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Comment sortir d’une révolution religieuse


Auteur :
Éditeur : Seuil Date & Lieu : 1999, Paris
Préface : Pages : 288
Traduction : ISBN : 2-02-035891-3
Langue : FrançaisFormat : 140x210 mm
Code FIKP : Liv. Fre. Kho Ira. N° 4168Thème : Politique

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Comment sortir d’une révolution religieuse

Comment sortir d’une révolution religieuse

Farhad Khosrokhavar
Olivier Roy

Seuil

Toutes sortes de signes l’attestent: l’Iran est en train d’en finir avec sa révolution. Sous les apparences de l’ordre moral encore maintenu par des polices et des milices, le désenchantement est général, l’individualisme et le désir de consommation ne cessent de gagner du terrain, la démocratie s’installe comme le régime de croisière du pays. Mais pourquoi et comment sort-on d’une révolution islamique ? C’est que celle-ci n’a pas laissé la société intacte. La révolution n’a pas été une parenthèse, au contraire: l’Iran de 1999 est un pays profondément transformé dans ses structures sociales, économiques. Si le politique a été saisi par le religieux, l’inverse est plus vrai encore : l’islam n’est pas sorti indemne de l’expérience d’une politisation extrême. Et s’il a théorisé l’entrée en révolution, l’islam est aujourd’hui mis à contribution par des théologiens et des philosophes pour penser la sortie de la révolution et la progression vers la démocratie. Dans les sphères officielles, le discours sur la religion fait place maintenant à une réflexion sur la culture, comme si l’identité iranienne avait cessé de s’enraciner dans une transcendance. La culture ? Ce qui reste quand l’utopie a disparu...


Farhad Khosrokhavar, né en 1948, est maître de conférences à l'École des hautes études en sciences sociales. Il a publié notamment L’Utopie sacrifiée : sociologie de la révolution iranienne, Presses de la Fondation nationale des sciences politiques, 1993, et L’Islam des jeunes, Flammarion, 1997.
Olivier Roy, né en 1949, agrégé de philosophie, est directeur de recherche au CNRS. Il a publié notamment L’Echec de l’Islam politique, Seuil, 1992, et La Nouvelle Asie centrale, Seuil, 1997.



INTRODUCTION

Avec la révélation des goulags et l’écroulement du mur de Berlin, les expériences révolutionnaires sont durablement discréditées. Mais une révolution faite au nom de l’islam est rejetée pour d’autres raisons encore. Elle renvoie à l’image, ou au cliché, des femmes contraintes au voile. Elle évoque le puritanisme des islamistes dont l’idéologie est souvent beaucoup plus intolérante que l’islam traditionnel, inflexible en principe et plus ou moins tolérant en pratique. Le régime islamique est associé à un conservatisme social et culturel qui cadre mal avec le terme de révolution. Alors en quoi peut-on parler d’une « révolution islamique » ? Comment penser ensemble les deux termes de « religieux » et de « politique » ?

Séparer les deux versants n’est pas évident. Même des aspects qui paraissent strictement religieux trouvent en fait une filiation et une analogie dans des expériences révolutionnaires fort éloignées dans le temps et dans l’espace. L’Iran permet ainsi d’éclairer sous un angle différent les révolutions classiques telles que la Révolution française1. La fête ou le deuil sont les manifestations de l’effervescence au sein de la société révolutionnaire. Prenant appui sur les Lumières, la France révolutionnaire institue des fêtes ; au contraire, l’Iran, pris dans le tourbillon au nom de l’islam chiite, privilégie systématiquement le deuil pour maintenir le bouillonnement révolutionnaire et mobiliser les acteurs de base, tant la célébration endeuillée des martyrs est forte dans la culture populaire iranienne2. Il n’y a donc pas juxtaposition du politique et du religieux, mais une expérience globale que l’on aborde en général avec des catégories sans doute trop figées. Il faut bien tenir ensemble les deux termes, « révolution » et « islamique », sans chercher à réduire l’apparente contradiction à un seul des deux registres, le politique ou le religieux.

Une étude sur l’Iran contemporain permet d’analyser deux moments bien spécifiques. Tout d’abord, celui de la « révolution religieuse », dont on ne trouve guère d’autres exemples que dans les mouvements puritains du xvne siècle3. Que se passe-t-il lorsque l’on pousse jusqu’au bout la logique de l’identification du champ religieux au champ politique? Vingt ans de régime islamique permettent de répondre : le second moment est bien celui d’une sécularisation. Nous sommes aujourd’hui dans le « post-islamisme ». Les institutions de l’Iran islamique obéissent à une logique essentiellement politique. Mais, face à ce pouvoir qui tire pourtant sa légitimité de l’islam, la société s’est bricolée progressivement des formes de résistance, en utilisant entre autres le registre religieux. Les intellectuels, comme Abdolkarim Soroush, qui prônent la démocratie, le font à partir d’une réflexion sur le religieux. Si bien qu’à la fin du processus, c’est l’islam lui-même qui est sorti profondément transformé par cette expérience de politisation extrême. Si le politique a été saisi par le religieux, l’inverse est encore plus vrai. Une réflexion nouvelle sur l’islam est possible en Iran, parce que l’hypothèque islamiste, dans sa forme idéologique, a été levée.

Bien sûr, les choses ne sont pas simples. La révolution s’est institutionnalisée. Elle a porté au pouvoir de nouvelles couches sociales. Elle a profondément modifié la société iranienne. Ou plutôt, dans une perspective tocquevillienne, la révolution islamique a accompagné, accéléré et stabilisé une évolution économique et sociale déjà en route à l’époque du Chah4. Mais cette modernisation échappe au contrôle idéologique et entre en contradiction avec une bonne partie du système islamique mis en place par la révolution. Car le mot « islamique » n’est pas une simple étiquette : le droit et les mœurs ont été modifiés au nom de l’islam, la fonction cléricale a été à la fois étendue et captée par l’État, le nationalisme s’est nourri du chiisme. Mais surtout le registre religieux, imposé et dominant, a été réinvesti par des affects, des pratiques sociales, voire une recherche philosophique, qui finissent par contester l’hégémonie que voulait lui assigner la révolution, sans pour autant « laïciser » la société, c’est-à-dire cantonner le religieux au domaine du privé. Régime idéologique, régime autoritaire, certes ; mais la révolution islamique n’a pas connu l’évolution totalitaire d’autres révolutions, car justement elle n’a jamais pu réduire intégralement le religieux au politique. Transcendance du désespoir parfois (le martyrisme), transcendance d’un ordre divin (la chariot) qui définit aussi un espace échappant à l’État (la famille), protestation d’un clergé qui craint que l’islam ne soit touché par le discrédit porté sur un gouvernement : en bref, l’ordre politique n’arrive pas à verrouiller l’ordre de la vérité, malgré l’institution du Guide, garant des deux ordres. La sécularisation - la saisie du sacré par le temporel - n’est pas la laïcité -l’expulsion du religieux vers le privé.

La révolution islamique d’Iran a d’abord été une révolution politique. Elle a capté toute une vague de contestation radicale, violemment anti-américaine, qui s’exprimait dans les années 60 et 70, surtout dans des mouvements d’extrême gauche marxisants. Elle a repris à son compte le slogan de la « libération » (nationale et sociale) et de la lutte contre l’impérialisme économique et culturel. Elle a récupéré et islamisé tout un vocabulaire de gauche : enqelâb (révolution), ideoloji (idéologie), jâmé’é-yé towhidi (société « unitaire »//société sans classes), khatt-é Imâm (ligne de l’imam//ligne du parti), mostaz’afin (opprimés//prolétaires), etc. Elle a aussi réhabilité le parti d’avant-garde, le Hezbollah (parti de Dieu), terme présent dans le Coran, mais qui retrouve un sens bien différent dans le monde contemporain, où hezb est bien le mot qui désigne le parti politique. La révolution s’est faite autour de la revendication d’une justice islamique (le hagh), qui préfigure aussi bien la justice sociale que l’ordre politique nouveau5.

Un auteur comme Ali Shariati, en proposant une synthèse islamo-marxiste, a permis le retour vers l’islam d’une jeunesse gauchiste, mais en quête d’authenticité et d’autonomie, à la fois par rapport aux traditions et à un Occident qui fascine et repousse. La révolution a été l’expression de catégories sociales qui se sentaient exclues ou déclassées sous le régime impérial. Aujourd’hui encore, le régime islamique conserve cette dimension violemment anti-américaine et une sympathie, souvent purement rhétorique, envers les mouvements de libération nationale dans le monde, même si, nouvelle époque oblige, l’irréductibilité de l’islam est volontiers exprimée désormais en termes de « multiculturalisme » et de dialogue ou de conflit des cultures : toujours cette exigence d’une authenticité et d’une spécificité iraniennes.

Cette révolution politique s’est aussi exprimée sur un registre propre : celui de l’islam chiite avec ses catégories spécifiques (le martyrisme, le deuil, l’eschatologie). Cependant, les rapports entre chiisme et révolution sont ambigus. Il faut éviter d’attribuer la spécificité de la révolution iranienne à la permanence d’un chiisme traditionnel. Un bon exemple est la question du martyre (shahâdat). Durant la période révolutionnaire au sens plein, qui s’étend de l’année 1978 à la mort de Khomeyni (juin 1989), se développe, avec une intensité jamais atteinte dans l’histoire iranienne en général et dans celle de l’islam en particulier, le culte nécrophile du martyre. Que ce soit dans la lutte contre le Chah ou dans la guerre contre l’Irak - l’une des plus longues de la seconde moitié du XXe siècle (1980-1988), qui laisse plusieurs centaines de milliers de morts et de blessés des deux côtés6 -, le martyre est omniprésent, en tant que phénomène culturel mais aussi politique et social, chez les jeunes Iraniens (la plupart sont issus de couches populaires urbaines). Cet islam politique, où le martyre occupe une place de choix, est quelquefois perçu par les chercheurs comme une spécificité iranienne et, en particulier, chiite6.
Les phénomènes de radicalisation chiite au Sud-Liban, où certains groupes se lancent dans des attentats suicides contre l’armée d’occupation israélienne, corroborent cette idée. Il faudra attendre les années 90, avec le développement du Hamas et du Djihad en Palestine et des courants extrémistes issus de la désintégration du FIS en Algérie (GIA), pour que se dissipe cette vision du martyre lié au seul chiisme. Le martyrisme de la période révolutionnaire, phénomène propre à la jeunesse, marque en réalité une innovation par rapport au martyre traditionnel. La révolution islamique n’est pas l’irruption soudaine d’une tradition : elle est bien partie prenante d’une reformulation de la religiosité.

En reformulant la relation entre religion et politique, la révolution a en fait renforcé l’instance politique, à commencer par l’État iranien. Des espaces qui ne connaissaient de l’État que la coercition brute ont été progressivement intégrés : on peut mentionner des catégories sociales, comme les jeunes enrôlés dans les Pasdaran et le Bassidj, mais aussi le clergé, saisi par l’État plus qu’il ne l’a saisi (fonctionnarisation de nombreux religieux, perte d’autonomie du haut clergé) ; de même, des territoires ont été insérés dans une logique étatique (campagnes, tribus, avec probablement comme limite les minorités ethniques sunnites). Les femmes, au moins dans les milieux populaires, ont trouvé dans la révolution une forme d’accès au politique (on se souvient des cortèges de militantes en tchador), avant de voir leur circulation limitée dans l’espace public. La généralisation de l’enseignement a aussi enraciné le persan comme langue nationale. Les migrations urbaines ont contribué à homogénéiser l’espace social et à le mettre sous le regard de l’État. Bien sûr, la République islamique a été le témoin plus que l’instigateur d’un certain nombre de ces mutations. Durant la première année de la révolution, on voyait des affiches incitant les gens à retourner dans leurs villages, mais la guerre et la croissance démographique (d’abord encouragée par le régime avant qu’il ne se rétracte) ont abouti au contraire à une urbanisation croissante. La révolution a étendu le champ de l’État en étatisant ce qui s’était toujours présenté sinon comme une alternative, du moins comme un autre registre de loyauté : le clergé chiite. La révolution a aussi identifié chiisme et nationalisme, deux registres régulièrement en décalage au cours de l’histoire. Bref, la révolution a renforcé l’État-nation.

Inversement, tout un courant issu de la révolution plaide aujourd’hui pour une « société civile » (jâmé’é-yé madani), s’appuyant à la fois sur la philosophie occidentale et sur une lecture individualisante de la religion (Soroush). Mais justement, comme l’avait développé Marx en son temps, pour que le concept de « société civile » fasse sens, il faut qu’il y ait un État en face d’elle. C’est bien l’étatisation qui rend possible le discours sur l’espace public, car le « tout politique » a instauré une scène du politique (élections, débats, idéologisation) qui s’autonomise à son tour en attendant le multipartisme. Les alignements et les loyautés tendent à se faire en termes politiques, et non plus en termes de solidarités traditionnelles et d’évitement de l’État, comme c’était le cas sous les monarchies précédentes (même si les réseaux personnels, en particulier dans le clergé, continuent de jouer un grand rôle). Or il n’y a de démocratie possible que s’il y a d’abord un débat sur le politique. C’est la politisation induite par la révolution islamique qui rend pertinent le débat sur la démocratie, car, comme on le verra, bien peu parmi les mouvements opposés au Chah avant la révolution avaient un véritable programme démocratique.

Ce discours sur la démocratie s’articule explicitement (en tout cas chez un philosophe comme Soroush ou un théologien comme Modjtahed-Shabestari) sur l’individualisation de la pratique religieuse, c’est-à-dire sur une définition « minimaliste » de la religion, fondée sur la foi et l’éthique : la norme est d’abord éthique et ne devient sociale que par le consensus des croyants. Comme si, après une révolution religieuse, la fondation de la démocratie avait besoin non pas tant d’un désenchantement du monde (d’une expulsion de la religion du champ politique et communautaire) que d’une individualisation de la pratique religieuse, comme seule condition possible de son retour comme norme sociale.

L’homogénéisation de la société, à la fois sous l’égide de l’État et du religieux, rend possible un discours sur l’émergence de l’individu parce que les autres niveaux d’allégeance et d’identités communautaires ont été réduits, et que toutes les pratiques religieuses doivent se positionner (et se défendre) face au discours hégémonique et normatif sur la religion qui vient de l’État. Le premier débat porte évidemment sur le statut du Guide, celui qui incarne la vérité politique et religieuse.

En somme, la révolution a rendu possible un discours sur la démocratie, qui est autochtone et non pas importé. Elle a induit une transformation politique, sociale et mentale qui se retourne aujourd’hui contre ses propres valeurs. Pour repenser le lien social, on a une convergence de critères socio-logiques (urbanisation, passage à la famille restreinte, éducation), politiques (mise en place d’une scène politique qui fonctionne comme telle, même si elle est sous contrôle) et théologiques (la foi, c’est-à-dire l’adhésion de l’individu, revient au centre de la définition de la religiosité). En effet, la révolution, suivie de vingt ans de République islamique, a contribué à réduire et à banaliser le religieux, en liant son destin aux vicissitudes du politique, voire de la politique la plus politicienne ; en entraînant sa « marchandisation » (explicite dans les Fondations religieuses), mais aussi en réduisant sa transcendance pour en faire finalement un objet de transaction, économique, politique et intellectuelle.

Passé l’effervescence d’une société jeune et fascinée par un islam utopique, le désenchantement s’instaure peu à peu. La révolution a associé activement le politique et le sacré. L’échec de l’entreprise remet progressivement mais inexorablement en cause la capacité du religieux à porter le politique. L’échec de l’islam politique n’est ni plus ni moins que la sécularisation de l’islam7. Pour la majorité de la population, la révolution islamique, en fin de parcours, a libéré le religieux de l’hypothèque du politique, et a détaché le politique du sacré alors qu’elle prétendait les associer. Cela ne va pas sans problèmes, dans la mesure où le pouvoir est encore entre les mains des tenants de l’islam politique : les partisans du président Khâtami ne tiennent qu’une partie de l’appareil d’État. Mais cette version autoritaire de l’islam est discréditée : des intellectuels post-islamistes se font les porte-parole de la société pour dénoncer cette association entre islam et politique qui délégitime, à terme, le premier, tout en rendant impossible l’exercice serein du second. La révolution a donc eu pour conséquence la sécularisation accélérée du religieux en Iran. On peut comparer, mutatis mutandis, son rôle à celui du mouvement puritain sous l’instigation de Cromwell en Angleterre.

Est-ce la mort du religieux ? Non, bien sûr. Il réapparaît sous des formes très variées, irréductibles au politique : mystique, philosophie, martyrisme, expression d’une sociabilité festive (célébrations de Vashura), discours sur l’éthique, la morale, l’authenticité, caractérisation de l’« honnête homme » d’aujourd’hui, etc.

Un espace du sacré se maintient, qui trouve sa confirmation paradoxale dans la fatwa contre Rushdie, pierre de touche, aux yeux de l’intelligentsia occidentale, de toute évolution du régime et sujet tabou dans l’opinion publique iranienne - non par peur (on peut presque tout dire sauf critiquer frontalement le Guide) -, comme si la fatwa marquait ce lieu où se noue ce qui reste de l’affirmation identitaire, où le religieux se lit et se dit de plus en plus culturel, et où la différence que l’on affirme ne réside plus que dans l’incompréhension de celui à qui on l’oppose. « Vous ne pouvez pas comprendre » : cette expression reste parfois la seule expression d’une différence qui s’affirme de moins en moins dans la réalité sociale et économique. La déclaration du président Khâtami, en septembre 1998 à New York, affirmant que l’État iranien ne mettrait pas en œuvre la fatwa, même si celle-ci était, sur le plan religieux, irrévocable, marque l’instauration d’un espace séculier, où le politique devient autonome.

Quatre thèmes dominent le discours du nouveau président : la société civile, l’État de droit, le multipartisme et l’authenticité culturelle (esâlat-é farhangï). Ce dernier thème véhicule désormais ce qui reste de l’héritage révolutionnaire : le multiculturalisme devient alors le dernier avatar de l’anti-impérialisme, mais sur un mode non antagonique. Le « dialogue des cultures », c’est-à-dire l’affirmation d’une différence irréductible, mais aussi bénigne, ne peut plus guère se situer que dans le symbole. Le discours sur le religieux fait place à une réflexion sur la culture, comme si l’identité n’avait plus besoin de s’ancrer dans une transcendance. La culture est ce qui reste quand on ne croit plus à l’utopie.



Chapitre I

La révolution a vingt ans

La période pré-révolutionnaire

Les deux décennies qui précèdent la révolution sont marquées par des transformations radicales dans la structure économique, sociale, culturelle et politique de l’Iran. Au début des années 60 (1962-1966), la réforme agraire brise l’ancienne structure foncière où prédominaient les grands propriétaires ; elle bouleverse l’ordre politique en supprimant l’aristocratie qui régissait la vie rurale et avait un rôle de médiateur dans la société tout en la maintenant dans l’archaïsme. Elle modifie profondément le rapport entre la ville et la campagne en amplifiant l’exode rural et en individualisant le statut de la propriété foncière ; elle affaiblit grandement les réseaux de solidarité communautaire des paysans sans terre (khosh-neshin)9 En ville, l’économie rentière du pétrole crée une nouvelle échelle de richesse. Le quadruple-ment du prix du pétrole en 1973 fait passer les revenus de l’État de 5 milliards de dollars par an à presque 20 milliards. Distributeur de la rente et débarrassé de l’aristocratie foncière, cet État règne désormais sans partage sur la société …

1. Une tentative a été faite par Theda Skocpol, in Rentier State and Shi'a Islam in the Iranian Révolution, Theory and Society, 11, 1982. Mais l’intentionnalité des acteurs révolutionnaires et leur univers symbolique ne sont pas pris en considération.

2. Cf. Mona Ozouf, La Fête révolutionnaire. Une analyse des ressemblances et des divergences des révolutions iranienne et française a été effectuée sous l’angle de ses acteurs radicaux : Farhad Khosrokhavar, « Révolution française et révolution islamique, esquisse d’une comparaison », in L’Image de la Révolution française et L'Utopie sacrifiée, sociologie de la révolution iranienne. Pour une comparaison entre les formes de politisation des religions, cf. Gilles Kepel (sous la direction de), Les Politiques de Dieu ; Alain Touraine, Pourrons-nous vivre ensemble ?.

3. Cf. Dariush Shayegan, Qu'est-ce qu'une révolution religieuse ?.

4. Cf. Faribah Adelkhah, Jean-François Bayart et Olivier Roy, Thermidor en Iran. On retrouve ici aussi l’analyse de François Furet (Penser la Révolution française), qui distingue entre les processus complexes qui sont antérieurs à la révolution et la prolongent, et ce moment révolutionnaire, auquel les acteurs confèrent une existence propre et qu’isolent en quelque sorte de son temps long.

5. L’expression hagh est polysémique dans la révolution iranienne. Elle renvoie à une communauté idéale, celle du Mahomet ou d’Ali, son gendre. Pour les jeunes, c’était une justice égalitaire où tous les musulmans devaient bénéficier des mêmes droits économiques et sociaux. Pour la génération des pères, c’était une justice hiérarchique et inégalitaire tempérée par les aumônes islamiques (khoms, zakât, plus généralement sadaghéh) qui conférerait une dignité à la vie des inférieurs (des « gens du bas », zir-é dastâri), alors même que l’islam reconnaît la disparité des classes des couches supérieures (bâlâ dastân, les « gens du haut »). Cf. Paul Vieille et Farhad Khosrokhavar, Le Discours populaire de la révolution iranienne.
6. Mehdi Amani, Les Effets démographiques de la guerre Iran-Irak sur la population iranienne (Institut national d’études démographiques, août 1992).

7. Bruno Etienne, L’Islamisme radical.

8. Olivier Roy, L’Échec de l'islam politique.

9. Ann K. S. Lambton, The Persian Landreform, 1962-1966 ; Eric Hooglund, Land and Révolution in Iran, 1960-1980; Homa Katouzian, The Political Eco-nomy of Modem Iran.




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