Suicides des Femmes : le Cas de Batman en Turquie
Rojda Alaç
Paris I- Sorbonne
Les régions du sud-est de la Turquie, particulièrement celle de Batman, ont connu une recrudescence rapide des suicides des jeunes filles et femmes de 1995 à 2000.1 Durant cette période, 144 femmes ont voulu mettre fin à leur vie à Batman, dont 75 sont mortes. Les suicides ont commencé à augmenter en 1995 et 1999-2000 est la période durant laquelle les institutions et chercheurs d’Etat ont multipliés leurs travaux de recherches dans la région de Batman. Dans ces deux années, 42 suicides et ainsi que 93 tentatives de suicides y ont été constatés.2 Le but ...
Table des matières
Introduction / 1-6
Chapitre I- Batman, Ville d’une « Autre Turquie »
I. Informations générales sur Batman / 11-12
II. Les « frontières » à Batman / 13-19
III. Deux questions occupent les esprits :
Servir à quelque chose, en faisant quoi ? Gagner de l’argent, comment ? / 19-24
IV. Les périodes d’exil de la ville, les exils forcés : les « spectateurs » de la ville / 25-32
IV. a. Les tribus à Batman / 32-34
V. Un homme escroqué par son voisin : le rôle des « protecteurs »
(Korucu) dans les affaires du peuple / 35-38
VI. Les services de santé à Batman et les interventions sur le corps de la femme / 38-43
VII. Le Hezbollah et la ville de Batman / 43-50
Chapitre II - Le Batman du pouvoir : Les rapports, les vaaz et les sauveurs
I. Batman allant vers sa période de suicides / 53-54
II. Les Rapports et Les Paroles
II. a. Les Chercheurs d’Etat / 54-62
II. b. Les Femmes de la Religion : Les Vaaz / 62-69
II. c. Les Sauveteurs / 69-72
II. d. Le Barreau de Batman / 73-75
III. Comment comprendre les cris d’appel ? / 75- 84
Chapitre III : L’Etat, la structure patriarcale et les femmes de Batman
I. Traduire la modernité dans des termes « indigènes » / 85-87
II. Les voix « des nouveaux acteurs » même / 87-92
III. « La fille libre » : Télévision dans la vie quotidienne / 92-100
IV. Reconstruire la vie aux marges des discours dominants / 100-112
Conclusion / 113-116
Annexes / 117-146
Bibliographie / 147-15
INTRODUCTION
Les régions du sud-est de la Turquie, particulièrement celle de Batman, ont connu une recrudescence rapide des suicides des jeunes filles et femmes de 1995 à 2000.1 Durant cette période, 144 femmes ont voulu mettre fin à leur vie à Batman, dont 75 sont mortes. Les suicides ont commencé à augmenter en 1995 et 1999-2000 est la période durant laquelle les institutions et chercheurs d’Etat ont multipliés leurs travaux de recherches dans la région de Batman. Dans ces deux années, 42 suicides et ainsi que 93 tentatives de suicides y ont été constatés.2 Le but du présent travail est de faire l’analyse de ce phénomène.
Les suicides qui ont augmenté de façon rapide ont attiré l’attention des médias turcs dans la région. On a tenté d’expliquer ce phénomène tantôt par la folie tantôt par la pauvreté des victimes ou encore par la situation conflictuelle de la région. Ces discours n’ont fait que catégoriser les suicides et ces catégories ont servi à y « trouver des solutions ». En sortant de ce système de catégorisation et au lieu d’essayer de comprendre les raisons des suicides, nous allons nous pencher sur l’environnement des personnes qui se suicident afin de cerner leur mode de vie et l’importance que peuvent prendre certains discours. Nous allons aussi accorder une importance particulière à ce qui m’a été confié durant mes recherches sur le terrain dans notre analyse des associations d’aide aux femmes. Par l’étude des analyses des suicides effectuées par les professionnels académiques ou par les institutions d’Etat dans une ville kurde avec toutes ses particularités, nous allons étudier les individus restés en marge par rapport aux « nouveaux acteurs » nés des discours modernistes du centre et des médias dans les régions kurdes. Cette branche de « marginaux », aux yeux de l’Etat, constituera le point d’orgue de notre travail. Il faut souligner le point selon lequel ces suicides font partie intégrante de la société à Batman et nécessitent notre compréhension de la vie des femmes. Il est donc nécessaire de faire une recherche microsociologique sur ce point. Nous nous servirons également des théories féministes de Gayatri Spivak, Lila Abu-Lughod et Deniz Kandiyoti afin de faire une analyse de la vie à Batman en étant une femme et kurde, c’est-à-dire un élément important des pratiques de l’Etat sur la question de la femme ou encore une jeune fille kurde vivant la rapide modernisation.
Il est connu de tous que le suicide est un sujet complexe et touche un certain nombre de disciplines. Même si le suicide, qui a été considéré comme une variante de la folie dans les premiers temps de sa prise en compte par le pouvoir étatique, est un sujet qui touche les individus personnellement, et malgré le fait qu’il soit vu comme une faute dans la société, comme dans la religion, n’est pas puni par les lois étatiques et internationales car toujours considéré comme une maladie mentale. Le fait que les individus, qui sont l’élément sur lequel le pouvoir exerce son action,3 se suicident signifie que ce dernier est mis dans une position d’impuissance face au phénomène et le reconnaît comme une folie. C’est pourquoi, il tente de construire une nouvelle …
1 Les chiffres des suicides dans les différentes régions de la Turquie entre 1974 et 1997 sont les suivants : région de la mer Egée, dans l’ouest du pays : 3,13 sur 100 000; région de Marmara: 2,52; centre de l’Anatolie, 2,26; région de la Méditerranée, au sud du pays, 2,13; à Test de l’Anatolie, 1,73; région de la mer Noire au nord du pays, 1,49; au sud-est de l’Anatolie, 1,25. Parmi toutes ces données, il est une remarque importante qu’il faut faire pour la période 1991-97. En effet, dans ce laps de temps, alors que toutes les régions, hormis celle de l’Egée, voient une augmentation des suicides, la région de l’Anatolie du sud-est, malgré le fait qu’elle arrive en dernière position dans nos chiffres énoncés ci-dessus, arrive en quatrième position nationale avec une augmentation de 167 %. (Doc. Dr. Aytekin Sir, Doc. Dr. Mustafa Ôzkan, Rapport intitulé « Diyarbakir ’da Ôzkiyim ve Ôzkiyim girisimleri », Université de Dicle Département de Psychiatrie, 1997). Selon ce rapport, particulièrement pour Tannée 1997, le nombre des suicides des femmes est plus élevé que celui des hommes dans 26 régions (Adiyaman, Agri, Bitlis, Diyarbakir, Çanhurfa, Van, Igdir, Kars, Mardin, Batman, Çimak, Bingôl, Erzurum, Hakkari, Sivas, Nigde, Aksaray, Çorum, Trabzon, Mugla, Kirsehir, Ordu, Samsun, Bayburt, Karaman, Osmaniye). Alors que 14 des 26 régions se trouvent dans Test et le sud-est du pays, les 12 autres se partagent tout le reste du pays. Cette hausse des suicides est visible notamment dans les régions de Batman et Çimak depuis 1995. Selon D.I.E. {Institut des Statistiques d’Etat) et le rapport réalisé par le barreau de Batman, seuls deux cas de suicides sont enregistrés pour Tannée 1994. Ce chiffre monte à 14 pour 1995. 9 de ces suicides concernent les femmes, 5 concernent les hommes. 8 suicides sur 9 en 1996, 14 suicides sur 19 en 1997, 4 sur 6 en 1998, 11 sur 19 en 1999 et 16 sur 23 en 2000 concernent les jeunes filles et femmes. En parallèle à ceci, il faut aussi prendre en compte les suicides qui ne se sont pas soldés par la mort, raison pour laquelle ils n’ont pas été enregistrés et dont on estime le chiffre plus élevé. Il y’a également des tentatives de suicides qui n’entrent pas dans les statistiques d’Etat car internes à la famille et que Ton veut garder secret. En parallèle à ceci, il ne faut pas oublier les suicides depuis 2001 dont nous ne connaissons pas les chiffres exactes. En général, l’âge des suicidaires à Batman est dans l’intervalle 15-24 ans, voire 13 ans. Les moyens sont variables : prises de produits chimiques, défenestrations, utilisation d’armes à feu, pendaisons, etc. Cet état des choses, avec l’augmentation des suicides que nous venons de voir, nous confortent à accepter le fait qu’il y a une situation particulière de suicides à Batman et que cette situation ne fait qu’influencer les personnes dans leur choix de mettre fin à leurs jours. Il est de fait commun, dans les travaux réalisés sur les suicides, que les femmes sont moins promptes à commettre des crimes ou se suicider. Cette thèse est appuyée par le fait que seul un suicide sur cinq touche la catégorie des femmes. Et nous pouvons aisément constater dans les données des suicides de l’Institut des Statistiques de l’Etat que les hommes se suicident bien plus que les femmes en Turquie. Par conséquent, la situation de Batman, et des régions kurdes que nous avons listé un peu plus haut, où les femmes se suicident plus que les hommes, nous incite à réaliser une étude sociologique sur le sujet II ne faut pas omettre de souligner deux problèmes lors de la mise en question du suicide. Le premier et le plus fondamental est que les sujets des suicides ne sont plus en vie et ne peuvent témoigner, et le deuxième est le caractère incertain des statistiques comme Ta souligné Halbwachs. Les statistiques que nous avons données plus haut nous renseignent seulement sur la continuité des suicides et nous font prendre conscience du fait que nous sommes face à une situation très complexe.
2 Cf. Rapport du barreau de Batman, Batman, Janvier 2001 : p. 13.
3 Michel Foucault, Dits et écrits (1954-1988), Paris : 1994, p : 854.
Rojda Alaç
Suicides des Femmes : le Cas de Batman en Turquie
Paris I- Sorbonne
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Suicides des Femmes : Le Cas de Batman en Turquie
Rojda Alaç
Paris I- Sorbonne
I.E.D.E.S.
Suicides des Femmes : le Cas de Batman en Turquie
Mémoire de DEA sous la direction de Madame Nicole Khouri
DEA « Anthropologie et Sociologie Critiques du Développement et des échanges »
Option : Sociologie du changement politique et du développement
