On pourrait les appeler les Interculturels. Certains viennent de Chine. D'autres des Andes. Un bon nombre aussi du domaine arabo-islamique. Ils ont en commun d'avoir gardé leur vision d'origine, même s'ils la fécondent d'éléments grammaticaux et de thèmes empruntés à la contemporanéité internationale. Somme toute, là où les Postmodernes jouent diachroniquement avec les époques, les Interculturels jouent synchroniquement avec les cultures.
REMZI est exemplaire à cet égard. Ses thèmes sont un fauteuil, une table, une montagne de la Drôme ; et, dans sa grammaire, on sent qu'il regarde admirativement les Impressionnistes et Cézanne, surtout Matisse.
Mais la vision de base, le travail cérébral de base vient de plus loin, dans le temps, mais surtout dans l'espace. Elle suppose les plateaux moyens du Kurdistan, irrigués du Tigre et de l'Euphrate, par où les céréales sauvages des très hauts plateaux d'Anatolie et d'Arménie sont pour la première fois descendues vers les plateaux inférieurs de la Mésopotamie, fondant nos premiers empires. Cela saute aux yeux dès le trait. Le dessin ne tente pas de cerner ni d'appuyer, ni de creuser, mais d'écrire légèrement, en un suspens de la ligne qui est l'écriture arabe. En tapis volant. Le transatlantique pliable à merci, et dont les appuis mêmes ne sont que des pliures impondérables devaient fournir à REMZI une série inspirée.
Toute étoffe également. Sinon que chez lui les nappes de Cézanne deviennent l'aile, la ceinture et le turban géant de l'archange des merveilles de la création datés de 1370.
La lumière suit, plus proche de Byzance que d'Argenteuil. Elle n'est pas tombée sur les choses, elle ne s'est pas reflétée sur les choses, elle en est « exsudée » de par derrière, de par dedans, comme disait le vieux SUIDAS parlant des murs de mosaïque. Donc pas la couleur de l'icône russe visqueuse et rayonnante, créant une transcendance proche, mais justement des teintes glissées qui ne compromettent pas l'absolue non-épaisseur de l'arabesque.
Techniquement, ce sont les pigments du pastel sec sous l'huile, l'huile Blockx plutôt que Talens.
Henri VAN LIER - février 1989
« Ma vie à Montparnasse »
La vie à Montparnasse... Une chambre sous les toits, en haut de la rue de Rennes.
Le Sélect tous les soirs, lieu de rencontre de tous les peintres du moment, toutes générations et origines confondues... c'était rassurant. L'ambiance était motivante pour travailler !
En pleine « abstraction », je me posais sans cesse des questions. On me disait : « si cet arbre est là, c'est un hasard ». Moi, je pensais le contraire : « s'il attire mon regard, c'est parce que je ressens quelque chose de cet arbre... »
À ce moment, je lisais beaucoup aussi pour chercher, pour comprendre et je m'arrêtai net sur Héraclite : « ce qui est important, c'est la vision invisible ». L'essentiel pour moi, c'est la dualité des choses.
Je me posais tellement de questions... mais, lorsque je les soumettais aux autres peintres, ils me trouvaient prétentieux ; en plus, physiquement, j'avais l'air d'un gamin.
Après la « dialectique », j'ai peint quelques toiles abstraites, mais j'avais besoin d'un autre mode d'expression plus conforme à mes aspirations. Je suis donc allé prendre des cours de gravure chez Friedlander et me suis inscrit aux Métiers d'Art pour parfaire la technique du dessin animé que j'avais pratiquée en Turquie pour gagner ma vie.
Bien qu'admis à l'Ecole des Beaux-arts, j'y trouvais un enseignement semblable à celui que j'avais suivi à Istanbul.
La vie à Montparnasse était bien plus exaltante. C'était pour moi une seconde naissance.
On passait du Sélect au Dôme, du Dôme à la Coupole et au Falstaff avec son premier étage réservé aux joueurs d'échecs... Même très tard dans la nuit le cuisinier acceptait toujours de me donner quelque chose alors qu'il venait de terminer son service... c'était rassérénant.
Je fréquentais également le foyer des artistes où il y avait Léone, la serveuse, dont j'ai fait le portrait. Je retrouvais régulièrement LEOPOLD LEVY, ami de Braque et de Derain qui, en me présentant à Max Ernst, lui dit : « n'oublie pas ce nom ! »
Et puis Krémègne arrivait ; Léopold Lévy disait : « voilà le sous-préfet ! » (le « préfet » étant Soutine), suivaient Manekatz, Zadkine, Bitran, Yves Klein, qui à l'époque donnait des cours de judo !... César Charchoune, Moualla...
À la Coupole, Giacometti écrivait ou dessinait sur les nappes en papier... et dès 10 heures, le dimanche, Sartre, lui, était attablé au Sélect avec sa fille adoptive. Il y avait aussi Mouloudji, Peter Ustinov, Roger Blain, Guy Béart, le sosie de Belmondo et même un authentique descendant des Bourbons !
C'est « l'Expulsé » qui a été une toile déterminante de ma carrière, et de ma vie à Montparnasse. Quand, seul, face à moi-même, je continuais de m'interroger sur les limites de « l'abstraction », je repensais à Héraclite qui confirmait mes intuitions.
Je me suis donc remis à peindre des personnages, des natures mortes, des fleurs... les compagnons de mon enfance, ainsi que des meubles. Une douloureuse solitude m'envahissait et je retrouvais les âmes avec lesquelles j'avais toujours correspondu. L'émotion était intacte, pure et extrême.
Lorsque je retournais au Sélect, les points de vue s'affrontaient, toujours aussi violents : les uns affichaient un avant-gardisme aveuglé, les autres dénigraient systématiquement toute figuration.
On était au coeur du débat qui a toujours cours aujourd'hui et reste vain : « post-avant-garde ›>, « avant-garde >›, « figuratif », « contemporain »... le faux débat qui consiste à imposer à l'artiste le sens du sens !
J'avais choisi.
Ma voie, singulière, excluait tout parti pris esthétique, mais c'était la mienne.
Antonioni aussi, dans ses films, éclaire de l'intérieur tout ce qu'il touche des yeux. « Il y a des jours où une table, un lit, une étoffe ou un homme, c'est la même chose », disait Monica Vitti dans « l'Eclipse »... Même époque, mêmes lieux où tous les arts s'embrassent et se confondent.
Le musée Montparnasse restitue à son quartier une part de son histoire, sa dimension interculturelle et intemporelle.
Propos recueillis par Eve FEGYVERES
« LE DIVAN CARNIVORE »
Compagnon de longue date dans l'atelier, avachi par le temps, semble-t-il... mais REMZI, interpellé, va brusquement lui rendre toute sa superbe. Sa puissance rassurante devient une invite, une invite à l'abandon, à l'épanchement, aux confidences.
Là encore, la femme offerte, certains y verront de la provocation, n'est qu'une image extérieure : la nudité, parfois maladroite, ne l'est que par l'immense pudeur de l'âme.
Chez REMZI, le corps et la tête ne font pas un, ou bien dans l'abandon du sommeil. La chair offerte n'est qu'une apparence ; ici un visage que l'on cache, là un pied sur le qui-vive, et puis audelà de toute espérance, la magie opère : le corps, libre, voyage sur un tapis volant, image chère à HENRI VAN LIER...
Là non plus REMZI ne va pas dans la facilité.
Le voyage intérieur continue, qui fait référence à la dualité homme femme, à la confrontation du sexe et de l'âme, à l'abandon et à la maîtrise, à ce que l'on est obligé de montrer mais que l'on ne veut, ou ne peut pas, lâcher.
Les « divins divans » ne représentent-ils pas également les voyages au long cours chez les psychanalystes ?
Les « divins divans », l'aboutissement de l'étude étonnante de REMZI dans le foisonnement des cafés et
autres lieux de Montparnasse-la-belle.
Eve FEGYVERES - juillet 2005 -
Le et le musée du Montparnasse C E P.S présentent REMZI « de Montparnasse aux divins divans » musée du Montparnasse
lieu emblématique de l'Art interculturel et intemporel 21 avenue du Maine - 75015 Paris Le musée du Montparnasse restitue à son quartier une part de son histoire : sa dimension interculturelle et intemporelle.