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L'utopie sacrifiée : Sociologie de la révolution iranienne


Auteur :
Éditeur : Presses de Sciences Po Date & Lieu : 1993-01-01, Paris
Préface : Pages : 338
Traduction : ISBN : 2-7246-0638-8
Langue : FrançaisFormat : 135x215 mm
Code FIKP : Liv. Fre. Cop. Esp. 2716Thème : Général

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L'utopie sacrifiée : Sociologie de la révolution iranienne

Sociologie de la révolution iranienne

Farhad Khosrokhavar

PFNSP

C’est au sein d’une jeunesse frustrée, façonnée par une modernisation intolérante et une consommation inaccessible, qu’il faut chercher le groupe actif des révolutionnaires qui porta Khomeiny au pouvoir et lui confia un rôle de substitution. L’intervention du clergé est marquée par ce contexte social. Pour l’auteur de ce livre, il est essentiel de distinguer le discours de rejet de l’Occident qui accompagne le processus révolutionnaire du refus de la modernité. Prenant ses distances avec la thèse qui tend à présenter les ingénieurs islamistes comme l’élément le plus important du changement politique, Farhad Khosrokhavar insiste sur le rôle des intellectuels de second rang issus des paysans « dépaysannés ». Il lie l’évolution du mouvement au vécu de ses acteurs : il les a longuement interrogés dans les premières années de la révolution. Ce travail de sociologue est aussi une réflexion sur la révolution, où les rêves occupent une place prépondérante avant de se transformer en cauchemars. Il aidera à mieux comprendre les dynamiques à l’oeuvre dans l’Iran des années 80 mais aussi dans d’autres pays d’islam, comme le Maghreb ou l’Egypte.


Farhad Khosrokhavar, maître de conférences à l’Ecole des hautes études en sciences sociales, a vécu en Iran de 1977 à 1990. Il a publié, outre de très nombreux articles, Le discours populaire de la révolution iranienne, en collaboration avec Paul Vieille, Paris, Editions Contemporanéité, 2 vol., 1990.



PRÉFACE

Aux époques glorieuses du nationalisme arabe, le Maghreb et le Moyen-Orient pouvaient s'analyser sans faire référence à l’évolution des pays musulmans périphériques. La Turquie kêmaliste et militaire, l’Iran du chah, le Pakistan apparaissaient comme des exemples marginaux d’un changement politique sans rapport avec un modèle central nassérien qui restait, y compris pour les systèmes politiques qui le rejetaient, une sorte de type idéal. La révolution islamique en Iran va changer l'ordre des choses, mais il faudra encore longtemps pour que les spécialistes des aires culturelles acceptent l'idée d’une réflexion comparative. L’ouvrage de Farhad Khosrokhavar nous donne sur la crise iranienne, l'évolution de la société, les constructions imaginaires des groupes mis en mouvement par la révolution, ainsi que sur le processus de renouvellement des élites, des aperçus qui permettent de dépasser les analogies superficielles.
L’Iran offre au départ l'image d'une modernisation despotique par le haut, brisant toute armature communautaire. Cette première phase a ouvert la voie à un changement révolutionnaire faisant de l’islam une sorte de religion civile mise en œuvre par une nouvelle élite. Cette évolution peut fournir une grille d’analyse s’appliquant à divers régimes se réclamant du nationalisme arabe, tant au Maghreb qu'au Moyen-Orient. Curieusement le schéma s’adapte mieux aux régimes modernisateurs laïcs ayant bénéficié de la rente pétrolière directe ou indirecte comme l’Algérie ou l’Égypte qu’aux monarchies comme le Maroc et la Jordanie. D’un côté ce rapprochement éclaire sur la nature profonde d’un régime iranien plus marqué dans sa longue durée par sa parenté avec la Turquie kémaliste que par ses références au passé impérial de la Perse de ses dernières années. La rente pétrolière a également servi à accentuer les penchants des dirigeants pour la démesure et les monarchies arabes qui pouvaient être tentées, comme le Maroc du début des années soixante, de faire des réformes pour éviter la révolution à l’image de ce que l’on analysait alors comme la voie choisie par le chah, peuvent se féliciter, avec du recul, de leurs choix restés prudents à cause d’un manque de moyens.

Un autre thème de réflexion suggéré par la lecture du travail de Farhad Khosrokhavar concerne l’image d’une révolution religieuse. Le clergé constitue plus, dans le cas iranien, un groupe rallié et un acteur symbolique qu'un initiateur du mouvement. Mais c’est au sein d’une jeunesse frustrée, façonnée par une modernisation intolérante qu'il faut chercher le groupe actif des révolutionnaires qui confiera à Khomeyni un rôle d’intelligentsia de substitution. L’action du clergé, en retour, va consister le plus souvent à justifier l’appropriation de la modernité par une jeunesse qui s’estime volée par les modernisateurs incompétents. Car il ne faut pas confondre le discours de rejet de l’Occident qui accompagne ce processus avec un discours de refus de la modernité. Prenant ses distances avec la thèse qui tend à présenter les ingénieurs islamistes comme l’élément le plus important d’une dynamique de changement politique à caractère modernisateur, l’auteur insiste, entre autres, dans son schéma d’explication sur le rôle des intellectuels de second rang qui proviennent du groupe des paysans « dépaysannés ». Il montre en effet l’aspiration profonde à la modernité associée à une frustration très grande se traduisant par une volonté d'action politique à l’intérieur du système iranien mise au service de la révolution.

Cette analyse en profondeur, s’appuyant sur un corpus d’entretiens d’une grande qualité, dont plusieurs pourraient constituer à eux seuls des cas types révélateurs, constitue un apport essentiel de cet ouvrage. Elle ouvre des perspectives sur les idéologies et les comportements des groupes qui constituent la clientèle de base des mouvements islamiques en Iran comme au Maghreb. Le discours religieux a servi, dans les deux cas, à construire un néo-communautarisme en quête d’absolu qui a tendance à se constituer en ordre répressif, sans aboutir, dans le second cas, à un « islam mortifère » semblable à celui qui a été engendré par l'échec de l’expérience révolutionnaire en Iran. La part de l’imaginaire social, construit autour de la rente pétrolière, y crée aussi le sentiment d'une richesse mythique appropriée par les dirigeants et par l’étranger, faisant peser sur tout pouvoir le soupçon de vol. La réduction du politique à un rapport de force entre « oppresseurs » et « déshérités » laisse alors peu de place à la revendication de liberté ou de démocratie. L’unanimisme constitue un comportement plus légitime tant aux yeux des anciens acteurs que des nouveaux.

Toutes ces observations du changement social révolutionnaire iranien pourraient être reportées avec quelques nuances sur la réalité sociale maghrébine d'aujourd’hui. La similitude dans l’analyse du contexte social et politique des constructions imaginaires provenant d’une modernisation inachevée est frappante, avec une ressemblance plus marquée avec l'Algérie. La différence se situerait plutôt dans la résistance de l’Etat, et en fin de compte de son appareil militaire et policier. Sa capacité intégratrice a sans doute été plus grande au Maghreb et la dislocation de la société, et notamment des réseaux familiaux, moindres qu’en Iran. À des niveaux différents, l’attente à l’égard de l’Etat reste encore grande aujourd’hui, dans le Monde arabe, malgré un contexte général d’insatisfaction. Pour le moment cette région se trouve aussi dans une phase de tension internationale réduite. Or les conflits internationaux ont incontestablement favorisé le processus de radicalisation de la révolution iranienne tant à l’occasion de l’affaire des otages de l’ambassade des États-Unis, que de la guerre avec l'Irak.
Le travail de Farhad Khosrokhavar montre qu'il ne suffit plus aujourd'hui de quelques considérations élémentaires sur les différences entre islam sunnite et islam chiite pour se dispenser d’une analyse comparative. Les mécanismes et les imaginaires sociaux offrent des similitudes frappantes. Mais il ne faut pas pour autant appliquer à ces situations un raisonnement du type de celui que l’on proposait dans les années soixante à partir du modèle nassêrien pour prédire l’évolution de l'ensemble du monde arabe. Les monarchies jordanienne, marocaine ou saoudienne ont montré des capacités de résistance qui n’étaient pas uniquement dues au hasard. Aujourd’hui une réflexion sur la révolution iranienne aide à mieux comprendre les dynamiques à l’oeuvre au Maghreb ou en Égypte. Elle montre la part réelle de la demande de modernité et la quête d’identité à l’œuvre dans les mouvements islamistes en la situant ainsi dans une continuité beaucoup plus marquée que l’on veut bien le dire avec un nationalisme arabe qui avait, dans sa phase de crise, largement mobilisé le sentiment religieux pour renforcer la cohésion des systèmes politiques.

Rémy Leveau
Professeur des Universités à l’Institut d’études politiques de Paris
Directeur d’études et de recherches à la Fondation nationale des sciences politiques



Introduction*

Les révolutions sont faites par de nouveaux acteurs politiques qui apparaissent sur la scène, sous une forme que ne soupçonnait pas l’élite détentrice du pouvoir. Mais la révolution iranienne a une spécificité : elle est faite par des jeunes s’appuyant sur un vieillard. C’est, vraisemblablement, l’une des rares révolutions où les jeunes sont les acteurs principaux. Elle est l’expression de nouvelles aspirations dont la non-réalisation est attribuée, par les nouveaux groupes issus du changement social, à l’insuffisance, à l’égoïsme et à la vénalité des classes dominantes qu’ils cherchent à détrôner.

Ce livre propose une interprétation de la révolution iranienne : il met en relief, d’une part, l’émergence de nouveaux groupes, œuvrant à changer les rapports politiques et sociaux. Il souligne, d’autre part, l’intolérance de ces nouveaux groupes. Pour mieux comprendre le phénomène révolutionnaire, la parole est donnée à ceux qui n’y ont pas droit1, soit parce qu’ils …

* Les références complètes sont données à la fin de l’ouvrage, en bibliographie, page 331.

1. Ce livre est l’abrégé d’une partie d’une thèse d’Etat, Rupture de l'unanimisme dans la révolution iranienne, Paris, Ecole des hautes études en sciences sociales, avril 1992, remaniée pour constituer un autre ouvrage. Les entretiens cités dans ce travail datent principalement de la deuxième et de la troisième années de la révolution. Ils ont été enregistrés, décryptés, traduits en français et partiellement reproduits en annexe de la thèse d’Etat. Ils complètent la série d’entretiens principalement réalisés lors de la première année de la révolution et publiés dans le deuxième tome de l’ouvrage discours populaire de la révolution iranienne (145), Les deux séries offrent un récit de la révolution de la bouche même des acteurs de base.




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