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Les Nations du Prophète


Éditeur : Fayard Date & Lieu : 1993, Paris
Préface : Pages : 896
Traduction : ISBN : 2-213-02401-4
Langue : FrançaisFormat : 160x240 mm
Code FIKP : Liv. Fre. Pla. Nat. N° 3533Thème : Religion

Les Nations du Prophète

Les Nations du Prophète

Xavier de Planhol

Fayard

Notre âge est celui des nations : en moins d’un demi-siècle, le fait national, issu de l’Europe occidentale, a achevé de conquérir la Terre. Mais en Occident l’idée nationale a précédé les réalités : la France, l’Angleterre ont été des nations, ont vécu dans l’âme de leur peuple bien avant de fonctionner comme des organismes solidaires, et ceux-ci se sont peu à peu soudés.
Sur les autres rives de la Méditerranée et dans le Moyen-Orient, l’émergence des entités nationales se heurte à la concurrence d’une idéologie universaliste toujours active, la foi musulmane, voire à l’obstacle supplémentaire de l’arabisme, plus ou moins confondu avec elle. Leur construction ne peut se fonder que sur des réalités concrètes et sous la pression de leurs exigences. Mais celles-ci s’expriment dans le cadre d’une fragmentation territoriale, héritée de la dislocation de l’Empire Ottoman et de la décolonisation, qui révèle de multiples affrontements qui sont les produits des ségrégations géographiques, sectaires ou ethniques, inhérentes à la structure et à la répartition des pouvoirs dans l’aire socioculturelle de l’Islam.
De l’idéal ou du Réel, lequel l’emportera ? Le “creuset” d’où peut jaillir la nation exige ici, pour son fonctionnement, un équilibre harmonieux des genres de vie, une certaine densité des liaisons ; il suppose des réseaux organisés de hiérarchisation et d’intégration couvrant l’espace sans coupures brutales.
L’analyse géographique est indispensable pour apprécier la solidité et l’extension de ces forces unitaires ou, inversement, la profondeur des lignes de fracture. C’est la démarche proposée par ce livre.

Xavier de Planhol, professeur à l’université de Paris-Sorbonne (chaire de géographie de l’Afrique Blanche et du Moyen-Orient), est membre de l’Academia Europaea et de l’Académie des Sciences d’Outre-Mer.


Table des matières

Avant-propos / 11

Introduction Générale / 15
La Nation / 15
Le concept, 15. Le lieu et le moment, 17.
L'Islam et La Nation / 22
Confusions, 22. Affirmations, 24. La patrie, 24. La révolte, 26.
Négations, 29. De la méthode, 32.

Fondements D'une Géographie Politique : Les Éléments Communs / 34
Les centres d’action : les cités, 34. La ville, source de prestige et de pouvoir dans l’Islam, 34. Aux sources d’une tradition urbaine, 38. Les centres d’action : les nomades, 40. Les nomades dans l’Islam : statut et présence, 40. Les nomades dans l’Islam : une intégration politico-militaire, 43. Nomades et cités, 46.Une dialectique du pouvoir : État urbain et dynasties nomades, 46. Situations d’équilibre, 49.

Fondements D'une Géographie Politique : Les Contrastes. / 51
Nomadisme turc et nomadisme arabe, 51. Le chameau et le dromadaire, 51. Gens des plaines et gens des hauteurs, 53. Typologie des résistances sédentaires, 54. Montagnes et forêts, 54. Maghreb et Machrek, 56.

Première Partie
Le Machrek
Chapitre Premier. — Le Désert Et Ses Marges : La Péninsule Arabique / 63
Le Cœur : L’arabie Saoudite / 64
Le Hedjâz et le Nadjd, 64. Les tribus, 65. Les villes saintes, 66. Signification de l’Arabie Saoudite, 67. La genèse, 68. L’expansion, 69- Les frontières, 70. La consolidation, 75. Du pèlerinage au pétrole, p. 75. Problèmes d’intégration : le Hedjâz, 78. Problèmes d’intégration : les nomades, 79. Problèmes d’intégration : les Chiites du Hasâ, 88. Problèmes d’intégration : les populations immigrées, 90. Les forces de cohésion : la dynastie, 92. Les forces de cohésion : les infrastructures routières, 93. Les forces de cohésion : l’urbanisation, 94. Strates culturelles et unité saoudienne, 95.

L’enveloppe : La Transjordanie / 98
Une frange pionnière, 98. De l’émirat hachémite à l’Etat-tampon, 101. Sait et Amman : un prince arabe chez les Tcherkesses, 103. Le Royaume de Jordanie (1948-1967), 104. Le refuge, 106.

L’enveloppe : Le Yémen / 107
Les hommes, 107. La foi, 109. L’imamat zaïdite : le charisme et l’aventure, 110. Les limites du Zaïdisme, 112. Les étrangers, 113. Les Turcs : le sultan, Vimâm et les tribus, 113. Routes et ports du café, 115. Les Britanniques : l’escale, 115. Les Britanniques : la Fédération, 117. L’émigration, 118. Union ou division ? 120.

L’enveloppe : L’oman / 122
Pionniers iraniens et tribus arabes, 123. L’imâm, le marchand, le sultan : les cycles géopolitiques, 125. De la thalassocratie à l’État continental, 127. Le territoire, 130. La base : la plaine et les ports, 130. L’arc montagneux, 132. Le Mosandam, 132. Les grandes tribus nomades de l’intérieur, 134. Le Dhofar, 135. Conclusion, 136.

L’enveloppe : Les Émirats Pétroliers du Golfe / 137
Une culture maritime, 137. Les cristallisations, 139. Koweit : une baie, 140. Bahraïn : un archipel, 140. Qatar : une péninsule, 143. Les Émirats Arabes Unis : un rivage, 144. Les États et leurs territoires : de la polarisation à l’aménagement, 146. Cités Maritimes ? Cités-Etats ? Cités Portuaires, 146. Développement hyper-centralisé et polarisation lointaine, 147. Le rattachement des nomades, 148. Aménagement raisonné et décentralisation, 152.

Chapitre II — Villes et Montagnes : la Syrie et le Liban / 155
Le Liban / 157
Le noyau : la montagne, 157. Le noyau : Maronites et Druzes, 158. Le noyau : la vie traditionnelle, 161. Le noyau : l’expression politique, 163. Le cortège : le «Grand Liban» et son équilibre confessionnel, 166. Le cortège : Beyrouth ; polarisation urbaine et construction nationale, 169. L’éclatement : archaïsme et forces nouvelles, 176. L’éclatement : les conséquences géographiques de la guerre, 180.

La Syrie / 184
Villes et campagnes : Alep et Damas, 184. Les bases paysannes : les foyers d’irrigation, 184. Les bases paysannes : les cultures sèches, 188. Damas : un foyer de l’Islam, 190. Alep : une porte de l’Orient, 194. Le désert et la Djéziré : nomades et pionniers, 197. La situation traditionnelle : nomades et oasis, 197. Les reprises humaines contemporaines : déclin ou persistance du nomadisme?, 199. Les reprises humaines contemporaines : la Djéziré, 201. Les montagnes : Alaouites et Druzes, 203. Le Djebel Ansarié : les conditions naturelles, 204. Alaouites et Ismaïliens, 205. Le Djebel Ansarié : un aménagement imparfait, 207. Le Djebel Ansarié : la descente de la montagne, 208. Le Djebel Druze, 209. Comment la montagne a dominé les villes, 211.

Chapitre III. — La Terre et les Eaux : l'Egypte et l’Irak / 215
Les Bases Naturelles Et Humaines / 216
Deux niveaux très différents d’occupation du sol, 216. L’Égypte nilotique compte quatre fois plus d’habitants que la cuvette mésopotamienne, 217. L’Égypte nilotique : un ruban de verdure admirablement travaillé, 217. La Mésopotamie : un potentiel agricole considérable insuffisamment exploité, 219. Aux sources d’un contraste : les fleuves et l’histoire, 220. Le Tigre et l’Euphrate : des fleuves nourriciers, mais dévastateurs, qui n’ont été que tout récemment contrôlés, 220. Le Nil : un régime modéré ; un fleuve dès longtemps et progressivement maîtrisé ; une utilisation sans cesse perfectionnée, 227. La terre, les fellahs, les bédouins : modèles sociaux comparés, 238. La Mésopotamie : une société conflictuelle, imprégnée par le nomadisme et dominée traditionnellement par la grande propriété, 238. L’Égypte : une société sédentaire, pacifique et équilibrée, 242. Les conséquences : succès et échecs des réformes et aménagements contemporains, 246. L’Égypte a maîtrisé de façon relativement satisfaisante sa Réforme Agraire et l’achèvement de la conquête du sol, 246. Les conséquences de la Réforme Agraire irakienne, en revanche, ont été désastreuses, et l’aménagement rationnel de la cuvette mésopotamienne est encore loin d’être en vue, 250.

Les Etats / 257
L’unité égyptienne, 257. Souveraineté du fleuve, 257. Tentation de l’étranger : l’échec soudanais, 262. Tentation de l’étranger : Alexandrie « près de l’Égypte », 264. Tentation de l’étranger : le Canal de Suez et ses villes, 269. Le Caire, cité victorieuse, 271. Au cœur de l’Égypte : les Coptes, 277. Clivages irakiens, 280. Les montagnes et le piedmont : le problème kurde, 280. Les oppositions religieuses : Sunnites et Chiites, 284. Archaïsme et intégration sociale : les gens des marais, 287. Les villes : pôles ou passages ? 290. Bagdad, métropole et prison, 293.

Conclusion / 296

Deuxième Partie
Le Maghreb

Chapitre IV. — Les Composantes / 299
Les Berbères / 303
Les langues et les noms, 303. Des paysanneries vigoureuses, 305. Des sociétés complexes, 307. Un vide politique, 307. Le « Berbérisme » et les nations, 310.

Les Nomades / 313
L’introduction du dromadaire et le grand nomadisme berbère, 313. Les invasions hilaliennes et la bédouinisation du Maghreb, 315. Les faits, 315. Les problèmes, 320.

Éléments Organisateurs / 323
Les villes, 323. La régression, 323. La vocation maritime, 324. Les Sahels, 325. Les colonisations, 326. L’héritage des colonisations antiques, 326. L’apport des Musulmans d’Espagne, 329. Les Turcs au Maghreb, 331. Reprises humaines et polarisations méridiennes : les prémices d’une géographie politique, 333. Effets des colonisations contemporaines française et italienne, 338.

Chapitre V. — Les Constructions / 349
La Tunisie / 349
Personnalité de la Tunisie, 349. Tunisie maritime et Tunisie intérieure, 353. La Tunisie Centrale : le Sahel et la Steppe, 354. Les pays du Tell, 356. Le Sud, 359. Effets de l’urbanisation et du développement, 361. Un État-région, 362.

Le Maroc / 366
L’isolement, 366. Liaisons et influences extérieures, 369.
Plaines et montagnes, 371. Le Maroc Oriental et le Sahara marocain, 371. L’arc des montagnes berbères, 373. Les plaines du Maroc Atlantique, 381. Les capitales traditionnelles : Fès, Marrakech et le dir, 384. Le Maroc a basculé vers l’Océan : Casablanca et les villes côtières, 387. Anciennes et nouvelles polarisations, 392. Les Berbères à Casablanca : l’urbanisation du littoral comme réponse au problème ethnique, 393. La monarchie marocaine et les Berbères : du mythe fondateur à l’alliance objective, 399- Sens et portée de la sîba, 399. Les Berbères et la résistance nationale, 400. Les Berbères et le néo-makhzen dans le Maroc indépendant, 401. Les Berbères, la société marocaine et la nation, 403.

L’Algérie / 404
Fondements d’une division géographique, 405. Algérie Occidentale et Algérie Orientale, 405. Régions modelées par l’implantation rurale européenne, 408. Régions épargnées par le peuplement rural européen : le désert, 413. Régions épargnées par le peuplement rural européen : les steppes, 416. Régions épargnées par le peuplement rural européen : les montagnes telliennes, 418. À la recherche d’un espace national, 423. Le legs colonial : une polarisation extérieure ; un espace incomplètement intégré, 423. Nouvelles intégrations : remaniements et homogénéisation des campagnes, 430. Nouvelles intégrations : l’emprise administrative et urbaine sur le territoire, 435. Nouvelles intégrations : promotion du Sud et rattachement du Sahara, 440. Nouvelles intégrations : une expansion industrielle décentralisée, 444. Abd el Kader et les Kabyles, 447.

La Libye / 454
Tripolitaine et Cyrénaïque, 455. Les déserts, 462. L’État libyen : du royaume senoussi à la « République des Masses », 465. Le développement et ses conséquences : intégration des nomades ; colonisation ou exploitation du Sahara ? 67. Le problème de la capitale, 473.

Troisième Partie
Le Monde Turco-Iranien

Chapitre VI. — L'iran, L’hellénisme Et Les Invasions
Turques / 479
Le Problème : Mutations et Résistances / 479
Deux Traditions Agricoles / 481
L’ancienne civilisation rurale iranienne, 481. L’Asie Mineure : un fragment du monde méditerranéen, 483. La frontière, 484. Répercussions humaines, 485.

La Turquisation : Modalités et Contexte / 486
En Iran : un apprentissage, 487. En Asie Mineure : une domination, 488.
Les Turcs et la Ville / 490
En Asie Mineure : une rupture, 490. En Iran : une intégration, 491.

Conclusion / 494

Chapitre VII — Empire, Nationalités et Nation en Iran / 495
La Tradition Impériale / 495
Le modèle, 495. Un fait de psychologie politique, 495. Le contrôle de l’espace : les déplacements forcés, 496. Le contrôle de l’espace : l’encadrement social, 497. Le territoire, 499.

Le Centre : La Culture et la Foi / 501
Culture persane et sentiment national, 501. Le Chiisme, 503. De la secte opprimée à la religion officielle, 503. Les pèlerinages, 505. Une société charismatique, 508. Les Azéris, 509. La turquisation de l’Azerbaïdjân, 510. Les Azéris dans la société et l’État iraniens, 512. Villes, routes, déserts : le cœur de l’Iran, 515. Le plateau iranien, 515. L’espace et le temps, 517. Cités et capitales, 519. L’expansion : avant-postes urbains, 522. Une conquête : la frange Caspienne, 524. La grande forêt, 524. Montagnards et sectaires, 526. Le peuplement de la plaine littorale, 527. Étapes d’une intégration, 528. Des particularismes persistants, 534.

La Périphérie / 536
Le Zagros : les tribus nomades, 536. Une montagne bédouini-sée, 536. L’État iranien et le contrôle des tribus nomades : le stade des grandes confédérations, 539. L’État iranien et le contrôle des tribus nomades : la sédentarisation forcée, 542. Les nomades du Zagros dans l’Iran d’aujourd’hui, 545. Les Kurdes : une révolte sans racines locales, 547. Les Baloutches, 547. Les Turkmènes, 553 Les réfugiés afghans, 555.

Le Creuset / 557
L’ouverture, 557. Le développement, 563. Une société nouvelle : Réforme Agraire et « Révolution Blanche », 569. Une société nouvelle : les citadins, 573. Les villes du Khouzestân : Âbâdân et Ahvaz, 574. Téhéran, 579. De l’urbanisation au messianisme, 588.

Chapitre VIII. — L’Afghanistan ou L’Anti-Nation / 593
La Barrière / 594
L’obstacle, 594. Les hommes, 595. Les Kâfirs, 595. Les Tadjiks, 597. Les Hazâras, 598. Les « Quatre Tribus », 600.

Les Piedmonts / 601
Le Turkestan Afghan, 601. Comment peut-on être Pachtou ? 604. L’ethnie et les genres de vie, 604. Les valeurs, 609. Les mécanismes de régulation sociale, 611. Genèse et signification géographique du pachtounouali, 614. Des concurrents indisciplinés : les Baloutches, 616.

L'Etat / 617
L’échec iranien, 6YL Entre trois empires (xvie et xvne siècles), 617. L’héritage religieux : le Chiisme des Hazâras, 618. Le premier État afghan, 619. Le « grand jeu » et le second État afghan, 621. Le contrôle de l’espace intérieur, 623. La colonisation pachtou du versant septentrional de l’Hindou-Kouch, 624. Soumission et bédouinisation du Hazâradjât, 625. Une réussite : la conversion des Kâfirs, 627. Essai de construction d’un espace économique : un développement tardif, 629-Conditions historiques de la modernisation, 629. Emprise administrative et encadrement urbain, 630. Les communications, 634. Les grands projets agricoles : utopies et réalités, 635. De l’économie de subsistance à l’agriculture commerciale, 647. Les débuts d’un développement industriel régional, 651. Économie officielle et économie informelle, 653.

L'Union Est un Combat / 654
Les acteurs : stratégies et identités, 654. Les ethnies : signification et portée politique, 654. Les sectes, 657. Factions et clientèles, 659. Un conflit potentiel : Kaboul, 661. La ville, 661. La capitale, 666. L’enjeu, 668. La guerre : vers un nouveau rapport de forces, 61G. La guerre : affrontements ou transcendance ? 672.

Chapitre IX. — La Turquie : Une Nation / 679
De L’Empire à la Nation : La Construction Territoriale et Ethnique / 679
Expansion et retrait : le flanc méridional, 680. Expansion et retrait : les Balkans, 682. Le foyer anatolien : les anciennes ethnies minoritaires, 686. Le foyer anatolien : une terre d’accueil, 690. Le foyer anatolien : des limites imprécises ; un repeuplement imparfait, 692. Le foyer anatolien : creuset culturel ou mosaïque humaine ? 696.

Liaisons Et Intégrations / 701
Le plateau et ses marges, 701. Le haut pays, 701. Les bordures côtières, 704. Obstacles, passages et transitions, 706. Les relations humaines : du nomadisme aux migrations de travail, 710. Les capitales, 714. Ankara : une croissance explosive ; une polarisation incomplète, 714. Istanbul : renaissance d’une métropole, 718. Autres foyers urbains périphériques : Smyrne ; les villes ciliciennes, 725.

Des Forces Centrifuges ? / 728
Les Chiites : une allégeance aléatoire, 728. Les groupes hétérodoxes et le pouvoir ottoman, 728. Les Chiites dans la Turquie nouvelle, 732. Problème kurde et problème de l’Est, TlA. Les Kurdes en Turquie, 734. L’Est : un retard de développement, 737.

Conclusion Générale / 741

Notes / 749
Index bibliographique / 795
Index général / 845
Table des figures / 883
Table des matières / 887


AVANT-PROPOS

Plus que jamais, notre Âge est celui des nations. Longtemps jeux de princes, la politique, la paix, la guerre, sont aujourd’hui l’affaire des peuples : de peuples conscients de leur identité, solidaires dans les espoirs et dans les combats, inscrits dans l’espace et dans la mémoire ; c’est-à-dire de nations. Même si celles-ci peuvent apparaître aujourd’hui « en question »1 et ne sont plus la référence unique ; même si les États, plus quelles, sont devenus souvent les facteurs principaux de cohésion ; même si le modèle national s’impose difficilement dans bien des constructions politiques nouvelles issues de la décolonisation2 ; il n’en reste pas moins qu’il est partout proposé comme un idéal et comme un ferment. En moins d’un demi-siècle, le fait national a achevé de conquérir la Terre. Et la petite Europe, d’où il est issu, est encore bien loin d’avoir su dépasser les divisions qui en procèdent ; tandis que les institutions supra-nationales, timidement esquissées au sortir des horreurs et des carnages, restent des rêves imprécis.

À cette fulgurante expansion, un obstacle : la foi ; la foi au Dieu unique, source d’universel et de transcendance ; la « soumission » (Islam) à Celui qui ne saurait être ici plutôt qu’ailleurs, chez les uns plutôt que chez les autres, Celui qui « est le centre où tout se réunira » (Coran, III, 103). Dominer les nations ; construire au-dessus d’elles un édifice dont la cohésion exprimerait l’aspiration confuse des hommes à l’unité et à la fraternité : ce dont la Chrétienté européenne, rongée par les discordes, divisée par les Réformes, a depuis longtemps cessé d’être capable, l’Islam le peut-il encore ? Tel est le sujet de ce livre.

Problème immense, et qui ne peut être abordé, croyons-nous, que par ses bases : par l’analyse des fondements positifs de ces nations naissantes et déjà inquiètes ; menacées dans leur existence même par le principe fondamental d’unité qui sous-tend toute leur civilisation. L’intensité du conflit entre l’idéal et le Réel ne peut être appréhendée que par la mesure, préalable et exacte, du Réel. Après un livre, vieux maintenant de quelque vingt ans3, qui avait tenté d’évaluer la part du cadre géographique et des milieux humains dans le déroulement d’une histoire tumultueuse, le présent ouvrage voudrait dégager la charpente constitutive des assemblages territoriaux qui, au-delà de la Méditerranée et de la mer Egée, se cherchent aujourd’hui une âme ; permettant ainsi d’apprécier leur solidité et demettre des hypothèses raisonnables sur leur devenir. « Manuel de Politique », il voudrait s’adresser, par-delà les professionnels de l’action extérieure, des relations économiques ou culturelles, à tous ceux que le destin d’un monde aussi proche de nous, que notre destin donc, ne saurait laisser indifférents. On espère y fournir quelques clefs pour la compréhension d’un domaine particulièrement complexe.

Cette étude a été volontairement limitée à l’aire moyen-orientale et nord-africaine, qui a constitué le cœur historique de l’Islam, et où les implications de la religion sur l’occupation de l’espace et le jeu des forces politiques se sont développées avec le plus de clarté. Au Sud du grand désert saharien, ou dans les apophyses lointaines de l’Asie du Sud-Est, on entre dans des aires culturelles et des milieux physiques bien différents, où l’Islam, éloigné de ses origines géographiques, se heurtait à des déterminismes naturels et à des conceptions de l’utilisation du sol qui n’avaient plus guère de commun avec ceux qui régnaient dans son domaine initial ; et ceci dans le cadre de rythmes historiques qui avaient été tout autres. Les pays musulmans de l’Afrique subsaharienne, ou de l’aire de l’Océan Indien, s’intégrent à des aires géopolitiques qui ont leurs structures propres, et où l’appartenance à l’Islam n’est pas toujours, loin de là, l’élément prépondérant dans le développement des entités nationales.
La translittération des langues orientales pose toujours des problèmes extrêmement difficiles, qui ne peuvent être résolus de façon satisfaisante qu’en prenant en compte la nature des ouvrages considérés. Le caractère de celui-ci, destiné plus au grand public éclairé qu’à des islamisants spécialisés, a conduit l’auteur à adopter dans le texte, pour l’arabe et le persan, des systèmes très simplifiés, ayant avant tout pour objectif de donner une image aussi approchée que possible de la prononciation française réelle. Ce parti a abouti à des solutions qui paraîtront déconcertantes aux lecteurs orientalistes, telle que la transcription de la voyelle brève notée par le kasre sous des formes différentes en arabe (i) et en persan (e), conformément à la phonétique respective de ces langues ; ou la transcription de certaines consonnes suivant la prononciation de l’arabe dialectal égyptien. Ils n’auront aucune peine à rétablir les graphies originelles. Les voyelles longues ont été rendues par l’accent circonflexe, qui a été négligé sur l’i persan (toujours long) en l’absence de toute ambiguïté, et dans certains mots entrés de longue date dans l’usage français (Iran, Ispahan, Téhéran, etc.), le choix de ces derniers étant évidemment quelque peu subjectif. Les formes françaises usuelles ont toujours été largement employées lorsqu’elles existaient. De même un certain nombre de noms de peuples particulièrement usités ont été francisés et mis au pluriel en r, sans que la coupure avec ceux qu’on a laissés invariables puisse être considérée, ici encore, autre que nécessairement arbitraire. Les transcriptions originales des auteurs ont naturellement été reproduites dans les citations, les notes et l’index bibliographique. L’index général rapprochera les diverses formes utilisées. On a par ailleurs respecté évidemment l’orthographe latine du turc, quitte à donner parfois entre parenthèses et en italique un équivalent approché de la prononciation française. Les cartes ont été dessinées au Département de Géographie de l’université de Paris-Sorbonne par Véronique Lahaye-Boquet. Je remercie Daniel Balland d’avoir bien voulu relire les épreuves. L’index a été établi avec la collaboration de Sylvie Chambadal.

Introduction Générale

La Nation

Le concept

Il y a, tout d’abord, un mystère. La définition de cette « forme globale d’existence et d’organisation de la société qu’on appelle la nation1 » n’a pas cessé, depuis plus d’un siècle, d’être approfondie et enrichie par les historiens, les juristes, les sociologues2, qui cherchaient parallèlement à élucider les conditions de sa genèse. Des progrès considérables ont été faits, dans l’analyse et dans la formulation. Le secret n’a pas été totalement percé, et sans doute ne peut-il l’être, tant le phénomène échappe au rationnel. « Aucun système de critères ne peut rendre compte du passage... aux sociétés nationales », doit avouer l’auteur d’une récente approche d’ensemble du sujet3. Nous sourions aujourd’hui, pour ne pas nous en indigner, des théories « biologiques » qui allaient en chercher le fondement dans la race, et des « nations arianes » de Gobineau4. La pensée allemande avait développé depuis le début du xixe siècle d’autres déterminismes, plus complexes, voyant dans la nation l’aboutissement d’un devenir historique réglé par des lois naturelles, produit d’une combinaison où dominent le sol et surtout la langue, « force fatale qui mène l’individu5 », processus en tout cas totalement inconscient et qui échappe à toute volonté humaine. L’expression politique en a été fournie par l’impérialisme allemand de l’époque wilhelmienne, et la manifestation juridique dans des textes remarquables, comme la loi Delbrück du 22 juillet 1913 qui autorisait tout sujet allemand résidant à l’étranger à conserver la nationalité allemande tout en acquérant une nationalité étran …


Xavier de Planhol

Les nattonts du Prophete

Fayard

Librairie Arthème Fayard
Les nattonts du Prophete
Manuel géographique de politique musulmane
Xavier de Planhol

© Librairie Arthème Fayard 1993
à Louis Bazin

Achevé d’imprimer le 29 janvier 1993
sur presse Cameron,
dans les ateliers de B. C. A.
à Saint-Amand-Montrond (Cher)
pour le compte de la Librairie Arthème Fayard
75, rue des Saints-Pères - 75006 Paris

35-29-9006-01/4
Dépôt légal : février 1993.
N° d’édition : 2911. N° d’impression : 93/068.

Imprimé en France

ISBN 2-213-02401-4

Illustration de couverture :
détail d’un mur de la salle
de prière de la médressé
el-Attarine à Fès (Maroc).
Photo X.D.R.

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