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Ousâma : Un prince syrien face aux croisés


Auteur :
Éditeur : Tallandier Date & Lieu : 2007, Paris
Préface : Pages : 176
Traduction : ISBN : 978-2-84734-446-2
Langue : FrançaisFormat : 120x180 mm
Code FIKP : Liv. Fre. Miq. Ous. N° 2709Thème : Général

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Ousâma : Un prince syrien face aux croisés

Ousâma : Un prince syrien face aux croisés

André Miquel


Éditions Tallandier


« J’ai toujours aimé Damas, la ville de mes exils, la ville où je mourrai bientôt. Le temps presse. Cette main qui jadis terrassait le lion ou l’ennemi tremble si fort qu’elle ne peut plus écrire. Il faut dicter. Se souvenir. » L’épopée des croisades, les seigneuries franques de Terre sainte, autant d’événements et de lieux qui nous sont surtout connus à travers le récit des chevaliers chrétiens, accourus d’Occident ou natifs des États latins. Plus qu’une simple biographie du prince syrien Ousâma ibn Mounqidh (1095-1187), André Miquel livre ici une véritable leçon d’écriture et de réflexion. Ousâma, chose insolite dans la littérature de son temps, a laissé une autobiographie, dont s’inspire ce récit sur la vision arabe des croisés. Il mena la vie d’un chevalier, d’un insoumis et d’un sage. Son portrait des Francs, aussi honnis qu’intriguants, ennemis dans la foi mais égaux par la valeur, est une magnifique leçon de tolérance.


Professeur et administrateur honoraire du Collège de France, André Miquel a également été administrateur général de la Bibliothèque nationale. On lui doit notamment la monumentale traduction, en collaboration avec Jamel Eddine Bencheikh, des Mille et Une Nuits dans la Bibliothèque de la Pléiade.



PRÉFACE

par Antoine Sfeir

« J’ai toujours aimé Damas, la ville de mes exils, la ville où je mourrai bientôt. Le temps presse. Cette main qui jadis terrassait le lion ou l’ennemi tremble si fort quelle ne peut plus écrire. Il faut dicter. Se souvenir. » L’épopée des croisades, le royaume franc de Jérusalem, autant d’événements qui nous sont surtout connus à travers le récit des chevaliers chrétiens, accourus d’Occident ou natifs des États latins. Plus qu’une simple biographie du prince syrien Ousâma ibn Mounqidh (1095-1187), André Miquel livre ici une véritable leçon d’écriture et de réflexion. Ousâma, chose insolite dans la littérature de son temps, a laissé une autobiographie, dont s’inspire ce récit sur la vision arabe des croisés. Sa vie, toute d’amitié, d’amour, d’aventure et d’honneur, fut celle d’un chevalier et d’un sage. Son portrait des Francs, aussi honnis qu’admirables, ennemis dans la foi mais égaux par la valeur, est une magnifique leçon de tolérance. Je suis donc tout particulièrement fier de présenter ce livre.

André Miquel est aujourd’hui administrateur honoraire du Collège de France, où il a longtemps occupé la chaire de langue et littérature arabes classiques. Cet universitaire de haut vol s’est jadis perdu dans les méandres de la diplomatie, prisonnier malgré soi des filets enchevêtrés du Proche-Orient. Miquel le diplomate a même connu les geôles nassériennes. C’était l’époque de la scission de la République arabe unie entre Damas et Le Caire. Aujourd’hui, quand il y repense, il dit simplement : « La meilleure façon de protester était de continuer à m’occuper d’eux. » Et quand Miquel dit « eux », il pense, évidemment « les Arabes », qu’il aura aimés au-delà de la souffrance.

André Miquel s’est occupé des Arabes de la meilleure façon qui soit, en se coulant dans une langue qui lui était naturellement étrangère. Lui, le khâgneux germaniste, l’a adoptée, chérie, pétrie jusqu’à nous livrer les plus beaux exemples de prose poétique qu’il a lui-même traduits dans un français pur et chatoyant, qui résonne et chantonne comme de l’arabe.

Des années durant, de Kalila wa Dimna à Majnûn et Laylâ, André Miquel a guidé ses lecteurs dans le monde délicieux, attachant des Mille et Une Nuits. Mais il a fait beaucoup plus que de se promener dans l’univers des contes. Il a construit des passerelles de savoir et de connaissance entre ce monde méconnu et l’Occident. Sa Géographie humaine du monde musulman, sa Littérature arabe, son Islam et sa civilisation sont autant de repères et d’ouvrages devenus classiques pour tous ceux que l’Islam intéresse.

Avec Ousâma, André Miquel a signé un chef-d’œuvre. Qui connaît aujourd’hui cet Ousâma, ce prince syrien, perdu dans les croisades ? Miquel nous le rend proche, familier en choisissant de raconter non pas la confrontation entre Francs et Arabes mais l’histoire d’un homme qui se penche sur son passé. « La méditation que je faisais de ma propre vie, me conduisirent alors à donner une forme définitive à un projet que je mûrissais depuis longtemps : transmettre à d’autres le savoir, les réflexions, l’expérience que j’avais pu accumuler durant ma vie. » D’où le titre original du livre qu’a écrit lui-même Ousâma : Vl’tibâr, mot magique et typiquement arabe, qu’on pourrait traduire par l’expérience.

Je me félicite que Texto ait choisi de rééditer ce livre, publié chez Fayard au milieu des années 1980 et tombé depuis dans un injuste oubli. Jamais peut-être la lecture n’en a été plus opportune. J’oserais dire quelle devrait être rendue obligatoire dans les écoles de France. Car l’apparente absurdité des mouvements telluriques que connaît aujourd’hui le monde musulman ne provoque plus chez nous qu’incrédulité et incompréhension. Les écrivains, les journalistes ne regardent plus l’Islam qu’à travers le prisme de l’islamisme et de l’extrémisme. Dans ce contexte, la vision sereine d’Ousâma et de Miquel nous apparaît rafraîchissante, apaisante. Tous les deux, ensemble - car Miquel ne se dissocie pas du « je » de son prince - redonnent à l’Islam sa véritable identité. Celle d’une religion d'ouverture, loin d’une lecture littéraliste.

L’histoire ou les histoires ne sont que le théâtre opportun de leçons de vie. Celles d’un croyant qui parle à son Dieu et qui s’exclame : « Seigneur, prends pitié de moi dans ta gloire. Je ne sais trop si je t’ai bien servi. Du moins ai-je cru en toi, l’unique, qui ne se lasse pas de pardonner. Que mes bonnes actions restent écrites au livre de ma vie ! Et pour les autres, mon Dieu, dans ta miséricorde efface-les ! »

A. S.
Paris, mars 2007



Avant-Propos

Voici un homme exceptionnel et méconnu. Né avec la première croisade, celle que prêche le pape Urbain II à Clermont, en 1095, il meurt en 1188, un an après que Saladin a repris Jérusalem aux Francs. Un siècle ou presque, donc, soit deux croisades en une seule vie. Et deux croisades vues de l’autre côté, celui des Arabes et de l’Islam. Vues comment ? Par un musulman, justement, un musulman éclairé, impartial au-delà de son engagement.
Chevaleresque, oui ; car si la chevalerie, telle que la pratique alors notre Occident, n’existe pas au-delà de la Méditerranée, l’esprit, du moins, en est le même de l’un et l’autre côté de la mer. Que l’on doive composer avec les Francs, aux premiers temps de leur puissance, ou bien que, l’Islam rassemblant peu à peu ses forces, on les désigne comme le vrai, le seul ennemi, reste qu’on les traite comme il se doit : à leur mesure.

Cet homme s’appelle Ousâma ibn Mounqidh. Il a deux patries : la Syrie du Nord, et plus précisément Chayzar, la vieille forteresse familiale sur l’Oronte, et Damas, où il séjournera par trois fois. Dans les intervalles, il aura connu l’Égypte, auprès des derniers califes de la dynastie fâtimide du Caire, et la Haute-Mésopotamie, chez des princes turcs. Il aura vu monter, régulièrement, l’étoile de l’Islam rassemblé, dont l’ascension est scandée par les noms de trois grands capitaines et souverains, Zengi, Nour al-Dîn et Saladin.

Est-ce à dire que le livre d’Ousâma nous raconte, de bout en bout, cette histoire ? Certes pas. Elle sert, en vérité, un autre propos : Ousâma a voulu, phénomène unique dans la prose arabe classique, parler de lui. Pas comme nous l’entendrions, sous la forme d’une autobiographie ou de « confessions ». Mais comme témoin, porteur d’une leçon à transmettre, celle d’un destin souverain maître de ses décisions. D’où le titre donné au livre : Yl’tibâr, littéralement l’expérience. D’où, aussi, le fait que l’histoire n’est vue ici, au travers des événements, des personnages et de l’auteur lui-même, que comme le lieu et l’occasion de cette leçon.

Ce serait, si l’on veut, l’histoire des coulisses. D’abord, dans la jeunesse d’Ousâma, sur l’échiquier très compliqué du Proche-Orient, voici les luttes que se livrent les petites principautés musulmanes, aidées l’une ou l’autre par l’alliance avec le Franc. Puis, dès que le calme revient dans le camp de l’Islam, les armes retournées contre ce Franc lui-même, en attendant que l’échiquier l’interdise à nouveau. Plus loin dans l’espace, d’autres forces apparaissent : Constantinople, les califats rivaux du Caire et de Bagdad. Enfin, sur une scène où le jeu peu à peu s’éclaire, les trois héros de la lutte finale ou du moins de ses prémices, dont les échos nous parviennent de plus ou moins loin.

Musulmans, chrétiens, Arabes, Francs, Turcs, Kurdes, Arméniens ou Noirs, ce livre est une histoire d’hommes. La femme y joue, comme dans la vie, un rôle essentiel, exalté même, mais discret. La famille, l’amour y cèdent la place aux aventures, aux amitiés et à l’honneur des mâles. De ceux-ci, Ousâma est évidemment le prototype. Ce n’est pas lui qui le dit, par je ne sais quelle forfanterie, mais nous, pour l’avoir vu, intraitable sur sa gloire, lucide sur ses faiblesses, et d’abord sur sa nostalgie de la jeunesse et du paradis perdu: Chayzar, le monde clos et soudé du clan accroché à son nid d’aigle et, à sa porte, le long des rivières ou sur la montagne, l’interminable aventure de la chasse.

Livre d’hommes et livre d’un homme, écrit puis dicté, quand l’âge s’en mêle et que l’œil, la main, faiblissent. Composé sans plan, selon les fantaisies d’une mémoire de grand vieillard, étonnamment vive, spontanée et... redoutable sur les dates. L’ordre chronologique rétabli, et nombre de coupes sombres faites sur l’original, j’ai suivi, en l’adaptant à l’esprit de cette collection, la traduction intégrale de l’œuvre parue en 1983 Des enseignements de la vie : souvenirs d’un gentilhomme syrien du temps des croisades, Paris, Imprimerie nationale, 444 p. [texte complet avec préface (p. 11-75), illustrations, bibliographie, notes et index]. En sens inverse, pour la clarté du récit, j’ai emprunté quelques détails à la Vie d’Ousâma, publiée en 1889 par Derenbourg, qui fut aussi l’inventeur du manuscrit unique du livre et son premier traducteur. Un détail encore : au lieu de renvoyer à l’annotation, trop lourde pour le coup, j’ai préféré intégrer dans le texte les dates correspondant, selon notre calendrier, à celles que Ousâma énonce dans le sien, celui de l’Hégire.

Pour le reste, ces pages, même réécrites, restent celles d’Ousâma : ce n’est pas moi qui parle, mais lui. Que l’on n’y voie, par pitié, aucune agression vis-à-vis d’un inconnu de l’histoire injustement traité par elle. Il m’a semblé, au contraire, que le plus grand acte de fidélité, ici, était bien de ne pas prendre, par le détour de la troisième personne, la moindre distance avec celui qui osa, quand c’était inaccoutumé, incongru, difficile et peut-être même risqué -au moins pour une réputation - dire « je ». Cet homme-là fut, dans tous les sens du terme, un prince.

A. M.
Paris, janvier 1986



I

J’ai toujours aimé Damas, la ville de mes exils, la ville où je mourrai bientôt. Le temps presse. Cette main qui jadis terrassait le lion ou l’ennemi tremble si fort quelle ne peut plus écrire : il faut dicter. Se souvenir. Pardonne-moi, Seigneur, si le premier désir qui vient à ma mémoire me reporte là-bas, sur les rives de l’Oronte, vers ma jeunesse. C’est d’elle que je voudrais d’abord, et longtemps, parler. Mais non. Si ces pages doivent recueillir un jour quelque mérite aux yeux des hommes, c’est parce quelles leur diront que Toi seul es roi. Toi seul règles le cours de nos destinées. Toi seul sais quand et comment la mort s’apprête à nous saisir. Voyez : ce corps criblé de cicatrices n’a pas trouvé son terme au combat ni dans la chasse au lion. Qui avait prévu, sinon Toi, qu’il ne devait achever sa course qu’au bout de quatre-vingt-dix ans et plus, sur ce lit de misère où la mort même me tient éveillé ? Miracle, miracle douloureux où vient s’anéantir la gloire des vieilles batailles, pour ne plus laisser de vivant que ce dernier souffle : ton nom.

J’en ai connu et tant connu, de ces caprices du destin, vu et tant vu, de ces manchots, borgnes, estropiés, unijambistes et balafrés, marqués ainsi pour un instant éternel de leur vie, rescapés d’une mort passagère qui les avait touchés sans les perdre et pour leur rappeler seulement l’ultime …




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