de rejoindre les positions des autres régimes arabes. Tous sunnites (à l’exception d’Oman) du Maroc à l’Arabie Saoudite, ils perçoivent le phénomène chiite comme non-arabe, dans la mesure où ses adeptes les plus nombreux vivent en Iran (plus de 40 millions), en Inde (20 millions), au Pakistan (18), en Afghanistan (7,6) et qu’ils ne sont qu’environ 15 millions sur 170 millions d’Arabes.

La création du Conseil de coopération du Golfe, en 1981, a d’ailleurs été un réflexe d’auto-défense des pétro-monarchies face à Téhéran qu’elles soupçonnaient de vouloir les « déstabiliser ». Il est vrai que l’Iran a officiellement appelé les chiites à se soulever et qu’il a encouragé, en sous-main, des tentatives de coup d'État en Irak (dès 1980 et tout au long de la guerre), à Bahreïn (en décembre 1981), à Koweït (notamment en 1985) ; au Liban, enfin, le Hezbollah pro-iranien ne cache pas sa volonté de proclamer une République islamique. Téhéran a, par ailleurs, encouragé les actions des islamistes sunnites, en particulier en Égypte et au Maghreb.

Les visées politico-religieuses n’excluaient pas, semble-t-il, les arrière-pensées économiques. Après les incidents sanglants provoqués par les chiites iraniens au pèlerinage de La Mecque, en 1987, des dirigeants de Téhéran avaient lancé des appels pour « faire du pétrole musulman une arme au service des musulmans ». Les régimes du Golfe avaient aussitôt traduit « pétrole chiite » : ils avaient redouté que la République islamique n’utilise les communautés chiites qui se trouvent précisément dans les zones pétrolifères — en Irak, en Arabie Saoudite, à Koweït, à Bahreïn — non seulement pour les déstabiliser, mais aussi pour transformer les immenses réserves de la région en une arme au service de l’Iran chiite (6).

Considérant, enfin, que le chiisme, présenté comme le parti des « déshérités », est une branche de l’orthodoxie au même titre que le sunnisme, voire la véritable orthodoxie, l’imam Khomeiny, approuvé par une partie de la hiérarchie chiite, revendique le droit de parler au nom de l’islam tout entier et conteste aux sunnites le monopole qu’ils ont toujours exercé sans partage, de même qu’il conteste à la monarchie saoudienne le droit de se considérer comme la « gardienne » des Lieux saints de l’islam, La Mecque et Médine.

Pour les grandes puissances, les enjeux ont évolué en même temps que le conflit. Au début des hostilités, les États-Unis et l’URSS proclament leur neutralité et tombent d’accord pour circonscrire la guerre à sa dimension régionale. Malgré l’affaire des diplomates américains pris en otages à Téhéran le 4 novembre 1979, les États-Unis (7) voient dans la République islamique un bouclier face à la pénétration de l’URSS (8) et du communisme dans la région ; ils modifieront leur appréciation en constatant que l’Iran a ses propres ambitions et qu’il représente une menace majeure pour leurs alliés du Golfe et pour les gourverne-ments modérés d’Égypte et du Maroc qui leur paraissent susceptibles de contribuer à une solution politique du conflit israélo-palestinien. A l’inverse, l'URSS, qui a plus de 2 000 km de frontière avec l’Iran, soutient, à l’époque de Leonid Brejnev, que la révolution islamique est un facteur non négligeable dans la lutte anti-impérialiste ; elle nuancera son point de vue, notamment avec Mikhail Gorbatchev, en raison de la menace idéologique et déstabilisatrice que le fondamentalisme chiite représente pour les républiques musulmanes soviétiques. Finalement, l’entente qui s’établit entre Moscou et Washington en 1987-1988 sera peu propice à la poursuite des conflits locaux et facilitera la tâche du Secrétaire général de l’ONU, Perez de Cuellar, dans l’instauration du cessez-le-feu entre l’Irak et l’Iran épuisés, il est vrai, par la guerre.

Engagée par le général de Gaulle, dès 1967, dans une coopération avec l’Irak — coopération qui s’est considérablement renforcée à partir de 1972 — la France a soutenu ce pays dans la guerre pour honorer ses engagements. Elle l’a fait également — malgré les réserves qu’elle a pu formuler à l’égard du régime autoritaire de Bagdad — pour éviter qu’une victoire de l’Iran n’accentue la montée de la vague islamiste au Maghreb et ne devienne un facteur de déstabilisation qui affecterait la Méditerranée occidentale et, par là même, l’Europe des Douze.

En butte à l’hostilité des États qui l’entourent, Israël a toujours cherché à entretenir de bonnes relations avec deux pays musulmans voisins qui ont précisément eu des problèmes avec le monde arabe : la Turquie laïque et l’Iran monarchique. La guerre du Golfe lui a donné un « répit stratégique » en neutralisant et en épuisant deux ennemis potentiels : l’Irak baassiste et l’Iran khomei-niste. Néanmoins, comme l’a révélé le scandale de l’« Irangate » (novembre 1986), Israël, pour des raisons tactiques, n’a pas hésité à fournir des armes à Téhéran, dans la mesure où la poursuite des hostilités a divisé et donc affaibli le camp arabe jusqu’à ce que celui-ci commence à refaire sa cohésion au sommet islamique de Koweït en janvier 1987 (9).
Les enjeux de la paix ne sont pas moindres que ceux de la guerre, comme nous le verrons plus amplement dans la conclusion. En effet, à partir de 1987, l’Irak renverse la tendance en sa faveur sur le double plan diplomatique et militaire. Le cessez-le-feu, imposé par les pragmatistes de Téhéran à l’imam Khomeiny — qui l’a accepté « comme on absorbe un poison » — risquait de porter un coup à l’idéologie islamiste comme la défaite de l’Égypte en 1967, face à Israël, a amorcé le déclin du nassérisme. Le chef religieux l’a bien compris et c’est la raison pour laquelle, au-delà des arguments théologiques, il a utilisé l’affaire des Versets sataniques de Salman Rushdie, en février 1989, pour restaurer son autorité et celle de son régime. De son côté, l’Irak, qui a résisté victorieusement, entend recouvrer sa souveraineté sur le Chatt el Arab — ce que lui conteste Téhéran — et jouer à nouveau pleinement son rôle à l’échelle régionale avec les multiples conséquences que cela peut comporter.

1. septembre 1980.
2. L'Europe et les suites de la guerre irano-irakienne. Document 1162, 10 novembre 1988.
3. Stèle découverte à Suse en 1901, sur laquelle sont gravés des arrêts codifiant la vie économique et sociale de l’Empire babylonien au 2" millénaire av. J.C. (NDLR).
4. L'Empire ottoman (NDLR).
5. Arrêté et placé en résidence surveillée au nord de Téhéran de 1963 à 1964, Khomeiny qui, dès sa libération, reprend son combat contre le régime du chah, est expulsé et exilé en Turquie. Afin d'éviter des troubles, Ankara obtient alors qu’il gagne l’Irak (NDLR).
6. Paul Balta, - Revanche chiite ou hégémonie iranienne », Le Monde, 20 août 1987.
7. Voir «La présidence Reagan. Premier mandat 1981-1985», Notes et Études documentaires, N°4787, La Documentation française, Paris, 1985.
8. Voir « Le monde communiste et le conflit irako-iranien » dans « L'URSS et l’Europe de l'Est, Edition 1985», Notes et Études documentaires; N°4793, La Documentation française, Paris, 1986.
9. Pour une étude approfondie du jeu des grandes puissances, de l’Europe, d'Israël et des États arabes, voir Paul Balta, Iran-Irak, une guerre de 5 000 ans, Anthropos/Économica, Paris, 2ème édition 1988, pages 110 à 120 et 185 à 257 ; voir aussi Quelle sécurité pour le Golfe 7, IFRI, Paris, 1984.



Chapitre 1

La gestation du conflit

De l’Accord d’Alger à la République islamique d’Iran (1975-1979)

Profitant du répit que lui a donné l’accord du 6 mars 1975, le parti Baas au pouvoir en Irak a renforcé son emprise sur le pays tout en adoptant une politique de réconciliation et de consensus avec le monde arabe. Le gouvernement normalise ses relations avec l’Arabie Saoudite, accusée naguère d’être le chef de file de la « réaction arabe » et le principal allié de l’« impérialisme américain ». Il met une sourdine aux revendications formulées, dans les années soixante, par le général Kassem (1) sur Koweit dont il contestait la souveraineté ; il se rapproche également des autres émirats du Golfe. Tout en apportant une aide substantielle à l’OLP et en maintenant des positions intransigeantes à l’égard d'Israël, il évite d'entrer dans le Front du refus (Libye, Algérie, Syrie, Yémen du Sud, OLP), constitué en réaction contre le voyage du président Sadate à Jérusalem (1977), et les accords de Camp David (1978), qui conduiront, en 1979, à la signature du traité de paix israélo-égyptien.

L’Irak aspire, sans le dire ouvertement, à prendre la tête du monde arabe. En octobre 1978, il noue une alliance avec le Baas syrien, considéré jusqu’alors comme un « frère ennemi », alliance qui devrait conduire à l’union entre les deux pays. Bagdad accueille, du 2 au 5 novembre 1978, le IXe sommet arabe et s’apprête à recevoir, en 1980, le sommet de l’OPEP qui doit commémorer le 20e anniversaire de la création de l’organisation ; enfin, il doit être l’hôte, en 1982, du VIIe sommet des non-alignés (la guerre empêchera cependant ces deux assises de se tenir comme prévu dans la capitale irakienne).

L’accord d’Alger (cf. p. 13 et 127) consacre, pour le Chah, la réalisation d’une revendication séculaire. Celle-ci n’empêche pas le mécontentement populaire de s’exprimer, à partir de 1977, face aux abus de la Cour, à la mauvaise répartition des revenus pétroliers, à l’absence de libertés politiques, aux ingérences des États-Unis qui entretiennent dans le pays 40 000 conseillers, aux dépenses militaires qui sont passées de 844 millions de dollars en 1970 à 9 400 millions en 1977 et atteindront 10 milliards, en 1978, année où éclate la révolution qui emportera le régime.

…..

1. Un des jeunes officiers qui, le 14 juillet 1958, renversent le roi Fayçal et proclament la république. Abdelkarim Kassem, qui, en éliminant ses rivaux, perd le pouvoir, sera renversé et assassiné en février 1963, lors d'un coup d’État qui porte le parti Baas au pouvoir (NDLR).




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