VersionsLa Turquie d'Asie, géographie administrative - II [Français, Paris, 1891]
La Turquie d'Asie, géographie administrative - I [Français, Paris, 1892]
La Turquie d'Asie, géographie administrative - III [Français, Paris, 1894]
La Turquie d'Asie, géographie administrative – IV [Français, Paris, 1894]
La Turquie d'Asie, géographie administrative - I
Vital Cuinet
Ernest Leroux
L'ouvrage que nous présentons aujourd'hui au public en général, et plus particulièrement à celui de notre pays, sous le titre de: La Turquie d'Asie, Géographie administrative, statistique descriptive et raisonnée de l'Asie Mineure, est une compilation de notes statistiques recueillies sur les lieux mêmes, dans le cours de différents voyages d'explorations que nous avons effectués durant les douze années qui viennent de s'écouler.
Avant d'entreprendre ces voyages, nous avions pris soin de lire avec la plus grande attention les relations des voyageurs connus qui ont visité ces contrées, ainsi que les ouvrages spéciaux qui font autorité dans le monde savant.
Au retour de chacune de nos excursions, nous avons constaté que, pour la plupart, ces voyageurs s'étaient bornés à des descriptions de touristes, souvent plus fantaisistes qu'exactes, et toujours empreintes de leurs sensations et sentiments personnels, d'après lesquels ils ont envisagé les choses à divers points de vue, tous personnels et contradictoires, de sorte qu'il est bien difficile d'y rencontrer la vérité. C'est surtout sur les lieux mêmes que l'on peut juger du peu de fonds de ces publications qui visent plus à l'effet qu'à la rectitude des observations. ...
PRÉFACE
L'ouvrage que nous présentons aujourd'hui au public en général, et plus particulièrement à celui de notre pays, sous le titre de: La Turquie d'Asie, Géographie administrative, statistique descriptive et raisonnée de l'Asie Mineure, est une compilation de notes statistiques recueillies sur les lieux mêmes, dans le cours de différents voyages d'explorations que nous avons effectués durant les douze années qui viennent de s'écouler.
Avant d'entreprendre ces voyages, nous avions pris soin de lire avec la plus grande attention les relations des voyageurs connus qui ont visité ces contrées, ainsi que les ouvrages spéciaux qui font autorité dans le monde savant.
Au retour de chacune de nos excursions, nous avons constaté que, pour la plupart, ces voyageurs s'étaient bornés à des descriptions de touristes, souvent plus fantaisistes qu'exactes, et toujours empreintes de leurs sensations et sentiments personnels, d'après lesquels ils ont envisagé les choses à divers points de vue, tous personnels et contradictoires, de sorte qu'il est bien difficile d'y rencontrer la vérité. C'est surtout sur les lieux mêmes que l'on peut juger du peu de fonds de ces publications qui visent plus à l'effet qu'à la rectitude des observations. Quant aux savants éminents, érudits et consciencieux, qui se sont occupés du même sujet, ils se sont inspirés du devoir de fixer des points historiques, de rectifier les erreurs de leurs devanciers. Quelques-uns, absorbés par l'étude des grandeurs passées, se sont attachés à faire ressortir l'illustration des peuples anciens qui se sont succédé dans ces belles contrées et le haut degré de prospérité auquel ils étaient parvenus, et cela au moyen de recherches scientifiques et artistiques sur les monuments et les ruines qui attestent encore aujourd'hui les antiques splendeurs de ce pays, au milieu des marques de sa décadence. Ils en ont fait, en un mot, l'histoire archéologique et scientifique. D'autres encore, plus positifs, ont étudié le pays au point de vue géologique; ils ont considéré la nature et la situation, l'importance des matériaux dont est composée la formation de cette partie de l’Asie, et en ont soumis les causes à leur examen.
Quelle que soit la haute valeur de ces travaux, fruits du labeur de tant de savants de tous les pays, et si justement estimés qu'ils soient, il nous a semblé que tous ces ouvrages laissaient subsister une lacune sensible. En effet, il n’en est aucun, parmi ces monuments érigés par la science universelle à la gloire des siècles passés, il n'en est aucun, disons-nous, qui donne une idée exacte et pratique de l'état présent de l’Asie Mineure.
Aussi nous a-t-il paru utile de combler cette lacune, et nous avons cru y pourvoir au moyen d'une simple Géographie de la Turquie d'Asie, avec sa division administrative actuelle, fixant tout au moins la situation présente, politique et administrative de cette contrée.
Notre titre seul indique que nous n'avons pas la prétention de présenter une œuvre savante mais nous avons pensé que l'on ne lirait pas sans intérêt des notices statistiques inédites, recueillies sur les lieux mêmes et judicieusement contrôlées; et si nous insistons sur ce mot de statistiques, c'est pour bien préciser que cette science a été jusqu'ici totalement négligée, soit parce que les autorités administratives n'en ressentent pas l'utilité, soit plutôt parce que, si elles possèdent quelques données relatives au dénombrement de la population, aux productions et aux besoins du pays, par quantités et valeurs, pour le recouvrement des diverses taxes et impôts,-elles se font un devoir de refuser systématiquement toute communication de cette nature.
C'est donc seulement au prix des plus grands sacrifices de tout genre, de temps et de patience surtout, que nous sommes parvenus à réunir, pour chaque province, un ensemble assez considérable de documents statistiques entièrement inédits, encore bien incomplets, il est vrai, mais suffisants cependant pour donner une idée exacte de l'état présent de ce beau et intéressant pays.
Nous avons été très utilement secondé dans ce travail de longue haleine, aussi aride qu'intéressant, par le concours obligeant et empressé de quelques amis et de nombreux correspondants occupant, dans chaque centre important du vaste empire asiatique ottoman, une situation ou des fonctions qui les mettent à même d'être bien renseignés. C'est ainsi que nous sommes parvenu à compléter et contrôler nos propres informations et à les rafraîchir au besoin. Nous voudrions rendre un hommage public à ces précieux collaborateurs, en citant ici leurs noms et en indiquant la nature et l'importance de leur généreuse coopération, mais nous sommes arrêté par un scrupule que, dans leur propre intérêt, il nous est impossible de vaincre. Ce serait, effectivement, pour la plupart d'entre eux, leur rendre un mauvais service que de les signaler nommément, car cela les exposerait à des reproches et à la méfiance des autorités locales, qui croient, de bonne foi peut-être, que c'est nuire à l'empire que d'en faire connaitre les beautés, les ressources et les besoins.
Nous nous bornerons donc, à notre grand regret, à exprimer ici à nos collaborateurs, collectivement, toute notre gratitude et nos vifs remerciements, et nous ajoutons que, en nous rendant un service signalé, ils n'en ont pas rendu un moindre à leur pays d'origine ou d'adoption, quoi qu'en puissent dire ou penser les autorités administratives de ce pays.
Revenons à notre sujet. Tout d'abord, lorsque nous avons conçu le projet de livrer à la publicité le produit de nos recherches, nous ne pouvions nous appuyer sur aucune autre base officielle que sur les renseignements généraux publiés chaque année dans le salnamèh (almanach officiel)de la capitale, et ces renseignements eux-mêmes étaient et sont encore incomplets, souvent inexacts.
La statistique officielle proprement dite fait absolument défaut en Turquie. Toutefois, depuis peu d'années, on a créé au ministère de l'intérieur un «Bureau du dénombre ment de la population » (noufous idaressi), et ce bureau a même publié le résultat partiel d'un recensement de la population de l'empire, par vilayets, commencé il y a près de quatre ans, en indiquant seulement le chiffre de la population par sexes, sans faire aucune mention des diverses communautés ou confessions. Nous nous sommes particulièrement attachés à cette dernière classification qui, selon nous, offre un intérêt réel d'actualité. Il n'existe non plus aucun travail sur la statistique des écoles, des productions naturelles du pays, de l'industrie, du commerce, de l'exportation et de l'importation, de la navigation, etc., etc. Il convient cependant de mentionner que, depuis cinq à six ans, la douane de Constantinople publie, chaque année, un tableau dit mouvement commercial des ports de mer de l'empire, avec spécification des marchandises importées de tels ou tels pays, et de celles exportées dans ces mêmes pays; mais ces tableaux généraux ne donnent aucune idée des produits, des ressources ou des besoins de telle province de l'empire plutôt que de telle autre. L'Office sanitaire de Constantinople publie aussi, depuis quelques années, une Statistique générale de la navigation dans les Ports ottomans,- à laquelle nous sommes bien aise de puiser.
Nous nous sommes efforcés de combler toutes ces lacunes, et nous croyons fermement avoir obtenu dans ce sens un résultat, sinon complet, du moins assez important, et en tous cas sincère et aussi exact que possible.
D'autre part, si nous avions offert à nos lecteurs, dans toute la sécheresse et l'aridité de ses chiffres et de ses nomenclatures, la statistique des choses d'un pays aussi vaste que la Turquie d'Asie, il nous eût été difficile d'attacher bien longtemps leur attention à un objet aussi ardu. Pour captiver cette attention, et en même temps rendre plus facile une étude aussi complète que possible de l'état actuel du pays, nous avons cru devoir relier le passé au présent par un précis ou résumé succinct des laits et des événements afférents à chaque peuple, à chaque province, en rappelant les phases principales par lesquelles les uns et les autres ont passé depuis leur origine connue jusqu'à notre époque.
A cet effet, nous avons puisé dans les ouvrages des auteurs qui font autorité, et nous avons compulsé, partout où nous avons pu en rencontrer, les bibliothèques publiques et privées dans les localités visitées. Nous avons aussi tenu compte, dans une large mesure, des traditions pieusement conservées dans les familles du pays.
En résumé, dans le présent travail, nous offrons aux lecteurs de fidèles descriptions, non seulement des chefs-lieux rie chaque province, mais aussi des villes principales, chefs lieux de sandjaks (départements), et de cazas (arrondissements), comme de toutes localités et endroits remarquables, soit dans le passé, soit surtout dans le présent. Nous leur présentons tous les renseignements, jusqu'aujourd'hui peu, point, ou mal connus compris sous les principaux titres ci-après Division administrative. - Population, dénombrement par races ou confessions. - Mœurs, usages et origines des populations actuelles. - Ecoles. – Statistiques commerciales. - Exportation. - Importation. - Navigation. - Productions naturelles, industrielles, par quantités et valeurs. - Agriculture. - Élève du bétail. - Routes. - Fleuves. - Montagnes. - Mines. - Forêts. - Salines. - Revenus du fisc, etc., etc., etc. En un mot nous nous sommes efforcé de montrer ce pays tel qu'il a été, tel qu'il est présentement et tel qu'il pourrait être ou devenir lorsque des circonstances plus favorables s'y prêteront.
En terminant, nous expliquerons pour quelles raisons nous nous sommes décidé à livrer à la publicité ce travail par livraisons, avant que l'ouvrage entier soit terminé, et que les vilayets (provinces) puissent y être classés par ordre alphabétique.
Ainsi que nous l'avons dit plus haut, la statistique officielle fait défaut en Asie Mineure. Cette science, si utile et si intéressante, non seulement n'est pas encore entrée dans les mœurs et usages du pays, mais même les autorités refusent de parti pris de se prêter aux moindres investigations. Pour remédier à ces inconvénients, qu'on pourrait qualifier de force majeure, nous avons dû nous livrer à des recherches tellement difficiles, qu'elles ont absorbés près de douze années d'un travail opiniâtre et assidu.
D'autre part encore, tout en ayant mené de front la compilation des notes statistiques descriptives de chacun des vingt-sept vilayets, provinces privilégiées et mutessarifats indépendants de la Turquie d'Asie, il se trouve que ce travail n'est pas arrivé au même degré d'avancement pour toutes les provinces, soit parce que les circonstances nous ont permis de faire dans quelques-unes un séjour plus 'prolongé, soit aussi parce que nous avons rencontré dans quelques autres un surcroît de difficultés d'informations.
Il résulte de ce qui précède que si nous attendions, pour commencer notre publication, d'avoir mis la dernière main à tout l'ensemble de notre travail, - ce qui pourra comporter encore une année et peut-être davantage, - les notices aujourd'hui prêtes sauraient déjà perdu de leur actualité. C'est pourquoi, sur la demande et suivant les conseils d'amis compétents en la matière, nous nous sommes attaché plus particulièrement aux provinces les moins connues et les plus immédiatement intéressantes, et nous avons résolu de faire paraitre les premières livraisons comprenant la géographie artistique des vilayets de Trébizonde, d'Erzeroum, d'Angora, d'Adana, de Koniah, de Crète et de l'Archipel. Viendront ensuite les vilayets de Sivas, d'Alep, de Zor, de Mamuret-ul-Aziz (Kharpout), de Mossoul, de Diarbékir, de Bitlis, de Smyrne, etc., etc.
Chaque vilayet contiendra une carte spéciale à l'échelle de 1 / 2 000 000, montrant la division administrative par sandjaks et par cazas. La première livraison contiendra, enoutre, une Introduction au Avant-propos sur l'ensemble de la Turquie d'Asie, une carte générale de cette contrée, à l'échelle de divisée en vilayets et sandjaks, ainsi qu'un tableau synthétique de cette division, avec la population et la superficie afférentes à chaque province de la Turquie d'Asie.
V. C.
Constantinople,
août 1890