Les Mouvements Kurdes en Iran - I
Motamed Hachemi-Behrouz
Universite de Paris VII
En partant de l'ouest, la dernière avancée asiatique se termine dans la Méditerranée. Bordée au nord par des chaînes de moyenne importance : Cappadoce, chaîne Pontique, elle se termine au sud par la chaîne du Taurus. Une grande steppe s'avance au sud, longeant une profonde dépression où coule le Jourdain (lac de Tibériade et mer Morte), jusqu'au delta du Nil. Celui-ci forme la frontière qui sépare l'Afrique de la Péninsule Arabique désertique, plate et chaude. A l'est, cette steppe se termine contre la Mésopotamie, "pays entre les deux fleuves", le Tigre et l'Euphrate qui prennent leur source dans la chaîne Pontique, aux abords de la mer Noire. Longeant la haute chaîne du Zagros, ils se jettent par un détroit commun dans le Golfe Persique.
Le Zagros est en forme d'arc. Sa longueur atteint ...
Sommaire
Première Partie : Introduction Historique
Chapitre I : Zone Géographique
Chapitre II : Hypothèse sur l'Histoire du Peuplement
Chapitre III : Hypothèse sur les Langues
Chapitre IV : Islamisation - Partage des Souverainetés Jusqu'au XIXe Siècle
Chapitre V : Bouleversement et Interventions des Etrangers dans les Empires Perso-Ottomans à la Fin du XIXe Siècle
Chapitre VI : Qu’est-ce qui est Kurde à la Fin Du XIXe Siècle ?
Chapitre VII : Qu'est-ce qu'une Tribu Kurde à la Fin Du XIXe Siècle ?
Chapitre VIII : Le Pays De Simko à la Fin du XIXe Siècle
Chapitre IX : Religions, Langues, Tribus dans le Pays de Simko à la Fin du XIXe Siècle
INTRODUCTION
Dans le Moyen-Orient et l'Asie Centrale, les difficultés des minorités ethniques sont allées en grandissant, alors que les problèmes causés par les Etats Colonisateurs paraissaient résolus. Les peuples minoritaires faisaient valoir leurs droits à garder leur langue, leur religion, il était naturel qu'ils décèdent de leur sort puisqu'ils représentaient le plus grau nombre d'habitants dans leur région, et demandaient même de garder leur identité en cas de dispersion.
En principe, "le droit des peuples est de disposer d'eux-mêmes" juridiquement et sûrement^). Cette assertion revient souvent dans les assemblées internationales, mais sans Être précise, car cette sécurité s'efface devant les armes des plus forts. Or, il est reconnu que "l'individu" a plus de droits qu'un groupe minoritaire. Dans le monde actuel, les minorités, particulièrement du tiers monde, supportent mal l'emprise des grands Etats, qui, injustement, leur refusent même de garder leur propre culture.
Dans ce contexte, les Kurdes sont partagés en cinq pays : la Turquie, l'Iran et l'Irak, pour le plus grand nombre, puis la Syrie et l'U.R.S.S. Leur nom-même n'existe pas pour certains, en Turquie on ne prononce pas le mot "Kurde", mais on parle "d ' Anatoliens de l'Est". Même le nombre d'hommes de ce peuple est contesté. Eux-mêmes disent être de 20 à 25 millions ; en Turquie il y aurait 9 millions "d'Anatoliens de l'Est" ; en Iran, ce serait 7 millions, en Irak 3 à 4 millions. Nous ne comptons pas ceux qui sont dispersés, environ de 1 à 7 millions.
Nous insistons sur le fait que les Kurdes sont une des minorités très anciennes en Moyen-Orient et en Asie Centrale. Naturellement, l'intérêt des pays où sont les Kurdes est de dire qu'ils sont beaucoup moins nombreux qu'ils le prétendent, et comme il n'y a pas eu de recensement, il nous est impossible de connaître leur nombre exact.
De plus, les frontières sont très variables, dans l'intérêt - toujours - des grands pays limitrophes. En Turquie, le pays kurde n'existe pa nous l'avons dit. Pour l'Irak, la frontière serait la ligne des crêtes du Zagros, entre la Mésopotamie et les montagnes du pays kurde. Quant à l'ira le pays kurde iranien n'est qu'une partie de la province administrative kurde.
Mais les Kurdes affirment que leur pays s'étend depuis la Méditerranée jusqu'au golfe Persique ! et cela depuis la fin de la Première Guerre mondiale, la disparition de l'empire ottoman, la colonisation du Proche Orient par les grands Etats européens, le pays kurde devint une proie tellement déchirée que le peuple prit conscience de son unité.
Aussi, fin du XIXe et début du XXe, les chefs de tribus kurdes se révoltèrent plusieurs fois contre l'autorité et la domination perso-ottomane, qui usurpaient les droits des Kurdes. Ces révoltes ne sont malheureusement que la défense contre un pouvoir central, de prérogatives, de traditions, de particularisme local, sans une idée de nation.
Dès le XIXe siècle, nous constatons une série de révoltes menées par les chefs des tribus kurdes. Ces mouvements conservent un caractère traditionnel : les Kurdes luttent -ontre l'autorité étatique perso-ottomane qui empiète sur des droits acquis. Il ne s'agit nullement de mouvements inspirés par la grande idéologie européenne du XIXe siècle : le nationalisme. Les chefs traditionnels défendent leurs prérogatives contre le pouvoir central, en s'appuyant sur des particularismes, certes, mais sans revendications autres que locales, sans vision politique moderne.
Au second stade, lorsque les changements et les évolutions socio-politiques se créent dans l'ensemble du Moyen-Orient et de l’Asie Centrale nous constatons quelques tentatives de certains chefs kurdes qui s'organisent en vue de l'obtention d'un statut reconnaissant leurs particularité ethniques.
Au troisième stade, au lendemain de la Première Guerre Mondiale, le problème kurde sa pose sur le terrain international. Enfin, la question kurde se réclame dans le cadre des buts des différentes organisations et partis politico-militaires.
Notre conviction est que l'insurrection de Simko a des principes particuliers distincts des autres révoltes kurdes. D'une part, il y a le lieu dans les premiers et deuxièmes stades, d'autre part, son fait s'effec tue dans le troisième et t.i seuil du quatrième stade des révoltes kurdes.
Pour faire une recherche historique, on utilise deux méthodes différentes :
1) La régressive, c'est-à-dire que l'on commence à l'époque de la prise du pouvoir par Simko, et peu à peu on remor'.e dans l'histoire pour cherche l'explication de cette question.
2) La progressive, on commence par le passé, et en commentant les différentes périodes historiques de la montée du pouvoir de Simko, on arrive nu résultat envisagé.
Nous avons naturellement choisi la deuxième méthode, car, à notre avis elle est mieux associée à notre recherche que la première. Après l'explication des préparations théoriques du sujet, nous commençons notre travail au début du XXe siècle jusqu'en 1914. C'est-à-dire, lorsque l'ébauche des grands changements socio-politiques se crée en Iran, surtout à causr des interventions et d'une plus grande influence des Etats Européens et leur concurrence dans ce pays. En effet, l'Iran était sous l'influence des deux grandes puissances : la Russie et l'Angleterre.
Les événements de la première guerre mondiale en Iran, notamment dans le Pays de Simko, et leurs retentissements sur ces deux pays sont compris dans la deuxième période de notre recherche.
Le laps de temps, entre l’arrivée au pouvoir de Simko et son insurrection, jusqu'à la fin de sa puissance, est la plus importante et très essentielle des étapes de notre étude.
En effet, l'importance de connaître les Kurdes au point de vue culturel et socio-politique à la fin du XTXe siècle, et. ainsi d'arriver à une meilleure compréhension de ce sujet, nous oblige, avant d'entrer iuns notre recherche, à faire une étude générale sur la situation géographique et: historique des peuplements, langues, religions, jusqu’au XIXe siècle. D'aiîleu-pendant ce siècle-là, des questions politiques se posent dans les empires perso-ottoman.
Sans doute, l'arrivée au pouvoir de Simko et son insurrection, ont d'une certaine façon des rapports avec les événements généraux de la région du Moyen-Orient et de l'Asie Centrale. Pour cette raison, il nous a paru nécessaire de préciser ces faits et leur relation avec la question kurde en général. Donc nous sommes obligés d'étudier et analyser des questions plus vastes que le domaine du pouvoir de Simko. Les événements les plus importants sont la révolution constitutionnelle d'Iran en 1906, la révolution d'octobre de Russie en 1917, et enfin la question kurde dans le règlement de la première guerre mondiale.
Mais dans quelle mesure et comment ces événements ont-ils des effets sur l'ascension du pouvoir de Simko et son insurrection ? C'est le sujet que nous avons voulu approfondir.
La révolution de 1906 causa non seulement des changements en Iran, mais aussi des évolutions, l'apparition de nouvelles idées socio-politiques (nationalisme) dans la société iranienne. Cela nous amène à une importante recherche, depuis cette période jusqu'à la première guerre, mondiale, sur la question de la situation socio-politique des Kurdes - côté Iran. Quelle est leur place, surtout celle de la famille de Simko, dans tous les faits qui se succèdent ? Quelle est leur position par rapport aux interventions et influences des Etats étrangers dans la région ?
Pourquoi la plupart des révoltes, des soulèvements des chefs des tribus kurdes contre le pouvoir central d'Iran sont-ils toujours effectués par la famille de Simko ?
Est-ce que la révolution de 1906 en Iran est la cause d'apparition de nouvelles idées politiques dans la société kurde, y compris le pays de Simko ? Quelle relation y a-t-il entre le pouvoir montant de Simko et ces événements, notamment la révolution de 1906 ?
La deuxième période historique de l'insurrection de Simko s'est passée pendant la grande guerre jusqu'aux années 1920-21 en Iran et dans le Pays de Simko.
Les points importants en sont une modification des éléments pendant ces années, pour que Simko arrive au pouvoir et organise sa révolution. La révolution d'octobre 1917 en Russie fait apparaître de nouvelles idées révolutionnaires et des mouvements nationaux de liberté au Moyen-Orient et en Asie Centrale.
Le Pays de Simko a-t-il profité de ces éléments ? Les mouvements nationaux en Iran et l'insurrection de Simko sont-ils en relation avec la révolution d'octobre ?
Par suite de la fin de la guerre et de la paix mondiale, la question kurde, nous l'avon., dit, devient internationale ; ce fait influence-t-il les rapports entre Simko et le gouvernement central d'Iran, et a-t-il amorcé son insurrection ? Ce sont des points importants dans cette partie de notre travail, ainsi que mettre l'insurrection à exécution, établir son pouvoir personnel dans la région, pour Simko, puis la fin (1920-1930) son ; des faits primordiaux.
L'étude et l'analyse de cet ensemble, de cette période historique, expliqueront beaucoup de questions, et donneront la réponse aux questions clés déterminant, la révolte de Simko en général.
Nous avons essayé, en étudiant totalement la vie de Simko, de donner une réponse sur tous ces points et de les mettre en lumière.
Quelle peut être, en principe, la raison de cette insurrection ? Est-elle l'opposition d'un chef de tribu kurde, profitant du mécontentement des autres chefs des tribus de ce même pays contre l'oppression du Gouvernement Central ?
Est-elle le seul stimulant de la révolte, sans avoir un but précis, sinon de profiter des occasions des conditions politico-militaire dans la région ?
Quelle est donc la nature fondamentale de cette insurrection ? Estelle tribale ou nationale ? ou un mélange de ces deux buts ?
Par ailleurs, quelle était la raison primordiale de ce mouvement : indépendance complète ? autonomie territoriale au sein d'un régime iranien autonomie culturelle dans le cadre d'un Etat central ou non ? Simko voulait il renforcer son pouvoir à la tête de la Confédération Sekkak et gouverner un pays qu'il voyait comme la propriété privée de sa famille antérieure ?
A notre avis la plupart des problèmes et des questions sur Simko sont contenus dans l'interrogation suivante : pourquoi et comment cette révolte est-elle vaincue et pourquoi Simko n'a-t-il pu conserver son pouvoir plus de deux ans.
Est-ce que cette défaite est liée aux problèmes internes de société du pays ?
Est-ce que les changements des formations politico-militaires en Irai et la situation politique mondiale peuvent être les raisons de l'échei ? ou peut-être les deux ensembles ?
(1) Charte des Nations Unies (art. I et suivants) : le droit de l'autodétermination est reconnu. 2625/XXV de l'Assemblée Générale des Nations Unies, du 24 octobre 1970.
Premiere Partie
Introduction Historique
Mise en Place de l'Ensemble du Moyen-Orient et de l'Asie Centrale
L'insurrection de Simko a éclaté dans l'une des régions de l'ensemble du Moyen-Orient et de l'Asie Centrale.
Les Kurdes sont l'un des peuples de cette partie du monde. Il e3t. donc nécessaire de mieux connaître ce peuple et le pays de Simko. Nous présentons d'abord un aspect général de l'ensemble du Moyen-Orient et de l'Asie Centrale : géographie, histoire du peuplement, langues et religions, jusqu'au XIXe Siècle. A cette époque, parmi les différents peuples de cette grande région du monde, que peut être le Kurde ?
Considérant que le soulèvement de Simko est constitué sur la base tribale, qu'est-ce alors qu'une tribu kurde à la fin du XIXe siècle ?
Chapitre I : Zones Geographiques
1. Caractère géographique et climatique
A. Relief(1)
En partant de l'ouest, la dernière avancée asiatique se termine dans la Méditerranée. Bordée au nord par des chaînes de moyenne importance : Cappadoce, chaîne Pontique, elle se termine au sud par la chaîne du Taurus. Une grande steppe s'avance au sud, longeant une profonde dépression où coule le Jourdain (lac de Tibériade et mer Morte), jusqu'au delta du Nil. Celui-ci forme la frontière qui sépare l'Afrique de la Péninsule Arabique désertique, plate et chaude. A l'est, cette steppe se termine contre la Mésopotamie, "pays entre les deux fleuves", le Tigre et l'Euphrate qui prennent leur source dans la chaîne Pontique, aux abords de la mer Noire. Longeant la haute chaîne du Zagros, ils se jettent par un détroit commun dans le Golfe Persique.
Le Zagros est en forme d'arc. Sa longueur atteint 1.800 km sur environ 250 km de large avec des points culminants de A.000 à 4.500 m au Zardeh Kouh. Le Zagros s'abaisse peu à peu dans les bassins du Fars pour se joindre aux chaînons du Baloutchistan à l'est.
Au nord, frangeant le sud de la mer Caspienne, se trouvent la chaîne de l'Alborz (Damavand 5.678 m), l'Alam Kouh et les monts Khorassan qui rejoignent à l'Est 1'Hindoukouch (6.250 m) jusqu'au Pamir (700 m) (2).
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(1) Voir : Planhol X. : Les fondements géographiques de l'histoire de l'Islam. Paris 1968, en français.
(2) The Cambridge history of Iran, vol. I, "Land of Iran", London, New-York, Mem Rochell. édition Ily Gershevitch. Cambridge University Press - First Publish 1985, en anglais.
