Le crépuscule ottoman
Roland Bareilles
Éditions Privât
Dans mes souvenirs d’enfance, je n’avais jamais oublié cette vieille carte de géographie, un peu mystérieuse, reléguée au fond d’un tiroir dans le bureau de mon père. On y voyait, simplement tracés à la main, deux ou trois rivières, des villes aux noms étranges et de jolis dessins aux crayons de couleur. Vingt ans plus tard, alors que je résidais à Bagdad, je me trouvais un jour de passage à Paris chez mes parents et le hasard me fit tomber sur cette vieille carte. Je l’ouvris et je fus stupéfait en lisant les noms de Kirkouk, Kayara, Baba-Gourgour, Tuz- Kourmatou... J’ignorais presque tout des questions pétrolières, mais j’étais déjà familiarisé avec ces sites qui comptent parmi les hauts lieux du fabuleux patrimoine pétrolier de l’Irak. En examinant encore la carte, je vis que les « jolis dessins » représentaient des courbes de niveau et des formations géologiques. Intrigué, j'interrogeai mon père. « Oh ! me dit-il, ce n’est rien... une vieille histoire... ton grand-père avait obtenu la concession de pétroles d’Irak... mais finalement l’affaire n’a pas abouti. » Il ne m’en dit jamais plus et, loin d’assouvir ma curiosité, il l’avait attisée davantage. Quel homme était donc mon grand-père ? Je résolus de le savoir.
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Sommaire
Préface / 13
Avant-propos / 15
Première partie
Des Pyrénées aux Dardanelles:
Le Monde de Stambouline (1880-1903)
1. La cour d’Abdul Hamid / 19
Le passé familial du précepteur et du sultan / 22
Les élèves de Bertrand Bareilles / 28
L’art de recevoir et d'offrir des cadeaux / 38
2. Aux Eaux-Douces d'Asie / 43
Les premières découvertes de Stambouline / 43
Escapade familiale / 50
Amoureux de la langue française et de Constantinople / 53
3. Constantinople la bigarrée / 57
Les Grecs de Constantinople / 62
Les Arméniens de Constantinople / 65
4. Le mirage irakien / 71
Les difficultés financières et la corruption de l'Empire / 74
Le rêve pétrolier / 79
Le beau-frère du sultan / 84
Bertrand et ses enfants / 86
La victoire des Allemands / 89
Une affaire menée tambour battant / 95
5. Stambouline au combat / 99
Un entourage inquiétant / 103
La visite de l'empereur d'Allemagne / 108
De Bakou à Constantinople / 111
Un nouvel ambassadeur / 115
6. Une Turquie à multiples facettes / 121
La tragédie arménienne / 125
Les contradictions orientales / 132
7. Les gisements de Mésopotamie / 141
La seconde venue du Kaiser / 145
Calouste Gulbenkian, un sérieux adversaire / 150
Concession pétrolière accordée / 155
8. Vive la France, son ambassadeur et Sarah Bernhardt! / 161
La fuite de Mahmoud Pacha / 163
Séjour en France / 167
Années d’insouciance / 171
Deuxième partie
Les fissures de la Sublime Porte (1903-1933)
9. Le paradoxe Abdul Hamid / 181
Les Kurdes sont eux aussi des victimes / 186
Réunions amicales et dissertations politiques / 189
Changements et pérégrinations / 194
10. La destitution du sultan triomphant / 205
Le quatuor des princes / 209
L'Empire menacé / 211
Les Jeunes-Turcs / 213
11. Des changements importants / 221
« Si le règne de M. Constans eût été plus court » / 223
Les amies de Bertrand Bareilles / 230
Ce que devient la famille impériale / 233
La dernière visite de Pierre Loti ? / 234
12. Encore la perfide Albion / 237
Le coup de force des Britanniques / 240
Tractations germano-britanniques / 244
13. L’hôtel Drouot et le Quai d’Orsay / 253
Une vente douloureuse / 255
Retour à Constantinople pour Stambouline et Pierre Loti / 260
14. La Grande Guerre / 269
« Nous sommes gouvernés par des ânes! » / 275
15. Le pessimisme de Bertrand Bareilles / 283
Reprise de l'affaire des pétroles / 286
16. Épilogues politiques / 299
Le khédive d’Égypte / 300
La question kurde / 305
Sa Majesté Abdul Medjid II, Commandeur des croyants / 310
17. Mission secrète / 317
Les réformes de Mustafa Kemal / 320
18. « Alla turca » / 325
Les amis émigrés / 328
Dernières publications / 333
Conclusion / 341
Annexes / 343
Bibliographie / 357
Index / 363
PRÉFACE
Mon cher Roland,
Dès l’adolescence, tu savais garder un secret. Après tant d’années, j’en découvre la preuve. Lorsque nous étions condisciples au lycée Janson-de-Sailly, tu ne m’as jamais dit un seul mot de Bertrand Bareilles, ton extraordinaire grand-père. Je gage que, dans la classe de philosophie de M. Pierre Salzy - nous l’entourions d’une vénération identique -, aucun de nous ne pouvait exciper d’un tel aïeul. Je songe à certains qui, dans un tel cas, n'auraient pas observé une telle discrétion!
À part les spécialistes du Proche-Orient, qui ont nécessairement dépouillé en bibliothèque ses ouvrages et ses articles, qui connaissait Bertrand Bareilles? Or nous découvrons un jeune Français, né sans père et dans l’extrême pauvreté mais orientaliste hors de pair, chargé soudain par Abdul Hamid, le fameux « Sultan rouge », de l’éducation du prince héritier et de plusieurs de ses autres fils.
L’irruption de ce petit Gascon en chaussures à clous à la cour ottomane est déjà par elle-même un conte oriental. Et la suite, donc! Traité en quasi-ami, couvert d’honneurs et de présents par le sultan, ton grand-père nourrissait deux ambitions: assurer une présence française dans cet Orient difficile qui alarmera de Gaulle et la soutenir - comme il voyait juste! - par l’expansion de notre langue dans la région. Au moment où s’ouvrait, au Proche-Orient, une compétition acharnée pour la conquête des fabuleux gisements pétroliers de Mésopotamie, tu le montres ulcéré par la méconnaissance - hélas délibérée - dans laquelle demeurait la France à l’égard de cet enjeu primordial pour l’avenir. Nous le voyons se jeter dans une aventure apparemment insensée et, triomphant d’innombrables obstacles, obtenir pour lui-même la concession que son pays avait méprisée! Qu’il n'ait pu aller plus loin n’est pas pour nous étonner: c'est une quasi-loi française.
D'évidence, il fallait que nous découvrions le regard si aigu, si lucide dont Bertrand Bareilles a enveloppé la cour ottomane, les détenteurs du pouvoir turc aussi bien que l'opposition grandissante qui déjà se préparait à le battre en brèche. Il fallait que nous sachions qu'un Français, au début du xxe siècle, avait tout prévu - je dis bien : tout - de ce qui aujourd’hui se déroule sous nos yeux. Nul ne l’aurait fait aussi bien que toi, cher Roland, seul à disposer d'incomparables archives familiales et de cette chance insigne: avoir connu ce grand-père, ton héros.
Alain Decaux de l’Académie française
Avant-propos
Dans mes souvenirs d’enfance, je n’avais jamais oublié cette vieille carte de géographie, un peu mystérieuse, reléguée au fond d’un tiroir dans le bureau de mon père. On y voyait, simplement tracés à la main, deux ou trois rivières, des villes aux noms étranges et de jolis dessins aux crayons de couleur. Vingt ans plus tard, alors que je résidais à Bagdad, je me trouvais un jour de passage à Paris chez mes parents et le hasard me fit tomber sur cette vieille carte. Je l’ouvris et je fus stupéfait en lisant les noms de Kirkouk, Kayara, Baba-Gourgour, Tuz- Kourmatou... J’ignorais presque tout des questions pétrolières, mais j’étais déjà familiarisé avec ces sites qui comptent parmi les hauts lieux du fabuleux patrimoine pétrolier de l’Irak. En examinant encore la carte, je vis que les « jolis dessins » représentaient des courbes de niveau et des formations géologiques. Intrigué, j'interrogeai mon père. « Oh ! me dit-il, ce n’est rien... une vieille histoire... ton grand-père avait obtenu la concession de pétroles d’Irak... mais finalement l’affaire n’a pas abouti. » Il ne m’en dit jamais plus et, loin d’assouvir ma curiosité, il l’avait attisée davantage. Quel homme était donc mon grand-père ? Je résolus de le savoir.
Dix années de minutieuses recherches m’ont fait découvrir un personnage étonnant. Derrière l'aimable professeur, le paisible helléniste, byzantinologue et turcologue, l'amoureux d’histoire et d’archéologie, il y avait le lutteur fougueux et passionné prêt à se jeter dans toutes les aventures. De fait, pendant les vingt-cinq dernières années du règne d’Abdul Hamid, mon grand-père s’est trouvé mêlé de près ou de loin, comme témoin et parfois comme acteur, aux rivalités, aux intrigues et aux tragédies qui ont marqué le régime impérial. Il ne lui avait pas suffi de fréquenter les chefs clandestins des révolutionnaires Jeunes-Turcs, de se lier d’amitié avec les princes impériaux en disgrâce, de s’impliquer dans la rivalité des émirs de La Mecque et les problèmes du khédive d’Égypte, de prendre fait et cause pour les Arméniens en détresse ...
Roland Bareilles
Le crépuscule ottoman
Éditions Privât
Editions Privât
Le crépuscule ottoman
Roland Bareilles
Ouvrage publié avec le concours du
Centre régional des Lettres Midi-Pyrénées.
En couverture:
La Corne d'Or et les quartiers de Péra et de Galata vus de Stamboul (1870).
© Collection Pierre de Gigord.
Portrait de Bertrand Bareilles. Peinture à l’huile exécutée par le prince Medjid,
futur calife Abdul Medjid II (1886). © Roland Bareilles.
© 2002, Éditions Privât
BP 828 - 31080 Toulouse Cedex 6
Roland Bareilles
Le crépuscule
Ottoman
1875-1933 Un Français chez
Le dernier grand sultan
Préface d'Alain Decaux de l'Académie française
ISBN: 2-7089-5611-6