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Guide littéraire, le Kurdistan


Auteur :
Éditeur : Favre Date & Lieu : 1998-01-01, Lausanne
Préface : Pages : 192
Traduction : ISBN : 2-8289-0534-9
Langue : FrançaisFormat : 130x235 mm
Code FIKP : Liv. Fr. 3914Thème : Littérature

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Guide littéraire, le Kurdistan

Guide littéraire, le Kurdistan

Favre

Le Kurdistan


Textes de
Israel-Joseph Benjamin II,
Eugène Boré, Cheref-ouddine,
Michel Febvre, Asahel Grant,
Xavier Hommaire de Hell,
Alexandre Jaba,
Amédée Jaubert,
Raymond H. Kévorkian
Roger Lescot,
John Mac Donald Kinneir,
Aboul Hasan Ali Masoudi,
Paul B. Paboudjian,
François Pétis de la Croix,
Claudius James Rich,
Raschid-eldin, Elisée Reclus,
Armenag Sakisian, etc.

Réunis par Chris Kutschera
Chris Kutschera

 


PREFACE

Par Chris Kutschera

Le Kurdistan, ou Courdistan, quelque fois appelé aussi le Curtesdan ou Kurdestan, n'existe pas : il n'y a pas, dans l'annuaire des Nations Unies, de pays répondant à ce nom.

Mais le pays des Kurdes existe, sans frontières bien délimitées, sans institutions étatiques, sans monnaie, sans reconnaissance internationale ; mais il y a un peuple kurde, une langue kurde, une culture kurde, et même un drapeau kurde - trois bandes horizontales, verte, blanche et rouge, avec un soleil jaune au milieu (et quelque fois des épis de blé autour du soleil), et il y a aussi un pays appelé depuis toujours le Kurdistan.

Vivant à cheval sur la ligne de fracture qui sépare les deux mondes iranien et turc - une frontière qui n'a cessé de se déplacer au cours des siècles, au gré des batailles et des victoires ou des défaites des empires rivaux qui se sont succédé de part et d'autre des chaînes du Zagros - les Kurdes n'ont cessé de fasciner les historiens et géographes arabes et persans qui, les premiers, les ont décrits, il y a un peu plus de mille ans.

Les mythes des origines relèvent, par définition, de l'imaginaire. Il n'empêche que cet imaginaire se raccroche, d'une façon ou d'une autre, au monde du réel : pourquoi toutes les fables sur les origines des Kurdes en font-elles un peuple à part, le mythe du peuple de parias, issu de Satan, alternant avec celui du peuple de proscrits en butte à l'oppression la plus abominable ? Dès le Xe siècle, Masoudi, un des plus grands historiens arabes de l'ère classique, rapporte les deux thèses. Probablement le premier historien à relever le lien entre la nature de l'habitat géographique d'un peuple et son caractère, Masoudi souligne aussi que les moeurs des Kurdes sont étroitement liées à leurs montagnes.

Dix siècles après la disparition de Masoudi, les Kurdes n'ont toujours pas d'État, mais sans ces montagnes qui leur ont servi de refuge tout au long des siècles et qui ont forgé leur façon d'être, il est probable qu'ils n'existeraient plus en tant que peuple. Vivant dans des forteresses imprenables sans stratagème, comme le constate déjà Rachid-eldin, l'historien des Mongols, les Kurdes sont gouvernés par des seigneurs qui, vivant isolés dans leurs nids d'aigle au fond de vallées coupées de tout, se considèrent chacun comme l'empereur du monde, ainsi que se l'entend dire François Pétis de la Croix, l'envoyé de Louis XIV. Cette attitude fait en même temps la force et la faiblesse des Kurdes — empêchant leur unité, mais empêchant aussi leur destruction : la défaite ou la mort d'un chef kurde, aussi puissant soit-il, n'entraîne pas la destruction d'un peuple dont il ne dirige jamais qu'une fraction.

Cette division des Kurdes est un trait tellement ancien et tellement connu que Cheref-Khan de Bitlis, la fait remonter, dans son oeuvre monumentale, le Cheref-Nameh, dont on célèbre en 1997 le quatrième centenaire, à... Mahomet. L'Islamisation des Kurdes après la conquête de Takrit par les Omeyades est certainement une fracture majeure dans leur histoire. C'est aussi un bouleversement dont on n'a pas encore décrit toutes les péripéties : si certains Kurdes restent fidèles à leurs anciennes croyances mazdéennes et zoroastriennes, ou aux thèses de Nestorius dont les partisans avaient christianisé toute une partie du Kurdistan, la plupart embrassent l'islam, mais à la façon kurde : se rangeant tantôt dans le camp des sunnites, tantôt dans celui des chiites (les Kizilbaches, précurseurs des Alévis), et souvent en allant jusqu'à oublier qu'ils ont adopté l'islam (les Yézidis) - et toujours en préservant un certain particularisme, et de nombreuses « superstitions » : le Kurdistan devient le refuge de toutes les sectes. Cheref-Khan, déjà, se fait l'écho, dans ses « Fastes de la Nation Kurde », de cette hétérodoxie des Kurdes, et de la répression qu'elle suscite. On constatera hélas que les Yézidis, décrits par Michel Febvre et étudiés par Roger Lescot, suscitent autant de haine aujourd'hui qu'aux siècles passés : chassés par l'intolérance de leurs voisins, les habitants des derniers villages yézidis du Kurdistan de Turquie sont en train de chercher asile en Allemagne et en Scandinavie.

Le XIXe siècle est le grand siècle des Voyages - des voyages scientifiques, et des expéditions des missionnaires. C'est aussi à cette époque que prend définitivement forme la fable de la cruauté, de la « sauvagerie » des Kurdes. A de rares exceptions près, comme l'étonnant chevalier d'Obsonville, qui voyage au Kurdistan juste avant la prise de la Bastille, ou comme l'exceptionnel Claudius James Rich, qui l'explore après la Restauration, presque tous les Voyageurs qui se succèdent au Kurdistan contribuent à forger l'image du Kurde brigand, pillard, cruel et assassin.

On ignore trop souvent que le Kurdistan a longtemps été terre de mission : depuis Mossoul, les Capucins (1), puis les Dominicains, se sont efforcés d'évangéliser les Kurdes et de ramener les Nestoriens dans l'orthodoxie catholique. Au XIXe siècle, le Kurdistan devient le champ clos de la rivalité des missionnaires catholiques, protestants et juifs qui s'intéressent d'autant plus à ce pays qu'il est en même temps le « berceau de l'humanité », l'« Eden » de la Bible, et l'endroit où s'est posée l'arche de Noé (sur l'Ararat, ou le mont Djoudi, on ne sait trop)... Les Lazaristes s'installent à Ourmié (en Perse) en 1840, cinq ans après les missionnaires protestants de l'« American Board of Commissioners for Foreign Missions » auxquels les oppose une profonde animosité. L'« Alliance Israélite Universelle » opère depuis sa base de Hamadan. Les Anglicans de la « High Church of England » envoient à leur tour des missionnaires au début des années 1880... Tous ces missionnaires ne s'intéressent qu'à leurs ouailles potentielles, les chrétiens ou les juifs perdus du Kurdistan; on doit cependant à Eugène Boré, Asahel Grant et Israel-Joseph Benjamin II des témoignages uniques, malgré leurs oeillères, sur l'état du Kurdistan au XIXe siècle.

Dans cette abondance de récits de voyage se détachent quelques auteurs plus scientifiques, comme Schulz, qui finira tragiquement assassiné par les Kurdes, et Xavier Hommaire de Hell, ou plus objectifs, comme John Mac Donald Kinneir, Amédée Jaubert et Baptistin Poujoulat. Mais le mal est fait : le Kurde reste un « carnassier », comme l'écrit le géographe éclairé qu'est Elisée Reclus...

La fin du XIXe siècle correspond à ce moment fatal de l'histoire qui voit disparaître l'état ottoman plurinational : après près de cinq siècles de cohabitation, l'Etat turc va s'attaquer - souvent avec la complicité des Kurdes - à ces « minorités » ethniques ou confessionnelles qui ont formé une partie importante de la population : tour à tour les Yézidis, les Juifs, les Nestoriens (Assyriens) et les Arméniens vont disparaître du Kurdistan. La tragédie du génocide des Arméniens fait partie, hélas, des malheurs enregistrés de l'Histoire. Ce que l'on ignore souvent, par contre, c'est le fait que de nombreux Arméniens, et aussi des Juifs et des Nestoriens, se sont convertis, pour échapper à la misère ou au massacre, et sont devenus des « Turcs » — ou des Kurdes. Raymond Kévorkian, Paul Pabouddjian, et Rouben, décrivent de façon exemplaire ce qu'était le monde arménien du Kurdistan avant le grand naufrage. Peu de Kurdes aujourd'hui savent qui sont leurs ancêtres : espérons que cela les inclinera à la tolérance...

Au total, tous ces textes montrent qu'une fois de plus les populations civiles souffrent plus que les combattants : pendant des siècles, les habitants du Kurdistan ont connu les guerres, les destructions, les déportations, la famine, la peste et le choléra, et la torture : mais ce n'était rien à côté de ce qu'allait leur apporter le XXe siècle...

Et pourtant, de ci de là, dans ces textes, on devine un miracle ; malgré tout, une culture kurde survit : l'« Inventaire des Trésors d'un Prince kurde » d'Evlia Tchelebi, présenté par Arménag Sakisian, prouve que les grands seigneurs kurdes vivaient dans le même luxe et avec le même raffinement que nos princes de la Renaissance. Roger Lescot, dans son texte sur la Création du Monde, montre aussi que ces montagnards kurdes qu'étaient les Yézidis étaient beaucoup moins frustes qu'on ne le supposerait. Et la légende du Château de Dimdim, recueillie par Alexandre Jaba, rappelle la place exceptionnelle de la femme dans la société kurde, une place qu'ont déjà soulignée de nombreux auteurs, et que ne cessent de chanter les bardes kurdes.

Cette anthologie se veut, enfin, une invitation au Voyage : en lisant le récit de ces descentes du Tigre et de l'Euphrate en radeau, en gravissant les montagnes avec ces explorateurs, en découvrant avec eux le spectacle magnifique des vallées et des vergers du Kurdistan, en lisant ces descriptions des villes kurdes au cours des siècles, et ces scènes de la vie des nomades, le lecteur aura, nous l'espérons, envie d'explorer à son tour le pays des Kurdes, maintenant que les lions ne rugissent plus sur les rives de ses fleuves...

C. K.

(1) Le père Garzoni a publié en italien en 1787 une des premières grammaires de la langue kurde.


Avertissement

On a systématiquement respecté l'orthographe des noms propres et des noms de lieu employé par les auteurs, ce qui explique que l'orthographe du même nom puisse varier d'un extrait à l'autre. Par ailleurs, nous nous sommes efforcés de choisir des textes décrivant les diverses parties du Kurdistan (Iran, Irak, Turquie). Et nous n'avons publié ici que des textes figurant dans des ouvrages rares, méconnus ou depuis longtemps épuisés et difficilement accessibles, sauf dans des bibliothèques très spécialisées - excluant, sauf exception, des ouvrages publiés au XXe siècle, ou des auteurs de Voyages classiques comme Jean-Baptiste Tavernier, réédités récemment. C'est aussi délibérément que nous n'avons pas fait figurer dans cette anthologie de textes de la littérature kurde, à l'exception d'un extrait du « Cheref-Nameh » (1) : le lecteur pourra se référer à l'« Anthologie de la poésie populaire kurde » (2) ou à la nouvelle édition du Mamé Alan. (3)

(1) Cheref-Khan de Bitlis, qui a vécu toute son enfance à la cour du Chah de Perse, à écrit ce livre... en Persan.
(2) Anthologie de la poésie populaire kurde, Gérard Chaliand, Editions Stock, Paris 1980.
(3) À paraître chez Gallimard.



Le mythe des origines : Un peuple à part

Aboul Hassan Ali Masoudi, né à Bagdad à la fin du IXe siècle, mort en Egypte en 956, est l'un des plus grands écrivains arabes classiques. A la fois historien, géographe, philosophe et grand voyageur, il rédige les « Prairies d'or » en Egypte, quelques années avant sa mort. Dans ces lignes sur les origines des Kurdes, il cite les traditions recueillies par ses prédécesseurs arabes et persans, pour qui les Kurdes sont tantôt un peuple de parias ou de proscrits, tantôt un peuple issu des amours coupables des concubines de Salomon avec le Diable, mais en tout cas un peuple à part...

Arrivons maintenant à l'objet principal de ce chapitre, conformément au titre - que nous lui avons donné, à savoir : la vie nomade chez les Arabes et les autres nations étrangères à la civilisation, telles que les Turcs, les Kurdes, les Bedjah, les Berbères, en un mot, toutes les peuplades qui habitent les déserts et les montagnes, et recherchons pourquoi elles ont adopté ce séjour.

On explique de différentes manières les causes qui les déterminèrent à choisir ce genre de vie. D'après plusieurs auteurs, les premiers habitants de la terre vécurent un long espace de temps sans construire de maisons, ni se fortifier dans des villes ; des huttes grossières et des cavernes étaient leur seul abri. Plus tard, quelques individus commencèrent à bâtir des maisons, et leurs …

 




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