Pirtûkxaneya dîjîtal a kurdî (BNK)
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Grammaire des prédicats complexes


Nivîskar : Pollet Samvelian
Weşan : Lavoisier Tarîx & Cîh : 2012, Paris
Pêşgotin : Rûpel : 330
Wergêr : ISBN : 978-2-7462-2365-3
Ziman : FransizîEbad : 145x230 mm
Hejmara FIKP : Liv. Fre. Sam. Gra. N° Mijar : Zimannasî

Grammaire des prédicats complexes

Grammaire des prédicats complexes

Pollet Samvelian

Lavoisier

La prédication complexe est un phénomène attesté sous diverses formes dans des langues très variées. Elle consiste à former des séquences syntaxiques fonctionnant comme un prédicat, c’est-à-dire un verbe simple.
Les données examinées dans cet ouvrage sont les constructions nom-verbe en persan. Ce dernier ne dispose que d’environ 250 verbes simples et son lexique verbal comprend essentiellement des prédicats complexes formés d’un verbe et d’un élément préverbal. Cela mène à une réflexion sur des phénomènes présents dans de nombreuses langues.
Grammaire des prédicats complexes expose notamment :
- la relation entre la compositionnalité et la productivité ;
- la compatibilité entre le stockage des expressions linguistiques complexes par les locuteurs et l’existence de schémas abstraits réguliers permettant d’analyser ou de produire ces mêmes expressions ;
- le parallélisme entre les procédés morphologiques et syntaxiques de la construction des lexèmes ainsi que la notion même du verbe lexical par opposition au verbe support.


Pollet Samvelian est professeur de linguistique à l’Université Sorbonne Nouvelle. Ses recherches portent sur la moiphologie, la syntaxe et la typologie linguistique. Elle travaille en particulier sur les langues iraniennes de l’ouest, notamment le persan.


Table des matières

Avant-propos / 11

Abréviations / 13

Introduction / 15

Chapitre 1. Mots ou syntagmes : un faux problème ? / 27
1.1. Introduction / 27
1.2. « Atome syntaxique » vs « listème » / 31
1.3. L’accent lexical unique / 34
1.4. Le prédicat complexe comme base de dérivation morphologique / 35
1.5. La (non-)séparabilité des membres du prédicat complexe / 40
1.5.1. Séparation par le complément prépositionnel du prédicat / 44
1.5.2. Séparation par un adverbe / 44
1.5.3. Séparation par le complément d’objet direct du prédicat / 46
1.6. La formation d’un prédicat sémantique / 53
1.7. Conclusion / 53

Chapitre 2. Les propriétés syntaxiques des prédicats nom-verbe / 55
2.1. Introduction / 55
2.2. L’ordre respectif par rapport aux autres constituants de la phrase / 57
2.2.1. Séparation par un complément prépositionnel / 58
2.2.2. Séparation par un adverbe ou d’autres modifieurs / 60
2.2.3. Cas particulier : constructions à double objet / 62
2.3. La position postverbale / 65
2.4. L’extraction de l’élément nominal / 68
2.5. Les infinitifs / 69
2.6. La construction passive / 72
2.7. La coordination et l’ellipse du nom et du verbe / 75
2.7.1. La coordination / 75
2.7.2. L’ellipse nominale et verbale / 77
2.8. Modification et détermination de l’élément nominal / 79
2.8.1. Modification, quantification et détermination exclues / 80
2.8.1.1. Les prédicats construits avec les noms verbaux / 80
2.8.1.2. Certains prédicats non compositionnels et/ou idiomatiques / 81
2.8.2. Modification, quantification et détermination possibles / 82
2.8.2.1. Le prédicat est compositionnel et l’élément nominal est un nom prédicatif / 82
2.8.2.2. Le prédicat est compositionnel et l’élément nominal est un nom concret / 83
2.8.2.3. Le prédicat est non compositionnel et/ou idiomatique / 85
2.9. Conclusion sur l’analyse syntaxique de la séquence nom-verbe / 86

Chapitre 3. La compositionnalité des prédicats complexes / 89
3.1. Introduction / 89
3.2. Une certaine transparence sémantique / 90
3.3. Des régularités dans l’association des verbes et des noms / 93
3.4. Les approches projectionnistes basées sur le transfert d’arguments / 97
3.5. Les approches constructionnistes / 104
3.6. Les problèmes pour une approche compositionnelle / 114
3.6.1. La variabilité de l’apport du verbe support / 114
3.6.1.1. Le verbe zadan ‘frapper’ / 116
3.6.1.2. Le verbe dâdan ‘donner’ / 123
3.6.1.3. Le verbe kardan ‘faire’ / 124
3.6.1.4. Le verbe gereftan ‘prendre’ / 126
3.6.1.5. Le verbe xordan ‘heurter’ / 128
3.6.1.6. Le verbe dâstan ‘avoir’ / 129
3.6.2. La variabilité de la contribution de l’élément non verbal / 131
3.6.2.1. La contribution des adjectifs / 131
3.6.2.2. La contribution des syntagmes prépositionnels / 132
3.6.2.3. La contribution des noms / 133
3.6.3. L’imprédictibilité du contenu sémantique du prédicat / 135
3.6.4. Les idiosyncrasies dans les combinaisons nom-verbe / 139
3.7. Un autre type compositionnalité / 146
3.7.1. Les combinaisons idiomatiques / 147
3.7.2. Un exemple : le verbe kesidan ‘tirer’ / 149
3.7.2.1. kesidan = ‘dessiner, tracer’ / 151
3.7.2.2. kesidan = ‘construire, former, tracer’ / 151
2.1.2.2. kesidan = ‘fumer, inhaler’ / 152
2.7.2A. kesidan = ‘brandir (une arme)’ ou ‘se servir (d’une arme)’ / 153
3.7.2.5. kesidan = ‘subir, souffrir, vivre quelque chose comme une souffrance’ / 154
3.7.2.6. kesidan = ‘passer (tr.), frotter’ / 155
3.8. Conclusion / 157

Chapitre 4. Vers une approche constructionnelle / 161
4.1. Introduction / 161
4.2. Inventaire malgré la productivité : le cas de la morphologie constructionnelle / 163
4.3. L’usage façonne la compétence : les modèles basés sur l’usage / 167
4.4. Les approches taxonomiques dans la description des CVS / 171
4.5. Vers un inventaire des prédicats complexes du persan / 175
4.5.1. Les propriétés syntaxiques codées / 176
4.5.2. La diversité des prédicats répertoriés avec zadan / 179
4.5.2.1. Les prédicats assimilables aux CVS / 180
4.5.2.2. Une autre variété de Vsup ? / 182
4.5.2.3. Les prédicats à sens figuré / 183
4.5.2.4. D’autres cas encore / 185
4.6. Pourquoi un inventaire est-il insuffisant ? / 186
4.6.1. Une caractérisation sémantique fine des noms / 187
4.6.1.1. Les noms désignant un cri / 188
4.6.1.2. Les noms désignant une supercherie / 189
4.6.1.3. Les noms désignant un préjudice / 190
4.6.2. Le sens du verbe support / 191
4.7. Une approche constructionnelle / 195
4.7.1. L’association entre les constructions et les classes de prédicats / 196
4.7.2. Différents verbes réalisant une même construction / 200
4.7.3. Les relations entre les prédicats construits avec un même verbe / 203
4.7.4. Les relations avec les usages lexicaux du verbe / 205
4.7.5. Des classes à contours flous / 210
4.7.6. Un traitement mixte alliant inventaire et schémas abstraits / 211
4.8. Constructions syntaxiques ou assemblage de mots ? / 214
4.8.1. L’analyse lexicale de Müller (2010) dans le cadre de HPSG / 214
4.8.2. Une approche syntagmatique / 218
4.9. Remarques conclusives : perspectives stochastiques / 221

Chapitre 5. Etude d’un cas : les prédicats construits avec zadan ‘frapper’ / 227
5.1. Introduction / 227
5.2. Zadan en tant que verbe plein (ou lexical) / 230
5.2.1. Zadani ‘frapper, taper, asséner des coups’ / 230
5.2.2. Zadan2 ‘frapper à, toucher’ / 231
5.2.3. Zadan3 ‘donner un coup, frapper, lancer, toucher’ / 233
5.2.4. Zadan4 ‘installer, accrocher, coller’ / 234
5.2.5. Zadan5 ‘appliquer, enduire’ / 235
5.2.6. Zadanô ‘battre’ (intr.) / 236
5.3. Les prédicats directement reliés aux emplois lexicaux de zadan / 237
5.3.1. Les prédicats de violence physique / 237
5.3.1.1. Classe sili ‘gifle’ / 238
5.3.1.2. Classe câqu ‘couteau’ / 240
5.3.2. Les prédicats de lancer de projectile / 241
5.3.3. Les prédicats locatifs ou locatum / 242
5.3.3.1. Les prédicats d’application (ex. vâkszadan ‘cirer’) / 243
5.3.3.2. Les prédicats d’incorporation (ex. namakzadan ‘saler’) / 245
5.3.3.3. Les prédicats de pose ou de port (ex. dastbandzadan ‘menotter’) / 246
5.3.3.4. Les prédicats de marquage (ex. mohr zadan ‘tamponner’) / 248
5.4. Les prédicats indirectement reliés aux emplois lexicaux de zadan / 249
5.4.1. Les prédicats de préjudice (ex. âsib zadan ‘porter préjudice’) / 249
5.4.2. Les prédicats de calomnie (ex. tohmat zadan ‘calomnier’) / 251
5.4.3. Les prédicats d’attaque verbale (ex. tasar zadan ‘réprimander’) / 252
5.4.4. Les prédicats de contact (ex. dast zadan ‘toucher’) / 253
5.4.5. Les prédicats instrumentaux (ex. sâne zadan ‘peigner’) / 255
5.4.6. Les prédicats de mouvement vers une destination
(ex. be daryâ zadan ‘se lancer dans la mer’) / 258
5.4.7. Les prédicats de battement (ex. bâl zadan ‘battre des ailes’) / 260
5.5. Les prédicats non reliés aux emplois lexicaux de zadan / 261
5.5.1. Les prédicats de supercherie (ex. gui zadan ‘tromper’) / 261
5.5.2. Les prédicats d’émission sonore / 263
5.5.2.1. Les prédicats de cri (ex. faryâd zadan ‘crier’) / 263
5.5.2.2. Les prédicats de cri d’animaux (ex. jikzadan ‘piailler’) / 266
5.5.2.3. Les prédicats de plainte (ex. qor zadan ‘se plaindre’) / 267
5.5.2.4. Classe harf zadan ‘parler’ / 268
5.5.3. Les prédicats d’émission non sonore (ex. barq zadan ‘briller’) / 269
5.5.4. Les prédicats de télécommunication (ex. faks zadan ‘faxer’) / 270
5.5.5. Les prédicats de posture, figure ou mouvement / 271
5.5.5.1. Les prédicats d’exécution d’une figure ou d’un mouvement
(ex. jast zadan 1 sauter’) / 271
5.5.5.2. Les prédicats de posture (ex. combatmezadan ‘s’accroupir’) / 275
5.5.5.3. Les prédicats de marche/promenade (ex. gast zadan ‘se promener’) / 276
5.5.6. Les prédicats d’éclosion ou de formation (ex. javâne zadan ‘bourgeonner’) / 277
5.6. Les prédicats dans lesquels zadan a un comportement semi-lexical / 279
5.6.1. Zadan ‘absorber, boire’ (ex. mey zadan ‘boire du vin’) / 279
5.6.2. Zadan ‘jouer (d’un instrument)’ (ex. sâz zadan ‘jouer d’un instrument’) / 280
5.6.3. Zadan ‘jouer (à un jeu)’ (ex. nard zadan ‘jouer au jacquet’) / 281
5.6.4. Zadan ‘couper, enlever’ (ex. ris zadan ‘se raser la barbe’) / 282
5.6.5. Zadan ‘monter, construire’ (ex. pol zadan ‘construire un pont’) / 282
5.6.6. Zadan ‘creuser’ (ex. câh zadan ‘creuser un puits’) / 284
5.6.7. Zadan ‘feindre, simuler’ / 284

5.7. Conclusion / 285

Bibliographie / 287

Index des prédicats complexes par verbe / 307

Index des prédicats complexes par élément non verbal / 315

Index des auteurs


AVANT-PROPOS

Ce livre est une version remaniée du manuscrit de mon Habilitation à Diriger des Recherches (HDR), présentée en décembre 2009 à l’Université Paris Diderot. Il est l’aboutissement des recherches entreprises depuis le début des années 2000, qui ont donné lieu à un ensemble de publications dans diverses revues, de communications à des colloques et de présentations dans le cadre de séminaires de recherche. Les critiques et les suggestions de nombreux lecteurs et auditeurs ont contribué à en améliorer sensiblement la qualité. Qu’ils soient remerciés ici.

Je tiens à remercier en particulier Anne Abeillé, Nastaran Barzanouni, Olivier Bonami, Marianne Desmets, Pegah Faghiri, Gwendoline Fox, Kim Gerdes, Maximilien Guérin, Ariel Gutman, Gilbert Lazard, Pascal Lécaille, Sophie Manus, Stefan Müller, Cédric Patin, Magali Rouquier, Benoît Sagot et Andrew Spencer qui ont accompagné la conception, la rédaction et la mise en forme de cet ouvrage de diverses façons.

Cet ouvrage est accompagné d’une annexe en ligne, comprenantun ensemble d’environ cinq cents prédicats complexes construits avec le verbe zadan ‘frapper’ ainsi que les propriétés syntaxiques et sémantiques qui leur sont associées, encodées par un ensemble de traits et représentées dans un tableau à double entrée. Cette annexe est consultable à l’adresse suivante :

http://www.iran-inde. cnrs.fr/spip.php?article!87


Introduction

Comme le note Samvelian (2001), l’étude de la sous-catégorisation et de la structure argumentale des verbes en persan1 est confrontée à deux phénomènes a priori distincts, mais dont l’interaction aboutit à une situation complexe et confuse :

1) L’usage abondant de « locutions verbales », formées d’un verbe, généralement à contenu lexical faible (verbe support ou light verb), et d’un élément non verbal, le tout fonctionnant comme un prédicat sémantique, au détriment des verbes simples. Ainsi, pour référer à un événement, le persan privilégie régulièrement des séquences syntaxiques comprenant un verbe et un nom, ex. (1-a), un adjectif, ex. (1-b), une préposition ou un préverbe, ex. (1-c), ou une combinaison de ces éléments, ex. (1-d).

2) La possibilité pour les compléments d’objet des verbes lexicaux d’être non déterminés et non quantifiés (ou « nus ») et de manifester de ce fait certaines propriétés typiques des objets incorporés, qui forment un prédicat avec le verbe. Ainsi, des séquences telles que sâm xordan, ex. (2-a), et lebâs pusidan, ex. (2-b), fonctionnent comme une unité sémantique et signifient respectivement ‘dîner’ et ‘s’habiller’.

(1) a. Bacce-hâ bâ tup bâzi kard-and
enfant-PL avec ballon jeu faire. R2-3PL
‘Les enfants jouèrent avec le ballon.’
b. Maryam dar otâq derâz kesid
Maryam dans chambre long tirer.R2
‘Maryam s’allongea dans la chambre.’
c. Omid be xâne bar gašt
Omid à maison PV toumer.R2
‘Omid retourna à la maison.’
d. In nowzâd diruz be donyâ âmad
ce nouveau-né hier à monde venir.R2
‘Ce nouveau-né est né hier.’

(2) a. Bacce-hâ šâm xord-and
enfant-PL dîner manger.R2-3PL
‘Les enfants dînèrent.’
b. Maryam lebâs pusid
Maryam vêtement habiller.R2
‘Maryam s’habilla.’

Aucun de ces deux phénomènes n’est spécifique au persan. Les constructions dites « à verbe support » (ou light verb constructions), phénomène qui consiste en la combinaison d’un verbe sémantiquement vide avec un élément prédicatif (verbal ou non verbal), sont attestées dans de nombreuses langues génétiquement variées. Certaines, comme les constructions à verbe sum en japonais ou ha-ta en coréen, ont été largement débattues dans la littérature sur la structure argumentale au sein de différents courants de la syntaxe formelle (voir Grimshaw et Mester, 1988; Ahn, 1989; Mat-sumoto, 1996 ; Chae, 1997, parmi beaucoup d’autres). D’autres, comme les constructions à verbe support du français, ont fait l’objet de descriptions systématiques par les chercheurs du Laboratoire d’Automatique Documentaire et Linguistique (LADL) (voir notamment Giry-Schneider, 1978, 1987 ; Vivès, 1983 ; Gross, 1989).

De même, l’incorporation de l’objet, sous ses diverses formes (morphologique, sémantique ou quasi-incorporation), se rencontre dans de nombreuses langues (voir notamment Sapir, 1911 ; Mithun, 1984, 1986; Sadock, 1986; Baker, 1988; Rosen, 1989b ; Van Geenhoven, 1998 ; Massam, 2001).

La conjonction des deux phénomènes s’observe également dans certaines langues. L’usage abondant des prédicats complexes de différents types est un des traits caractéristiques des langues d’Asie du Sud2 (Verma, 1993 ; Mohanan, 1994; Butt, 1995). En effet, les constructions à verbe support dans ces langues englobent non seulement des séquences formées d’un verbe et d’un élément non verbal, désignées par l’étiquette conjunct verb (Masica, 1976), mais également de deux verbes, l’un fonctionnant comme un verbe support et l’autre comme un verbe lexical,.la séquence formée par les deux verbes étant alors désignée par l’étiquette compound verb (Hook, 1974 ; Masica, 1976). Or, ces dernières constructions sont inexistantes ou très rares en persan3.

La situation du persan n’est donc singulière ni quant aux différents types de prédicats complexes qui y sont attestés, ni quant à leur abondance. Si singularité il y a, elle réside dans le fait que les frontières entre les phénomènes décrits en (1), c’est-à-dire la formation des constructions à verbe support, et en (2), c’est-à-dire la combinaison d’un verbe avec son objet nu, sont brouillées à cause de la rareté des verbes simples. En effet, qu’il s’agisse des constructions à verbe support d’un côté ou de la « coalescence » (Lazard, 1982)4, de l’« incorporation » (Dabir-Moghaddam, 1995) ou encore de la « composition » (Samsam Bakhtiari, 2000) objet-verbe de l’autre, ces séquences manifestent des propriétés contradictoires, se comportant comme des unités lexicales à certains égards et comme des séquences syntaxiques à d’autres égards.

Sur le plan sémantique, les deux éléments forment un prédicat et « projettent » une seule structure argumentale. Ils peuvent ainsi alterner avec un verbe simple et se traduisent généralement par un verbe seul dans d’autres langues. Par ailleurs, plusieurs études (Ghomeshi et Massam, 1994; Goldberg, 1996; Karimi-Doostan, 1997 ; Vahedi-Langrudi, 1996, parmi d’autres) ont noté que ces séquences peuvent servir de bases à la dérivation morphologique et portent un seul accent lexical, deux propriétés qui les rendent comparables aux mots. Cependant, elles ne se comportent pas comme un atome syntaxique, dans la mesure où les affixes flexionnels, mais également différents constituants syntaxiques, peuvent séparer les deux membres de la séquence. Par ailleurs, l’élément nominal peut faire l’objet de quantification, de détermination ou de modification. Il peut également être extrait ou coordonné avec un autre élément nominal.

En somme, aussi bien les séquences formées par un verbe « support » et un élément non verbal que les séquences formées par un objet non déterminé et un verbe « lexical » peuvent être réunies sous l’étiquette « prédicat complexe », si l’on se réfère aux critères de Butt (1995), c’est-à-dire la combinaison d’une structure argumentale complexe résultant de la contribution de deux éléments et d’une structure fonctionnelle simple ou monoclausale5.

La question qui se pose est la suivante : si sâm xordan ‘dîner’ (litt. ‘dîner manger’), une séquence composée d’un verbe lexical et de son argument, et harf zadan ‘parler’ (litt. ‘parole frapper’), une construction à verbe support, se comportent toutes deux comme des unités lexicales, que contient alors le lexique verbal du persan ? Qui dit lexique, dit inventaire : faudrait-il donc établir une liste de toutes ces combinaisons ? La réponse à cette question paraît triviale au premier abord : la relation entre le verbe et le nom dans les séquences telles que sâm xordan ‘dîner’ est celle entre un prédicat et son argument. Même si la séquence se comporte à certains égards comme une unité lexicale, le sens de l’ensemble est compositionnel et peut être déduit par des règles d’interprétation qui ont été proposées pour le phénomène d’incorporation sémantique. Dans harf zadan ‘parler’ (litt. ‘parole frapper’), en revanche, c’est l’élément nominal qui est le prédicat. Le sens du prédicat complexe dépend donc en grande partie du sens de l’élément nominal dans ce cas. Le travail d’inventaire se limiterait alors à la mention du ou des verbes supports se combinant avec un nom dans l’entrée lexicale de ce dernier, à moins qu’il ne soit possible de prédire cette combinaison.

Cette solution, concevable pour une langue qui possède une classe de verbes lexicaux fournie, comme le français, et où la distinction entre verbe support et verbe lexical peut se faire sans trop de difficultés pour une majorité de verbes, ne s’applique pas avec une telle évidence au persan. Rappelons que le nombre de l’ensemble des …

1. La variété du persan étudiée dans cet ouvrage est celle parlée en Iran, connue également sous l’appellation de farsi.

2. Considérée comme une aire linguistique depuis Emeneau (1956) et Masica (1976), l’Asie du Sud réunit des langues appartenant à quatre familles génétiquement distinctes : des langues indo-aryennes de la famille indo-européennes (ex. le hindi et l’urdu), des langues dravidiennes (ex. le tamoul et le kannada), des langues tibéto-birmanes (ex. le tibétain et le newari), et des langues austro-asiatiques (ex. les langues munda). Outre ces quatre groupes, on peut également y noter la présence des langues iraniennes telles que le persan et le pachto.

3. Taleghani (2008) compare la construction progressive périphrastique avec le verbe dâstan ‘avoir’ aux verbes sériels de l’urdu et la considère comme un prédicat complexe. Même si l’on adhère à cette analyse, qui implique l’existence de conjunct verbs en persan, l’ampleur du phénomène n’est pas comparable à celle observée dans les langues d’Asie du Sud. Pour une analyse alternative de la même construction voir Bonami et Samvelian (2009).

4. Le terme « coalescence objet » a été utilisé par Lazard (1982, 1994) pour désigner le fait que le verbe et son objet non déterminé forment ensemble une unité verbale, sans pour autant donner lieu à une composition morphologique.

5. Il est difficile de fournir une définition consensuelle des prédicats complexes, dans la mesure où le terme désigne une variété de constructions. Pour Alsina et al. (1997), un prédicat complexe est formé de « plusieurs éléments grammaticaux », mots ou affixes, qui, au sein d’une même proposition, contribuent chacun à la formation d’un seul concept prédicatif, c’est-à-dire une seule structure argumentale et les mêmes fonctions grammaticales que dans une phrase simple. Butt (1995, pp. 1-2) définit les prédicats complexes comme: « a construction that involves two or more predicational elements (such as nouns, verbs and adjectives) which predicate as a single element, i.e., their arguments map onto a monoclausal syntactic structure ».
Cette condition de monoclausalité est essentielle, car elle permet la distinction entre les prédicats complexes, ex. les constructions causatives, et les phrases contenant deux propositions (donc deux prédicats), ex. les constructions à contrôle. Voici quelques exemples de constructions qui ont été analysées comme des prédicats complexes dans différentes langues : les prédicats aspectuels, permissifs et causatifs de l’urdu (Butt, 1995), les constructions causatives et les constructions à verbe auxiliaire du français (Abeillé et al., 1998 ; Abeillé et Godard, 2002), les constructions résultatives et les verbes à particules en allemand (Millier, 2002) et en néerlandais (Neeleman, 1994), les constructions à verbe support ou Light verb constructions (Butt, 1995).


Pollet Samvelian

Grammaire des prédicats complexes

Lavoisier

Lavoisier
Collection langues et syntaxe
Grammaire des prédicats complexes
les constructions nom-verbe
Pollet Samvelian

© Lavoisier, Paris, 2012

Lavoisier
14, rue de Provigny
94230 Cachan

www.hermes-science.com
www.lavoisier.fr

ISBN 978-2-7462-2365-3
ISSN 1950-263X

Le Code de la propriété intellectuelle n’autorisant, aux termes de l’article L. 122-5, d’une part, que les "copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective" et, d’autre part, que les analyses et les courtes citations dans un but d’exemple et d’illustration, "toute représentation ou reproduction intégrale, ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite" (article L. 122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L. 335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

Tous les noms de sociétés ou de produits cités dans cet ouvrage sont utilisés à des fins d’identification et sont des marques de leurs détenteurs respectifs.

Collection Langues et Syntaxe
sous la direction de Anne Abeillé

Anne Abeillé, Les grammaires d’unification, 2007
Denis Creissels, Syntaxe générale, une introduction typologique 1, 2006
Denis Creissels, Syntaxe générale, une introduction typologique 2, 2006
Elisabeth Delais-Roussarie, Laurence Labrune, Des sons et des sens, données
et modèles en phonologie et en morphologie, 2007
Michel Roché, Gilles Boyé, Nabil Hathout, Stéphanie Lignon, Des unités
morphologiques au lexique, 2011

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