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L’épopée de Cembelî et la tradition des Mitirbs


Auteur : Lokman Turgut
Éditeur : INALCO Date & Lieu : 2002, Paris
Préface : Pages : 182
Traduction : ISBN :
Langue : FrançaisFormat : 210x295 mm
Code FIKP : Liv. Fre. Tur. Epo. N° 2706Thème : Thèses

L’épopée de Cembelî et la tradition des Mitirbs

L’épopée de Cembelî et la tradition des Mitirbs

Lokman Turgut

INALCO

Le but de ce travail est d’étudier l’épopée de Cembelî dans la littérature (tradition) orale kurde1. La littérature orale peut être considérée comme une partie des traditions d’une communauté perpétrées de générations en générations. Les performances qui seront examinées en détail ici sont deux exemples de l’épopée de Cembelî racontés par des mitirbs. Nous nous intéresserons tout d’abord aux renseignements sur les personnages historiques, la région où se perpétue la tradition puis aux versions déjà publiées de la même épopée. Nous aborderons ensuite un article sur les mitirbs et leur tradition puis nous en ferons l’analyse. Avant d’étudier l’épopée de Cembelî nous citons Mircea Eliade :
« Une expédition turque en Moldavie, par suite d’un hiver extrêmement rigoureux, se solde par un désastre sans précédent et l’armée entière y périt. Les chroniques polonaises et turques la racontent en détail Dans les balades roumaines ...


Table des Matières

Chapitre I : Performance de Cembelî
I. Introduction / 1
L’épopée de Cembelî
Le cours des événements Les versions publiées
II LesMitirbs / 11
III. Performance de Cembelî / 19
Les perspectives théoriques de la performance
Genre des şers
Occasions
Composition des şers

IV. Une courte analyse des deux écotypes / 25
Eléments artistiques de la performance
Mise en scène de la performance

Chapitre II : Transcription et Traduction
I. Notes sur la transcription / 61
II. Cembelî Kurê Mîrê Hekkariya (Bedranê Mala Sivûk) / 64
III. Cembelî Mîrê Hekkariya (Reçîdê Omerî) / 93
IV. Cembelî fils du prince de Hekkarî (Bedranê Mala Sivûk) / 119
V. Cembelî prince de Hekkarî (Reçîdê Omerî) / 149

Bibliographie


CHAPITRE I : PERFORMANCE DE CEMBELI

I Introduction

I.1 L’épopée de Cembelî

Le but de ce travail est d’étudier l’épopée de Cembelî dans la littérature (tradition) orale kurde1. La littérature orale peut être considérée comme une partie des traditions d’une communauté perpétrées de générations en générations. Les performances qui seront examinées en détail ici sont deux exemples de l’épopée de Cembelî racontés par des mitirbs. Nous nous intéresserons tout d’abord aux renseignements sur les personnages historiques, la région où se perpétue la tradition puis aux versions déjà publiées de la même épopée. Nous aborderons ensuite un article sur les mitirbs et leur tradition puis nous en ferons l’analyse. Avant d’étudier l’épopée de Cembelî nous citons Mircea Eliade :

« Une expédition turque en Moldavie, par suite d’un hiver extrêmement rigoureux, se solde par un désastre sans précédent et l’armée entière y périt. Les chroniques polonaises et turques la racontent en détail Dans les balades roumaines elle n’est plus qu ’un fait mythique : la guerre entre Malkoch Pacha et le Roi Hiver assisté par les Vents et autres êtres mythiques. Ce processus s’explique : la mémoire populaire retient difficilement des évènements historiques authentiques et les figures « individuelles », ayant une personnalité propre. La mémoire populaire évolue presque uniquement suivant les dimensions forgées par la pensée mythique : elle connaît des archétypes, des comportements exemplaires, elle ignore ou peu s’en faut, les personnages historiques et les évènements fortuits. » (Eliade 1977 : 19)

On peut donc supposer qu’un évènement historique ou un personnage important ne reste pas présent dans la mémoire populaire plus de deux ou trois siècles. Au fil du temps un personnage historique perdra ses traits originaux pour ne conserver que son nom. Nous en concluons que même si les évènements et les personnages de l’épopée de Cembelî ont leur origine dans l’histoire, l’épopée de Cembelî ne peut pas être très ancienne. Ou alors les évènements et personnages mentionnés dans cette épopée sont si anciens que la mémoire populaire a évoluée en les associant à des archétypes en leur attribuant des comportements exemplaires.

Les protagonistes des deux performances que nous avons transcrites ne sont pas mentionnés dans les livres d’histoires. Mais le Cherefname de Bitlisi décrit la principauté de Hekkarî comme la principauté la mieux renommée et la plus respectée des principautés kurdes pour ses bienfaits et à cause de son origine noble. Cette principauté régnait à Hekkarî, à Beytuçebab, à Çemdinan et à Mahmûdi en Turquie (Bitlisi 1998 : 134). Bitlisi a fini son œuvre en 1599. Cette principauté kurde existait donc avant 1599. L’écrivain turc Ziya Gôkalp fait mention aussi de la tribu Mahmûdî qui habitait à Hekkarî, et dans les villes au sud du district de Van (Gôkalp 1992 : 29).

Les lieux où se déroulent les évènements sont aussi connus. Les plateaux de Çerefdîn se trouvent entre les villes de Bingol et Mu§ en Turquie. Les plateaux de Çerefdîn commencent à la plaine de Çabakcur et s’étendent jusqu’au côté Ouest de la plaine de Muş. Les plateaux sont connus pour être les meilleurs emplacements de pâturage du Kurdistan (Kahraman 2001 : 23).

Un Prince a été mentionné par Celile Celil dans son livre sur le folklore des Kurdes de Syrie, et également dans le Cherefname de Bitlisi. Il s’agit du prince de la forteresse de Şêrwan appelé Mahmûd Beg. Bitlisi raconte que le prince est le fils de Ebdal Beg qui a régné pendant trois ans. Il est assassiné à coups d’épées dans son lit. Ce prince était un bon vivant et juste envers son peuple. Selon Bitlisi, le prince Mahmûd Beg vivait à l’époque de Sultan Selim, au début du XVIème siècle (Bitlisi 1998 : 262). Dans l’autre version que nous connaissons et dans les performances que nous avons transcrites, il n’est pas fait mention du fait que Mahmûd Beg sauve la vie de Cembelî quand celui-ci était entouré de ses ennemis. Si on considère qu’en 1870 Albert Socin avait déjà écrit une version de l’épopée de Cembelî, on peut penser que c’est une des épopées les plus anciennes de la littérature orale kurde.

L’épopée de Cembelî est connue des personnes originaires de régions différentes. Mais aucune des personnes que nous avons interviewées ne connaît la version des performances dont nous possédons les enregistrements. La version la plus connue est contée sous forme de Stran (chanson populaire). Elle raconte l’amour de Binevça Narîn et de Cembelî, fils du prince de Hekkarî (ou prince de Hekkarî). Elle se limite cependant à un petit passage qui décrit la scène dans laquelle Cembelî enlève Binevç.
Les performances que nous avons transcrites proviennent toutes deux de la région de Mêrdîn (Mardin). L’un vient de Tor, l’autre de Omeryan.
L’appellation Tor vient de l’araméen Tûr qui veut dire « la montagne » ou bien « le plateau ». Elle désigne une qui région se situe au sud de Biçêrî, à l’ouest de la région de Bohtan et à l’est de la ville de Mêrdîn. Midyad (Midyat) en est le centre. Cette région comprend les villes de Hezex (Idîl), Kercos (Gercüş). Kerboran (Dargeçit) et Nisêbîn (Nusaybin). Toutefois le plateau à l’est de Mêrdîn est considéré comme étant celui de Tor (N. Göyünç 1969 : 1). Les Araméens nomment la région « Tûr ‘Abdîn » littéralement « La montagne ou le plateau des Serviteurs du Dieu ». Dans les archives Ottomanes la région est nommée Tûr (Turquie, la république 1998 : 134). Quant à la région d’Omeryan d’où provient une des performances transcrites, c’est une région située au sud de la Ville de Mêrdîn et à l’ouest de Tor.

La première performance est exécutée par un mitirb de la famille Sivûk, nom inconnu des personnes interrogées. Seul Tune d’entre elles affirme connaître le nom de ce mitirb. Selon lui le mitirb s’appelle « Bedranê Mala Sivûk »2. Il est originaire de Tor et appartient à la famille Sivûk.
L’enregistrement sur lequel nous avons travaillé date probablement des années 1980. En comparant cette performance avec celle de « Miradê Kinê», le mitirb le plus connu de la famille « Kinê », nous avons constaté que ce n’est pas lui qui exécute la performance de Cembelî. Toutefois les similitudes entre le vocabulaire des deux mitirb, nous amènent à penser que le mitirb de la première performance de Cembelî est originaire de Tor. Nous l’avons donc appelé « Bedranê Mala Sivûk ».

La deuxième performance est exécutée par Reçîdê Omerî qui mentionne lui-même son nom dans la performance dans le récit suivant :
« Hêy, xwedê te ‘ela kuleke li çeskulê ma ne berdî mala mêrkê mitirb, ji xeyna Reçîdê Gemê lê lê dinyayê »

« O que Dieu tout puissant frappe d’une douleur six fois profonde la famille des mitirhs sur terre, à l’exception de Reçidê Gemê »
Il s’agirait là de Reçîdê Omerî. Nous avons eu l’occasion de comparer le texte « Cembeliyê Mîrê Hekaiyan » (Cembelî le prince de Hekkarî) écrit par Serefxan Ciziri avec notre deuxième performance (Ciziri 1999 : 89 - 114). Cette comparaison montre que le mitirb (l’exécutant) de la deuxième performance est Re§îdê Omerî. En effet le vocabulaire et le déroulement des évènements des deux performances sont semblables. Cet enregistrement est probablement l’un de ceux commercialisés dans les années 1970. Nous nommerons cette performance « la performance de Re§îdê Omerî ».

1.2 Le cours des évènements dans les deux performances exécutées par les mitirbs

Dans les deux récits, l’histoire commence avec le mitirb du prince de Hekkarî, Ehmedê Mitirb, qui cherche du beurre pour le servir à ses hôtes. Fatima Salih Beg ou Fatima Salih Axa, comme elle est appelée dans la performance de Reşîdê Omerî, est la femme du prince. Elle refuse de donner tout le beurre du matin au mitirb. Vexé, le mitirb prête serment de trouver une femme plus belle et plus généreuse pour le Prince.

Ce refus est l’élément déclencheur de toute l’histoire. Cembelî, qui depuis le début écoutait leur conversation, demande à Ehmedê Mitirb de tenir sa promesse. Celui-ci cherche longtemps sans succès (six mois dans la performance de Bedranê Mala Sivûk et six ans dans celle de Re§îdê Omerî).

Il est question dans les deux écotypes de Cembelî d’un complot que Fatima Salih Beg monte contre Ehmedê Mitirb. Celle-ci écrit un courrier à Pîr Fatê (la femme d’Ehmedê Mitirb) dans lequel elle raconte qu’Ehmedê Mitirb est mort. Alors la femme d’Ehmedê Mitirb se marie avec quelqu’un d’autre et laisse ses enfants chez Cembelî.

Convaincu qu’il ne trouvera pas de femme plus belle et plus généreuse que Fatima Salih Beg, Ehmedê Mitirb décide de rentrer. Sur la route il rencontre un berger qui lui parle de Binevça Narîn et de sa beauté. Il décide donc de la rencontrer sous la tente de son père. Binev§ et sa mère Narîn sont si belles qu’il perd connaissance. Puis il réussit à lui parler de Cembelî. Binevç et Ehmedê Mitirb se mettent d’accord pour amener Cembelî chez elle. Ehmedê Mitirb rentre alors dans la tribu pour le chercher. Il apprend que sa femme s’est mariée avec un autre et qu’elle a laissé ses enfants chez Cembelî.

A ce moment du récit, on note une différence entre les deux écotypes. Dans la performance de Bedranê Mala Sivûk, Fatima Salih Beg met en œuvre un deuxième complot. Sur le conseil des anciens et des comandants de la tribu, Cembelî envoie un domestique pour vérifier la beauté de Binevç. Cependant Fatima Salih Beg convainc le domestique de dire à Cembelî que Binevç n’est pas belle en lui donnant de l’or. Ehmed, s’en aperçoit et suggère à Cembelî d’aller la voir lui-même. Dans la performance de Reçidê Omerî, ce complot n’est à aucun moment mentionné.

Ensuite le cours des évènements est de nouveau parallèle. Cembelî se met en route avec ses cavaliers et son mitirb. Il perd presque conscience quand il voit Binev§. Il demande sa main à son père Faris Beg. Celui-ci ne sait que dire car un cousin paternel de Binevç (Ehmedê Korê bi nîv çavî ou Kor Ehmed Axa) a également demandé sa main. Il lance un défi à quiconque demande la main de Binev ? et l’invite à se battre en duel. Si Cembelî insiste, il doit accepter de l’affronter en duel. Cembelî accepte. Dans la version de Bedranê Mala Sivûk, c est Ehmedê Mitirb qui va au combat à la place de Cembelî et bat le cousin de Binev§. Dans la version de Reçîdê Omerî, il informe d’abord son prince de son intention de se battre à sa place. Puis il fait descendre Cembelî du cheval bai, désobéit et va combattre le cousin de Binevş.

Malgré les conseils d’Ehmedê Mitirb, Cembelî rentre d’abord pour faire les préparations de la fête de mariage et laisse Binev§ chez son père. Pendant l’absence de Cembelî, le cousin de Binevç attaque la tente de son oncle et se marie avec Binev§. Faris Beg, qui a peur de la vengeance de Cembelî, déménage avec toute la tribu. Dans la performance de Reçîdê Omerî Binevç écrit un courrier à Cembelî et elle le met sous une pierre près du fourneau à café. La performance de Bedranê Mala Sivûk ne parle pas de cet évènement.

Cembelî prête serment de trouver Binevç et de l’enlever. Il se met à la chercher et nomme Ehmedê Mitirb à la tête de la tribu pendqbt son absence qui pourrait durer sept ans. Après sept ans d’absence, on était autorisé à penser que Cembelî était mort. Il cherche pendânt un an et arrive dans une tribu menée par la femme du frère de Faris Beg. Là une vieille dame le laisse se reposer chez elle à condition qu’il couche avec elle. C’est là que Amü§a, la fille de la vieille dame revient du pâturage. Elle est encore plus belle que Binevç. Voyant que sa mère s était maquillé pour Cembelî, elle essaye de lui expliquer que ce prince est venu pour trouver et enlever Binevç. Mais la vieille dame insiste, elle veut le garder pour elle. Les deux femmes se disputent, et Cembelî se réveille à cause du bruit.
A partir d ici la performance de Reçîdê Omerî est interrompue. La performance de Bedranê Mala Sivûk met en scène Amûça qui tient fermement sa mère et donne à Cembelî l’occasion de s’enfuir. Après avoir promis à Amûça de revenir l’emmener-elle aussi à son retour, il prend la route. Cembelî qui échappe à la vieille dame arrive dans une autre tribu, dirigée par la femme d’un autre frère de Faris Beg. Comme la précédente vielle dame elle veut garder le prince pour elle. Sa fille, Fatûma est encore plus belle que Binevç et que Amûça. Elle réussit à convaincre sa mère de le laisser aller chercher Binevç. Elles lui donnent des vêtements de berger et lui indiquent l’emplacement de la tribu de Faris Beg. Elles lui racontent aussi que Binev§ avait été enlevée par son cousin et qu’elle a déjà un fils qu’elle a aussi appelé Cembelî.

Après avoir promis à Fatûma qu’il viendrait aussi la prendre à son retour, il se met en route. Arrivé dans la tribu il demande au père de Binev§ de l’embaucher comme berger. Cembelî part garder les troupeaux de Faris Beg et de son neveu. Six mois après et Binevş vient pour traire les moutons. Par hasard elle le reconnaît à son noble poignard qui tombe dans le seau de lait. Ils se cajolent jusqu’à la venue de l’époux de Binevç. Cembelî fait le malade et Binevş raconte qu’elle ne pouvait pas laisser le berger ni les troupeaux. Son époux, Kor Ehmed Axa, garde les troupeaux et Binevç rentre dans la tribu avec Cembelî. Binevç fait toutes les préparations pour s’enfuir. Elle ne laisse dormir son fils qu’après minuit pour qu’il ne se réveille pas à l’aube. A l’aube Cembelî et Binevç s’enfuient, mais après s’être un peu éloignés de la tribu, Cembelî arrête le cheval. Il fait descendre Binev§ et attend que le cousin de Binevç vienne pour se venger. Dans la tribu, Faris Beg et sa femme apprennent que le berger et Binevç se sont enfuis. A partir d’ici la performance de Bedranê Mala Sivûk est également interrompue. Selon nos sources les évènements se terminent avec le combat entre Cembelî au cours duquel Cembelî décapite son rival.

1.3 Les versions publiées de l’épopée de Cembelî
Nous allons maintenant nous intéresser au contenu des différentes versions de Cembelî en nous efforçant de faire un court résumé de chaque version.

IX premier texte écrit de l’épopée de Cembelî a été rédigé par Albert Socin, l’orientaliste allemand du XIXème siècle. Il a recueilli durant l’été 1870 la majeure partie des vingt-sept textes dans la ville Zaxo (Zafto en Irak) dans la région de Hekkarî et de Bohtan (Turquie). Il cite comme source un juif, Pinehas, qui maîtrise le « Fellihi » (langue araméenne moderne) en plus du kurde, ainsi que plusieurs chanteurs de la ville de Saxo (A. Socin 1890 : XV - XIX). Parmi ces textes, on trouve aussi une partie de l’épopée de Cembelî. La chanson a pour titre ; « Dschàmbâli » (A. Socin 1890 : 265). Cette version chantée de l’épopée de Cembelî raconte comment Binevç essaie d’endormir son fils le petit Cembelî. Dans la chanson on loue Cembelî et on rabaisse le père du petit Cembelî. La chanson est en même temps un appel à Cembelî pour qu’il enlève Binevç.
Le deuxième texte fut publié par l’orientaliste allemand Albert von Le Coq. C’est une version complète de l’épopée de Cembelî parue sous le titre « Destanî mîrî ‘Akarî Cebelî Axa » (L’Epopée du prince de ‘Akarî, Cebelî Axa) (Le Coq 1903 : 20 - 26). Selon ses propres termes, il s est rendu à Zencirli en Turquie en 1901 dans le cadre d’une expédition de fouilles poui recueillir et « rendre accessible à la science » une série de textes kurdes (Le Coq 1903 : le préface).

Cette version de l’épopée de Cembelî provient sûrement de la région de Kilis (une ville au sud-est de la Turquie). Elle a été écrite par un Certain Seîdî Efendî, fils de Cafer Axa :

« Dans le Sandschak de Alep, dans le district de Kilis, dans la ville de Bîa, dans le village de Mobeta, on m’appelle Seîdî Efendî, fils de Cafer Axa, ce livre est donc écrit avec mon autorisation ». (Le Coq 1903 : 25)
Les protagonistes de cette version sont Cembelî Axa, prince de Hekkarî, Ehmedê Gewendê (le chanteur et musicien du prince), Paris Beg (le père de Binevç), Binevç (la bien aimée de Cembelî), Dewrîç Axa (qui enlève Binevç). Dans cette version les évènements se déroulent de la manière suivante :

Cembelî va ramasser l’argent des impôts qu’il n’a pas prélevé depuis sept ans. Il laisse Ehmedê Gewendê le remplacer dans la tribu. Ehmedê Gewendê trouve que la femme de Cembelî est avare, c’est pourquoi il se met à chercher une femme plus généreuse pour son prince. Il trouve dans la tribu, la fille de Paris Beg. Ehmed fait sorte que Cembelî aille demander sa main. Le père de Binevç et Binevç elle-même donnent leur accord. Dewrîç Axa, qui entend cette nouvelle, enlève Binevç de force. Cembelî les suit. Pendant sa quête, il se repose deux fois chez deux vieilles dames qui veulent se marier avec lui. Plus loin, il rencontre devant un fleuve, trois filles qui lui apprennent que Binevç s’est mariée avec Dewrîç Axa et qu’ils ont un fils qui s’appelle aussi Cembelî. Elles voulaient qu’il les emmène à la plaine de Sirûc* 3. II leur promet de les emmener avec lui à son retour. Cembelî travaille comme berger pour Dewrîç Axa. Il est si bon berger que Dewrîç Axa lui fait un cadeau. Après six mois, une domestique vient pour traire les moutons. Elle reconnaît Cembelî et lui demande de 1 enlever, ce qu’il n’accepte pas. Celle-ci rentre les mains vides et raconte à Binevç que le berger l’a violé. Binevç envoie une autre domestique qui agit de la même manière. Alors Binevç décide d’y aller elle-même. Elle reconnaît Cembelî et ils se cajolent jusqu’à ce que son mari vienne la chercher.
Cembelî fait le malade et Binevç raconte à son mari qu’elle ne pouvait pas laisser le troupeau ni le berger. Dewrîç Axa garde alors lui-même le troupeau et Binevç rentre avec le berger. Le soir Binevç tue son fils et s’enfuit avec Cembelî. Ils vont vers le Caravansérail de lenter4. Dewrîç Axa les suit autour de la montagne de Suphan5. Xizir, l’esprit de Dieu, monte à cheval pour effacer les traces de sabots laissés par les fugitifs pour tromper Dewrîç Axa. Mais celui-ci les retrouve. Cembelî se bat contre Dewrîç Axa et ses cinq cent cavaliers et tue quarante de ses cavaliers. Pendant ce temps Ehmedê Gewendê prépare cinq cent cavaliers et va à l’aide de Cembelî. Ehmed tue Dewrîç Axa et sauve Cembelî et Binevç. Suite à ce dénouement, ils font la fête sept jours sept nuits.
…..

1 Les intellectuels contestent le terme « Littérature orale ». Certains ne l’acceptent pas affirmant que les œuvres orales ne font pas partie de la littérature. Ils font une distinction stricte entre littéralité et oralité. Puisque c’est aussi un art des mots, nous préférons utiliser le terme « Littérature orale ».

2 Source : Ahmet Demir, 29 ans, originaire de Nisêbîn (Nusaybîn). Il habite depuis mai 2002 en Allemagne.

3 Sirûc (Suruç) est une ville du district de Urfa en Turquie.

4 Malheureusement nous n’avons trouvé aucune information sur ce nom.

5 Une montagne kurde à l'est de la Turquie.


Lokman Turgut

L’épopée de Cembelî et la tradition des Mitirbs

INALCO

Institut National des Langues et Civilisations Orientales
Mémoire pour l’obtention du diplôme de recherche et d’études appliquées (DREA)
L’épopée de Cembelî et la tradition des Mitirbs
Lokman Turgut

Directrice de la recherche :
Madame Christine Allison

Date de la soutenance :
11 octobre 2002

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