Le nom de Saladin fait immédiatement penser aux croisades, période qui vit s’affronter musulmans et Francs, chacun étant l’infidèle de l’autre. L’image devenue mythique du plus acharné adversaire des croisés, qui reprit Jérusalem suite à la défaite de Hattîn en 1187, masque une autre réalité : celle d’un moment fort de la civilisation arabo-musulmane. Saladin est en effet le fondateur de la dynastie ayyoubide - d’après le nom de son père Ayyûb, chef militaire d’origine kurde -, dont l’autorité s’exerça sur l’Égypte et la Syrie à travers les différentes branches de la famille. En moins d’un siècle, la culture, l’art et l’architecture connaissent un extraordinaire développement, donnant aux productions ayyoubides leur identité particulière. Damas, Alep et Le Caire deviennent les villes du pouvoir pour les princes et leur entourage, générant un important mouvement de constructions : fortifications, citadelles, madrasas - lieux d’enseignement, notamment, de l’islam sunnite pour contrer le chiisme -, mausolées qui, de nos jours encore, marquent le paysage de ces villes. Celles-ci sont aussi des centres de production d’objets mobiliers destinés, entre autres, à la Cour des princes. Céramiques, textiles, mais surtout objets en métal incrusté d’argent (bassins, aiguières, chandeliers...) et verres émaillés et dorés (gobelets...) témoignent de la qualité du travail des artisans et des artistes, qui n’hésitent pas à déplacer leurs ateliers pour satisfaire les commanditaires. Ces productions bénéficient aussi du fort courant d’échan-ges, tant avec l’Extrême-Orient qu’avec l’Occident, qui se maintient malgré les conflits.
Sous la direction de Sophie Makariou, conservateur au musée du Louvre, section Islam
Sommaire
11 / Introduction L’Orient de Saladin Sophie Makariou
17 / Saladin et la dynastie des Ayyoubides Anne-Marie Eddé Et Françoise Micheau
24 / Les Kurdes au Moyen Âge Boris James
25 / Art et politique pendant la période ayyoubide Stefano Carboni
31 / Les monnaies des Ayyoubides Cécile Bresc 64 / Les Ayyoubides et les Francs Georges Tate
68 / L’organisation militaire des Ayyoubides Salah El Beheiry
72 / Évolution urbaine et architecture au temps des Ayyoubides Jean-Claude Garcin
84 / L’architecture militaire ayyoubide en Égypte et en Syrie Stefan Knost
89 / Échanges et commerce au temps des Ayyoubides Anne-Marie Eddé
127 Le métal ayyoubide Annabelle Collinet
131 / La céramique ayyoubide Sophie Makariou et Alastair Northedge
137 / L’art du verre sous les Ayyoubides et les premiers décors émaillés et dorés Stefano Carboni
197 / La vie de l’esprit Françoise Micheau
218 / Épilogue L’art sous les Ayyoubides Oleg Grabar
220 / Glossaire 221 / Chronologie comparée Orient/Occident 224 / Bibliographie 237 / Table de répartition des notices par techniques 237 / Crédits photographiques 238 / Table des matières
Table des matières
Introduction L’Orient de Saladin Sophie Makariou / 11
La dynastie ayyoubide Saladin et la dynastie des Ayyoubides Anne-Marie Eddé Et Françoise Micheau / 17
Les Kurdes au Moyen Âge Boris James / 24
Art et politique pendant la période ayyoubide Stefano Carboni / 25
Les monnaies des Ayyoubides Cécile Bresc / 31
Origines et monnayage (1-31) / 32 L’entourage du souverain (32-59) / 45
L’environnement des Ayyoubides Les Ayyoubides et les Francs / 64 Georges Tate
L’organisation militaire des Ayyoubides / 68 Salah El Beheiry
Évolution urbaine et architecture au temps des Ayyoubides / 72 Jean-Claude Garcin
L’architecture militaire ayyoubide en Égypte et en Syrie / 84 Stefan Knost
Échanges et commerce au temps des Ayyoubides / 89 Anne-Marie Eddé
Les Ayyoubides face aux Francs (60-74) / 92 La présence des Francs (75-89) / 102 Les chrétiens en Orient (90-103) / 110 Commerce et échanges (104-112) / 119
L’art ayyoubide Le métal ayyoubide / 127 Annabelle Colunet
La céramique ayyoubide / 131 Sophie Makariou et Alastair Northedge
L’art du verre sous les Ayyoubides et les premiers décors émaillés et dorés / 137 Stefano Carboni
Le métal (113-126) / 140 La céramique non glacée (127-135) / 150 La céramique à décor moulé sous glaçure (136-140) / 154 La céramique à décor monochrome (141-148) / 158 La céramique à décor bichrome (149-154) / 162 La céramique à décor polychrome (155-165) / 165 La céramique à décor lustré (166-181) / 172 La céramique à décor « lakabi » (182-184) / 182 Le verre à décor appliqué et de filets incrustés (185-196) / 184 Le verre à décor émaillé et doré (197-209) / 189
La vie de l’esprit La vie de l’esprit / 197 Françoise Micheau
La vie de l’esprit (210-234) / 202
Épilogue L’art sous les Ayyoubides / 218 Oleg Grabar
Glossaire / 220 Chronologie / 221 Bibliographie / 224 Table de répartition des notices par techniques / 237 Crédits photographiques / 237
PREFACES
Les Ayyoubides doivent d’abord leur prestige aux réalisations du fondateur de la dynastie, Salâh al-Dîn Yûsuf ibn Ayyûb, le célèbre Saladin des historiens occidentaux, considéré unanimement comme l’un des plus grands souverains de l’histoire de l’Islam. Ce combattant de la foi, rude guerrier mais fin tacticien, intransigeant avec les siens et avec lui-même mais magnanime à l’égard des gens du Livre, est en effet entré de son vivant dans la légende pour avoir remporté sur les croisés, en 1187, la bataille décisive de Hattîn et reconquis la Ville sainte, Jérusalem, dans la foulée. Auparavant, il avait réussi à réunir les conditions de cette victoire en rétablissant l’unité de l’Egypte et de la Syrie, ce qui n’aura pas seulement des répercussions militaires immédiates, mais aussi des conséquences profondes et durables sur les plans économique et religieux. Ces deux immenses réalisations, les successeurs de Saladin sauront en tirer profit malgré leurs dissensions, d’autant plus qu’une longue période d’accalmie suivra la disparition du grand homme en 1193. L’intensification des échanges entre l’Orient et l’Occident, à travers un territoire allant de la Libye au Yémen et du Soudan à la Haute-Mésopotamie, permettra désormais à l’Etat de renflouer ses finances et à la population de reprendre et de développer ses activités productives traditionnelles. L’Égypte redeviendra ainsi l'un des principaux centres du commerce international. La vigoureuse politique religieuse de Saladin, visant l’unité morale de l’Islam, n’en sera pas moins poursuivie, et même affermie, comme en témoignent jusqu’à nos jours les très nombreuses fondations pieuses laissées par les Ayyoubides, et notamment les écoles.
L’exposition organisée par l’institut du monde arabe, à laquelle ce catalogue offre un supplément d’une haute tenue intellectuelle, se propose de faire connaître au public le plus large cette période charnière si riche en péripéties. A travers des oeuvres d’art dont la qualité et la diversité ne manqueront pas de ravir les visiteurs, nous espérons qu’elle sera aussi perçue, par-delà les confrontations d’hier, comme un vibrant appel au dialogue et à la compréhension mutuelle.
Nasser el Ansary Directeur général de l’institut du monde arabe
Saladin est né à Takrît, une petite ville des bords du Tigre, au nord de Bagdad – sur le territoire de l’antique Mésopotamie ou de l’Iraq moderne -, au temps du calife abbasside al-Muktafî. Originaire du Kurdistân arménien, sa famille, à une époque où alliances et allégeances se font et se défont à bon train, avait été au service des princes seljoukides avant de passer à celui de Nûr al-Dîn, monarque zenguide régnant à Damas. C’est pour le compte de ce dernier que Saladin conquiert l’Égypte – mettant un point final au califat fatimide et aux ambitions chiites au Proche-Orient -, avant de se rendre maître, à la mort de Nûr al-Dîn, de la Syrie et du Nord de l’Iraq. Saladin soumet ensuite d’immenses territoires qui comprennent la majeure partie de la péninsule Arabique, Yémen compris, et s’étendent, au sud et à l’ouest, jusqu’aux confins du Soudan et de la Tunisie.
Le prodigieux destin de Salâh al-Dîn Yûsuf ibn Ayyûb, et son parcours épique, constituent de la sorte un abrégé de l’Histoire et de la géographie de cette partie du monde et portent en filigrane le symbole de l’Orient tout entier.
Il était naturel que l’institut du monde arabe vînt à s’intéresser à ce personnage hors du commun, à ses œuvres comme à son siècle. C’est que Saladin, pour occuper, dans l’imaginaire oriental, la place du monarque par excellence, a su s’imposer aussi à la mémoire de l’Occident. Des chroniqueurs des croisades aux poètes romantiques, en passant par les encyclopédistes, de Dante à Walter Scott, en passant par Lessing : l’Europe littéraire s’est toujours fait l’écho de la gloire de ce sultan magnifique.
Nul mieux que lui, dès lors, dont l’image resplendit à la croisée des chemins de l’Orient et de l’Occident, ne pouvait convenir à l’institution qui est la nôtre. Mais, sans doute, convenait-il également de préciser quelque peu la personnalité réelle de ce chef de guerre ambitieux, homme de science et poète à ses heures, monarque généreux et fondateur de dynastie.
L’exposition, en effet, couvre toute la période entière des règnes de Saladin (1171-1193) et des Ayyoubides, souverains issus de sa parentèle, jusqu’au milieu du XIIIe siècle. Après avoir sonné le glas des espérances latines en Orient, Saladin léguera à ses successeurs un véritable empire. Si ceux-ci ne purent le conserver dans son intégrité, ils surent, à tout le moins, continuer à le faire resplendir. Car se sont bien Le Caire, Damas, Alep qui, en ce siècle des Ayyoubides, portent haut l’étendard d’un islam dont la vocation universelle et la grandeur s’illustrent par des avancées culturelles et des achèvements exemplaires.
C’est à ce moment privilégié de l’Histoire que l’institut du monde arabe se réjouit de convier son public, illustré d’objets et de pièces issus d’une quarantaine de collections, tant publiques que privées, originaires du Moyen-Orient et d’Europe, témoignant de l’excellence des techniques de l’époque.
Camille Cabana Président de l’institut du monde arabe
Introduction
L’orient de Saladin Sophie Makariou
Bien souvent le cadre dynastique, surimposé à la production artistique d’une période, n’offre qu’une cotte mal taillée. La question se pose singulièrement pour l’exposition présentée par l’institut du monde arabe : « L’Orient de Saladin. L’art des Ayyoubides. » Ce titre évoque pour les Occidentaux une figure des croisades presque mythique, un adversaire paré de toutes les vertus de la chevalerie. Si le personnage est héroïsé dans l’Orient contemporain, sa « fortune critique » n’y fut pas toujours aussi glorieuse. L’historien Ibn al-Athir a laissé du souverain, on le sait, un portrait où perce une certaine réserve. Mais l’exposition ne vise pas seulement à évoquer la figure de Saladin - le projet eut alors été tout autre - mais plutôt à traiter de l’art des « Ayyoubides », la dynastie qui, à la suite de son fondateur, unifie les vastes territoires du Proche-Orient arabe. Un temps, une dynastie, un espace donc. Les limites chronologiques choisies ne vont pas elles-mêmes sans quelque difficulté. À Hama, une branche de la dynastie ayyoubide se maintient jusqu’en 1340 ; les souverains y commanditent des métaux d’une facture identique à ceux produits, à la même période, sous le régime des sultans mamlouks, maîtres de l’Egypte et de la Syrie. Les Ayyoubides de Hama ne sont pas évoqués dans l’exposition présentée à l’institut du monde arabe, pas plus que la branche de la famille dominant le Yémen jusqu’à l’avènement des Rasulides (1229), dont nous ne savons, matériellement, à peu près rien. Or si l’on appelle « ayyoubide » les objets réalisés uniquement pour les souverains de la maison d’Ayyûb (le père de Saladin) aucune unité artistique ne s’en dégage comme nous le rappelle l’exemple des objets de Hama.
Plutôt que l’art ayyoubide, c’est l’art au temps des Ayyoubides, qu’il soit de commande ou non, que nous nous proposons de faire découvrir au public. C’est-à-dire l’art du Proche-Orient arabe sous le règne du fondateur de la dynastie et de ses successeurs jusqu’à l’avènement des Mamlouks dans la sphère syro-égyptienne (1250).
Le cadre géographique lui-même mérite quelques éclaircissements : de quel Orient s’agit-il? Si c’est la domination politique qu’il convient de prendre en compte, Mossoul, en Haute-Mésopotamie, reste en dehors de notre champ ; une branche de la dynastie zenguide contrôle la région alors que les Ayyoubides sont implantés dans l’espace syrien. Pourtant bien des objets en métal réalisés pour des souverains ayyoubides conservent des signatures d’artistes mossouliens (al-Mawsilî) et l’exclusion devient alors difficile sans la justifier ; or il semble bien qu’on puisse l’expliquer en l’abordant autrement. Les historiens de l’art - et parmi eux les plus éminents comme D. S. Rice – ont depuis longtemps postulé qu’une « migration » d’artistes accompagne l’émergence d un nouveau pouvoir unificateur en Syrie et en Egypte : les artistes de Mossoul auraient suivi le pouvoir dans son implantation « syrienne » comme ils le feront par la suite, par un effet d’attraction, dans son séjour cairote. De nombreux objets l’attestent, pour ce qui est de cette dernière étape, à la période mamlouke. Pour l’implantation syrienne sous le règne des sultans ayyoubides, les indices sont plus ténus mais ils existent ; les inscriptions de deux objets (car. 123) indiquent leur fabrication à Damas par des artistes mossouliens, comme le souligne A. Collinet. L’un de ces objets est destiné au dernier sultan ayyoubide régnant conjointement sur l’Égypte et sur la Syrie, avant l’avènement des Mamlouks. Cela n’indique pas que Mossoul ait cessé de fournir toute dinanderie aux princes ayyoubides et à leur entourage, mais sans doute ces dinandiers n’étaient-ils …
Sophie Makariou
L’Orient de Saladin : l’art des Ayyoubides
Gallimard
Gallimard & Institut du Monde Arabe L’Orient de Saladin : l’art des Ayyoubides Exposition présentée à l’institut du monde arabe Paris, du 23 octobre 2001 au 10 mars 2002 Sous la direction de Sophie Makariou
Catalogue de l’exposition présentée à l’institut du monde arabe à Paris du 23 octobre 2001 au 10 mars 2002.
Illustrations de la jaquette : Chandelier signé al-Hâjj Ismâ'îl et Muhammad ibn Futtûh al-Mawsilf, détail (cat. 124). Le Caire, musée d’Art islamique. Photo Philippe Maillard.
Tesson aux trois lièvres (cat. 111) ; Le Caire, musée d’Art islamique. Photo Philippe Maillard.
Catalogue Direction éditoriale IMA Éric Delpont, assisté d’Aurélie Fauret et Yannis Koïkas
Suivi éditorial Gallimard Giovanna Citi-Hebey, Isabelle Sauvage, assistée de Nicolas Kiritzé-Topor, sous la direction de Jean-Loup Champion
Conception graphique Gallimard Isabelle Flamigni et Anne Lagarrigue, sous la direction de Jacques Maillot
Fabrication Gallimard Sandrine Michel, sous la direction de Christian Delval
Attachée de presse Gallimard Brigitte Benderitter, assistée de Françoise Issaurat Cartographie, plans et dessins Hélène David, Caroline Florimond, (relevé du plateau du Louvre [cat. 120]), Jean-Luc Arnaud (plans des villes de Damas, Alep et Le Caire, texte de J.-Cl. Garcin)
Traductions Jeanne Bouniort (anglais),
Sophie Makariou et Gabriel Martinez-Gros (anglais, texte de Stefano Carboni Art et politique pendant la période ayyoubide »),
Reinold Werner (allemand, notices du Muséum fur Islamische Kunst de Berlin),
Mendez (allemand, texte de Stefan Knost, L’architecture militaire ayyoubidc en Syrie et en Egypte), Antoine Jockey (arabe)
Les éditeurs tiennent à remercier Nathalie Chauvin, Marie-Paule Jaffrennou, Guillaume Lagandré, Laurence Peydro, Philippe Rollet, Patrizia Tardito, pour l’aide précieuse apportée tout au long de la préparation de ce catalogue.
Illustrations de la couverture : 1er plat : Chandelier signé al-Hâjj Ismâ'îl et Muhammad ibn Futtûh al-Mawsilî, détail (cat. 124). Le Caire, musée d’Art islamique. Photo Philippe Maillard. 4e plat : TeSSOn aux trois lièvres (cat. lit). Le Caire, musée d’Art islamique. Photo Philippe Maillard.