La bibliothèque numérique kurde (BNK)
Retour au resultats
Imprimer cette page

Turquie, Europe : le retour des nationalismes


Auteur :
Éditeur : L'Harmattan Date & Lieu : 2010-01-01, Paris
Préface : Pages : 316
Traduction : ISBN : 978-2-296-11328-2
Langue : FrançaisFormat : 135x230mm
Code FIKP : Liv. Fre. Del. Dil. 3120Thème : Politique

Présentation
Table des Matières Introduction Identité PDF
Turquie, Europe : le retour des nationalismes

Turquie, Europe : le retour des nationalismes

Füsun Türkmen

L’Harmattan

La montée du nationalisme sur la scène internationale fait partie d'un phénomène global déclenché par la fin de la Guerre froide et renforcé depuis par les attaques du 11 septembre 2001. Le grand retour des identités ethniques et/ou religieuses jusque-là otages de la politique des blocs idéologiques, a d'abord été marqué par les conflits violents des années 90, et une fois ceux-ci apaisés, le nationalisme a continué à faire son chemin subrepticement à travers les sociétés sous de nouveaux prétextes tels l'altermondialisation, l'immigration ou encore la menace de l'Islam.
Compte tenu de ces développements et l'actualité de la question, l'Université Galatasaray a consacré la septième de ses traditionnelles Journées européennes à la montée du nationalisme en Turquie et en Europe. La plupart des articles présentés dans ce volume ont fait l'objet d'une communication lors du colloque tandis que, afin d'enrichir le débat, on a également fait appel à des experts éminents qui travaillent sur le nationalisme, en France et en Turquie.
Ainsi est né le présent ouvrage qui aborde la question a) séparément en Europe et en Turquie et b) autour de la problématique turco-européenne qui constitue le centre de gravité du débat sur l'adhésion de la Turquie à l'Union européenne.





PRESENTATION

Füsun Türkmen*

La montée du nationalisme sur la scène internationale fait, sans aucun doute, partie d’un phénomène global déclenché par la fin de la guerre froide et renforcé depuis par les attaques du 11 septembre 2001. Le grand retour des identités ethniques et/ou religieuses jusque-là otages de la politique des blocs idéologiques, a d’abord été marqué par les conflits violents qui ont ravagé les Balkans et l’Afrique durant les années 90 et une fois ceux-ci apaisés par la mise en pratique du droit d’ingérence exercé par la communauté internationale - souvent à contrecoeur et de manière imparfaite, il est vrai -, le nationalisme a continué à faire son chemin subrepticement à travers les sociétés sous de nouveaux prétextes tels l’altermondialisation, l’immigration ou encore la menace de l’Islam. C’est dans ce contexte précis que la théorie du choc des civilisations de Samuel Huntington a vu le jour et continue à occuper une place prépondérante dans les débats politiques contemporains.

Compte tenu de ces développements et l’actualité de la question, le Centre de Recherches et de Documentation sur l’Europe (CREDE) de l’Université Galatasaray a décidé de consacrer la septième de ses traditionnelles Journées européennes tenue en octobre 2007 au sujet intitulé “La montée du nationalisme en Turquie et en Europe”. La plupart des articles présentés dans cet ouvrage ont fait l’objet d’une communication lors de ce colloque tandis que, afin d’enrichir le débat, nous avons également fait appel à la contribution d’experts turcs et français qui travaillent sur le nationalisme.

Ainsi est né le présent ouvrage qui aborde la question a) séparément en Europe et en Turquie et b) autour de la problématique turco-européenne qui constitue le centre de gravité du débat sur l’adhésion de la Turquie à l’Union européenne. Le volume se compose de trois parties principales basées, respectivement, sur une introduction philosophique qui pose le fondement du débat en Europe ; l’étude du nationalisme en Europe à travers, d’abord, l’exemple français puisque c’est surtout en France que se cristallise le refus envers l’élargissement de l’Union vers la Turquie, mais aussi espagnol puisque le cas représente une exception en ce qui concerne le nationalisme dans le cadre européen ; et, finalement, l’analyse du néo-nationalisme turc, phénomène qui présente des facteurs de continuité avec le passé aussi bien que des facteurs de changement liés, dans une certaine mesure, à la conjoncture actuelle européenne, ainsi que ses diverses manifestations à travers les messages reflétés par les médias turcs.

Dans le premier volet, Tülin Bumin évalue l’Union européenne - projet avec lequel la Turquie coopère afin d’élargir le domaine du politique et renforcer sa démocratie -de la perspective de la philosophie politique contemporaine qui aborde le sujet à travers la redéfinition de la politique et du droit. Bien que les débats déclenchés en France par le référendum sur la Constitution européenne en 2005 concernaient surtout la réhabilitation de la politique, ils ont fini par aboutir, selon l’auteur, à l’identification de celle-ci avec l’Etat-nation, ce qui constitue un retour à la case départ où l’Etat-nation se propose comme solution aux problèmes qu’il a été incapable de résoudre. Dans ce contexte, l’article aborde les critiques selon lesquelles la voie éthico-juridique adoptée par Habermas n’est pas assez “politique”, aussi bien que l’approche spinoziste contemporaine qui propose de redéfinir le concept de “frontière” en dehors de la définition de l’Etat-nation, pour finir avec les recherches inspirées par la pensée de Hannah Arendt qui essaye de se libérer des catégories de pensée nationales en vue d’une nouvelle perception de la politique et du droit en s’interrogeant sur' le concept de citoyenneté nationale, avec, comme point de départ, l’idée du “droit d’avoir des droits”.

Olivier Abel centre son article sur le concept qu’il considère le plus critique pour la démocratie, celui de la frontière, dont il relativise le rôle au travers des paradoxes suivants : a) celui sur l’ouverture d’une société, considérée en général comme positive et la clôture de celle-ci, perçue comme négative qui, si on ne tient pas compte de l’équilibre et de la durée, peuvent inverser leur rôle, devenant, respectivement, destructrice et constructive ; b) celui de leur coexistence comme à travers l’idée de la République en France qui représentait une ouverture et celle, aujourd’hui, d’une clôture ; c) celui des échanges entre les sociétés et qui, en uniformisant tout, peuvent supprimer les différences. Tout est donc une question de seuil optimal pour Abel qui applique l’analyse à la vie urbaine, autrefois symbole de liberté tandis qu’à présent celui de l’anonymat et de la communautarisation; à la laïcité, autrefois libératrice tandis qu’aujourd’hui menace devant la pluralité des cultures; pour finir avec la mutation des régimes politiques, de l’Empire cosmopolite à l’Etat-nation. Ce dernier, entité moderne par excellence, finit par opprimer la pluralité communautaire de l’impérialité, d’où le danger pour la démocratie, danger qui se manifeste souvent sous forme de fièvre nationaliste et marque la fragilité de l’Etat-nation. Il faut donc repenser la démocratie au travers de ses institutions afin d’éviter le conflit, sinon la guerre.

Le premier article du deuxième volet, rédigé par Magali Boumaza, nous plonge en direct dans la crispation identitaire du Front National français face, d’abord, à la construction européenne elle-même à travers la condamnation souverainiste de la “dérive” libérale et la démonisation de Bruxelles en tant que menace envers l’identité nationale. Partisans d’une Europe blanche et chrétienne, les “frontistes” considèrent l’Etat-nation comme le seul rempart contre le mondialisme américain et l’impérialisme européen qu’ils identifient avec l’Union européenne. L’élargissement de cette dernière est abordé des perspectives démographique, civilisationnelle et religieuse pour aboutir à un plaidoyer en faveur du retour à l’Etat-nation dans le sens le plus traditionnel, ainsi qu’à une condamnation sans appel de l’adhésion de la Turquie.

Cette dernière question est le principal variable utilisé par Jean-Yves Camus qui entreprend une analyse comparée des diverses droites opposées à cette adhésion en France, à partir de leurs arguments respectifs et leur positionnement sur le spectrum politique national. Ainsi, “unies dans la diversité”, pour utiliser la devise de l’Union européenne, la droite xénophobe souverainiste et populiste, l’extrême droite nationale, l’extrême droite alsacienne et l’extrême droite eurasiste ont des raisons divergentes et semblables qui déterminent leur attitude envers la Turquie aussi bien que celle des unes par rapport aux autres. Nous pouvons énumérer, parmi ces facteurs, la religion, la culture, l’ethnicité, l’immigration, ou encore l’anti-américanisme. Pour Camus, le point le plus intéressant reste la résistance des partis du mainstream envers l’adhésion turque plutôt que celle des extrémistes, car cela révèle la problématique de l’identité européenne elle-même.
L’article de Jean-Jacques Kourllandsky nous parle de l’exception espagnole et se réfère à l’ère post-nationale dans laquelle serait déjà entré le royaume ibérique avant de s’interroger sur les identifiants nationaux afin de pouvoir déterminer s’ils sont aussi vrais en Espagne qu’en d’autres Etats européens. Ainsi apparaissent un nationalisme pluriel, un hymne national sans paroles, la coexistence de différents drapeaux et blasons tous dotés d’une même validité constitutionnelle, l’existence de diverses fêtes nationales à référence ethnique, régionale ou historique, sans parler de la pluralité linguistique et des divers lieux de mémoire ayant trait aux régions autonomes. Kourliandsky décrit l’Espagne comme “un lieu de nationalismes concurrents cohabitant sur le même territoire” et où cette cohabitation entre différents espaces identitaires reste pacifique car elle repose sur l’oubli volontaire du passé. L’adhésion à l’Union européenne s’est superposée sans problème à cette structure. Le refus de toute définition patriotique commune constitue, en Espagne, un point d’équilibre qui assure la stabilité et rend le cas différent des exemples français, anglais ou encore turc.

Dans la troisième partie consacrée à ce dernier, Füsun Türkmen aborde le nationalisme turc d’un angle dialectique opposant continuité et changement. La genèse du nationalisme turc qui remonte à l’époque de l’écroulement de l’Empire ottoman au début du 20ème siècle constitue la partie introductive de l’article qui identifie les facteurs de continuité, à savoir le statut supra-idéologique du nationalisme, le rôle du système d’éducation, l’influence militaire, et l’affirmation de l’identité turque envers les minorités, aussi bien que les facteurs de changement qui émergent dans la version actuelle tels la jonction avec l’extrême gauche, la dimension anti-occidentaliste et les nouveaux moyens de propagation. Vu la nature endogène et exogène de tous ces facteurs, il incombe, selon l’auteur, autant à la Turquie d’agir en se démocratisant davantage qu’à ses partenaires européens dont l’attitude de rejet ne ferait que justifier la thèse du conflit des civilisations et pousser la Turquie à se laisser dominer par un mouvement politique fermé, xénophobe, et hostile à l’Occident dans la plus pure tradition eurasiste.

Ayşe Toy Par entreprend une étude du nationalisme à travers le cinéma turc où l’analyse de plusieurs films renfermant des personnages étrangers révèle la perception de l’Occidental par le Turc. La personnalité du premier y est souvent identifiée à celle de la femme émancipée s’aventurant en Turquie et dont les traits caractéristiques sont le goût du travail, la supériorité matérielle, l’égoïsme et le libertinage. Le portrait - ô combien flatteur - du Turc apparaît donc en contradiction à celui de l’étranger qui finit par être adopté à condition qu’il se conforme aux valeurs du pays. Il est clair que le cinéma turc a pendant longtemps utilisé ce symbolisme moralisateur et naïf dans un souci de définition de l’identité nationale, ce qui ne manque pas de révéler un nationalisme fort chauvin et un machisme déguisé en “sauvegarde des valeurs nationales”.

Analysant le “néo-nationalisme” turc de la perspective médiatique, Hülya Ugur Tanriöver entreprend l’analyse des valeurs nationalistes dans une catégorie de produits de culture populaire que sont les spots publicitaires. Avec, pour cadre conceptuel, la sociologie de la communication de masse, l’auteur adopte les théories critiques et les approches culturalistes afin de pouvoir étudier les éléments d’un discours nationaliste au sein de spots publicitaires de différents produits en Turquie. La puissance de l’image publicitaire est reconnue dans sa faculté de créer “une signification seconde à partir d’une signification première” et aussi de persuader. Lorsque cette image reflète une valeur aussi fondamentale et un dénominateur aussi commun qu’est le nationalisme, la publicité atteindra plus facilement toutes les strates de la société et aura un rôle important sur le choix des consommateurs. C’est à travers une analyse détaillée du contenu de certains spots publicitaires que Tanriöver dégage les dimensions symbolique, ludique, classique et nouveau du discours nationaliste dans la publicité.

Il est vrai que les relations turco-européennes passent par une période d’incertitude et d’interrogation qui découle de plusieurs raisons que la problématique d’identité semble actuellement prédominer, ainsi que le démontrent les résultats des dernières élections du Parlement européen en juin 2009. Conscients que les perceptions mutuelles risquent de se transformer en préjugés mutuels, les chercheurs du Crede continuent donc à explorer et analyser les divers aspects de l’équation turco-européenne dont le nationalisme qui, ainsi que le démontrent les études entreprises dans ce volume, paraît être une version mise à jour des vieux démons de notre continent. Dans l’espoir de poursuivre cette tâche à travers d’autres sujets de recherche, le Crede tient à remercier le Professeur Didier Billion, Directeur de l’IRIS à Paris, qui a assuré la précieuse contribution de ses collaborateurs à ce volume, ainsi que Madame Hülya Ugur Tanrıöver pour ses conseils et son soutien intellectuel tout au long des travaux, et Mademoiselle Canan Tekdemir pour la mise en page.

* Professeur émérite, Département de Philosophie, Université Gaiatasaray.



Le retour des nations dans les debats europeens et
les prises de position philosophiques

Tülin Bumin*

L’opinion publique démocrate en Turquie soutient l’intégration à l’Union européenne afin que la politique se renforce, son champ d’action soit élargi, et qu’elle se débarrasse de l’influence et de la tutelle des facteurs en dehors de la démocratie pour, enfin, gagner son autonomie. Il est, bien entendu, impossible de parler d’unanimité dans ce cas. Au contraire, il existe, tout comme dans les pays européens, des prises de position opposées. Par exemple, certains groupes et institutions (tel le Conseil Constitutionnel) qui se considèrent les garants de la souveraineté étatique face à la souveraineté populaire et parlementaire ont explicitement révélé leur crainte envers la démocratie et la politique à travers leurs prises de position dans certains cas, comme le procès sur la fermeture du Parti de Justice et Développement (Adalet ve Kalkinma Partisi-AKP), parti au pouvoir. Ceux qui sont sceptiques envers la démocratie en Turquie sont également sceptiques envers l’Union européenne. Par contre, ceux qui soutiennent l’adhésion espèrent que les réformes qui y mèneront vont en même temps conduire vers la démocratisation de la politique qui n’arrive pas à se réaliser suffisamment dans le cadre de l’Etat-nation.

Les espérances que l’Union européenne éveille en tant que projet de coopération en vue de l’élargissement du domaine politique et du développement de la démocratie se heurtent à un obstacle majeur à la fois théorique et politique. Il s’agit justement des critiques adressées à la conception de l’Union européenne qui est accusée de contribuer à la restriction du domaine politique en se construisant par des moyens uniquement économique, bureaucratique et juridique. Il est évident que le problème fondamental actuel de la pensée politique est justement le phénomène auquel on se réfère par …

* Docteur ès Sciences Politiques, Professeur Associé, Département de Relations Internationales, Université Galatasaray.




Fondation-Institut kurde de Paris © 2024
BIBLIOTHEQUE
Informations pratiques
Informations légales
PROJET
Historique
Partenaires
LISTE
Thèmes
Auteurs
Éditeurs
Langues
Revues