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L’imbroglio turc


Auteur :
Éditeur : Lignes de Repères Date & Lieu : 2008, Paris
Préface : Pages : 152
Traduction : ISBN : 978-2-915752-30-4
Langue : FrançaisFormat : 140x210 mm
Code FIKP : Liv. Fre. Dop. Imb. N° 2223Thème : Politique

Présentation
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L’imbroglio turc

L’imbroglio turc

François Dopffer

Lignes de Repères

La Turquie est au cœur d’un double imbroglio. Imbroglio quant à sa candidature à l’Union européenne, une perspective qui ne cesse de déchaîner les passions. Imbroglio quant à sa situation politique intérieure, où la lutte entre les camps laïcs et musulmans fait de nouveau rage, menaçant la stabilité du pays.
Or, trop peu d’observateurs soulignent que la Turquie est en plein bouleversement, social, démographique et économique. Limitrophe du Moyen orient et du Caucase, la Turquie occupe de plus une position géostratégique clef.
Dans ce livre, tous les dossiers déterminants pour l’avenir de la Turquie moderne sont ouverts : l’islam turc, les questions kurde et arménienne, le statut de l’armée, la laïcité, notamment. Plaidant pour une approche pragmatique, l’ouvrage montre que l’Union européenne a plus à perdre qu’à gagner en laissant à sa porte la puissance régionale en développement qu’est la Turquie moderne.
François Dopffer, diplomate, a été Ambassadeur de France en Turquie.

« Quiconque veut se faire une idée claire de “l’imbroglio turc” aujourd’hui aura intérêt à lire ce livre de François Dopffer. » / Hubert Védrine


PREFACE

Quiconque veut se faire une idée claire de « l'imbroglio turc » aujourd'hui aura intérêt à lire ce livre de François Dopffer. Il faut dire qu'il est mieux placé que d'autres pour le débrouiller : diplomate expérimenté, il a été ambassadeur de France à Ankara de 1991 à 1996, y a gardé des contacts, et connaît très bien ce pays.
Convaincu de l'intérêt de l'adhésion de la Turquie à l'Union européenne, il aborde le problème de façon engagée mais néanmoins posée, méthodique, sérieuse et surtout, argumentée. Il ne laisse de côté aucune question délicate - et il y en a! - qu'il s'agisse de l'éventuel « agenda secret » du parti AKP au pouvoir, de la réislamisation lente mais incontestable de la société, du rôle des Alevis, du statut des femmes, de l'armée, - de son rôle de gardienne du Kémalisme -, de ses relations avec le pouvoir et avec la société, de la question kurde, du refus turc de reconnaître le génocide arménien, de Chypre, et des relations de la Turquie avec ses voisins, en particulier la Géorgie, l'Arménie, l'Azerbaïdjan, l'Irak, la Grèce, mais aussi l'Iran ou la Russie. Tout est traité, clairement et honnêtement.
Chemin faisant, il écarte les uns après les autres stéréotypes pour dresser le portrait d'une Turquie en pleine évolution, « pays émergent » spectaculairement dynamique, puissance régionale à l'influence croissante, allié aux États-Unis pour sa sécurité mais capable de lui dire non (notamment sur l'Irak). Ce pays n'aurait plus d'autre grand dessein que de réussir à transformer sa « vocation » européenne - depuis longtemps levier de sa modernisation - en adhésion. François Dopffer rappelle que la France, à l'horizon européen des élites turques, a brillé pendant longtemps d'un éclat particulier. D'une façon ou d'une autre, la Turquie, avance l'auteur, réussira à maîtriser l'apparente contradiction entre ce dessein européen et sa réislamisation, - plus culturelle que politique nous dit-il.
C'est dans la partie consacrée à la « négociation turco-européenne qui déraille » que l'auteur s'engage le plus. Il explique comment selon lui les obstacles de toutes sortes à l'adhésion sont tous surmontables avec du temps et de la patience et comment les incompatibilités identitaires, religieuses et culturelles, flagrantes apparemment, entre la Turquie et l'Europe modernes, toutes deux laïques, relèvent en définitive du fantasme. Au total, est-il convaincu, l'Europe commettrait une erreur historique en se privant de cette « puissance européenne périphérique majeure », membre de l'OTAN et stratégiquement située, face aux bouleversements géopolitiques en cours et à la montée de l'Asie. Certains en France craignent qu'une adhésion turque remette en cause l'Europe politique. Mais en quoi celle-ci serait plus difficile à atteindre avec la Turquie qu'elle ne l'est déjà aujourd'hui dans l'Union à 27 ? De toute façon, souligne François Dopffer, il ne s'agit pas de la Turquie d'aujourd'hui mais d'une Turquie plus encore transformée en profondeur, d'ici à quelques années, par la mondialisation, son dynamisme interne et la négociation d'adhésion. On ne peut pas exclure cependant qu'au bout de plusieurs années de négociations pénibles, dans un contexte différent, l'adhésion turque ait moins de soutiens en Europe même, surtout avec la perspective de référendums, et de partisans en Turquie. Une autre formule referait alors surface. À ce stade les Turcs rejettent absolument cette idée.
En attendant, le débat, comme les négociations, vont se poursuivre, pour des raisons aussi bien européennes que turques. Les « pro » et les « anti » les plus déterminés resteront sur leurs positions. Tous les autres sauront gré à l'auteur d'avoir écrit ce livre éclairant.

Hubert Védrine
Le 1er septembre 2008

Préliminaire

La Turquie est aujourd'hui au cœur d'un double imbroglio, le premier relatif à l'adhésion turque à l'Union européenne, le second à la situation politique interne à la Turquie.
En ce qui concerne l'adhésion à l'Union européenne, on aurait pu croire, après la décision unanime du Conseil européen de Bruxelles en 2004, d'ouvrir avec Ankara des négociations que la question était en bonne voie. C'est le contraire qui s'est passé. Paradoxalement un débat passionné s'est instauré et se poursuit sur l'opportunité de la candidature de la Turquie à l'Union européenne. La question turque qui est entrée dans le paysage politique européen et tout particulièrement français, a joué un rôle notable dans l'échec du référendum européen en 2005 et dans la campagne présidentielle de 2007. Un changement radical de la position officielle française est intervenu à la suite de l'élection d'un nouveau président de la République.
Ce débat franco-français se nourrit d'arguments plus ou moins élaborés et éclaire peu les vraies questions, qui disparaissent sous l'accumulation des préjugés et des positionnements purement politiciens. Les éléments quantifiables qui relèvent d'une négociation entre experts sont confondus avec les éléments irrationnels issus du malaise de l'opinion, véhiculés par la presse et les hommes politiques. En France, au travers du problème turc, c'est toute l'incertitude sur l'avenir du projet européen à l'épreuve de la mondialisation qui se fait jour.
Simultanément, la Turquie, dont la stabilité politique retrouvée depuis 2002 impressionnait les Européens, est entrée dans une crise politique profonde opposant les laïques aux conservateurs musulmans sur le thème de la défense de la laïcité, mais qui est en réalité une lutte pour le pouvoir. Cette crise aurait pu et dû se régler après que les élections de 2007 ont donné la victoire aux conservateurs, mais c'est l'inverse qui se produit. Elle rebondit en 2008 avec la procédure d'interdiction lancée contre le parti au pouvoir.
Ces retournements de situation en Europe, en France et en Turquie créent autour de la question turque un véritable imbroglio. Mais connaît-on vraiment la Turquie d'aujourd'hui ? On voit trop peu dans ce débat franco-français que la Turquie est en train de changer, que les équilibres politiques fondamentaux y sont en voie de redéfinition et que son dynamisme économique bouleverse les perspectives dans la région. L'opinion française, obnubilée par le problème de l'adhésion d'un pays musulman, ne perçoit pas l'émergence d'une puissance européenne majeure dans les vingt ans qui viennent.
Ce petit livre d'un observateur engagé n'a pas la prétention d'expliquer la Turquie contemporaine, mais s'efforce de répondre à des questions qu'un citoyen européen peut se poser, et voudrait contribuer à recentrer le débat, en focalisant l'attention sur des interrogations fondamentales.
- En Turquie, un nouvel équilibre interne est en train de se créer après la crise politique de Tété 2007 entre les kémalistesi, l'armée et la majorité conservatrice anatolienne au pouvoir sous le nom d'AKP2. En 2007, les kémalistes ont subi une lourde défaite, le pouvoir civil l’a emporté pour la première fois sur le pouvoir militaire, mais la crise n'est pas terminée, elle se poursuit en 2008 devant la Cour constitutionnelle. Comment sortir de cette crise ? Quelles sont les vues de l'armée ? Quelle est l'influence des religieux sur l'AKP ? Faut-il avoir peur de l'Islam turc? Quelles seront les conséquences pour la crise kurde ?
- Le dynamisme de la Turquie, dont l'économie se développe deux fois plus vite que celle de la moyenne des pays de l'Union européenne, est un facteur essentiel du nouvel équilibre régional en voie d'apparition. Qui plus est, l'environnement international fluide des premières années du XXIe siècle, la disparition de l'URSS et de son bloc, replacent la Turquie dans une situation meilleure que jamais depuis plus d'un siècle et demi. La Turquie, en passe de redevenir forte, accède à un nouveau statut de puissance régionale. De quel côté penchera-t-elle ? Faut-il avoir peur du nationalisme turc toujours sourcilleux et fiévreux ? Est-il soluble dans l'Europe ?
- C'est à la lumière des réflexions sur l'équilibre interne de la Turquie et sur l'émergence de cette nouvelle puissance qu'il faut penser la négociation entre Bruxelles et Ankara sur l'adhésion à l'Union européenne. Pourquoi la candidature de la Turquie suscite-t-elle de tels débats alors que depuis quarante ans elle est inscrite dans les textes? Le processus de négociation lancé à Bruxelles est-il en train de dérailler ? L'Europe et la Turquie peuvent-elles se passer l'une de l'autre ? Le projet européen peut-il faire l'impasse sur le candidat le plus puissant et le plus volontaire qui reste à l'extérieur ?

Première partie

Émergence de nouveaux équilibres politiques internes

La Turquie républicaine du XXe siècle vivait sur des schémas simples et bien connus : L'Islam était sous le contrôle de l'État et les partis se réclamant de la religion ne pouvaient accéder à la réalité du pouvoir. Le régime politique était parlementaire mais les partis politiques, instables, ne parvenaient pas à se maintenir au pouvoir et connaissaient une alternance presque systématique. L'armée, outre sa mission de défense du territoire, était le garant des institutions républicaines et des équilibres politiques généraux. Si cet équilibre était menacé par l'incurie des partis politiques, par l'extrême gauche, le nationalisme kurde ou par un parti religieux, l'armée intervenait directement (1960, 1971, 1980) ou indirectement (1997) et remettait le pouvoir à des civils plus responsables. La Turquie fondait sa sécurité sur l'alliance américaine et l'appartenance à l'Otan, mais le mythe mobilisateur demeurait de devenir un pays développé membre de l'Union européenne. Enfin dans l'État-nation turc, la question kurde ne pouvait se poser en tant que telle.
Le succès de l'AKP en 2002, confirmé lors des municipales de 2004, avait déjà commencé à modifier ce modèle en donnant pour la première fois la majorité absolue à un parti de sensibilité religieuse1. En 2007, la crise politique du printemps entre la majorité et l'opposition laïque conduit à des élections législatives qui renforcent la majorité AKP, alors que les laïcs et les nationalistes subissent une défaite éclatante. L'armée qui les avait soutenus connaît un échec sérieux. Cela peut-il conduire à la prépondérance durable d'un parti à sensibilité religieuse et à un nouvel équilibre politique ?

1

Une crise politique d'un type nouveau

On peut remonter à l'intervention des militaires en 1997 pour expliquer la crise de 2007. En 1997, le Gouvernement de coalition entre les Islamistes et la droite libérale de Mme Tansu Çiller, dirigé par Necmettin Erbakan, chef du parti religieux, avait perdu tout crédit dans l'opinion. La presse appela les militaires à intervenir. La publication par l'armée d'un texte fort critique de l'action du gouvernement, quelques pressions brutales et judicieusement dosées, le soutien de toute la presse, firent tomber le gouvernement Erbakan. La conséquence imprévue fut la scission du parti islamiste, le Refah, et la création par les jeunes de ce parti, conduits par Tayip Erdogan et Abdullah Gül, d'un nouveau parti conservateur qui abandonnait la rhétorique religieuse et refusait même d'être qualifié de parti religieux, l'AKP. Ce parti devait largement gagner les élections de 2002 et mettre au rancart les islamistes traditionnels et leur chef, Necmettin Erbakan.
Le gouvernement AKP de 2002 à 2007 mit en œuvre des réformes économiques et politiques appréciées et parvint, dans un climat de stabilité politique, à sortir de la crise financière de 2001, à juguler l'inflation, relancer la croissance et à obtenir l'ouverture des négociations avec l'Union européenne (Bruxelles 2004). Le souvenir de l'intervention militaire de 1997 étant proche, la coexistence entre l'armée et l'AKP était gérée des deux côtés avec beaucoup d'attention et de doigté. Certes, l'opposition laïque considérait avec suspicion certaines initiatives inspirées par …




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