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Histoire de la Mésopotamie


Auteur :
Éditeur : Gallimard Date & Lieu : 2010, Paris
Préface : Pages : 542
Traduction : ISBN : 978-2-07-039605-4
Langue : FrançaisFormat : 110x175 mm
Code FIKP : Liv. Fre. Gra. His. N° 3078Thème : Histoire

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Histoire de la Mésopotamie

Histoire de la Mésopotamie

Véronique Grandpierre

Gallimard

Mésopotamie, Ur, Babylone, le Déluge, Gilgames... Ces mots sont familiers, mais que savons-nous véritablement des débuts de l'His-toire? L'architecture de terre crue ou l'écriture cunéiforme, incisée dans de l'argile tels de petits clous, paraissent n'avoir guère de rapport avec notre civilisation. Or notre culture est l'héritière de manières mésopotamiennes de faire : le découpage du temps (mois, semaine, jour), les symboles religieux (le croissant de lune, l'arbre de vie), l'étymologie de certains mots («safran», «gypse»), jusqu'au fait de «s'orienter» (les premières cartes étaient établies vers l'Orient).
L'histoire de la Mésopotamie, le berceau de la civilisation urbaine et des premiers États, est, plus encore que celle de l'Égypte des pharaons, indissociable de ceux qui permirent sa redécouverte voilà à peine deux siècles — dont Jules Oppert qui déchiffra l'akkadien et François Thureau-Dangin le sumérien. Aujourd'hui discipline à part entière, l'assyriologie dispose de documents — des inscriptions officielles, des textes scolaires, des documents comptables d'exploitations, des actes de propriété, des lettres de simples particuliers — grâce auxquels nous est livré accès à des menues données qui font défaut pour les civilisations grecque, romaine, voire égyptienne. Nous voilà éclairés sur les commencements de l'Histoire : il était une fois un peuple sémite, les Akkadiens, et une civilisation encore plus ancienne, sumérienne, dont l'origine restait inconnue...


Agrégée d’histoire, Véronique Grandpierre est l’auteur d’une thèse sur la ville de éaduppum (actuel Tell Harmal situé dans la banlieue de Bagdad) au xvnie siècle av. J.-C. et a publié une série d'articles sur la vie quotidienne et la culture urbaine à travers les sources épigraphiques cunéiformes ainsi que sur le fait religieux dans le Proche-Orient ancien.



À tous les 21 mars!

INTRODUCTION

Mésopotamie, Ur, Babylone, le Déluge, Gilgames... Ces mots tintent aux oreilles d’une façon étrangement familière, et pourtant ce que chacun met derrière relève plutôt de l’imaginaire : un despotisme oriental mêlant absolutisme, cruauté et sexualité débridée bien à l’abri des regards dans une Babylone prostituée opposée à une Jérusalem céleste. Mais que sait-on réellement des débuts de l'Histoire ? Il est vrai que l'architecture de terre crue laisse les non-spécialistes assez perplexes. A cela s'ajoute le caractère obscur de cette écriture incisée dans de l’argile, ressemblant à de petits clous, moins esthétiques que les hiéroglyphes et au premier abord plus rebutants. Tout cela semble loin, étrange et étranger, sans rapport avec notre culture et notre civilisation. Pourtant, notre façon de découper le temps (en mois, semaine, jour), les symboles religieux (le croissant de lune, l’arbre de vie), l’étymologie de certains mots («safran», «gypse»), jusqu’au fait de «s'orienter» (nous nous orientons par rapport au nord mais les premières cartes étaient établies vers l'est, l’Orient), mille petites choses de la vie de tous les jours trouvent leur origine en Mésopotamie, ce territoire « entre les deux fleuves » (le Tigre et l'Euphrate) comme l’ont appelé les Grecs, berceau de la civilisation urbaine et des premiers États.

Les brillantes civilisations qui s’y sont développées sont tombées dans l’oubli depuis longtemps, et ce, encore plus en France, pays des Lumières mais Fille aînée de l’Église, que dans les pays anglo-saxons protestants où la remise en cause de l’absolutisme ne s’est pas accompagnée d'un sentiment d’obscurantisme religieux. Pour sa part, la France s’est posée, dès la Renaissance, en héritière des Gréco-Romains et, à travers eux, des Égyptiens auxquels ils se réfèrent et dont le souvenir est relayé par la suite grâce à l'aura de l’expédition d’Égypte menée par Bonaparte. La Mésopotamie, pour des raisons ambivalentes, suscite un intérêt singulier et son souvenir n’est pas entretenu de manière neutre. Pour les opposants à l’Église catholique et au régime monarchique, elle est trop imprégnée de racines religieuses et symbolise le despotisme. Pour les autres, catholiques comme pour certains protestants dans un premier temps, c'est le lieu maudit à partir duquel le roi Nabu-chodonosor a détruit Jérusalem, et dont de la principale ville, Babylone, va surgir l’Antéchrist chargé de répandre le mal sur la terre entière. On ne tient pas à y puiser ses racines. De là vient l'élaboration du schéma bien connu Égypte, Grèce/ Rome, mondes médiévaux, Europe de la Renaissance dans lequel le Moyen Âge occidental est considéré comme « siècles obscurs », période de rupture dans la transmission des sciences et des arts, préservés par les seuls Orientaux.

Aux XVIIIe-XIXe siècles, l’Orient attire pourtant de plus en plus les Européens. L'Empire ottoman, qui s’étend de l’Europe centrale à l’Afrique du Nord, ne s’intéresse guère aux civilisations qui précèdent l’arrivée de l’Islam, et s'occidentalise de plus en plus.
Finalement, ce sont des Européens qui, en poste sur place, prennent conscience de la richesse des multiples cultures qui se sont succédé sur ce territoire. Ils s’intéressent d'abord à la littérature, notamment médiévale, avant de se tourner vers l’archéologie et les beaux-arts. Des pans entiers d'un patrimoine oublié, même des populations locales, ressurgissent alors. Si, à ce moment-là, les Français sont les précurseurs, ils sont vite rejoints par les Anglo-Saxons, motivés par la recherche d'éléments pouvant confirmer les écrits bibliques.

Les premiers monuments étudiés sont ceux qui, à l’état de ruines, surgissent déjà du sol dans le nord de l'Irak actuel. Ils datent de la fin du Ier millénaire av. J.-C., époque des rois néoassyriens, raison pour laquelle ce domaine de recherche s’appelle l’assyriologie. Les fouilles mènent à la découverte de civilisations différentes dont les systèmes d’écritures et les langues sont peu à peu compris: l’akkadien au milieu du XIXe siècle, le sumérien à l’extrême fin du XIXe siècle. Là encore ce sont des Français qui s’illustrent dans ce travail mais, si pour le déchiffrement des hiéroglyphes égyptiens le nom de Champollion vient tout de suite à l’esprit, qui se souvient de Jules Oppert pour l’akkadien et de François Thureau-Dangin pour le sumérien ?

Ces recherches s’inscrivent dans un contexte de concurrence voire de rivalité entre les Etats européens lancés dans une course à l'objet exotique, trophée pour leurs musées. Cependant, ponctuellement, des chercheurs de nationalités différentes allient leurs efforts et travaillent ensemble. Le déchiffrement de l'akkadien cunéiforme en 1857 est l’exemple d’une première collaboration simultanée, à distance, à l’échelle mondiale, entre savants aux multiples champs de compétences, dignes représentants de l’honnête homme humaniste des XVIIIe-XIXe siècles. Quatre personnes au parcours exceptionnel y participen : le Français Jules Oppert, professeur d’allemand dans un lycée de Reims, qui, maîtrisant l’allemand (sa langue maternelle) et le français, l’espagnol, le danois, le suédois, l’arabe, l'arménien, le persan, le turc, sans compter, il va de soi à l’époque, le latin et le grec, après avoir appris le droit, obtient un doctorat de philosophie1; l’Irlandais Edward Hink, pasteur dans une petite paroisse rurale éloignée de tout, dans le nord de l’Irlande, qui, après avoir étudié avec son père la physique et la chimie, se tourne vers l’étude des langues; côté anglais, William Henri Fox Talbot qui, après des études en philosophie, se spécialise en mathématiques, physique, astronomie, optique et se lance dans le défi de déchiffrer l’écriture cunéiforme après avoir photographié les bas-reliefs provenant du palais de Ninive exposés au British Muséum, et enfin Henri Creswicke Rawlinson, militaire de carrière engagé dans la Compagnie des Indes à 17 ans. À partir de copies et de photographies d'une inscription trouvée à Assur, chacun travaille chez soi et envoie sa traduction dans une enveloppe scellée à la Royal Asiatic Society. Le 20 mai 1857 les enveloppes sont solennellement ouvertes devant témoins... Constat est fait : les versions coïncident. Pourtant de ces quatre individus extraordinaires, seul l'un d'entre eux, l’un des deux Britanniques, est connu pour ses travaux en assyriologie: H. C. Rawlinson, qui se lance dans la politique, disposant ainsi d’une tribune pour se faire connaître et reconnaître. Les autres sont demeurés dans l’anonymat, du moins en ce domaine : E. Hink est resté pasteur dans sa petite paroisse, H. W. Talbot est connu pour ses travaux en physique et en astronomie. Quant à J. Oppert, il finit par se tourner vers l’étude d’autres langues et obtient ainsi une chaire de sanskrit à l'Ecole spéciale des Langues orientales (ancêtre de l'institut national des langues et civilisations orientales), tant il n’est pas aisé, à la fin du XIXe siècle, d’affirmer qu’un peuple sémite, les Akkadiens, est à l’origine des débuts de l’Histoire. La découverte d’une civilisation encore plus ancienne, sumérienne, et dont l’origine reste inconnue, clôt quelques années plus tard les débats.

Aujourd’hui, l’assyriologie est une discipline à part entière qui nécessite un savoir spécifique. L’acquisition de connaissances en de nombreuses langues parlées par tels ou tels peuples, qui sur plusieurs millénaires se sont succédé sur une aire géographique étendue, implique un temps de formation beaucoup plus long que pour toute autre période historique. L’intérêt de cette matière est que l’on dispose pour l’étude de ces civilisations de types de documents que l’on ne trouve nulle part ailleurs, pour aucune autre culture : pas seulement des inscriptions officielles (inscriptions à la gloire de tel ou tel roi, recueils de lois), mais aussi des textes scolaires (recopiage de textes littéraires, exercices mathématiques), ainsi que des documents utilitaires, comme des comptes que l’on dresse à la fin de chaque mois, des actes de propriété, des lettres de simples particuliers dirigeant à distance leurs affaires... donnant ainsi accès à moult détails de la vie quotidienne qui font défaut pour les civilisations grecque, romaine, voire égyptienne.

Cette recherche, aujourd’hui comme hier, a la particularité d’être extrêmement dépendante de l’évolution des conditions géopolitiques du Proche-Orient. Le pillage du musée de Bagdad devant les caméras de télévision en 2003 a marqué les esprits, révélant soudain au monde les conséquences culturelles insoupçonnées de ces conflits. Les bases de données du musée ayant été détruites, l'Oriental Institut de Chicago répertorie sur son site internet les objets disparus avec leur photographie et indique grâce à un lien à qui signaler la réapparition ou l’apparition d’un objet sur un marché parallèle ou sur Internet.
En effet, dans le sud de l’Irak, les fouilles clandestines se sont multipliées. Les pillards sont souvent de petits paysans qui auparavant vivaient de leurs cultures ou d’anciens ouvriers embauchés sur les chantiers de fouilles. Sans emploi, ou simplement pour obtenir rapidement de l’argent, ils campent parfois par centaines sur certains sites. Les lieux sont ainsi dévastés par des milliers et des milliers de trous de 4 mètres de profondeur, véritable désastre archéologique. Chaque jour, lorsque le soleil se couche, c’est un peu des trésors de la Mésopotamie qui disparaissent avec lui, un peu aussi du patrimoine de l’humanité.

Malgré tout la recherche continue, éclairant soudain tel ou tel siècle, tel ou tel millénaire en tel ou tel lieu. Les connaissances que l'on a de ces civilisations sont affinées ou... remises totalement en cause, car contrairement aux autres périodes historiques ou aux civilisations grecques et romaines, ici, même la chronologie reste en partie à établir. C'est un gigantesque puzzle en perpétuelle évolution.

Si la recherche française, précurseur en ce domaine, est toujours placée parmi les premières au monde, cette discipline reste assez ignorée du grand public. C’est une partie de l’histoire du Proche-Orient, mais aussi tout un pan de l’histoire de l’Europe et de celle de la France, de sa place et de son rayonnement à l'échelle mondiale qui sont ainsi méconnus. C’est pourquoi ce livre s’adresse à tous ceux qui de près ou de loin s'intéressent à la Mésopotamie et aux civilisations du passé*.

* Que les personnes présentes pendant l’écriture et la réalisation de cet ouvrage soient vivement remerciées. Que Brigitte Lion, dont les réflexions stimulantes me sont précieuses, reçoive le témoignage de mon amitié.



Chapitre premier
Archéologie et politique

L’Orient, chargé de mystère, fascine depuis longtemps. La Mésopotamie des Grecs, ce « pays entre les fleuves » que sont le Tigre et l’Euphrate, délimitée au nord par le Caucase et au sud par le golfe Arabo-persique correspond approximativement aujourd’hui à l'Irak, au nord-est de la Syrie, au sud et à l’est de la Turquie. La terre limoneuse et fertile des vallées est propice à la végétation au point que la Bible y situe le jardin d’Éden :

Un fleuve sortait d’Éden pour arroser le jardin et de là il se divisait pour former quatre bras. Le premier s'appelle Pishôn : il contourne tout le pays de Havila où il y a de l’or ; l’or de ce pays est pur et là se trouvent le bdellium et la pierre de cornaline. Le deuxième fleuve le Gihôn : il contourne tout le pays de Kush. Le troisième fleuve s'appelle le Tigre : il coule à l'orient d’Assur. Le quatrième fleuve est l'Euphrate1.

Les sources bibliques gardent la mémoire de certains événements du Ier siècle av. J.-C., des rois néo-assyriens et néo-babyloniens ainsi que du rôle qu’ils ont joué dans la géopolitique du Proche- Orient. …




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