La ville de Mardin est située au sud-est de la Turquie actuelle, à la jonction du plateau du Kurdistan et de la plaine de la Mésopotamie. C’est là que le père Jacques Rhétoré, ainsi que deux autres dominicains, les pères Simon et Berré, membres de la mission dominicaine de Mossoul, se trouvent déportés par les Turcs en 1914. C’est là qu’ils assistent, en 1915 et 1916, aux massacres des chrétiens, arméniens, syriens catholiques et jacobites, chaldéens, nestoriens et protestants.
Le récit du père Rhétoré est, à la fois, un reportage objectif et précis de cette tragédie et un «martyrologe» bouleversant. Ce document exceptionnel est publié en une période de notre histoire où l’actualité place encore à la une des journaux les noms de Mossoul, du Kurdistan et de la Turquie, où les relations entre l’islam et le christianisme demeurent difficiles et où la disparition progressive des chrétiens du Moyen-Orient se poursuit inexorablement.
Jacques Rhétoré est né, en 1841, à la Charité-sur-Loire. Il entre chez les Dominicains à l’âge de dix-huit ans. Après avoir été maître des novices, puis prieur, il rejoint la mission de Mossoul (Irak actuel) en 1874. En 1881, il fonde la mission de Van en Arménie, très éprouvée par la suite par les massacres des Arméniens en 1895. En 1920, il retourne à Mossoul où il meurt l’année suivante. Personnalité hors du commun, très doué pour les langues - il enseignera les langues orientales à l’École biblique de Jérusalem de 1893 à 1897 - le père Rhétoré devint un grand spécialiste de l’araméen et du soureth (dialecte néo-araméen oriental) dont il établira la grammaire. Il écrira de nombreux ouvrages dans cette langue (textes religieux ou profanes, chants populaires, cantiques, poèmes).
Table des matières
Préface par Jean-Pierre Péroncel-Hugoz / I Avertissement de l’éditeur / 7
Souvenirs / 9
I. - Avant les massacres / 13 II. - Les massacres dans la ville de Diarbékir / 25 III. - Les massacres dans les dépendances de Diarbékir / 43 IV. - Les massacres à Orfa / 51 V. - Préparation et organisation des massacres dans le sandjaq et la ville de Mardine / 55 VI. - Attaque de la chrétienté de Mardine, massacre des hommes et première hécatombe comprenant l’évêque arménien catholique / 61 VII. - Deuxième hécatombe d’hommes mardiniens / 67 VIII. - Recrudescence de massacres. Autres hécatombes d’hommes mardiniens / 79 IX. - Hécatombes de femmes. Les dames arméniennes de Mardine / 87 X. - Suite des massacres de femmes et de familles entières / 99 XI. - Le balayage final des Arméniens de la ville de Mardine. Assaut à leurs biens / 113 XII. - Massacres en diverses localités du sandjaq de Mardine / 117 XIII. - Massacres à Djébel-Tour / 127 XIV. - Massacres à Nisibe, Djézireh et ses alentours / 129 XV. - Nombre approximatif des victimes appartenant au vilayet de Diarbékir / 135 XVI. - Les déportés arméniens des autres provinces. Sort de leur convoi dans le vilayet de Diarbékir / 143 XVII. - Les convois de déportés étrangers en transit par Mardine / 151 XVIII. - Les lieux de déportation: Ras-El-Aïn, Derzor et Mossoul / 160 XIX. - Les massacres de Seert / 175 XX. - La vente des femmes et des enfants capturés / 179 XXI. - La punition du crime / 193
Un dominicain témoin du génocide de 1915, le père Jacques Rhétoré (1841-1921). Etude par Joseph Alichoran / 215 Les sources / 219 L’origine et l’intérêt du manuscrit publié / 226 Un témoin lucide, le père Jacques Rhétoré, o.p. / 233 Un «Grand Djihad» de circonstance pour «couvrir» un massacre généralisé des chrétiens? / 258 Et le rôle de l’Allemagne prussienne ? / 283 Des «justes » parmi les Turcs et les Kurdes / 297 Des brutes, assoiffées de sang chrétien / 310
Annexes / 329
Bibliographie complémentaire et sélective / 367
Glossaire / 391
PREFACE
Un Peu de Lumière Sur le Calvaire Assyro-Chaldéen
Il y a quelques années, mon attention fut attirée, dans Historia, revue de vulgarisation historique, par l’article d’un nouveau venu, Joseph Alichoran, consacré aux massacres dont furent victimes, notamment au XIXe et au XXe siècle, les Assyro-Chaldéens en Mésopotamie, et à la résistance, face à l’hégémonie arabo-kurdo-musulmane, de ces chrétiens d'Orient oubliés par leurs coreligionnaires d’Europe. Une Chrétienté orientale pourtant particulièrement digne d'intérêt puisqu'elle a maintenu vivant jusqu’à nous le souvenir christique en continuant à pratiquer, tant dans sa liturgie qu’au quotidien, la langue parlée par le Messie: l’araméen.
Les Arméniens se plaignent parfois, à juste titre, du peu de cas que l’on fait de leur génocide, perpétré de 1895 à 1922 dans l’Empire ottoman et surtout de la non-reconnaissance de cet acte par l’État turc moderne - mais au moins on en débat, on exerce des pressions politiques ou intellectuelles pour que cette injustice soit réparée. Pourtant, conséquence de la chute du système soviétique, il existe derechef une Arménie indépendante.
Rien de tel pour les Assyro-Chaldéens qui, à l’heure où j’écris ces lignes, ont pratiquement disparu d’Anatolie tandis qu’en Irak, sous prétexte de l’occupation à majorité anglo-américaine, ils sont l’objet - une fois de plus dans un quasi-silence - de tueries et d’exactions de la part de «combattants de la foi» musulmans.
Aussi peut-on, et non sans une certaine émotion, saluer la publication des Souvenirs du dominicain Jacques Rhétoré (1841-1921) sur La guerre sainte proclamée par les Turcs contre les chrétiens en 1915, idée due aux Editions du Cerf et à Joseph Alichoran, lequel, entretemps, s’est signalé par ses recherches sur le thème assyro-chaldéen, répercutées dans des publications comme Istina ou Proche-Orient chrétien et Peuples du monde. On a, d’autre part, appris, depuis lors, que M. Alichoran avait de longue date baigné dans un climat propice à de tels travaux puisque, tôt venu du Septentrion irakien, il fut élevé en France par son oncle, feu Mgr Francis Alichoran, longtemps recteur rayonnant de la Mission chaldéenne dans l’Hexagone et auteur du Missel chaldéen bilingue en français et araméo-syriaque1. Une grande partie de l’intérêt du texte laissé par le père Rhétoré vient justement de ce qu’il concerne surtout les Assyro-Chaldéens et les Syriaques, massivement tués ou déportés par les Kurdes, les Turcs et les Tcherkesses, en 1915, dans l’Est anatolien, exactement dans les mêmes conditions que leurs frères arméniens, et dans le but identique du régime ottoman finissant : éradiquer toute présence non islamique de terres originelles du christianisme universel. En nos tristes temps de reprise, à l’échelle quasi mondiale, d’affrontements ouverts islamo-chrétiens, certains penseront peut-être que le témoignage in vivo de Jacques Rhétoré ne pourra que «jeter de l’huile sur le feu» entre Occident et Islam. Cependant, cacher une plaie sans la traiter ne sert jamais qu’à l’envenimer...
Le texte qui suit ainsi que les commentaires explicatifs de Joseph Alichoran doivent au contraire être versés au dossier du dialogue paritaire islamo-chrétien qui, tôt ou tard, devra bien s’ouvrir pour de bon, avec l’aide du Saint-Esprit, si on veut qu’un jour fidèles de Jésus et fidèles de Mahomet puissent se regarder face à face, d’égal à égal, et vivre enfin ensemble sans noires pensées...
J.-P. Péroncel-Hugoz2 Poitiers, 6 avril 2004.
1. Diffusé, depuis sa sortie en 1982, par les librairies La Procure. 2. Grand-reporter du Monde, ancien correspondant au Proche-Orient, auteur de plusieurs essais sur l’islamisme au XXe siècle (Le Radeau de Mahomet, Flammarion, 1983 ; Une croix sur le Liban, Gallimard, 1984, etc.), il vient de publier Traversées de la France (Bartillat, 2004) et de participer au numéro spécial de Cités sur l’Islam. D’autre part, J.-P. Péroncel-Hugoz dirige à Casablanca (Maroc), chez Eddif, la collection « Bibliothèque arabo-berbère ».
Souvenirs
Ces 4 cahiers de souvenirs constituent le brouillon du livre intitulé Les Chrétiens aux bêtes ! Souvenirs de la guerre sainte proclamée par les Turcs contre les chrétiens en 1915. [Les chiffres entre parenthèses se réfèrent aux pages du manuscrit.]
(1) Au lecteur, En décembre 1914, c'est-à-dire peu après l’entrée de la Turquie dans son alliance avec l’Allemagne pour la guerre contre l’Angleterre et la France, j’eus l’honneur d’être déporté de Mossoul avec deux compagnons, les PP. Berré et Simon. Nous devions aller à Diarbékir d’où nous serions transportés à Khaipout qui était le centre militaire de ces régions. Grâce à" la saison avancée et à notre âge, nous pûmes, par l’intermédiaire d'un excellent homme, Hilmi bey Moutessarif de Mardine, obtenir de rester dans cette ville, au moins pour le temps de la paix, de l’hiver. Nous y restâmes deux années.
Je n’ai pas regretté ma déportation car elle me fit participer comme témoin oculaire aux événements qui se passèrent alors en ces régions, et dont les uns se rapportaient ...
Jacques Rhétoré
Les Chretiens Aux Bêtes
Cerf
Les Edition du Serf Les Chretiens Aux Bêtes Souvenirs de la guerre sainte proclamée par les Turcs contre les chrétiens en 1915 Préface par Jean-Pierre Péroncel-Hugoz Étude et présentation du document par Joseph Alichoran Jacques Rhétoré
Histoire Les Éditions du Cerf www.editionsducerf.ff
Paris 2005
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