Claude Cahen, né à Paris en 1909, ancien élève de l'École Normale Supérieure de la rue d'Ulm, étudie l'histoire et les langues du Proche-Orient à l'École Nationale des Langues Orientales. Agrégé d'Histoire en 1932, docteur ès Lettres en 1940, il est professeur à l'Université de Strasbourg de 1945 à 1959 et, depuis cette date, à la Sorbonne. En 1967 l'Université du Michigan à Ann Arbor l'invite au titre de professeur étranger. Des premières publications du professeur Cahen, on retiendra surtout Le régime féodal de l'Italie Normande (1940) et la Syrie du Nord au temps des Croisades (1940). Après la guerre, Claude Cahen s'intéresse encore aux Croisades mais se spécialise surtout en histoire de l'Islam et en particulier en histoire économique. C'est lui qui rédige les chapitres consacrés à l'Islam dans L’Histoire Générale des Civilisations (1953) et plusieurs chapitres d'Une histoire des Croisades (1955 et 1962). En 1961 il publie une édition revue et corrigée de L'Introduction à l'histoire de l'Orient Musulman de Sauvaget (édit. angl. 1965). Le professeur Cahen est l'auteur de Mouvements populaires et autonomisme urbain dans l'Asie musulmane du Moyen Age (1959) et de Douanes et commerce dans les ports méditerranéens de l'Égypte médiévale (1965). Il a écrit sur les problèmes de l'histoire économique ou sur d'autres sujets nombre d'articles parus dans des revues comme La Revue Historique, Le Moyen Age, Arabica, Journal Asiatique, Bulletin de l'institut Français d'Études Orientales de Damas. Il a également rédigé diverses rubriques pour l'Encyclopédie de l'Islam; depuis 1957 il est rédacteur au Journal of the Social and Economic History of the Orient. C'est en 1968 que paraît son livre Preottoman Turkey. Claude Cahen a reçu en 1945 le prix Schlumberger de ('Académie des Inscriptions et Belles-Lettres.
Table des matières
Introduction / 7
1. Les Arabes avant l'Islam / 9 2. Mahomet / 13 3. La fondation de l'empire arabo-islamique / 19 4. La période omayyade (660-750) / 29 5. L'évolution des esprits au milieu du VIIe siècle : la « révolution abbaside » / 45
6. Le premier siècle abbaside / 53 7. L'élaboration d’une culture nouvelle / 87 8. Économie et société dans le monde musulman classique (jusqu'au XIe siècle) / 97 9. L'armée et les transformations politiques et sociales (milieu IXe siècle milieu Xe siècle) / 143 10. L'évolution des mouvements politico-religieux (milieu IXe siècle-milieu Xe siècle) / 151
11. Morcellement politique et apogée culturel du monde musulman médiéval / 161 12. La culture musulmane du milieu du IXe siècle au milieu du XIe siècle / 193 13. Du XIs au XIIIe siècle : Les nouveaux empires, l'évolution sociale et culturelle / 209 14. Des Mongols aux Ottomans / 239
Bibliographie / 264 Index / 271 Table des illustrations / 278
Table des illustrations
Coran ancien en rouleau de parchemin provenant de la grande mosquée de Damas / 12 Couverture de Coran (XIVe siècle) / 16 La Ka'ba / 18 L'ascension de Mahomet au ciel / 20 Les conquêtes arabes au VIIe siècle / 22 Coran provenant de la mosquée de Damas / 25 Pavillon omayyade en bordure du désert : Qusayr Amra / 28 Qubbat-as-Sakhra ou mosquée d'Omar à Jérusalem / 34 La mosquée du Rocher, Jérusalem / 36 Dirhams omayyades / 37 Mosquée des Omayyades à Damas / 40 Damas, mosquée des Omayyades / 41 Fresque des chanteurs et de la danse à Qasr al-Khayr al-Gharbi / 43 Détail du château omayyade d'al-Qasr al-Gharbi / 43 La famille du Prophète / 48 Stèle mortuaire à caractères coufiques / 88 Conversation entre poètes / 90 Miniature illustrant une fable du recueil Qalîla et Dimna, manuscrit de 1279, Iran mongol / 95
Grande noria sur l'Oronte / 105 Système de roues hydrauliques d'après le Traité des Automates d'al-Djazari (XIIIe siècle) / 106 Le labour à l'araire dans les pays de la Méditerranée / 108 Les souks d'Alep (Syrie) / 116 Caravansérail de Sultan Khân / 128 Astrolabe / 134 Pont d'époque seldjuqide en Turquie / 136 Armée en marche / 145 Minaret de la grande mosquée de Samarra / 148 Le monde islamique au Xe siècle / 160 Fès, mosquée al-'Attârîn / 162 La grande mosquée de Qairouan / 164 La grande mosquée de Cordoue, intérieur (Xe siècle) / 168 Mosquée d'Ibn Tûlûn, Le Caire / 185 Plaques pour coffrets en ivoire / 188 Plat en faïence représentant un musicien / 189 Bouteille en verre émaillé / 189 Mosquée al-Azhar, Le Caire / 192 Manuscrit astronomique exécuté à Samarqand pour Ulugh-Beg (XVs siècle) : représentation de la Grande Ourse / 197 Manuscrit médical turc du XVe siècle : réduction de fracture / 198
La « madrasa bleue » à Sivas (Seldjuqides de Rûm) / 202-203 Boîtes en ivoire sculpté (art hispano-mauresque, XIIe siècle) / 204 Faïence iranienne (XIIe siècle) / 205 Cristal fatimide (Trésor de l'abbaye de Saint-Denis, musée du Louvre) / 205 Tissu à motifs d'oiseaux (XIIe siècle, musée de Cluny) / 206 Tissu (étendard?) du XIe siècle, provenant du Suaire de sainte Anne, à Apt / 207 Tissu persan de soie (Xe siècle) / 208 L'Orient islamique au XIIe siècle / 211 Le château des « Assassins » en Syrie (XIIe siècle) / 217 Le minaret de Djâm, Afghanistan (XIIe siècle) / 219 Détail du minaret de Djâm / 220 Bassin de cuivre (art mésopotamien, XIIe siècle) dit « Baptistère de saint Louis » (musée du Louvre) / 222 Carreau de faïence polychrome représentant une chasse du roi mythique Bahram Gûr (art iranien, XIIIe siècle, musée du Caire) / 222 La citadelle d'Alep, art zenghide et ayyubide (Xlle-Xllle siècle) / 224 Mihrab de la mosquée de Kashan (Iran, XIIIe siècle) / 227 Art des Seldjuqides de Rûm (Qonya, Asie Mineure) / 228 Bandeaux d'écriture sur la porte d'une mosquée de Qonya / 229 Casque mongol (XIVe siècle) / 230 Mosquée de Tinmal, berceau des Almohades / 233 La Giralda de Séville (art mudejar) / 236 Marrakech : la Kutubyya / 237 Nidge (Turquie) : le tombeau de la Princesse (art seldjuqide) / 238 Troupeau de chameaux; peinture du manuscrit des séances de Hariri (Bagdad, XIIIe siècle) / 240 Miniature de l'histoire Universelle de Rashîd ad-Dîn (XIVe siècle) représentant le siège de Bagdad par Hulagu / 242 Types de porte et de fenêtre de mosquée (art mamluk / 243 Art mamluk : mihrab et minbar de la mosquée du Sultan Hasan / 244 Le Caire : tombeaux des Califes / 245 Lampe de mosquée en verre émaillé avec inscription décorative / 246 Mosquée de Veramin (Iran, époque mongole) : brique cuite et céramique / 248 Un cortège à la Cour des Mongols, peinture de l'Histoire de Rashîd ad-Dîn (Manuscrit de la Bibliothèque Nationale, Paris) / 250 Le Gur-Emir, tombeau de Timur, à Samarqand / 253 Miniature d'un traité d'histoire naturelle persan : guépard (XIVe siècle) / 254 Alexandre devant la dépouille de Darius, miniature persane du XVe siècle / 255 Tapis persan, détail (début XVIe siècle) / 256 La cour des lions de l'Alhambra de Grenade / 260 Faïence hispano-mauresque / 261 Amulette égyptienne en plomb / 263
INTRODUCTION
Au VIIe siècle de notre ère, il y avait plus de deux cents ans que, dans sa moitié occidentale, l'Empire romain et la culture qu'il représentait s'étaient effondrés sous les coups des Germains. Empire et culture survivaient cependant dans leur moitié orientale, hellénisée, en dépit des coups des nomades jaunes et des Slaves en Europe, en dépit de la guerre sans cesse recommencée qui en Asie les opposait aux Sassanides, héritiers, de la mer d'Aral à l'Iraq par l'Iran, des empires antiques. Les Perses venaient d'occuper jusqu'aux côtes méditerranéennes de la Syrie et de l'Égypte, et si les Romains d'Orient, que nous appelons les Byzantins, les avaient enfin repoussés, les deux États étaient épuisés de l'effort désespéré qu'ils avaient fourni. C'est alors que parut l'Islam.
La naissance et l'essor de l'Islam ont l'apparence d'un prodige. Un peuple jusqu'alors presque inconnu s'était unifié dans l'élan d'une religion nouvelle. Il conquérait en quelques années tout l'Empire sassanide et, sauf l'ouest de l'Asie Mineure, toutes les provinces asiatiques et africaines de l'Empire byzantin, et attendant d'y ajouter la plus grande partie de l'Espagne, la Sicile et, temporairement, d'autres postes en terre d'Europe. Il frappait aux portes de l'Inde et de la Chine, de l'Éthiopie et du Soudan occidental, de la Gaule et de Constantinople; les États les plus anciens s'écroulaient et, du Syr-Darya au Sénégal, les religions établies s'inclinaient devant une nouvelle venue qui est celle, aujourd'hui, de quelque trois cents millions d'hommes. La civilisation nouvelle issue de ces conquêtes allait compter parmi les plus brillantes et devait être à maints égards l'éducatrice de l'Occident, après avoir elle-même recueilli en la vivifiant une large part de l'héritage antique. Depuis treize siècles, dans la guerre ou dans la paix, l'histoire musulmane est constamment mêlée à la nôtre, nos civilisations ont grandi sur le même fond originel, et si ce que nous en avons fait a fini par diverger profondément, la comparaison ne peut que nous aider à mieux nous comprendre les uns et les autres. Pour toutes ces raisons, et non seulement parce que, comme c'est le cas pour l'Inde et la Chine, un homme du XXe siècle ne saurait rester étranger à aucune des familles de la commune humanité, il est indispensable que l'histoire du monde musulman occupe dans notre culture une place considérable; indispensable que nous triomphions d'une conception de la civilisation qui serait attachée à des peuples, à des espaces privilégiés; que nous sachions qu'avant saint Thomas, né en Italie, il y avait eu Avicenne, né en Asie centrale, et les mosquées de Damas et de Cordoue avant les cathédrales de France ou d'Allemagne; indispensable que nous oubliions la mésestime où nous avons pu tenir les peuples musulmans contemporains en raison d'un effacement d'ailleurs peut-être passager en face d'une Europe aux progrès galopants de culture et de puissance; indispensable cependant aussi que, évitant un excès inverse, nous ne regardions plus l'histoire musulmane au travers de je ne sais quel mirage des Mille et une nuits, épisode exotique, extraordinaire, révolu, objet de nostalgie vague, mais comme un morceau de l'histoire humaine, diverse certes selon les lieux et les époques, mais au total tout de même largement une et solidaire.
L'historien, cependant, se doit de prévenir le lecteur qu'en l'état actuel des choses il ne peut lui être fourni de l’histoire musulmane un tableau aussi poussé que de l'histoire européenne. D'une part, à d'insuffisantes exceptions près, nous manquons pour le Proche-Orient d'un équivalent à ces documents d'archives sur la base desquels s'édifie l'histoire du Moyen Age européen, et l'abondance de la littérature ne saurait y suppléer. D'autre part, qu’il s'agisse des « orientalistes » européens, forcément d'abord linguistes avant d'être historiens, et dont les préoccupations ont parfois été infléchies par les conditions de la politique ou des curiosités intellectuelles « occidentales » plus que par la considération des besoins d'une étude complète de l'Orient pour lui-même; ou qu'il s'agisse des savants « orientaux », qui aujourd'hui seulement s'éveillent à la conscience des exigences qu'impliquent les enquêtes historiques conçues dans un esprit moderne : pour ces deux ordres de raison, le travail est, pour l'Orient, en retard d'un siècle sur ce qu'il est pour l'Occi-dent. Il est indispensable d'essayer de combler l'intervalle qui sépare les deux volets d’une histoire où l'on ne devrait pas avoir à distinguer entre « orientalistes » et, si l'on me passe le mot, « occidentalistes ». Mais, en attendant qu'il le soit, nous devons dire simplement au lecteur que l'image de l'Islam que nous lui fournirons reste relativement incomplète et, plus que toute autre, provisoire.
1.
Les arabes avant l'Islam
Si les Arabes n'avaient joué dans ('Antiquité qu'un rôle trop marginal pour que l'attention de l'historien s'y porte clairement sur eux, on prend conscience, une fois qu'au vil’ siècle ils ont forcé cette attention, qu'ils n'étaient tout de même complètement ni des étrangers ni des nouveaux venus. Depuis au moins un millénaire et demi, ils habitaient dans cette péninsule Arabique à laquelle leur nom était lié. Il n'est pas douteux qu'en un passé reculé celle-ci avait présenté un paysage plus riant que de nos jours, où elle constitue dans sa presque totalité l'un des plus redoutables déserts de notre planète. Peut-être au début de notre ère les oasis y restaient-elles un peu plus nombreuses, un peu moins chétives. En gros cependant l'Arabie était déjà le pays d'élection des nomades chameliers à vastes parcours, assez semblables à ce que sont restés les Bédouins modernes, leurs descendants les plus purs. Il faut quand même distinguer de la grande masse du territoire, où il n'est introduit de diversité qu'entre les déserts de sable et les arides plateaux basaltiques, certaines franges, au contact de la Syrie et de la Mésopotamie au nord, en Oman à l'est et surtout au Yémen au sud-ouest, où les hauts reliefs et le contact de la mousson entretiennent une humidité autorisant une végétation et des cultures étrangères au reste de l'Arabie, oasis mises à part. Des travaux d'irrigation, dont le plus fameux est la digue de Ma'rib au nord du Yémen, étendaient la mise en valeur de ces terroirs favorisés.
Dans la société arabe des premiers siècles de notre ère, il y a donc lieu de distinguer plusieurs éléments. Dans les développements historiques que nous allons avoir à exposer, les nomades n'auront pas le rôle essentiel ; ils forment cependant la masse de la population. Cependant il existe une population agricole dans les zones favorisées, et un petit nombre de villes agricoles ou marchandes. La connaissance générale de cette société est nécessaire à l'historien de l'Islam non seulement parce qu'il est né en Arabie, mais parce que la connaissance de la société préislamique commande celle de la société islamique dans une proportion plus forte qu'il ne serait vrai d'autres civilisations. Par une contradiction apparente dont rend compte une sorte de mystique raciale en même temps que la nécessité, pour comprendre les textes sacrés de l'Islam, de connaître la langue et les traditions de l'Arabie ancienne, les musulmans n'ont pas cessé de considérer le temps de I' « Ignorance » comme l'âge d'or de l'arabisme, celui dans lequel les vertus de la race s'étaient le plus décisivement épanouies. Au surplus, l'action de Mahomet ne peut se comprendre, soit qu'il ait sanctionné certains usages, soit qu'il en ait condamné d'autres, sans une connaissance de la société où ils étaient en vigueur.
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Claude Cahen
L’islam ; des origines au début de l empire ottoman
Bordas
Bordas Histoire universelle 714 L’islam 1 Des origines au début de l’empire ottoman Claude cahen Professeur à la Sorbonne
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Photo de couverture : Mahomet Prêchant, manuscrit de Hariri (b.n.).