Pirtûkxaneya dîjîtal a kurdî (BNK)
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Rojîne, nouvelles


Nivîskar : Suzan Samancı
Weşan : A-Eurysthée Tarîx & Cîh : 2017, Paris
Pêşgotin : B. A. RouffaerRûpel : 112
Wergêr : Mustapha BabayigitISBN : 978-2-9701049-5-7
Ziman : FransizîEbad : 145x210 mm
Hejmara FIKP : Liv. Fre. Sam. Roj. N° 4984Mijar : Wêje

Rojîne, nouvelles

Rojîne, nouvelles

Suzan Samanci

A-Eurysthée

La littérature kurde de Turquie, en langue française, est chose rare. La langue kurde, elle-même, fut étouffée pendant presque un siècle. Aujourd'hui encore, pour un écrivain kurde, en Turquie, trouver un chemin vers le vaste monde reste un parcours semé d'embûches.
Avec Rojîne, Suzan Samanci nous apporte les joies, les peines, les espoirs, les haines, les amours, les élans, les peurs et les drames de son peuple.
Hassan, qui vient de la mer, les états d'âme de la Repentie, le Jeune Couple amoureux, le Frère maquisard, la femme de l’Écrivain, les regrets de la Militante, Seref le Promoteur, Sinem à la peau douce comme du satin, l'heureux Chauffeur... En huit nouvelles, nous avons ainsi accès aux secrets de ce monde lointain, tourmenté, rude et brûlant.
Les nouvelles sont précédées d'une préface consacrée à l'histoire des Kurdes.


Table des Matieres

Introduction / 7

Rojîne / 16
Le Cheval à la robe poivre et sel / 28
H était mon Frère Aîné / 40
La Repentie dénonciatrice / 50
Les Supers-bonheurs / 64
Hassan le Gallipoliote / 76
L'Homme qui disait « Oh là là! » / 88
La Voiture sur la route / 97
Suzan Samanci, présentation / 109

Table des Matières / 111


INTRODUCTION

Kurdes et Kurdistan jusqu'au XXe siècle

Par Bernard Antoine Rouffaer

Qui sont les Kurdes ? Quel est donc ce peuple qui, vu d'Occident, semble vivre d’avantage dans les revues de politique internationale que dans la vraie vie ? Qui sont donc ces éleveurs de chèvres, toujours surveillés, toujours rebelles, toujours bombardés, toujours déportés ?
Leur apparition, dans la Grande Histoire est tardive : le mot « Kurde » n’apparaît pas avant le Vile siècle (a). Quant à celui de « Kurdistan », il n'est utilisé, pour la première fois, qu'au XlVe siècle seulement (b).

Les historiens se sont posées beaucoup de questions au sujet de l'origine des Kurdes. V. Minorsky (c) les fait descendre d'un antique peuple d'ethnie iranienne, célèbre pour avoir porté le coup fatal au royaume d'Assyrie entre 616 et 609 avant JC. : les Mèdes. La démonstration est fragile (d), mais quoi qu'il en soit, les Kurdes constituent bien une branche du grand arbre des peuples indo-européens (e) - dont les Arméniens font aussi partie (f) - et du rameau indo-iranien dont l'ombre couvre l'Orient, des monts Zagros, que peuplent nos Kurdes, jusqu'au fond de la vallée du Gange, région conquise, jadis, par des peuples parlant le sanskrit et adorant les divinités du panthéon iranien (g). Nombre de groupes humains d'Asie centrale, font aussi partie de cette vaste famille. Les Kurdes donc, sont bel et bien rattachés au destin des puissants empires qui, au cours de l'Histoire, dominèrent si complètement le plateau iranien et ses alentours : celui bâtit par les Achéménides, celui des Arsacides et celui des Sassanides. Cette suite magnifique de noms sonnants, qui évoque gloire, crainte et renommée, qui rappellent les ruines fumantes d'Athènes et la défaite pour tant d'empereurs de Rome, cohabite mal, pourtant, avec le modeste état actuel des Kurdes.

Les Kurdes étaient, jusqu'au milieu du XXe siècle encore, ce qu'ils étaient depuis des siècles : des éleveurs organisés en tribus (h), pratiquant la transhumance verticale (i), et s'essayant à un peu d'agriculture (j) ; rebelles, indociles (k), toujours armés, fort peu cultivés (1), vivant sous la tente ou dans de pauvres gourbis (m), volontiers brigands ou contrebandiers (n), mercenaires parfois. C'est ce faible niveau de civilisation qui les a contraints à ne jouer que le dernier rôle dans le drame politique qui a permit de définir, au XVIe siècle, les frontières entre les grands États de la région, aux cours brillantes, aux diplomates habiles et aux armées redoutables, le perse et le turc.

Plusieurs facteur géographiques, politiques et civilisationnels ont, au cours des temps, joué contre les Kurdes. Premièrement, les empires achéménide, parthe et sassanide se déployaient à cheval sur la zone de peuplement kurde. La Mésopotamie - l'Irak actuel - a représenté, pendant des millénaires, une zone riche capable de subvenir aux besoins de vastes empires ; Achéménides, Séleucides, Parthes, Sassanides, Ommeyyades, Abbassides, tous y ont largement puisé. Les Kurdes, de ce fait, se trouvaient proches des centres de pouvoir : Pasargades, Babylone, Ctésiphon... Lorsque deux puissances, à partir du XVIe siècle, les Ottomans, turcs de langue, et les Séfévides, persans, se sont partagé l'Orient, la frontière est passée au milieu des zones kurdes. Ces dernières se sont donc retrouvées ravalées au rang de marches frontalières peu sûres (o).

Deuxièmement, tout l'Ancien Monde, de la Grèce à la Chine, est un monde usé. Avoir supporté pendant des millénaires de brillantes civilisations a un prix : épuisement des ressources naturelles, déforestation, surpâturage, érosion des sols, manque d'eau, manque de combustible, manque de bois de construction ... Ce qui est vrai aussi pour l'espace kurde.

Troisièmement, une société est « tirée » vers l'avant, vers le progrès, par ses élites (p). Les sociétés indo-iraniennes possédaient une organisation politique de type aristocratique. Les nobles, dans l'espace iranien, dominaient et organisaient de vastes territoires, commandaient à des contingents militaires et, selon des dispositions qui ont quelque peu varié, avec le temps, apportaient leur soutient au roi. Tous les empires iraniens, achéménide, arsacide ou sassanide, on tiré leur puissance politique et militaire de l'union des nobles autour du premier d'entre eux (q). Arthur Christensen, grand spécialiste de l'Iran sassanide, a exposé les activités agricoles, colonisatrices, de l'un de ces princes, Mihr Narsê, dans ses fiefs de Âbruwân et Gîreh. (r). Avec l'écroulement de l’Etat sassanide et l'invasion de son territoire par les armées arabo-musulmanes au Vile siècle (s), la société iranienne a commencé à perdre cet élément faîtier. La nouvelle société islamique, qui s'est établie sur les ruines de cet empire, reposait, pour ce qui est de l'exercice du pouvoir politique, sur de toutes autres règles : appartenir à une tribu arabe devenait la condition indispensable pour faire partie de l'élite dirigeante (t) ; en outre, l'allégeance idéologique au nouveau système de pensée, l'islam, pesait d'avantage que l'ancienneté, l'iranité, et la noblesse de sa Maison (u). On verra constamment, dans la suite de l'histoire des États musulmans, en Iran comme ailleurs, l'esclave musulman, ou le jihadiste victorieux, accéder à de hautes fonctions, alors que le non-musulman, quelle que soit son origine, ne pourra que stagner aux échelons inférieurs d'autorité. Les besoins militaires de l’État islamique différaient aussi de ceux de l’État aristocratique national : alors que ce dernier, comme sous les Sassanides, tirait sa force des contingents amenés par les grands seigneurs, et recrutés sur leurs terres, l’État arabe ommeyyade reposera sur la force militaires des tribus arabes, réinstallées dans tout l'empire, alors que les dynasties qui lui succéderont (Abbassides, Fatimides, Mamelouks, Sultanat de Delhi, Ottomans, ...) feront, en grande partie, reposer leur capacité militaire sur des forces régulières, entretenues par le Trésor, et très souvent de recrutement étranger (Turcs, Soudanais, Afghans, Slaves...) (v). Ce bouleversement politique favorisera le repli des populations d'ethnie indo-iranienne, vivant dans les montagnes ou les déserts, vers le clan et la tribu, formes primitives d'organisation de la société. L'Arménie subira le même type de traumatisme politique au Xle siècle avec l'invasion des Turcs Seldjoukides et verra presque anéantie son aristocratie millénaire (w).
Exploitées, décapitées, dégradées politiquement, les populations arméniennes stagneront au sein de l'empire ottoman, puis seront presque détruites par lui au XXe siècle (x).
Quatrièmement, une région se développe si elle est connectée aux grandes voies de communication, qui la mettent en liaison avec le grand commerce et les échanges d'idées et de techniques. Une partie des voies commerciales antiques reliant le monde indien au monde méditerranéen passaient par le Zagros et le plateau arménien. Le développement de la navigation perse et arabe en mer Rouge et dans le golfe d'Oman représenta une première concurrence. Mais la situation changea radicalement au XVIe siècle avec la découverte de voies maritimes directes entre l'Europe, l'Inde et l'Asie Extrême par les navigateurs portugais et espagnols. Passer par l'océan Atlantique, l'océan Indien ou le Pacifique exposait, certes, les navigateurs aux périls de la mer, mais leur évitait les multiples intermédiaires coûteux qui dominaient les anciennes voies commerciales terrestres (« Route de la soie »), ou celles de la mer Rouge et du golfe Persique. En outre, le transport maritime, même à l'époque, était de bien plus grande capacité que le transport par caravane de chameaux ou de chevaux. Le monde kurde fut donc rejeté en marge des courants commerciaux et son état d'isolement en fut approfondi.

Réduit au stade d'organisation tribal, arriéré, divisé, presque limité à l'activité agricole, pauvrement éduqué, dépourvu d'influence politique, en marge des grands centres de développement économique et humain, le monde kurde était dramatiquement mal préparé à affronter les grands bouleversements politiques du XXe siècle. C'est dans cet état de faiblesse qu'il dut tenter de faire entendre sa voix au moment du redécoupage des zones d'influence, après 1918 et l'effondrement de l'empire ottoman. Il n'y parvint pas, et depuis, les populations kurdes luttent péniblement pour exister.

C'est le tableau, en négatif, de cette lutte, dans la partie du Kurdistan intégré dans la République de Turquie, que Suzan Samanci nous présente dans Rojîne.

Rojîne

Le journaliste, chez qui j’allais pour le nettoyage, m’a dit : « D’après ce que j’ai entendu dire, ils vont permettre le retour aux villages ».

Ma Rojîne, et l’herbe de mon village qui sent les montagnes, m’ont tellement manqué !... Ils ont brûlé notre maison, mais ce n’est pas grave. Nous allons la reconstruire. Je n’ai pas pu m’habituer à la vie citadine ; comment ces gens arrivent-ils à vivre ainsi ?!

Tous les matins, je pleure en allant au travail. Lorsque je commence le nettoyage de la maison de l’écrivain, qui fait un programme à la télé, je me ressaisis petit à petit. L’écrivain me console en me taquinant ; il me dit : « Vous, vous dites 'kartol’ pour désigner les pommes de terre n’est pas ? »

…..


Suzan Samanci

Rojîne, nouvelles

A-Eurysthée

Éditions A-Eurysthée
Littérature kurde
Rojîne, nouvelles
Traduction : Mustapha Babayigit
Introduction : B.A.Rouffaer
Suzan Samanci

© Éditions A-Eurysthée 2017
ISBN 978-2-9701049-5-7

http://www.a-eurysthee.com
a-eurysthee@outlook.com

Éditions A-Eurysthée
Chemin du Cherpenau, 35
1805 Jongny
Suisse

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