Pirtûkxaneya dîjîtal a kurdî (BNK)
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La Perse d'aujourd'hui


Nivîskar : Eugène Aubin
Weşan : Armand Colin Tarîx & Cîh : 1908, Paris
Pêşgotin : Rûpel : 444
Wergêr : ISBN :
Ziman : FransizîEbad : 100x175 mm
Mijar : Dîrok

La Perse d'aujourd'hui

LA PERSE
d'aujourd'hui

CHEZ LES KURDES
D'Ourmiah à Saoudj-Boulak. — Le district de Soldouz. — Village offert en pichkech. — La migration des Karapapaks — En pays kurde. —Kérim Agha. — Tamacha ; musique ; jeu de taghaléh. — Mokris et Deh-Bokris. — Le tombeau de Pir-Boudaq-Sultan.—Le commerce de Saoudj-Boulak. — Le sunnisme persan : le mufti chaféi ; le chef des confréries religieuses. —  anse nationale : le ichioupi. — Les « diseurs de chansons ». — Poésie kurde. — Contestations de frontières. — Le village de Kadr Agha. — Hospitalité kurde ; chants de bienvenue. — Le sacrifice du mouton. — Le « joli garçon » de Kerbé Réza Khan. — La plaine de Miandouab. — Méragha. — Le prétendu tombeau d'Houlagou. — La tribu des Moghaddams. — Un mourchid Németoullahi. — Chez le prince Imam Kouli Mirza. - Dehkargan. — Retour à Tauris.

TABLE DES MATIERES


CHAPITRE PREMIER

Sur le chemin de Tauris
De Kazvin à Tauris. — Affectation d'un village aux dépenses de cour. — La propriété en Perse. — L'organisation des villages. —Le grand chemin des invasions mongoles : le dialecte turc azéri. — Le caravansérail d'Hoséinabad. — Dans la vallée de l'Abhar-Roud ; Soltanieh.'—La province de Khamseh.—Zendjan. — Les caravansérails de Schah-Abbas. — La poste
persane : le tchapar-khaneh d'Akmézar. — Pèlerinage à Kerbéla ; le conducteur des pèlerins. — Le pont de la Jeune Fille. — Passage du Kaplan-Koh. — La tribu des Chakkakis. — Mianeh. — Le district de Garmaroud : les villages et leurs propriétaires. — Arrivée à Tauris / 1


CHAPITRE II

Tauris
L'Aïnal-Zeïnal ; les litanies des Imamzadés. — Tauris son histoire, ses monuments. — La capitale des Mon gols. — La Mosquée Bleue. — Le titre de la ville. — L'administration de Naïeb-os-Saltaneh. — La résidence du prince héritier. — Les écuries princières. — Bagh-ech-Chémal. — La maison du Vélicahd. — Le gouvernement de l'Azerbaïdjan ; le pichkar ; Nizam-os-Saltaneh. — Les grandes familles de Tauris. — La révolution. — Le commerce du bazar ; l'industrie des tapis. — La communauté arménienne.
— La colonie française. — L'école Lochmanieh / 24

CHAPITRE III

Autour du lac d'Ourmiah
Le lac d'Ourmiah. —Mélange de religions et de races. — Les usages de l'hospitalité persane. — Le gouverneur de Mérand.—Khoï.— Une.ville de province en Perse : l'organisation d'une « petite province ». — Le Naïeb-ol-Houkoumeh. — Le grand Moudjtéhed. — Le tombeau de Hadji-Mir-Yakoub. —Chems-i-Tabriz et Mollah Roumis. — La Deutsche Orients Mission. — Salmas. — Les Kurdes Chakkaks.—Tours mongoles. — Arméniens et Chaldéens. — Les villages d'Heftewan et de Khosrowa. — Une mission suisse. — Sculpture Sassanide. — Kouchtchi et la plaine d'Anzel. — Ourmiah. — Le commerce des raisins secs. — La tribu des Afchars. — Une ville de missionnaires : Lazaristes, Presbytériens, Anglicans, Orthodoxes. — Le passage des Nestoriens à l'orthodoxie. — Les chrétiens sous le régime persan / 47

CHAPITRE IV

Chez les Kurdes
D'Ourmiah à Saoudj-Boulak. — Le district de Soldouz; village offert en piclikech. — La migration des Karapapaks. — En pays Kurde. — Kérim-
Agha. — Tamacha : musique, jeu de taghalé. — Mokris et Deh-Bokris. — Le tombeau de Pir-Boudak - Sultan. — Le commerce de Saoudj-Boulak. —
Le sunnisme persan : le mufti chaféi ; le chef des confréries religieuses. — Danse nationale : le tchioupi. — Les « diseurs de chansons ». — Poésie
kurde. — Contestations de frontières. — Le village de Kadr-Agha. — Hospitalité kurde : chants de bienvenue. — Le sacrifice du mouton. — Le « joli garçon » de Kerbé Réza Khan. — La plaine de Miandoua. — Méragha. — Le prétendu tombeau d'Houlagou. — La tribu des Moghaddams. — Un mourchid Nécmetoullahi. — Chez le prince Imam Kouli Mirza — Dehkargan. — Retour à Tauris / 76

CHAPITRE V

De Tauris à la Caspienne
De Tauris à Ardébil. — La province de Sérab. — La tribu des Schah-Seven ; son origine ; sa répartition. — Les fractions établies dans le Savalan-Dagh: leur organisation. — Ardébil. — Un entrepôt du commerce russe dans le Nord-Ouest de la Perse. — Arméniens et Juifs. — La dynastie Séfévie. — Le « tombeau du Cheikh. » — Le Trésor de la Mosquée. —La « famille du Cheikh ; Seyyed Ahmed, le « chef des serviteurs ». — Bénéfices des Seyveds Séfévis ; le pèlerinage. — Le Taliche. — Les Olouflou. — Le district de velkidj. — Le Khan de Namin ; Saremes- Saltaneh. — Villages sunnites. — La route d'Astara: la forêt des régions caspiennes. — Le commerce du port. — Pêcheries russes. — D'Astara à Enzeli. / 103

CHAPITRE VI

Le changement de règne
La mort de Mouzafîer-ed-Din-Schah.—Le Gulistan. — Le Talar des Brillants. — Cérémonies funèbres. — Translation provisoire du corps au tékié. — Le Khatm. — L'enterrement se fera-t-il à Kerbela? — Le couronnement de Mohammed cAli Schah. — La tiare des Kéyaniens. — L'astrologue du palais. — La salle du Musée. — Le trône de Feth Ali Schah. — La cour de Perse : les Moustofis ; la tribu des Kadjars. — Discours officiels : la Khotbé du prédicateur, la Kacidè du poète de Cour. — Téhéran illuminé. — Le Salam. du Roi des Rois. — Le Derbar : le trône de marbre. — L'Aïd-é-Kourban. — Sacrifice du Chameau. — Le sacrificateur représentant le Schah. — Désignation du nouveau Vélicahd.—La loi de succession dans la dynastie kadjare / 126

CHAPITRE VII

Le Chiisme
La Perse ancienne et moderne. — Après la conquête l’arabe, le chiisme restitue la nationalité persane. — Son évolution : tendance politique, secte religieuse, religion nationale. — Les douze Imams — L'Imamat et le Khalifat. — L'émigration des seyyeds et les débuts du chiisme en Perse. — Le Cheikh Séfi ; la dynastie des Séfévis. — La formation du dogme : la Trinité chiite, l'idée de la rédemption. — Le culte chiite : deuils et pèlerinages. — Les Katls. — La prédication de la Passion : rouzé khans et prédicateurs. — Les Hoséiniés. — Les processions de l'Achoura. — La représentation des mystères : les laziés du iékié royal. — L' « Auxiliaire des Larmes ». / 149

CHAPITRE VIII
La révolution persane

L'évolution de la question persane. — L'Iran. — Formation de la Perse moderne ; l'autocratie et la domesticité royale. — L'organisation du clergé chiite : les moudjteheds. — L'équilibre du pouvoir civil et du pouvoir religieux. — Le libéralisme en Perse : son origine et ses progrès. — Affaiblissement des pratiques religieuses ; diffusion du soufisme. — Pénétration des idées européennes. — Prépondérance de la langue française. — Organisation de services publics par des fonctionnaires étrangers. — Voyages du Schah en Europe. — Expansion du commerce persan. — Création d'une presse persane. — Les enseignements de la guerre russo-japonaise. — Nécessité d'un changement de régime. — La politique anglaise appuie la révolution. — Composition du parti libéral persan : il prend refuge à la Légation d'Angleterre. — Inauguration du Parlement. — Pénibles débuts du système constitutionnel. — Les crises locales : la révolution à Chiraz. — Les lois fondamentales. — Tiraillements entre la couronne et le Parlement

CHAPITRE IX

L'accord anglo-russe
L'arrangement du 31 août 1907. — L'organisation des deux influences rivales sur le territoire persan. — Routes russes et télégraphes anglais. — Prépondérance russe dans le nord ; contrôle anglais sur le golfe Persique. — Recul du commerce anglais. — Agitation consulaire. — Rivalité des deux légations à Téhéran. '— La question du Séistan. — Caractère des arrangements asiatiques de l'Angleterre et de la Russie. — Le principe de l'intégrité et de l'indépendance de la Perse. — La délimitation des zones d'intérêt.— Un nouvel état tampon sur la frontière de l'Inde. — La dernière chance de la Perse / 215

CHAPITRE X

Coutumes persanes
1. La musique, la danse, les « Loutis ».
La musique persane ; ses origines arabes. — La chanson de Zahir-ed-Dowleh.— Les musiciens. — Le nakarakhaiié. — Les troupes de danseurs; danses de jeunes garçons. »— La corporation du Louti-khané ; acrobates et prestidigitateurs. — L'école de filles de M. Richard-Khan. — Représentation de marionnettes.— Mourchid cAzim et Mourchid Taghi. — Les deux pièces du répertoire : Le Lutteur Chauve et Sultan Sélim / 229

2. Les Derviches.
Mendiants et Conteurs. La quête des Derviches au Norouz. — Le chef de la corporation : Nakib-ol-Memalek.—Kaksars et ‘Adjems.— Les mendiants. — Le tatouage des Kaksars et la légende de Seyyed Djelal. — Comment les Séfévis ont employé les cAdjems. — L'organisation de la confrérie : l'initiation, la patente de derviche. — Le derviche de la Légation de France : Hadji Ahmed. — Les aventures d'un nakkal / 237

3. Chasse au faucon.
La chasse en Perse.— Diverses espèces de faucons chasseurs: les « yeux noirs » et les « yeux jaunes ». — L'équipage d'Ikbal-ed-Dowleh. — L'éducation des faucons. — Chasse en montagne / 249

CHAPITRE XI

De Téhéran à Ispahan
Le concessionnaire de la poste du Sud. — La sortie de la capitale. — Le sanctuaire de Schahzadé ‘Abd-ol- Azim. — Koum. —Le tombeau de Fatémé; la «Présence Immaculée ». —La famille gardienne des Imamzadés.— Kachan. — L'autocratie d'un grand moudj tehed. — L'institution du Tiyyoul. — Un mignon du feu Schah, gouverneur de la province deNatanz. — Villages fortifiés et rayyetis / 256

CHAPITRE XII

Ispaban
Les origines d' Ispahan : la légende du Prophète Salomon et du div Gav-Khouni. — La ville des Séfévis. — Les voyageurs français du xviie siècle. Tavernier, Chardin. — Grandeur et décadence d' Ispahan : elle reste la seconde capitale religieuse du chiisme. — Le prince gouverneur: Zill-è-Soltan. — Son entourage, sa famille ; vieux errements.—Les jardins de Baghé-no. —Behram Mirza.—La révolution à Ispahan.—La rivalité du prince et du grand Moudjtehed: Agha Nedjéfl. — Journées d'émeute.— Les monuments Séfévis : la Place Royale, la « Sublime Porte », le pavillon des 40 colonnes.— Lemédresseh deTchahr Bagh.—La fabrication des Kalemkiars.—Les ponts du Zendeh-roud.—Le cimetière du Takté-Poulad. — Les babas de l'Iran. — Djoulfa, le faubourg chrétien d' Ispahan. — L'émigration arménienne du xvne siècle. — Prospérité commerciale. — Destruction et renaissance de Djoulfa. — Le diocèse Indo-Persan. — La cathédrale de Saint- Sauveur. — L'influence anglaise. — Missions catholiques. — Les Juifs d' Ispahan ; la plus ancienne juiverie de l' Iran. — Les lois de Schah cAbbas. — Les rigueurs du chiisme : l'impureté des non-musulmans. — Relèvement des Arméniens et des Guèbres. — Le judaïsme en Perse : l'oeuvre deYAlliance Israélite Universelle / 272

CHAPITRE XIII
A travers rcIrak-cAdjémi

D' Ispahan à Sultanabad. — Les « minarets branlants» de Koladoun. — Les muletiers de Sédé : notre caravane ; Kerbélaï Mohammed Ibrahim. — Le village de Tchalé-Siah. — La route méridionale du pèlerinage aux Lieux Saints. — Le conteur de Déhakh : Behzad et Ibrahim, ou le bienfait récompensé.— Le district de Dor. — Les provinces de Golpaigan et de Kamareh. — Le médecin juif de Vertcha ; la médecine en Perse. — Sultanabad : les tapis de l'Irak, la maison Zigler-Hadji Agha Mohsen. — De Sultanabad à Kermanchah. — En pays turc : Dizabad. — La province de Melayir. — Le Norouz ; célébration de la fête nationale de l'Iran. — L'«année du poulet ». — En famille, chez le Ketkhoda de Frasfardjé / 301

CHAPITRE XIV

La province de Kermanchah
Kengaver."— Le rocher de Bisoutoun. —Le Kavehkhaneh de Hadjiabad. — La révolution à Kermanchah ; le gouverneur révoqué quitte la ville ; Yabdari. — Daulet-Schah. — Le commerce de Kermanchah avec Bagdad. — Au confluent du pèlerinage. — Transit de cadavres. — L'hôpital des pèlerins. — Le Kurdistan méridional.—La secte des °Ali-Allahis.—MirzaSaleh. —La légende de Noséir. La population de la ville: les familles de Khavanin. — Cuisine persane. — Le Takht-é-Bostan / 323

CHAPITRE XV

Les portes du Zagros
Départ de Kermanchah. — Mendicité. — La plaine de Mahidecht. — Calhors et Kérendis. — Derviche Darab, dit « Papillon », et le « Sabre des Seyyeds ». — Journées de pluie. — Serpol ; Németoullah Khan. — Le campement des Souzmanis ; les tsiganes en Perse. — Kasr-i-Chirine. — La tribu des Sendjabis. — A l'extrême frontière :Kalé-Sebzi. —L' cIrak-°Adjemi
et l' cIrak cArabi. — De la montagne au Diala. Hannéguin. — Les difficultés du voyage en temps d'inondation. — Bakouba. — Arrêtés par la crue du Diala. — Le retard des pèlerins. — Le passage de la rivière. — Arrivée à Bagdad en Kouffah / 341

CHAPITRE XVI

Les villes saintes
La ville chiite de Kazeméin. — Les tombeaux des 7e et 9e Imams. — Le caractère de Mousa Kazem. — Le pèlerinage de Samarra. — De Bagdad aux Lieux Saints. — Entre le Tigre et l'Euphrate. — Hillé. — Le berceau d'Abraham et la tour de Babel. — Les ruines de Babylone.—Kerbéla. —Le champ des Martyrs : le sacrifice des Alides. — Les traditions et l'origine des pèlerinages. — Les tombeaux d'Hoséin et d' cAbbas.—Le culte du 3e Imam.—L'administration des sanctuaires : Kilitdars et serviteurs. — Le séjour de Kerbela. — Pieux commerce : linceuls» et terre sacrée. — La société de la ville sainte : les moudjteheds : Persans et Indiens. — Le vice-consulat d'Angleterre. — De Kerbéla à Nedjef. — Le tombeau d' cAli. — La personnalité du 1er Imam. — Les anges transporteurs.—Le grand pontife du chiisme : Akhound Mollah Kazem-è-Khorassani. — Ses décisions favorables à la révolution persane. — L'école théologique de Nedjef. —Le cimetière de Ouadi- Sélam . — Koufa / 361

CHAPITRE XVII

A travers l’Irak-‘Arabi
Le village de F Imam-Aczam : le tombeau du Cheikh Hanéfi. — Bagdad. — Le mouvement du Tigre. — Les restes de la capitale abbasside. — Arabes, Turcs, et Persans. — La maison-mère de l'ordre des Kadris ; le nakib-ol-echraf ; Seyyed cAbdourrahman. — Populations chrétiennes. — Le bulle du pape Urbain VIII et le siège latin de Babylone. — La communauté juive. — Les Nawabs indiens. — Le commerce de Bagdad : prépondérance anglaise ; activité allemande ; expansion de la culture française.— Le rêve pangermanique. — Difficultés de sa réalisation. — Salman Pak. — La descente du Tigre. — Le Chattel- Arab. — Bassora : commerce et navigation. — L'ordre des derviches hurleurs. — Le cheikh de Mohammérah. — La barre du fleuve / 405

PREFACE

La Perse était le dernier grand pays d'Islam que je n'eusse point visité. Les circonstances m'y amenèrent en juillet 1906 ; je le quittai dans les premiers jours de juin 1907 ; mon séjour dans l'Orient Moyen avait duré un peu plus de dix mois. A peine installé à Téhéran, j'entrepris dans l'Azerbaïdjan une tournée de sept semaines, qui me conduisit autour du lac d'Ourmiah; le 1er  mars 1907, je prenais la route du Sud vers Ispahan et Bagdad; après avoir visité les villes saintes du chiisme, je descendais le Tigre et rentrais en Europe par le golfe Persique.

Ce livre contient le récit de ces divers voyages. Bon nombre des chapitres qui le composent ont été publiés dans le Journal des Débats; quelques-uns parurent dans le Temps, la Revue des Deux Mondes, la Revue du Monde Musulman et le Bulletin du Comité de l'Asie Française.

Si la monotone traversée de l'Iran pèche parfois sous le rapport du pittoresque, elle emprunte un véritable attrait à l'étude des peuples iraniens, également favorisés par la nature et par l'histoire... Les ruines de Persépolis datent des Achéménides ; les rochers, sculptés dans la montagne, gardent le souvenir de Darius, des Sassanides et de Tamerlan; sous leurs enveloppes de faïence, les mosquées et les tombeaux témoignent du martyre des Alides et de la splendeur des Séfévis. Sur l'immense plateau désertique, l'Islam a greffé au vieux tronc mazdéen une religion spéciale, faite à l'usage de la nouvelle nationalité persane, en même temps qu'une culture si rare et si délicate qu'elle réussit à imprégner la civilisation musulmane toute entière. Malgré la déchéance des deux derniers siècles, il existe toujours un Roi des Rois, installé par une tribu turque sur le trône de Cyrus. Téhéran a remplacé les anciennes capitales de Tauris, Ispahan et Chiraz. Aux jours de cérémonie, le demi-dieu Kadjâr s'y révèle à la foule dans l'éclat des diamants et des pierreries. Les migrations de peuples, les morcellements de tribus, l'exploitation de la piété publique ou de la superstition populaire ont fait émerger une aristocratie puissante, à la fois civile et religieuse. La Perse travaille pour une poignée de grands seigneurs, d'une richesse considérable et d'une extrême distinction de manières. Les mollahs de l'Iran ont inventé les systèmes de théologie les plus subtils, les philosophies les plus hardies ; les confréries de derviches ont raffiné les doctrines soufies, en introduisant dans notre Orient la pensée de l'Inde. Dès le moyen âge, la poésie, le roman persans avaient produit leurs plus belles œuvres. Les héros du poème de Firdousi continuent à peupler la légende iranienne ; les gens de Chiraz persistent à vénérer les tombeaux de Sacdi et de Hafiz; la jeunesse s'en tient à la science de vie, qu'ils ont enseignée dans leurs vers... Au fond des couvents de l'Asie Mineure, les derviches tourneurs s'agitent au rythme du Mesnévi.


La race, formée par de tels maîtres, garde une prodigieuse élégance d'esprit, une intelligence facile, une réelle douceur de penser et de vivre, une immoralité qui s'affiche et un abaissement de caractère, trouvant son excuse dans une séculaire habitude de la servilité. La grandeur d'un lointain passé, le charme étrange du présent, ont éveillé les talents innés dans la masse des voyageurs : diplomates, officiers, missionnaires, commerçants et archéologues, qui se succédèrent en Perse depuis le xvne siècle. Plusieurs d'entre eux ont laissé des noms célèbres : sir John Malcolm et James Morier, parmi les Anglais; Chardin et le comte de Gobineau, parmi les nôtres. Si bien que la littérature relative à l'Iran est d'une extrême abondance et porte sur
les objets les plus divers.

Le hasard voulut que mon séjour en Perse ait coïncidé avec des événements considérables : la mort ed Mouzafîer-ed-Din Schah, l'avènement de Mohammed Ali Schah marquèrent la fin d'une autocratie remontant à l'aurore des temps ; la révolution persane inaugura le régime constitutionnel. En même temps, les négociations relatives à l'arrangement anglo-russe préparaient, sur le terrain international, une meilleure chance d'avenir à la Perse, dont elles garantissaient l'indépendance, en cherchant à la préserver de conflits futurs entre les rivalités voisines. J'ai eu la bonne fortune de pouvoir suivre de très près la série d'incidents qui se sont déroulés, en 1906 et 1907, à travers tout l'Orient Moyen, — en y provoquant les bouleversements les plus imprévus pour ceux qui n'avaient point observé, sur les lieux mêmes, la transformation des idées. Successivement, j'ai vu l'esprit nouveau envahir les principales villes de la Perse : d'abord, la capitale ; puis Tauris, Ispahan, Kermanchah et Chiraz. Sous une poussée presque insensible, sans heurt, sans secousse violente, s'effondrait la vanité des pouvoirs existants; un commencement de liberté s'établissait sur leurs ruines.

Mon trop court séjour en Perse ne m'ayant point laissé le loisir d'entreprendre sur ce pays une étude méthodique, j'ai dû me borner à le dépeindre tel qu'il m'était apparu tout le long de ma route et par le fait des événements survenus. A la lumière des incidents de chaque jour, je me suis efforcé de faire ressortir le caractère durable, avec les tendances actuelles de l'Iran.

De nombreuses complaisances m'ont permis de recueillir les notes nécessaires à la rédaction de ce livre. Mohammed Djacfer Mirza 1 a bien voulu m'accompagner dans tout mon voyage et me servir d'interprète; je dois à sa connaissance des choses persanes une multitude d'indications. C'est un Kadjar, issu de la famille régnante; son propre grand-père, le Prince Roukn-ed-Dowleh, fils de Feth-Ali-Schah, fut gouverneur de Mechhed et Kazvin; lui-même est rentré dans le commun par l'effet des générations et se trouve maintenant au service de l'administration des douanes. Les Français établis en Perse m'ont aidé de leur expérience; je dois spécialement mentionner MM. Nicolas, aujourd'hui consul à Tauris, et de Rettel, qui se sont succédés comme premiers interprètes, Mirza Ibrahim Khan, interprète indigène de la Légation de France à Téhéran. De même, M. Joseph Richard Khan, un Français musulman, né d'une mère persane et mieux placé que quiconque pour servir d'intermédiaire entre la recherche européenne et la société orientale. Seyyed Djemal-ed-Din, qui prêcha la révolution dans les mosquées de la capitale, s'est prêté à de longs entretiens sur l'organisation du Chiisme et l'évolution de l'idéejreligieuse en Perse, — tous sujets qui sont le fondement même d'une étude sur le mouvement actuel. Un autre prédicateur de Téhéran, Mollah Nasroullah Behechti (le paradisiaque), Mélek-ol Moutékellémin (le roi des prédicateurs) m'a prodigué les détails sur le culte spécial à l'Iran. Nizam-os-Saltaneh, alors gouverneur général de Tauris, m'a fourni de précieuses indications sur les tribus de l'Azerbaïdjan; les diverses autorités m'ont volontiers renseigné sur leur domaine propre. Mollahs et derviches se sont montrés prodigues de récits et de légendes ; les gens du métier m'ont parlé de la musique et de la danse; Iqbal-ed-Dowleh, qui possède à Téhéran le plus bel équipage, m'a décrit l'élevage des faucons; Morîn-é-Boka les taziés de la cour, dont il est le metteur en scène. Je dois remercier, en outre, M. Lucien Bouvat, bibliothécaire de la Société Asiatique de Paris, qui a bien voulu revoir les orthographes persanes, contenues dans ce livre, et M. G. Hutin, géographe-adjoint du ministère des Affaires Étrangères, qui a dressé la carte ci-jointe.

La vieille Perse achève de mourir ; une nouvelle est en train de naître. L'avenir dira si la révolution persane est capable de créer dans l'Orient Moyen un état de choses définitif. Seuls parmi les musulmans, les Persans ont l'avantage de former une nation compacte, douée des plus éminentes facultés naturelles. La déformation chiite de l'Islam, l'évolution des sectes issues du soufisme y peuvent faciliter le progrès des réformes. La race est patriote et sent vivement l'opportunité de l'heure actuelle, où le consentement des puissances intéressées, paraît favoriser la constitution d'un tampon solide entre les ambitions atténuées des empires de l'Asie.

La révolution persane, qui dure déjà depuis deux années, se prolongera, sans doute, longtemps encore. Le temps n'est plus des bouleversements rapides et l'évolution de l'Orient Moyen devra se faire aussi lente que celle de la Russie, dont, par la force des choses, les destinées réagissent sur les siennes. Le libéralisme persan est né dans un groupe restreint de mollahs philosophes et de gens cultivés, mis en contact avec l'Europe; l'appel, qu'ils ont fait à notre culture, leur attire naturellement les sympathies françaises. Ils ont à réaliser de longs efforts pour acquérir le maniement utile de la liberté, pour en inspirer le goût aux masses indifférentes. Il leur faut être des éducateurs de leur peuple, autant que des réformateurs de leur gouvernement. Le mouvement initié par eux se développera plus ou moins rapide, selon qu'il sera loisible au Souverain de le favoriser ou de le retenir. Mohammed Ali Schah est intelligent et énergique; il doit être patriote et désireux du bien public; il a, depuis son avènement, traversé des heures difficiles, causées par la rivalité persistante des agents anglais et russes, malgré l'arrangement intervenu entre les deux gouvernements. Puisse-t-il, par une entente équitable avec son peuple, par un juste équilibre entre les deux influences extérieures qui s'imposent à lui, réussir à assurer dans son royaume l'établissement durable du système constitutionnel !

1. Le mot Mirza, placé avant le nom propre, indique un homme cultivé, instruit. Placé après, il désigne un prince de maison régnante.

EUGÈNE AUBIN
LA PERSE
d'aujourd'hui

— IRAN. MÉSOPOTAMIE —

AVEC UNE CARTE EN COULEUR HORS TEXTE

PARIS
LIBRAIRIE ARMAND COLIN
5, RUE DE MÉZIÈRES, 5
1908

Droite de reproduction et de traduction réservée pour toui pays.

Published November 18th, nineteen hundred and eight.
Privilege of copyright in the United States reserved,
under the Act approved march 3 1905.
by Max Leclerc and H. Bourrelier, proprietors of Librairie Armand Colin.



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