Cinquante deux versets de Cheīkh Amīr en dialecte Gūrānī
Mihemed Mokri
Société Asiatique
La religion des Ahl-e Heqq (les Fidèles de Vérité) n'est plus depuis quelque temps un domaine inconnu (1). Avant de formuler une théorie générale et d'expliquer les origines de la secte, nous voulons présenter à titre d'exemple la traduction suivie de quelques notes d'une de ses dont l'auteur est Cheīkh Amīr.
Cheīkh Amīr était un des plus grands «Voyants» (dīda-dār). Parmi les docteurs en théologie, chez les Ahl-e Haqq, deux catégories sont particulièrement importantes (2) :
a. Les Kalām-Xwān ou «Récitants» qui lisent et psalmodient les Kalām, c'est-à-dire les livres sacrés de la secte, et qui discernent les Kalām apocryphes des Kalām authentiques;
b. Les dīda-dār ou «Voyants»; c'est-à-dire ceux qui ont une ...
CINQUANTE DEUX VERSETS DE CHEĪKH AMĪR EN DIALECTE GŪRĀNĪ
Par M. Mokri
La religion des Ahl-e Heqq (les Fidèles de Vérité) n'est plus depuis quelque temps un domaine inconnu (1). Avant de formuler une théorie générale et d'expliquer les origines de la secte, nous voulons présenter à titre d'exemple la traduction suivie de quelques notes d'une de ses dont l'auteur est Cheīkh Amīr.
Cheīkh Amīr était un des plus grands «Voyants» (dīda-dār). Parmi les docteurs en théologie, chez les Ahl-e Haqq, deux catégories sont particulièrement importantes (2) :
a. Les Kalām-Xwān ou «Récitants» qui lisent et psalmodient les Kalām, c'est-à-dire les livres sacrés de la secte, et qui discernent les Kalām apocryphes des Kalām authentiques;
b. Les dīda-dār ou «Voyants»; c'est-à-dire ceux qui ont une «vision» une révélation divine et qui prophétisent les événements.
Le dīda-dār est en même temps «récitant»; il doit avoir trois qualités:
1° Prophétiser et prévoir les événements d'une façon claire et sans énigmes;
2° Avoir une bonne conduite;
3° Sans parler de miracles, il a le pouvoir de modifier, par ses prières, certains effets malheureux du hasard.
D'après des on-dit certains dīda-dār parviennent même à réaliser des miracles.
Les Ahl-e Haqq sont divisés en 11 Tribus (Xāndān). Du point de vue religeux, tous sont de même origine mais chaque sectateur, d'après son lieu d'hahitation et ses désirs personnels, est rattaché à l'une de ces Tribus.
Les paroles du dīda-dār font loi pour l'ensemble de la Tribu même si elles sont contraires à celles des Guides (Pīr).
Pour préciser l'importance du dīda-dār on raconte chez les Ahl-e Haqq que Benyāmīn dit à Soltān: «La Religion de Vérité n'est pas encore accomplie. Comment le sera-t-elle?» et Soltān répondit : «Le dīda-dār est le Livre de Vérité».
Et les Ahl-e Haqq ont dit : «S'il manque à un dīda-dār l'une des qualités de sa condition il ne sera pas véritablement un dīda-dār.
Et si une même époque voit naître plusieurs dīda-dār, il faut suivre les paroles de celui qui sait le mieux convaincre les autres dīda-dār.
Si parmi tous les dīda-dār aucun n'éclipse les autres, c'est au sectateur qu'il appartient de choisir celui qu'il veut. Si un dīda-dār précise que sa loi doit être suivie même après sa mort, ses sectateurs doivent continuer à l'observer quand il n'est plus. S'il ne le précise pas, il n'est pas nécessaire de la suivre après sa mort.
D'après les textes des Ahl-e Haqq, le dīda-dār est un «Voyant» qui est vigilant, perpétuellement en attente de l'Épiphan e. Il connaît les mystères. Chaque fois que Dieu Se manifeste, les Voyants en témoignent. Les Voyants sont inférieurs aux anges, mais supérieurs aux autres hommes. Leur conduite et leurs opinions servent de modèle aux fidèles.
Selon les apparences, c'est-à-dire exotériquement, le Voyant est le substitut de Dieu sur la terre en l'absence de Manifestation. Mais esotériquement c'est la communauté tout entière des Ahl-e Haqq prise dans ses Réunions spéciales (jam) et les livres sacrés (kalām/ qui, ensemble, constituent la représentation de Dieu sur la terre.
Chez les Ahl-e Haqq existe la notion d'une inhabitation passagère de Dieu ou d'un ange dans un homme qui devient alors dans le cas où il est «visité» par Dieu Shāh-Mehmān, ou par Bemyāmīn, ou les autres anges, Bemyāmīn-Mehmûn, etc. Quelques Ahl-e Haqq croient que Ch. Amïr était Bemjûmin-Mehmān, d'autres qu'il était la manifestation de Benyāmīn du temps de Seyd Fandi de la Tribu (Xāndān) Xāmāšī.
Ch. Amīr, qui est l'auteur de nombreuses mélodies (3) est illustre parmi les Ahl-e Haqq par ses compositions et ses poèmes. Il est enterré au village de Qazwīna dans le canton de Kangāwar, à 1 8 km à l'Ouest de la ville de Kangāwar (province du Kermānchāh). Nous connaissons peu de choses sur lui, mais selon «les Fidèles de Vérité», il vivait il y a deux cent cinquanle ans.
Dans ses poèmes, il célèbre la tradition religieuse de son peuple. J'ai entre autres en ma possession divers manuscrits donnant différentes versions de ses oeuvres.
«Les cinquante-deux versets» que nous présentons ici, conslituent une partie intéressante de ses ouvres. Ce poème, écrit en dialecte gūrānī, est composé de cinquante-deux versets, comme l'indique le titre. Chaque verset comporte 3 hémistiches de 10 syllabes et un titre de 5 syllabes qui se répèle dans la seconde moitié du premier hémistiche.
J'ai réalisé ce travail à l'aide de 6 manuscrits qui sont tous en ma possession; on trouvera ici des références à trois d'entre eux, les trois autres n'offrant guère de différences avec ceux-ci. Le ms. A est un recueil calligraphié de tous les poèmes de Ch. Amīr; c'était la version utilisée dans les tribus des Gūrān...
(1) Pour informations sur la provenance de la secte voir les savants travaux de M. V. Minorsky, ainsi que la Bibliographie qu'il donne dans les notes sur la secte des Ahl-e Haqq (RMM , vol. XLIV, 1921) et plus récemment le livre de M. W. Ivanow, The truth Worshippers of Kurdistan, Ahl-e Haqq texts, Leiden (édile à Bombay), 1953.
(2) D'après un ms. inédit dont l'auteur est Hāj Nūr 'Alī Elāhī et qui comporte des questions et des réponses au sujet des croyances de la secte.
(3) J'en donnerai ailleurs une analyse détaillée.
Mihemed Mokri
Cinquante deux versets de Cheīkh Amīr en dialecte Gūrānī
Société Asiatique
Société Asiatique
Cinquante-deux versets de
Cheīkh Amīr en dialecte Gūrānī
Par M. Mokri
Attaché de Recherches au
Centre National de la Recherche Scientifique
Membre de la Société Asiatique
Extrait du Journal Asiatique
(Année I 956)
Paris
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Societe Asiatique
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Librairie Orientaliste Paul Geuthner
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MDCCCCLVI