La route du couchant
Yusuf Yesilöz
Editions d'en bas
ous les bergers du monde partagent leur pain avec les passants. Mais cela peut valoir la torture à un berger kurde en Turquie. Le village, ses parents, ses amis, jusqu’à l’agha, l’aident de leur mieux.
Et la vie continue malgré la terreur exercée par les gendarmes, les voisins racontent des histoires à la veillée, le retour des cigognes ou des oies sauvages marque les saisons. Jusqu’à ce que la femme du berger soit prise en otage par les militaires...
Yusuf Yesilöz, né dans un village kurde en 1964, est arrivé comme réfugié en Suisse en 1987. Il travaille à Winterthour comme libraire, traducteur et éditeur. Il est l’auteur de plusieurs livres en allemand. La route du couchant est le premier traduit en français. Il est dédié à tous les exilés.
INTRODUCTION
L’Euphrate faisait chanter le village de Çaldiran. Situé sur la rive du fleuve, le village s’étendait sur des milliers d’hectares. Le rire insouciant des lavandières au bord de l’eau, les cris et les jeux des enfants, les cloches des moutons allant s’abreuver dans l’Euphrate en fin de matinée, les sifflets des bergers et la beauté inouïe du soleil matinal souhaitaient la bienvenue à qui traversait Çaldiran le matin. Une fois les moutons abreuvés, les bergers les menaient au repos. Quand ils avaient fini de s’occuper de leurs bêtes, ils se rendaient chez l’agha man¬ger du pilaf de boulgour avec des galettes et boire du çeqilmast, du yoghourt dilué et assaisonné. Ils ne lais¬saient pas une miette de blé ni de fromage. Puis ils buvaient leur thé, noir et fort comme le sang d’un lièvre fraîchement égorgé. Enfin ils se levaient et retournaient au village pour y apprendre ce qui s’était passé depuis la veille. Ils passaient d’une maison à l’autre, posaient trente-six questions, combien de blé, d’orge et d’avoine les voisins avaient récolté, combien d’agneaux avaient été vendus et à quel prix, si un parent était mort ou si un voisin avait marié son fils ou sa fille.
Leur curiosité satisfaite, les bergers retournaient chez l’agha boire du çeqilmast et se reposer à l’ombre. Quand le soleil, à son plus haut, indiquait midi, les bergers ramenaient à l’enclos les moutons qui aiment la chaleur. Bavardant à l’ombre, femmes et hommes en vêtements de travail attendaient le moment de traire les brebis. Des enfants armés de bâtons plus grands qu’eux aidaient les bergers à rassembler les troupeaux dans l’enclos et veillaient à ce qu’aucune bête n’échappe à la traite.
L’agha Beko, de Çaldiran, avait possédé plusieurs troupeaux de moutons aux superbes cloches. Il ne lui en restait plus qu’un. Auparavant, il avait au moins cinq ou six troupeaux, de cinq cents moutons blancs ou tachetés chacun. Il ne comptait pas les chèvres, car il ne les aimait guère. Mais dans chaque troupeau il faut avoir une dizaine de chèvres qui mènent les bêtes à la grosse chaleur, et Beko devait bien s’en accommoder. Quarante personnes au moins travaillaient alors pour lui. Lorsque les bergers avaient réuni leurs troupeaux au soleil de midi et se reposaient à l’ombre, la fortune de Beko sem¬blait aussi importante que celle d’une ferme d’Etat. A midi, les bergers et leurs aides recevaient leur déjeuner. On mangeait du pilaf et on buvait du yoghourt à l’eau dans toutes les pièces de la maison. Beko allait s’asseoir auprès des vieux bergers, qui connaissaient d’expérience mieux les moutons que le vétérinaire du district, et ils parlaient moutons et troupeaux. Du pilaf avait été pré-paré pour quarante personnes, mais il était assaisonné de si peu de beurre que les bergers n’étaient jamais contents. Ils se disaient les uns aux autres :
- Ce pilaf est si mauvais qu’on ne sent même pas le goût du blé.
Pour qu’ils apprécient le repas, Beko se mettait parfois à faire l’éloge de ce pilaf, si beau, si délicieux, si riche, préparé par sa femme Aicha :
- Reprenez-en donc, personne n’en fait de pareil !
…..
Yusuf Yesilöz
La route du couchant
Editions d'en bas
Editions d'en bas
La route du couchant
Yusuf Yesilöz
La route du couchant
Récit Traduit de l'allemand
par Marianne Enckell
Editions d'en bas
collection ch
Littératures de la Suisse en traduction
Ce livre paraît avec l'aide de la Fondation ch pour
la collaboration confédérale et de la Fondation Œrtli.
La traduction est subventionnée par Pro Helvetia.
Nous leur adressons nos remerciements,
ainsi qu'à l'Organisation suisse d'aide aux réfugiés (OSAR)
et à la Ville de Winterthour qui ont apporté leur soutien à cette publication.
Titre original:
Reise in die Abenddâmmerung
Erzâhlung
© Rotpunktverlag, Zurich, 1998
ISBN 3-85869-142-9
Couverture : maquette :
Tristan Boy de la Tour ;
illustration page titre : image réalisée par
une femme kurde dans le cadre d'un cours OSEO à Bâle ;
photographie de l'auteur ;
© Olivia Heussler
PAO: Georges Nicod
ISBN 2-8290-0252-0
© 2000 Editions d’en bas
Case postale 304, 1000 Lausanne 17
(Suisse) pour la traduction française