Nūr ad-Dīn, un grand prince musulman de Syrie au temps des Croisades, t. 1
Nikita Elisséeff
Institut français de Damas
Le choix de notre sujet a été déterminé par le désir de combler une lacune que déplorait Sir Hamilton Gibb dès 1933: « Ce n'est pas seulement de un ou de deux ouvrages généraux dont nous avons besoin mais de séries entières de monographies sur des personnages importants... Il n'est pas une seule figure politique antérieure à Saladin et à la Troisième Croisade (Tughtakin, Il-Ghāzī, Zanki, Nour ad-Din) qui ait encore été étudiée en détails... » (1). Cette lacune Jean Sauvaget la signalait encore en 1943 (2).
Si nous avons choisi Nūr ad-Dīn de préférence à un autre personnage, c'est à cause de la place qu'il a tenue dans l'histoire de l'Orient musulman médiéval et même dans l'histoire mondiale. Ce prince, dont son contemporain Guillaume de Tyr disait qu'il était « vir providus et discretus, dux timens Deum », - homme avisé et remarquable, chef craignant Dieu, - et que Michelet considérait dans son Histoire des Croisades comme « un des saints de l'islamisme », Ernst Herzfeld le définissait ainsi: « Nūr ad-Dīn Mahmūd b. Zengi b. Aq Sunqur, d'origine turque, prédécesseur de Şalāh ad-Dīn Yūsuf b. Ayyūb, l'Ayyoubide d'origine kurde, est une figure moins spectaculaire et aussi moins connue en Occident, mais c'est une personnalité plus remarquable et d'importance historique plus grande même que Saladin » (3).
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Table des matières
Avant-propos / XIII
Bibliographie / XIX
Index bibliographique / LXXI
Introduction
Les sources / 1
A. Les sources contemporaines (VIe/XIIe s.) / 9
a) Les sources arabes / 9
b) Les sources non arabes / 31
B. Les sources d'époque ayyoubide / 35
C. Les auteurs d'époque mamelouke / 55
D. Les sources géographiques / 81
Première Partie
Le cadre topographique de la politique de Nūr ad-Dīn / 87
I. Aperçu de géographie physique / 89
Généralités / 90
A. Le relief / 91
a) Djéziré / 92
b) Syrie du Nord / 93
c) Syrie du Sud / 93
d) Palestine / 94
B. Le climat / 95
a) Djéziré / 96
b) Syrie du Nord / 97
c) La côte méditerranéenne / 97
C. Les fleuves / 98
II. Topographie historique / 103
I. La Djéziré / 103
A. Diyār Rabī'a / 104
a) Le bassin du Hābūr / 124
b) La plaine de Sinğar / 128
B. Diyār Bakr / 132
C. Diyār Mudar / 138
a) Région du Balīh / 139
b) Le Moyen Euphrate / 146
c) La route de l'Euphrate / 155
III. La Syrie / 161
A. La province d'Alep / 161
a) Région des ‘Awāşim / 161
b) La ligne du nahr Sağūr / 166
c) La route de l'Euphrate à Alep par Manbiğ / 169
d) La ville d'Alep / 172
e) Le bassin du Quwayq / 178
f) La vallée du nahr ‘Afrīn / 182
g) La route d'Alep vers l'Ouest / 186
h) La route vers Antioche par le Nord / 190
i) La route vers Antioche par le Sud / 199
B. Les massifs au Sud-Ouest d'Alep 202
a) Ğabal Bārīšā / 202
b) Ğabal al-A’lā / 204
c) Ğabal Duwaylī / 205
d) Ğabal Zāwiya / 210
C. La région de Hama / 220
D. La province de Himş / 227
a) La Palmyrène / 231
b) La trouée de Himş / 237
c) La région du lac de Himş / 241
E. La province de Damas / 242
a) La Biqā’ / 242
b) Les routes de Himş à Damas / 248
c) La Ğūta / 250
d) Damas / 255
F. Le Hauran / 261
a) Le Ğaydur / 264
b) Le Lağā' / 264
c) Al-Batanīya / 266
d) Le Cabal al-'Arab et le Hauran / 267
e) Le Ğawlān / 271
f) Le bassin du Yarmūk / 273
AVANT-PROPOS
Le choix de notre sujet a été déterminé par le désir de combler une lacune que déplorait Sir Hamilton Gibb dès 1933: « Ce n'est pas seulement de un ou de deux ouvrages généraux dont nous avons besoin mais de séries entières de monographies sur des personnages importants... Il n'est pas une seule figure politique antérieure à Saladin et à la Troisième Croisade (Tughtakin, Il-Ghāzī, Zanki, Nour ad-Din) qui ait encore été étudiée en détails... » (1). Cette lacune Jean Sauvaget la signalait encore en 1943 (2).
Si nous avons choisi Nūr ad-Dīn de préférence à un autre personnage, c'est à cause de la place qu'il a tenue dans l'histoire de l'Orient musulman médiéval et même dans l'histoire mondiale. Ce prince, dont son contemporain Guillaume de Tyr disait qu'il était « vir providus et discretus, dux timens Deum », - homme avisé et remarquable, chef craignant Dieu, - et que Michelet considérait dans son Histoire des Croisades comme « un des saints de l'islamisme », Ernst Herzfeld le définissait ainsi: « Nūr ad-Dīn Mahmūd b. Zengi b. Aq Sunqur, d'origine turque, prédécesseur de Şalāh ad-Dīn Yūsuf b. Ayyūb, l'Ayyoubide d'origine kurde, est une figure moins spectaculaire et aussi moins connue en Occident, mais c'est une personnalité plus remarquable et d'importance historique plus grande même que Saladin » (3).
Si Nūr ad-Dīn n'a pas été apprécié à sa juste valeur c'est que les historiens occidentaux ont surtout utilisé pour la période de l'Islam médiéval des sources ayyoubides qui ont minimisé le rôle de Nūr ad-Din. Certes Saladin a eu plus de chance, il a bénéficié du talent des panégyristes dont les œuvres nous sont parvenues et il a, en sa qualité d'adversaire de Richard cœur de Lion, intéressé non seulement les orientalistes anglais mais un écrivain romantique aussi populaire que Walter Scott. Depuis plusieurs générations Saladin est le type du héros musulman chevaleresque de l'époque des Croisades, mais ce portrait ne visait-il pas, en exaltant les vertus de l'adversaire, à diminuer l'amertume de la défaite franque à Jérusalem ?
Il nous a aussi paru utile de remettre en lumière une période souvent mal connue de l'histoire de la Syrie. L'histoire de ce pays est à la fois très connue et très ignorée, en effet l'éclat de l'Antiquité classique, le lustre des premiers Omeyyades, les efforts de la rénovation contemporaine ont laissé dans l'ombre des époques glorieuses comme le règne de Nūr ad-Dīn ou le gouvernement autonome de Tengiz.
Nous avons tenté dans le présent ouvrage de faire la monographie d'un grand prince musulman de Syrie au temps des Croisades: Nūr ad-Dīn. Pareil dessein devait nous mettre en face d'un certain nombre de difficultés et nous sommes conscients de certaines imperfections. Le plan que nous avons adopté est fort simple. Nous avons commencé par un exposé général sur les sources qui ont servi pour notre étude, nous les avons classées en cinq catégories : les sources historiques contemporaines arabes et non arabes, les sources ayyoubides, des auteurs de l'époque mamlouke ainsi que des sources géographiques. La valeur de ces sources est très inégale, nous manquons de textes contemporains et parmi les sources narratives dont nous disposons bien peu ont un caractère de témoignage direct pour notre sujet. Nous avons du moins cherché à donner à chaque auteur sa place dans l'historiographie et à souligner son importance par rapport à la période précise qui nous intéresse.
L'Orient médiéval n'a pas un décor impersonnel, théorique et abstrait, c'est une région du monde dont le climat, le relief et l'hydrographie avec leurs contrastes étaient peu différents de ceux d'aujourd'hui. Nous avons cru devoir faire un exposé de la topographie historique de l'empire zenguide, c'est-à-dire de la Djéziré et de l'ensemble de la Syrie dans lequel, aux renseignements livresques que nous avons regroupés nous avons, chaque fois que cela nous a été possible, ajouté des observations personnelles faites sur le terrain. Cet examen direct nous a permis, sur bien des points, de mieux comprendre les faits militaires, politiques ou économiques. Les falaises abruptes de la rive droite du Moyen Euphrate constituent une barrière sérieuse, mais le désert de Palmyre n'était pas un obstacle infranchissable pour relier Damas ou Himş à la Djéziré; la nature du sol explique la richesse agricole de telle région ou le paysage désolé de telle autre, et combien de détails prennent une valeur particulière quand on les voit. L'une des originalités du pouvoir zenguide aura été d'avoir englobé dans un seul Etat la Djéziré et la Syrie du Nord ainsi que la Syrie centrale et méridionale, cette dernière depuis la fondation du Royaume Latin de Jérusalem ne gravitait plus dans l'orbite de l'Égypte et subit l'attraction zenguide. L'action de Nūr ad-Din se situe dans un ensemble de régions que l'on a souvent appelé « le Croissant fertile ».
L'absence d'un exposé de la chronologie des faits politico-militaires de la seconde moitié du VIe / XIIe siècle en Syrie nous a amené à le faire en centrant notre examen sur l'activité de Nūr ad-Dīn. Ce prince, prenant comme thème général de son action politique la restauration de l'Islam sunnite, a été le premier artisan de l'unité syrienne, il fut le premier à contre-attaquer de façon décisive les Croisés et le premier aussi à préparer la reconquête de la Palestine et l'élimination de l'hérésie fatimide d'Égypte.
Nous avons consacré la troisième partie de notre travail à l'organisation intérieure du royaume de Nūr ad-Dīn et notamment à la vie sociale et économique. Pour compléter les renseignements fournis par les sources écrites nous nous sommes appuyés sur les documents archéologiques.
Le ğihād, un des éléments essentiels, sinon l'essentiel, de la politique de Nūr ad-Dīn, conditionne toute la vie sociale et économique au Vie / XIIe siècle en Syrie. C'est pourquoi nous avons commencé cette dernière partie par l'exposé des deux aspects de cette guerre sainte: l'aspect militaire et l'aspect religieux. De l'un et de l'autre nous pouvons encore voir de nos jours les vestiges architecturaux. Les édifices, témoins des différents aspects de la politique du souverain zenguide, sont pour nous d'utiles documents.
Lorsque les monuments sont datés par une inscription ils constituent d'irréfutables jalons pour marquer les étapes de l'évolution de la vie du pays. Chaque vestige archéologique nous éclaire sur une des préoccupations majeures de la politique de Nūr ad-Din, la construction des fortifications souligne l'aspect défensif du ğihād. Des inscriptions monumentales en rappellent l'aspect offensif que nous avons traité dans un chapitre consacré à l'armée.
L'aspect religieux du ğihād de Nūr ad-Dīn, celui qui se manifesta par une profonde rénovation sunnite, est mis en lumière par le grand nombre de monuments de culte et d'enseignement élevés au milieu du VIe / XIIe siècle par le prince et son entourage. Madrasa, dār al-hadīt, ribāt et hänāqāh apportent leur témoignage matériel du zèle sunnite de cette époque.
Nous avons donné les grandes lignes du système administratif sous Nūr ad-Dīn et dans un chapitre consacré à la fiscalité et aux finances nous avons fait le bilan des ressources de l'État et des dépenses publiques.
Pour terminer notre travail nous avons brossé un diptyque représentant la vie urbaine et la vie rurale. Dans le tableau de la vie urbaine sous Nūr ad-Dīn nous avons mis l'accent sur la société, les œuvres sociales de Nūr ad-Dīn et l'économie urbaine. Dans celui de la vie rurale nous nous sommes attaché à l'étude de l'agriculture qui fut de tous temps la principale activité économique de la Syrie.
L'obstacle majeur que nous avons rencontré pour évoquer la vie intérieure du royaume de Nūr ad-Dīn vient des sources utilisables, leur caractère fragmentaire ne nous permet pas d'avoir une vue complète des choses. Nous ne possédons pour le Vie / XIIe siècle en Syrie ni de pièces d'archives ni de relations de voyageurs occidentaux comme pour les siècles suivants.
Si telle qu'elle est notre étude sur Nūr ad-Dīn peut susciter de nouvelles recherches sur ce grand prince musulman de Syrie au temps des Croisades nous pensons que notre effort n'aura pas été inutile.
Ce travail a son origine dans l'enseignement de Jean Sauvaget dont j'ai pu être l'élève à Paris de 1938 à 1945 tant à l'École Nationale des Langues Orientales Vivantes qu'à la IVe section de l'École Pratique des Hautes Études. Une mort prématurée l'empêcha de me guider dans mes recherches. Ces recherches je n'aurai pu les entreprendre sans les cours d'arabe de mon maître Régis Blachère ni sans les conseils toujours bienveillants de Gaston Wiet, membre de l'Institut.
Je n'oublie pas mes dettes envers trois grands disparus: René Grousset, Louis Massignon et Évariste Lévi-Provençal qui avaient bien voulu s'intéresser à mon travail.
Ma pensée reconnaissante va à Monsieur Claude Cahen, professeur à la Sorbonne, qui a bien voulu diriger mon travail et qui m'a fait bénéficier de sa large expérience et de son grand savoir.
C'est surtout à Monsieur Henri Laoust, professeur au Collège de France et directeur de l'Institut Français d'Études Arabes, que s'exprime ma gratitude, non seulement pour avoir accueilli cet ouvrage dans les publications qu'il dirige mais surtout pour m'avoir, pendant de longues années, guidé avec une amicale sollicitude dans l'apprentissage de l'Orient.
Je me dois aussi de remercier Monsieur Jean Basdevant, ministre plénipotentiaire, et ses collaborateurs de la Direction Générale des Relations Culturelles au Ministère des Affaires Étrangères pour toute l'aide qu'ils ont bien voulu apporter à l'impression de ces trois volumes.
Ce m'est un agréable devoir de reconnaître ma dette envers tous ceux qui voulurent bien en France, au Liban et en Syrie m'encourager dans mes recherches, m'assister de leurs conseils et me faire bénéficier de leur expérience. Tous se sont acquis à ma gratitude des titres que je ne saurais oublier et qu'ils veuillent bien m'excuser de ne les point citer.
Qu'il me soit permis pour terminer d'exprimer ma profonde gratitude à ma femme qui a eu l'ingrate tâche de dactylographier ce travail.
Damas, le 8 mars 1966.
P. S. Je serais ingrat si je n'adressais pas mes vifs remerciements au personnel de l'Imprimerie Catholique de Beyrouth qui, avec un soin particulier, a mené à bien l'impression de cet ouvrage.
Paris, janvier 1967.
(1) Notes on the Arabic Materials for the History of the Early Crusades, BSOS, VII, 1933, 739.
(2) Introduction à l'Histoire de l'Orient Musulman, 1 re édition, Paris, 1943, 143.
(3) Damascus: Studies in Architecture, Ars Islamica, IX, 1942, 3.
Nikita Elisséeff
Nūr ad-Dīn, un grand prince musulman de
Syrie au temps des Croisades, tome 1
(511-569 h. / 1118-1174)
Institut français de Damas
Institut français de Damas
Nūr ad-Dīn, un grand prince musulman de
Syrie au temps des Croisades, tome 1
(511-569 h. / 1118-1174)
Nikita Elisséeff
Thèse pour le Doctorat ès-lettres
Présentée à la Faculté des lettres et Sciences Humaines
De l’Univesité de Paris
Nikita Elisséeff
Licencié ès-lettres
Damas
1967
Carte de la Syrie à l'époque de Nūr ad-Dīn
Achevé d'imprimer sur les presses de l'imprimerie catholique à
Beyrouth, le sept juillet, mil neuf cent soixante-sept