AVANT-PROPOS
Le jour même du cessez-le-feu entre l’Iran et l’Irak, je me suis souvenu d’une réponse de Bani Sadr à un de mes confrères journalistes l’interrogeant sur la politique des ayatollahs : « Je suis un patriote et je ne dirai rien sur la situation intérieure de l’Iran tant que le conflit ne sera pas résolu. » Cette terrible guerre allait prendre fin et aussitôt je téléphonai au président iranien en exil. « Je n’ai qu’une parole, je peux maintenant parler, venez ! » Ainsi, tous les après-midi de septembre et d’octobre 1988, je me suis rendu chez Bani Sadr afin de l’interroger et de l’enregistrer. Très méthodiquement nous abordions chaque jour un thème défini la veille au soir et qu’il préparait le matin avec sa fille.
Plus de cinquante cassettes d’enregistrement ont été nécessaires à l’élaboration de cet ouvrage dont, d’un commun accord, nous avons délibérément gommé les questions afin d’en rendre la lecture plus agréable et le témoignage plus fort. Pas une seule fois Bani Sadr n’a été exaspéré par ma curiosité ou mes remarques spontanées. Il a toujours répondu à mes questions. J’ai mis par écrit tout ce qu’il m’a dit en triant quelque peu afin de dégager les temps forts de nos conversations. J’espère que ce livre bien singulier dans sa conception et sa réalisation fera réfléchir le lecteur et l’incitera à se documenter avant de juger tel ou tel événement, telle ou telle personnalité.
Ce livre nous fait franchir la porte de bien des lieux sur lesquels plane un pesant mystère : les maisons de Khomeyni (en Iran, à Neauphle-le-Château ou à Qom), la salle du Conseil des ministres, le staff de l’état-major militaire, etc., et nous montre, au jour le jour, la réalité politique d’une révolution qui a fait couler beaucoup d’encre et encore plus de sang : la révolution iranienne.
Jean-Charles Deniau
1
Un régime qui se cherche
Dès les premiers jours de la révolution, lorsque Khomeyni a mis le pied sur le sol iranien, deux dangers sont simultanément apparus : à l’intérieur du pays, le despotisme et, à l’extérieur, la guerre.
En ce qui concerne le despotisme, j’avais commencé à l’évoquer bien avant de rentrer en Iran, ici à Paris. Lorsque nous préparions la révolution avec Khomeyni, j’ai rédigé dix-neuf propositions concernant le régime que nous voulions établir. Deux d’entre elles traitaient des mesures à prendre pour éviter une possible dictature religieuse dominée par les mollahs. C’est à partir de ces dix-neuf propositions que l’imam, installé à Neauphle-le-Château, répondait aux journalistes selon un système très au point. Les journalistes rédigeaient au préalable les questions qu’ils voulaient lui poser et une commission dont je faisais partie préparait les réponses que Khomeyni répétait scrupuleusement.
Pendant des mois, il a reçu des journalistes venant de tous les continents. Pour dissiper les craintes, il affirmait que les mollahs n’interviendraient pas dans les affaires de l’État. Devant le monde entier, il s’y est engagé avec moi.
A Paris, il ne pensait pas pouvoir renverser le chah. Deux, trois fois… |