L'expérience de Mahabad et le problème social Kurde
La première République kurde indépendante, fondée le 15 décembre 1945, à Mahabad, n'aura duré qu'un an ; dès le 15 décembre 1946, elle a dû s'effacer devant les troupes de Téhéran. Nous avons essayé ici même, à l'aide des premiers renseignements parvenus, de retracer la chronique de cette expérience, en la considérant dans le cadre du mouvement national kurde Des informations plus complètes, publiées en particulier par M. Archie Roosevelt Jr, dans le Middle East Journal, d'avril 1947, et par M. Philips Price dans le Manchester Guardian, des 18, 21 et 23 octobre 1947² permettent aujourd'hui d'analyser plus à fond cette importante manifestation du nationalisme kurde ; elles indiquent également les leçons que, pour sa part, le gouvernement iranien a cru devoir en tirer, et qui sont dignes d'être commentées.
H. Semain
Les problèmes de l'immigration nord-africaine / 155
F. Paréja
Le pèlerinage musulman, routes et organisation / 166
P. Rondot
L'expérience de Mahabad et le problème social kurde / 178
Chroniques
Le Yémen en émoi (Carlos Chad) / 184
Les élections algériennes des 4 et 11 avril (H. S) / 191
Chroniques brèves du monde musulman / 193
Documents et notes / 201
Recensions – Références
L'expérience de Mahabad et le problème social Kurde
La première République kurde indépendante, fondée le 15 décembre 1945, à Mahabad, n'aura duré qu'un an ; dès le 15 décembre 1946, elle a dû s'effacer devant les troupes de Téhéran. Nous avons essayé ici même, à l'aide des premiers renseignements parvenus, de retracer la chronique de cette expérience, en la considérant dans le cadre du mouvement national kurde Des informations plus complètes, publiées en particulier par M. Archie Roosevelt Jr, dans le Middle East Journal, d'avril 1947, et par M. Philips Price dans le Manchester Guardian, des 18, 21 et 23 octobre 1947² permettent aujourd'hui d'analyser plus à fond cette importante manifestation du nationalisme kurde ; elles indiquent également les leçons que, pour sa part, le gouvernement iranien a cru devoir en tirer, et qui sont dignes d'être commentées.
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La république kurde fut proclamée à Mahabad par un chef religieux local, issu d'une famille respectable de la petite cité, Qadi Mohamed. Gardons-nous ici d'une analogie spécieuse : plusieurs chefs religieux, de cheikh Obeidullah à cheikh Saïd et à cheikh Ahmed de Barzan, ont joué un rôle déterminant dans les récents mouvements kurdes. Mais il s'agissait de tout autres personnages ; c'étaient des maîtres de confrérie, vivant en montagne au milieu des gens de tribus, alliés aux familles de leurs chefs, exerçant sur l'ensemble de cette rude population une vaste influence qui allait jusqu'au commandement naturel.
Qadi Mohamed, au contraire, était un citadin de vieille souche ; M. A. Roosevelt nous le dépeint, courageux, maître de lui, d'esprit ouvert, certes, mais de voix douce, petit mangeur, passionné de linguistique et amateur d'étymologies risquées : un honnête intellectuel moderne d'Orient. Souvent déjà pareils bourgeois lettrés ont figuré dans les mouvements nationaux kurdes : dépourvus du nom qui fonde le prestige sur le peuple, ils n'y ont tenu que des seconds rôles, quitte en revanche à briller dans l'oeuvre de renaissance culturelle, comme un Tewfiq Wehbé, en Irak. Le mouvement kurde de Mahabad ne dut pas son origine, d'ailleurs, à Qadi Mohamed, mais à un groupement de jeunesse, le Komala î Ziani Kurd, dont l'influence s'étendit bientôt à plusieurs autres centres kurdes. L'activité politique de groupes de jeunesse, essentiellement citadins et bourgeois, caractérise depuis vingt ans le nationalisme arabe ; mais ce n'est que tout récemment qu'elle s'est étendue à la société kurde, dont ce phénomène atteste l'évolution.
Les jeunes du Komala avaient, semble-t-il, trouvé audience dans le milieu tribal ; en revanche, la personnalité de Qadi Mohamed leur fut, d'après M. A. Roosevelt, imposée de l'extérieur. Les Soviets, désireux de tenir le mouvement en mains, l'auraient ainsi coiffé d'un chef sensible à leur influence ; devant les réticences des féodaux, ils se seraient accommodés d'un notable citadin. A vrai dire, le mécanisme de cette action soviétique reste, à travers les descriptions de l'observateur américain, quelque peu obscur. Sur le plan d'étude sociologique auquel nous nous tenons ici, l'essentiel est d'ailleurs de noter le caractère surtout urbain du mouvement de Mahabad, imparfaitement associé au monde tribal en dehors duquel on n'eût point imaginé jadis qu'il pût subsister...
En terre d’Islam
Mais - Juin
1948
Revue du monde Musulman
Quatrième série no 3 vingt-troisième année
Rédaction & Services, 4, montée de Fourvière, Lyon