L’Ethnographie : Le Mariage Chez Les Kurdes
Mohammad Mokri
Paul Geuthner
La constitution de la famille par le mariage est à la base de la vie religieuse et sociale des Kurdes. En effet, le mariage est un acte sacré, recommandé par la religion ; le rôle joué par le chef de famille revêt à l’origine un caractère quasi-sacerdotal. Tout ce qui demeure plus ou moins enseveli dans la conscience populaire concernant la sacralité qui s’attache à la notion de foyer vient renforcer cette valeur profonde et cette signification morale du mariage.
Comment acquérir un foyer, comment s’assurer que ...
Le mariage chez les Kurdes
Par Moh. Mokri
I. — Constitution de la famille.
1. Aspect religieux.
2. Aspect social et économique.
3. Mariages consanguins.
4. Endogamie.
5. Exogamie.
6. Naissance et privilèges.
II. — Préparation du mariage.
1. Idéal du mariage.
2. Désir de se marier.
3. A la recherche de l’épouse.
4. Rencontre en milieu rural.
5. Les éloges-types :
A) Eloge de la jeune fille
B) Eloge du jeune homme.
6. Quelques dits amoureux.
III. — Description du mariage.
1. Marchandages matrimoniaux.
2. Demande en mariage et cérémonie des fiançailles dans les villages.
3. Contrat ou mâra brïn.
4. Accueil et échange de cadeaux.
5. Cérémonie de don des vêtements.
6. Cérémonie du henné et du hammam.
7. Cérémonie du rûmat gerden ou épilation du visage.
8. Le sur, fête des épousailles.
I. — Constitution de la famille
1. — Aspect religieux.
La constitution de la famille par le mariage est à la base de la vie religieuse et sociale des Kurdes. En effet, le mariage est un acte sacré, recommandé par la religion ; le rôle joué par le chef de famille revêt à l’origine un caractère quasi-sacerdotal. Tout ce qui demeure plus ou moins enseveli dans la conscience populaire concernant la sacralité qui s’attache à la notion de foyer vient renforcer cette valeur profonde et cette signification morale du mariage.
Comment acquérir un foyer, comment s’assurer que la flamme en sera perpétuée, sans fonder une famille par le recours au mariage ?
L’islamisation des régions qui nous occupent a tout au plus modifié les apparences de cette foi ancienne dont les traits essentiels se sont transmis jusqu’à nos jours par les coutumes.
Le mariage a même revêtu l’aspect d’un devoir religieux ; c’est la raison pour laquelle les jeunes gens y sont exhortés par leur entourage qui leur fournit au besoin les moyens matériels d’y parvenir.
Le mariage est considéré comme « un acte méritoire, une œuvre pieuse », et le contrat qui l’établit symbolise l’Alliance prééternelle de Dieu et des Hommes, dont l’union des époux est le reflet temporel. C’est ainsi que chez les Kurdes « Fidèles de Vérité », les termes de shart et iqrar, synonyme de pacte et d’alliance entre Dieu et les hommes, désignent aussi cette alliance terrestre qu’est le mariage. Et, de fait, en se mariant, l’individu entre dans la grande assemblée humaine qui est liée à la permanence du cosmos.
Ne nous attardons pas à l’universalité de ce thème, ni à son origine lointaine ; signalons-en seulement deux interprétations, à savoir celle du Coran et celle des Ahl-e Haqq :
Le Coran révèle qu’au jour du « Covenant » Dieu interpella ainsi les semences de l’humanité future encore dans les reins d’Adam : « Suis-je votre Seigneur ?» — « Oui », répondirent-elles. Par cet acquiescement fut conclue l’alliance de Dieu et des Hommes.
Selon les Ahl-e Haqq, au début de la création du monde invisible, Dieu créa une Perle et fit surgir cinq anges de sa propre Essence ; à chacun un rôle fut dévolu et après que tous eurent donné leur consentement, un pacte scella l’alliance de Dieu et des anges, premiers représentants de l’humanité. Cette première alliance servira de modèle au pacte de chaque croyant dans l’Assemblée des Fidèles. L’acte du mariage imite en quelque sorte le pacte initial, car en se mariant les deux conjoints renouvellent cette communion. En effet, le jour du mariage, il est demandé aux deux époux de donner leur consentement en prononçant un « oui » qui rappelle avec toute sa force symbolique le « oui » primordial.
Une autre marque de la sacralité du mariage repose dans ce qu’il perce « la perle de la virginité ». Dans une étude sur « Le symbole de la perle dans le folklore persan et chez les Kurdes Fidèles de Vérité (Ahl~e Haqq) » (1), nous avons montré l’importance de la perle intacte née, d’après le folklore iranien, d’une goutte de pluie tombée du ciel dans une coquille, entr’ouverte pour la recevoir, à l’image de la matrice dans laquelle pénètre le liquide séminal. La ressemblance de la coquille de l’huître et des organes génitaux de la femme a inspiré un grand nombre de mythes sacrés dans plusieurs traditions, notamment iranienne, hindoue et grecque. Cette dernière possède le célèbre mythe de la naissance d’Aphrodite. D’ailleurs, pour les Kurdes Fidèles de Vérité, ce symbole revêt une dimension cosmique : le cosmos s’est présenté à l’origine sous la forme d’une perle née de l’essence même de Dieu.
Si la virginité représente en quelque sorte un tabou, c’est seulement un aspect du caractère sacré de la féminité, qui ajoute encore à la sacralité du mariage. Ce n’est qu’en se purifiant par un acte religieux, le mariage, qu’on peut approcher de la femme.
Enfin la croyance au génie du mariage, frishta-y Nikâh, illustre la forme religieuse de l’acte et rappelle les anciennes divinités iraniennes, honorées à travers les grandes forces naturelles.
Mais le lot du célibataire est le péché, c’est pourquoi le sol tremble …
(1) Journal Asiatique, Paris, apnée 1960, pp. 463-481.
Mohammad Mokri
Le Mariage Chez Les Kurdes
Librairie Orientaliste Paul Geuthner
Librairie Orientaliste Paul Geuthner
Société d’Ethnographie de Paris
L’Ethnographie
Le Mariage Chez Les Kurdes
Nouvelle Série. N° 56
Année 1962
Société d’Ethnographie de Paris
Fondée en 1859 par Claude Bernard
Reconnue comme établissement d’utilité publique en 1880
L’Ethnographie
Publication éditée avec le concours
du Centre National de la Recherche Scientifique
Librairie Orientaliste Paul Geuthner
12, Rue Vavin, PARIS (VIe)
1962
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