Vieille de quelque trente-cinq siècles et de loin antérieure à l’Iliade et au Mahâbhârata, l’Épopée de Gilgames est la première oeuvre littéraire connue à qui son ampleur, sa force, son souffle, sa hauteur de vision et de ton, l’éminent et l’universel de son propos aient valu, dans tout le Proche-Orient ancien, une célébrité millénaire et, dans notre jugement à nous, le titre d’« épopée ». Elle conte l’histoire d’une grande amitié, source de surhumaines réussites, mais qui, tragiquement amputée par la mort, jette le survivant, le grand roi Gilgames, dans une recherche désespérée, mais vaine, du moyen d’échapper au trépas. Sur ses tablettes d’argile, depuis qu’au propre berceau de l’assyriologie, voici moins de cent cinquante ans, on en avait retrouvé les premiers lambeaux, le texte de cette composition fascinante n’a cessé, d’année en année, de se compléter de trouvailles nouvelles, et de se mieux entendre, replanté dans son dense et profond humus culturel natif. Il fallait qu’un assyriologue, vieilli dans son métier, en mît au net la teneur la plus complète possible ; en revît la traduction, à la hauteur de son lyrisme auguste ; en expliquât, d’un mot, mais clairement, les exotismes, les silences et les subtilités, livrant ainsi au public de langue française démuni une édition à jour pour lui révéler au mieux ce chef-d’oeuvre admirable el presque secret. Son travail n’ouvre pas seulement une grand-porte dans les puissants remparts qui défendent l’altière civilisation mésopotamienne, notre plus vieille aïeule ; il permettra aussi d’y retrouver, dans un discours et un imaginaire pourtant bien loin des nôtres, deux ou trois grandes valeurs universelles de notre condition humaine, qui comptent toujours à nos yeux : le prix de l’Amitié, même si nous la savons périssable, comme tout, ici-bas ; et le sens de la Vie, même si elle ne nous est accordée que pour se trouver, elle aussi, trop vite effacée par la Mort.
Table des matiers
Note liminaire / 7 Indications pour la lecture / 9 La Mésopotamie de l’Épopée de Gilgamel / 11 Rapide esquisse de l’histoire mésopotamienne ancienne / 12 Cosmographie mésopotamienne / 13 Courte bibliographie / 14
Introduction / 17 Le Héros Et Sa Légende / 19 Le Heu et le milieu où est née l’Épopée / 19 Le héros : GilgameS / 21 La légende / 25 Les légendes en sumérien / 27
L’épopée / 35 La Version ancienne / 37 Les tablettes de Philadelphie et de Yale / 38 Les fragments de Baghdad et de Chicago / 40 Les morceaux de Berlin et de Londres / 40 Que ces débris supposent une histoire suivie : l’état originel de l’Épopée / 41 Remaniements et diffusion / 45 Sur place : la tablette d’Ur / 45 À l’étranger / 46 Emar / 46 Megiddo / 46 En pays hittite / 47 Le texte en akkadien / 47 La Version hittite / 47 La Version hurrite / 48 La Version ninivite / 49 Son « auteur » et sa date / 51 Le « supplément » de la tablette XII / 53 Derniers échos / 55 La redécouverte et la présente traduction 56
La version ninivite Tablette I : Les deux héros / 63 Tablette II : La rencontre, l’amitié, le projet d ’aventure / 82 Tablette III : Préparatifs et départ / 92 Tablette IV : Le voyage / 98 Tablette V : Prouesses et victoire / 111 Tablette VI : Nouveau triomphe et démesure : le Taureau-céleste / 122 Tablette VII : La mort d ’Enkidu / 135 Tablette VIII : Les funérailles d ’Enkidu / 148 Tablette IX : Gilgamel à la poursuite de la vie-sans-fin / 156 Tablette X : L ’arrivée au but / 165 Tablette XI : L ’échec et le retour a la vie ordinaire / 183 Tablette XIII : Autre version de la mort d ’Enkidu / 206
Fragments de la version ancienne
Fragments Antérieurs au Milieu du IIe Millénaire / 219 Tablette de Philadelphie / 219 Tablette de Yale / 232 Fragments de Baghdad et de Chicago / 246 Un rêve prémonitoire de Gilgamel / 246 Troisième et quatrième rêves prémonitoires / 248 Épisodes de la lutte contre Huwawa / 250 La victoire sur Huwawa / 250
Morceaux complémentaires de Berlin et de Londres / 255
Fragments d’Après le Milieu du IIe Millénaire / 263 Dans le pays / 263 Tablette d’Ur / 263 À l'étranger / 268 Morceaux d’Emar / 268 Fragment de Megiddo / 272 Dossier hittite de Boghazkôy / 274 Fragments en langue akkadienne / 274 Restes de la Version hittite / 281 Mise au monde de Gilgamel / 281 Enkidu au désert / 282 Enkidu et Gilgamel / 283 L ’expédition à la Montagne aux Cèdres / 283 Le combat contre Huwawa / 284 Le rêve fa ta l d ’Enkidu / 286 La Tavemière / 287 Le Nocher d’Utanapïstî / 288 Il y aurait, dan cette Oeuvre / 291
NOTE LIMINAIRE
Sans parler du beau travail qui se prépare, à Munich notamment, sur quelques légendes sumériennes de Gilgames, on annonce, tout au moins, à Jérusalem, résultat de la collaboration entre l’École biblique et archéologique française et l’Université hébraïque, une édition et une traduction critiques, préparées depuis d’interminables années, de l’Épopée de Gilgames en tous ses fragments et témoins; et, à Londres, une réédition complète du matériel cunéiforme entier qui la concerne, apographié, pour remplacer, en beaucoup mieux, l’antique et démodé, mais utile en son temps, Epie of Gilgamish, de R. C. Thompson (paru en 1930 !). Les assyriologues seront donc servis.
Aussi, sans trop penser d’abord à eux, ai-je préféré (après avoir étudié de près pendant quatre ans ce texte fameux à l’Ecole pratique des hautes études) m’appliquer ici à une mise en français, suffisamment à jour, mais adressée premièrement aux « autres », aux non-professionnels, auxquels les spécialistes farouches, enfermés dans leur impénétrable casemate, ne rendent pas souvent visite. Je m’en suis tenu aux mêmes principes de traduction définis p. 16 s. de Lorsque les dieux... (voir du reste ici, p. 57 s.).
La dernière présentation de l’Épopée de Gilgames dans notre langue, par un assyriologue réputé, un grand maître, René Labat (t 1974), a paru en 1970 dans Les Religions du Proche-Orient asiatique (aujourd’hui épuisé), p. 145-226 h Elle avait pour objet la Version ninivite, n’y intercalant, pour en compléter les lacunes, que des extraits des principaux témoins alors connus de la Version ancienne. Cette traduction, reproduite depuis, plus ou moins mot pour mot, en deux ou trois ouvrages, pouvait être améliorée, çà et là, comme c’est obligatoirement le cas dans une discipline aussi liée que l’assyriologie aux découvertes fortuites et au dies diem docet ; elle pouvait être, aussi, complétée de toutes les pièces, connues à ce jour, et traduisibles, de l’important dossier que nous avons accumulé, et qui n’a jamais été encore, comme tel, livré au public de langue française. On pouvait surtout tenter de l’ouvrir à tous par un certain nombre d’explications et de gloses concernant bien des points qui restent, forcément, de soi, inaccessibles aux profanes.
Encore une fois, c’est d’abord à eux que j’ai pensé, en préparant ce livre. Il n’aurait jamais vu le jour sans les encouragements et les secours amicaux de J. Cotin et J. Grosjean, avec lesquels, je dois le dire, il est bien agréable de travailler ! La première idée de cette présentation de l'Épopée, je la dois pourtant à l’ami L. Evrard. On sera bien d’accord avec moi pour les remercier également tous les trois !
Introduction
L’Épopée de Gilgamel est un de ces monuments mutilés, que les fouilleurs ont débarrassés de leur pesant linceul de terre et dont ils tombent amoureux, tant leur galbe brisé est, à la fois, séduisant par soi-même et porteur de beaux rêves par ce qu’il laisse deviner de leur magnificence première.
Antérieure de plusieurs siècles à l’Iliade et au Mahâbhârata, c’est la plus vieille œuvre littéraire connue à qui l’ampleur, la force, le souffle, la hauteur de ton, l’éminent et l’universel du sujet aient mérité d’emblée le noble titre d'épopée. En son intégralité, elle devait faire dans les trois mille vers. Il ne nous en est parvenu, à ce jour, qu’un peu moins des deux tiers, en morceaux. Mais ces fragments, par pure chance, ont été si raisonnablement distribués tout au long de sa trame que nous en discernons encore assez bien la séquence et la trajectoire. Et même ainsi entrecoupé, ce cheminement nous fascine.
Dans les aventures prodigieuses d’un grand homme qui ne voulait pas mourir, nous découvrons, d’abord, sur le plan de notre vie personnelle, comme un stimulant, par l’exemple, sinon à nous résigner avec courage au sort funeste qui nous attend tous, du moins à nous en accommoder, puisqu’il nous laisse, entre-temps, une existence par elle-même assez prometteuse.
A un second degré de lecture : dans l’intérêt, non plus de la conduite de notre propre vie, mais de la connaissance de notre passé et de la retrouvaille de nos pères, ces craintes, ces rejets, ces angoisses devant l’inéluctable trépas ; ces efforts inouïs et vains pour le transcender ou en évacuer la cause; et puis, cette façon de baisser la …
Jean Bottéro
L’Epopée de Gilgames
Gallimard
Éditions Gallimard L’Epopée de Gilgames Le grand homme qui ne voulait pas mourir Traduit de, l ’akkadien et présenté par Jean Bottéro
Composition Charente Photogravure. Achevé d'imprimer par la Société Nouvelle Firmin-Didot à Mesnil-sur-l'Estrèe, le 5 juillet 2000. 1er dépôt légal : mars 1999. Dépôt légal : juillet 2000. Numéro d'imprimeur : 51955.