Du gamin d’Istanbul au fédaï d’Ourmia Onnig Avédissian Thaddée
Ce témoignage rare, qui fait revivre une époque et un espace géographique méconnus, les confins orientaux de l’Empire ottoman au début du xxe siècle, se lit comme un roman. Il fait étrangement penser à un anti-western à l’orientale, dans la veine du Little Big Man d’Arthur Penn, immortalisé par Dustin Hoffman, avec tous les ingrédients de ce genre : chevauchées, loi des armes, guerres tribales, choc de civilisations, paysages enchanteurs, passions... Un spectre surgit dans cette mêlée, qui dicte, au prix de sacrifices humains inouïs, le destin des hommes et des peuples : l’émergence de l’ère industrielle et des Etats-nations. L’Histoire accouche d’un monstre, le premier génocide du xxe siècle dont les Arméniens sont victimes. Sur leurs cadavres, Mustafa Kemal érige la Turquie moderne qui oppose à l’Empire otto-man multi-ethnique le modèle d’un Etat-nation dont les minorités sont exclues, quand elles ne sont pas passées au fil de l’épée. Au terme de ses incroyables tribulations, Onnig Avédissian, combattant de la Fédération révolutionnaire arménienne, trouve refuge en France. Il parvient à écrire, quelques années avant de mourir, en 1933, l’itinéraire de sa vie, de sa jeunesse à Istanbul jusqu’à son exil en France, en passant par ses années de combat, principalement en Persarménie, aux côtés des réfugiés de Van et des Assyriens. Son précieux manuscrit, le seul objet qui lui a survécu avec un almanach, a été découvert par son petit-fils fin 2001.
Un récit net, abrupt, expressif, évocateur. [...] Un précieux document pour prendre la mesure du génocide et comprendre les crises qui secouent toujours, aujourd’hui, la région. [...] Une véritable découverte. Livres Hebdo, Jean-Maurice de Montremy
Sommaire
Les Mémoires
Une enfance rebelle à Istanbul / 13 L’aventure sur la piste des fédaïs / 19) Mission en Persarménie / 49 Lune de miel à Bolis / 85 Quelques années de bonheur / 105 1914 et le spectre de la mort / 121 L’étau se resserre / 155 L’exode à Bagdad / 171 Retour à la case départ / 181 L’exil / 195
Epilogue / 213
Annexe
L’agenda 1925 des Galeries Lafayette / 227 Bref rappel du contexte historique / 273 Les dates clés / 275 Chronologie de l’histoire moderne de l’Arménie / 278 Photographies et cartes / I à XVI
NOTE AU LECTEUR
Je suis de ceux qui croient, à tort ou à raison, à l’autorité de la chose écrite — de nos jours il faudrait même dire : « imprimée » - or il n’y avait pas de traces en caractères imprimés de mon grand-père jusqu’à ce que...
Mon père me montra un jour avec fierté un vieux livre en arménien à l’austère reliure noire, du genre de tous ceux que personne ne lit, où le nom de mon grand-père était mentionné. Je n’y prêtai pas beaucoup d’attention et je l’oubliai. C’est bien plus tard, après la mort de mon père, m’étant remis assez sérieusement à l’étude de l’arménien, que je tombai à la cinquante huitième page cornée de cet ouvrage aussi remarquable que méconnu de Téotig (1873- 1928), Golgotha du clergé arménien de Turquie, édité à Istanbul en 1921. Une somme dans laquelle Téotig1, alias Theodoros Laptchintchian, recense le martyre de 1 252 religieux durant le génocide. Les trois pages consacrées exceptionnellement aux Arméniens des régions d’Ourmia et de Salmast en Perse ont été rédigées grâce à l’unique témoignage de mon grand-père. Elles se terminent ainsi : « Ces informations ont été puisées auprès d’Onnig Avédissian (de Van) qui a participé à tous les combats et à l’exode et qui se trouve maintenant à Bolis. »
Le village persan au nom étrange d’Iki-Aghadj [en turc : les deux arbres] où ma grand-mère Guluzar, ma tante Aravni et mon oncle Sérop sont nés, me semblait surgir de nulle part. Avait-il bien existé, était-ce un village ou un lieu- dit ? Mon émotion fut grande quand je découvris, à la page 38 de Documents of Armenian Architecture (octobre 1989), revue d’architecture consacrée à Sorhul, en Persarménie, une mention du village d’Ik’i Aghadj dans le tableau recensant les villes et les villages du diocèse de l’Eglise arménienne d’Azerbaïdjan, aujourd’hui situés en territoire iranien
Les récits de mon grand-père relèvent de la réalité, qui dépasse la fiction. Toutes les personnes et les situations qu’ils évoquent ont réellement existé et ne sont pas fortuites. Avertissement : il est conseillé de débuter la lecture de ce livre par le bref rappel du contexte historique (p. 273). Par ailleurs, l'auteur cite beaucoup de noms. Nous n 'en avons omis aucun pour respecter sa volonté. Que le lecteur ne s‘inquiète pas, il est rarement besoin de les retenir.
1 Téotig a édité de précieux Almanachs pour tous de 1907 à 1928
Prologue 1926
En lisant les mémoires de ceux qui ont lutté, je me sens investi à mon tour du devoir d’écrire. On y trouvera sans doute un intérêt plus tard. Et j’espère qu’un jour mes enfants découvriront à la lecture de ces pages non seulement la vie que j’ai endurée mais aussi celle de toute une génération de militants et d’hommes d’action entièrement dévoués qui n’ont pas hésité à se sacrifier. Ils sont condamnés à l’oubli, à l’anonymat et à tout jamais au silence des té¬nèbres, beaucoup d’entre eux ayant disparu. Que leurs mémoires aussi soient révélées à travers mon témoignage. Car nous n’avons eu ni le temps, ni les moyens d’écrire la biographie de tous nos martyrs et même si cela a pu être fait, la plupart des écrits ont disparu à la suite des derniers désastres. Je ne suis pas écrivain, mais ce n’est pas une raison pour me taire. Il se peut que je me trompe dans l’ordre chronologique de mon récit, peu m’importe. Je commence à écrire et je continuerai tant que j’en aurai la force.
Hadji2 Onnig Avédissian France, région parisienne, village3 de Sarcelles
2. Titre honorifique donné à celui qui a effectué le pèlerinage chrétien à Jérusalem. Il dérive du mot Khodja, musulman ayant accompli le pèlerinage de La Mecque.
3. La mention, « village de Sarcelles » ne manque pas de charme à un siècle d’écart. A l’époque, Sarcelles n’était pas encore une banlieue, tristement célèbre pour avoir été la première cité dortoir des années 1970, mais un authentique et charmant village prisé des Parisiens en quête de verdure et d’air pur.
Chapitre I
Une enfance rebelle à Istanbul
Mon père s’appelait Avédis Charoyan4. Il était de Van5. Ma mère était d’Ay- kestan [le quartier arménien de Van], Son père, Topai Bagdassar, coiffeur de son état, habitait à Dadjig-Adjmou. Après le mariage de mes parents et la naissance de mon frère, mon père partit travailler à Bolis6 [Istanbul). Il prit en main un petit café puis fit venir sa famille. Je suis né un an plus tard, à Bolis donc, le 28 mars 1882. Nous vivions dans le quartier de Guédig-Pacha7, avec d’autres Vanétsis [ha¬bitants de Van] et nous étions entourés de braves gens. Sans être riches, nous vivions sans soucis matériels. A cette époque, mon père avait une bonne si¬tuation. Il était dessinateur et aussi coiffeur. Mon frère et moi allions à l’école Saint-Mesrob de Guédig-Pacha, mais la maladie de mon frère l’empêchant de poursuivre ses études, mes parents le placèrent comme apprenti chez un horloger.
Quant à moi, je continuai mes études. Le directeur de l’école était Ohannes Effendi Bassavian, qui est depuis devenu avocat. Nos professeurs s’appelaient Kenouni, Ardachés Hovhannissian, Vartkes... Cette école n’était pas comme les autres, on y recevait une éducation particulière. A l’époque, nous ne ressantions …
4. Pourquoi Onnig est-il devenu un Avédissian alors que son père a pour nom de famille Charoyan ? On le comprendra dans les pages suivantes, mais on peut d’ores et déjà dire que son engagement politique va l’entraîner assez rapidement dans la clandestinité.
5. Van, qui se situe dans l’est de la Turquie actuelle, est considéré comme le cœur historique de l’Arménie. Ce fut un haut lieu de la résistance à l’oppression turque au xixc siècle et au début du xxe. La ville est baignée par un immense lac salé (3 755 km2), à 1 640 mètres d’altitude, dont les eaux bleues sont ceinturées par une chaîne de montagnes dominée par le mont Sipan (plus de 4 400 m). Le site est grandiose et une église, celle de la Sainte-Croix d’Aghtamar, bâtie sur une petite île au sud du lac, est sans doute le plus beau joyau de l’architecture arménienne. Les Vanétsis, qui tirent une certaine fierté de leur origine, ont la réputation d’être têtus et durs en affaires...
6. Les Arméniens, comme beaucoup d’occidentaux de l’époque nomment Istanbul, Bolis, ce qui signifie « la ville » (en grec, polis qu’on retrouve dans Constantinopolis, Persépolis).
7. Ce quartier historique de Bolis [Istanbul] a définitivement perdu son caractère arménien à la fin des années 1980 quand ses habitants arméniens, encore assez nombreux après guerre, l’ont quitté pour émigrer ou s’installer ailleurs en ville. Il y subsiste encore de nos jours quelques églises perdues dans la niche des ateliers de confection et de chaussures.
…..
Onnig Avédissian
Du gamin d’Istanbul au fédaï d’Ourmia Mémoires d’un révolutionnaire arménien
Thaddée
Editions Thaddée Du gamin d’Istanbul au fédaï d’Ourmia Mémoires d’un révolutionnaire arménien Onnig Avedissian
Du gamin d’Istanbul au fédaï d’Ourmia Mémoires d’un révolutionnaire arménien d’Onnig Avédissian, traduit et annoté par son petit-fils, Jean-Jacques Avédissian