Une Vision Turque du Monde
Etienne Copeaux
CNRS
Depuis le XIXe siècle, la représentation du passé a trouvé dans la carte un support indispensable à sa visualisation. Loin d’être uniquement image, la carte, comme le texte, propose différents niveaux de lecture, diverses strates où se fixent idéologies et conceptions du monde. Le travail ici présenté, portant sur les manuels scolaires turcs des années 1930 aux années 1990, est la première tentative d’analyse d’un corpus vaste et homogène de cartes historiques.
Étienne Copeaux, étudiant le discours cartographique sous tous ses aspects (sémiologie, champs représentés, échelles prédominantes, informations non graphiques) dévoile la construction d’un sentiment identitaire qui, au-delà de la dimension nationaliste, donne à voir une approche nouvelle de la notion de «vision du monde».
Étienne Copeaux, ancien pensionnaire de l'Institut français d’études anatoliennes (Istanbul), est chercheur au CNRS (Groupe de recherches et d’études sur la Méditerranée et le Moyen-Orient, Lyon).
Table des matières
Avant-propos / 5
Introduction / 7
Les conditions d’élaboration du discours / 11
Les trois passés de la nation turque / 14
Première Partie
L’Etude d’un Discours Cartographique
Principes et Méthodes
Chapitre premier - Le corpus / 21
Les sources / 24
Chapitre II - Nomenclature et sémiologie / 31
L’information non graphique: désignation et nomenclature / 32
La désignation de l’objet représenté: les mots du titre / 32
«États» et «empires» / 35
L’information graphique : l’appareil sémiologique des cartes / 39
Signes dynamiques / 40
Champs et limites: quelle était l’étendue de la mouvance ottomane? / 42
Vassaux, tributaires et protégés / 43
La souveraineté sur les îles de la mer Egée / 47
Négligences graphiques / 48
Cartes sans échelles / 49
La rareté des signes orographiques / 50
Chapitre III - Typologie et distribution
spatiale des champs représentés / 53
La classification / 54
Représentations à partir d’un centre / 54
Le monde centré sur l’Anatolie / 54
Le monde centré sur la Haute-Asie / 54
Les périphéries / 55
Périphéries orientales / 55
L’Europe / 56
Le moule de l’État-nation / 56
Une vision mondiale / 57
Deuxième Partie
Les Centres: Patrie Réelle, Patrie Rêvée
Chapitre IV - L’Anatolie et sa périphérie / 65
Le centre anatolien et son annexe chypriote / 65
Les trois temps forts du passé anatolien / 65
Lacunes : la place particulière de Chypre / 67
Lacunes : le passé chrétien de l’Anatolie / 69
Les cartes à grande échelle : berceaux et pages héroïques / 72
Le premier cercle : la mer Égée traverse la Turquie / 75
Le couple balkano-anatolien / 75
La mer Noire et la Crimée / 78
Le deuxième cercle : l’Empire ottoman / 79
L’Empire et le monde / 80
Chapitre V - L’Eurasie / 83
Les Asies centrales : la représentation des origines / 84
Les lacunes de la cartographie courante / 85
Brève géographie historique de l’Asie intérieure / 87
Un lieu historique mythifié / 88
L’Orkhon sur les cartes scolaires / 90
Un mythe kémaliste: les migrations préhistoriques / 92
Au centre du monde: la «Grande mer turque» / 95
Des cartes continentales pour des empires démesurés / 97
Les formations asiatiques de taille continentale / 98
La carte des souverainetés turques successives / 102
Au cœur du continent : la perte des repères / 104
Éclipse et retour des représentations de l’Asie moderne / 105
Anatolie, espace ottoman, espace asiatique : quel centre? / 108
Troisième Partie
Les Mondes Périphériques
Chapitre VI - Autour de l’Iran, L’Asie du Sud-ouest / 115
Le carrefour irano-afghan : éléments de géographie historique / 116
Pays-seuil, époque charnière : le khanat des Ghaznévides / 118
L’Anatolie en marge des grands empires / 121
Darius et Alexandre / 122
Le grand Empire seldjoukide / 123
L’Empire timouride (1370-1405) / 124
L’Inde, un extrême turc / 125
Chapitre VII - Au sud de L’Anatolie, la Mésopotamie et le monde arabe / 127
L'Anatoli, La Palestine Et La Mésopotamie: Interférences Culturelles / 128
L’Égypte / 131
L’Anatolie et l’Arabie: une étoile double / 135
L’Arabie, centre périphérique / 137
Chapitre VIII - L’Europe, une périphérie occidentale / 141
Les différentes perceptions de l’Europe / 142
L’Europe et ses limites / 145
L’Europe : périphérie du monde turc ou musulman / 148
L’Europe des steppes : une première périphérie / 149
Les Huns, les Kurdes et l’Europe / 151
Une périphérie du monde arabe : l’Espagne / 154
La Méditerranée : héritage commun et lieu d’affrontement / 155
Conclusion / 159
Repères chronologiques / 165
Bibliographie / 169
Index / 183
Index des auteurs cités / 185
Index des lieux cités / 187
Index des événements, personnages et notions historiques / 190
Index des notions / 193
Atlas / 195
Lexique / 197
Essai de typologie des cartes historiques scolaires turques / 202
Figures / 205
Table des matières / 239
AVANT-PROPOS
Ce travail comporte des mots et noms propres turcs, que j’ai conservés dans leur graphie turque actuelle, en raison de sa grande commodité La langue turque ne comporte qu’un seul son sans équivalent en français, et l’alphabet latin adopté en 1928 a une prononciation phonétique.
Toutes les lettres sont prononcées, y compris les consonnes de fin de mot : Fas (le Maroc) se prononce «fâss»;
c équivaut à dj : Elcezire (la Mésopotamie) se prononce «el djèzirè»;
ç équivaut à tch; Çin (la Chine) se prononce «tchînn»;
e est toujours très ouvert, jamais muet comme en français: Edirne (Andrinople) se prononce «èdirnè »; lise (le lycée), «lissé»;
g est toujours dur: Girit (la Crète) se prononce «guiritt»;
ğ a pour fonction de prolonger la voyelle qui précède : Karadag (le Monténégro) se lit «karadâ»;
h est toujours aspiré;
ı (i sans point) est proche du e muet français; la distinction typographique entre i et ı doit être respectée même sous leur forme majuscule (İ et I);
j se prononce comme en français, jamais comme un y: türkoloji (la turcologie);
ö équivaut à eu ou œu français (comme le ô allemand): Özbekistan se prononce «Euzbèkistann»;
r est toujours roulé;
s est toujours dur, comme dans Amasya («amassia») ou lise (le lycée);
ș se prononce comme le ch français: Muș, Maraș (villes d’Anatolie, à lire «mouche», «marache») ;
u se prononce ou : Burdur, Bursa se lisent «bourdour», «boursa»;
ü équivaut au u français: kültür se prononce comme «culture» ; Üsküp (Skopje);
y est toujours consonne.
Pour éviter de surcharger les notes, les références des ouvrages scolaires sont résumées ainsi: nom de l’auteur ou du directeur de collection; cycle d’études (ilkokul pour primaire, ortaokul ou ortamektep pour collège 2, lise pour lycée); niveau désigné par un chiffre romain; année d’édition. Lorsqu’il n’y a pas d’autre précision, il s’agit d’ouvrages d’histoire (tarifi) ou, pour l’école primaire, de «sciences sociales» (sosyal bilgiler).
1. Toutefois, dans les citations, les différentes transcriptions utilisées par certains auteurs ont été respectées.
2. Les ortaokul ou collèges ont été supprimés en été 1997, au profit d’un enseignement primaire de huit ans; cette réforme, qui vise à gêner l’enseignement religieux, n’a pas d’incidence sur le propos de ce livre.
IntroductionLe travail qui suit est un essai d’analyse en cartographie historique basé sur l’étude d’un corpus de cartes, cohérent par leur lieu de production (un seul pays), par la vision du passé qu’elles cherchent à concrétiser (résultant d’un mouvement historiographique bien défini), par la relative stabilité des politiques et des valeurs culturelles qui ont présidé à leur élaboration, et par leur genre: il s’agit de l’ensemble des cartes extraites des manuels scolaires d’histoire en usage en Turquie de 1931 à 1993; cet examen couvrant plusieurs décennies permet de faire apparaître tant les éléments permanents qu’une évolution.
Ma réflexion ayant été entièrement guidée et conditionnée par la matière à examiner, les cartes analysées ne sont pas de simples illustrations. Il ne s’agit pas non plus d’une juxtaposition d’études de cartes suivie d’une synthèse ; c’est bien le corpus dans son ensemble qui est analysé, dont aucune carte n’a été écartée pour manque d’intérêt, mauvaise qualité, marginalité ou banalité.
Cette recherche a été menée de manière systématique dans le cadre d’une thèse de géographie historique, soutenue en 19941, dont l’objet était le discours des manuels scolaires d’histoire turcs; au cours de cette étude, j’avais constaté très vite la nécessité de ne pas s’en tenir au discours textuel. Les ouvrages scolaires, en effet, utilisent généralement trois modes d’expression: le texte, la cartographie et l’iconographie. Ces trois modes discursifs se mêlent, se répondent, se complètent, mais peuvent aussi se contredire. Il est de règle que l’iconographie et la cartographie soient subordonnées au texte, car la carte et l’image sont le plus souvent conçues comme ...
1. Étienne Copeaux, «De l’Adriatique à la mer de Chine. Les représentations turques du monde turc à travers les manuels scolaires d’histoire (1931-1993)», Paris-VIII, 1994. Cette thèse a été partiellement publiée sous le titre Espaces et temps de la nation turque. Analyse d’une historiographie nationaliste (1931-1993), Paris, CNRS Éditions, 1997
Etienne Copeaux
Une Vision Turque du Monde
À Travers les Cartes de 1931 à nos jours
CNRS
CNRS Editions
Une Vision Turque du Monde
À Travers les Cartes de 1931 à nos jours
Etienne Copeaux
Nous remercions particulièrement Mme Catherine Sautter
qui a mis à notre disposition sa police de caractères turcs.
© CNRS Éditions, Paris, 2000
Impression: Europe Media Duplication S.A.
53110 Lassay-les-Châteaux
N° 6992 - Dépôt légal: janvier 2000
ISBN : 2-271-05700-0