Le Parcours Migratoire Des Kurdes Irakiens : Une pré-enquête à Sangatte
Alexandra Blasselle
Université Paris 7
L’objet de ce DEA est de décrire et mieux comprendre le parcours migratoire des Kurdes Irakiens, à partir d’une pré-enquête à Sangatte, ce qui implique d’en saisir à la fois les causes (les raisons de l’exil), les modalités (le temps du déplacement), et les conséquences (le temps de l’arrivée).
- Intérêt scientifique
Le choix d’une étude sur le parcours migratoire des Kurdes Irakiens passant par Sangatte pour se rendre en Angleterre ne doit pas faire oublier qu’il ne s’agit que de l’un des points de passage de cette migration en Europe. D’autres Kurdes irakiens, qui arrivent massivement depuis les années 1997-8, le plus ...
Table des matières
Introduction / 3
Intérêt scientifique - Intérêt social - Objet du mémoire –
Généalogie du projet -
Rappel historique des Kurdes d’Irak / 9
I. Présentation de l’enquête / 10
Méthodologie
Mission exploratoire, statut d’enquêteur et calendrier d’action - Les entretiens –
Les conditions d’enquête.- Le traitement du recueil des données.
Population d’étude / 16
1) Sexe âge situation familiale
Une majorité d’hommes seuls - Une majorité d’hommes de moins de 35 ans -
Une minorité de femmes rarement seules.
2) Nationalités et lieux d’origine / 20
Une minorité arabe - Une majorité kurde irakienne - Les Kurdes Irakiens de la zone autonome Est majoritaires - D’autres Kurdes d’Irak, de Kirkouk, Mossoul, Bagdad - Une population surtout issue des villes- Un exode rural forcé, la pauvreté et la détresse - Un nouvel échiquier ethnique à Sangatte, désordre et anomie en Europe.
3) Niveau d’étude / 28
L’école obligatoire jusqu’à 12 ans - Une majorité à l’école jusqu’à 15 ans - Une relative autonomie de la langue kurde dans les écoles - Un nombre non négligeable poursuit des études supérieures - Des Kurdes de l’UPK de formation militaire - Des « ressources symboliques ».
4) Catégories professionnelles / 31
La moitié travaille dans le secteur du commerce - Une minorité dans l’agriculture - Des fonctionnaires (armée, éducation, administration) - Des employés dans le secteur privé (ONG, associations étrangères) — Un petit nombre de professions libérales.
5) Salaires / 33
6) Un relatif confort matériel / 34
Des cas isolés de familles pauvres - Des personnes qui se situent juste au-dessus de la moyenne - Des personnes qui mettent en avant une position sociale confortable - Des personnes qui révèlent un certain standing, une habitude du confort - Des personnes pourvues de ressources - Une impression de misère sociale liée aux guerres, à l’exil, à l’errance.
II Des Raisons économiques / 38
1) Une connaissance de l’asile qui conditionne les entretiens
2) Les problèmes économiques souvent minimisés / 39
« Ce ne sont pas des problèmes économiques mais politiques ». - la mise en avant de facilités sur le plan économique.
3) L’évocation de problèmes économiques / 40
La mise en avant de l’embargo comme justification de l’émigration - L’évocation d’une situation économique dégradée en Irak - Des conditions de vie précaires dans la zone de Kirkouk - Une prospérité relative au Kurdistan autonome - Une vie précarisée sur le plan matériel à cause des problèmes politiques - Le « recours au gain », une entraide collective depuis l’Angleterre.
III. Des Raisons politiques / 46
1) Les problèmes politiques dans la zone autonome. / 46
La remise en question de « zone sûre » et « zone de protection » - La fin de la guerre civile une trêve relative - Des groupes islamistes qui sèment la terreur - La présence des services secrets irakiens - La rancœur contre Barzani et la débâcle dans les rangs de Barzani - Une vie de guerres ininterrompues - Le refus de la dictature - Un statut toujours non reconnu.
2) Les problèmes politiques dans les zones kurdes sous le 36eme parallèle / 54
Kirkouk la « Jérusalem du Kurdistan » aux mains de l’ennemi - La politique d’arabisation ou l’élimination de l’entité kurde - Le souvenir de la campagne de l’Anfâl - Des brimades continues - Les services de renseignements omniprésents - Expulsions et déplacements de populations - Le truchement dans l’ordre des circonscriptions, l’arabisation progressive - Le renoncement au sentiment national kurde - Une situation comparable à Mossoul.
3) Les problèmes politiques au Sud de l’Irak / 59
Les persécutions d’opposants chiites au Sud
IV. Récapitulatif des Raisons de l’exil / 61
Les Persécutions / 61
Les persécutions individuelles - l’origine des persécutions en Irak et dans la zone autonome - Les persécutions de proches - Instabilité, guerres, dictature
Conclusion / 67
Annexe / 72
1) Tableaux des acteurs de l’enquête / 72
2) Tableau des Voyages et durée des parcours / 76
3) Entretien / 78
Bibliographie / 80
INTRODUCTION
L’objet de ce DEA est de décrire et mieux comprendre le parcours migratoire des Kurdes Irakiens, à partir d’une pré-enquête à Sangatte, ce qui implique d’en saisir à la fois les causes (les raisons de l’exil), les modalités (le temps du déplacement), et les conséquences (le temps de l’arrivée).
- Intérêt scientifique
Le choix d’une étude sur le parcours migratoire des Kurdes Irakiens passant par Sangatte pour se rendre en Angleterre ne doit pas faire oublier qu’il ne s’agit que de l’un des points de passage de cette migration en Europe. D’autres Kurdes irakiens, qui arrivent massivement depuis les années 1997-8, le plus souvent sur les côtes italiennes, se dirigent ailleurs en Europe, le plus souvent en Allemagne, aux Pays Bas et en Suède1. Il existe peu d’études en France sur la migration Kurde et elles concernent plus souvent les Kurdes de Turquie2, arrivés dans le cadre de la migration de travail dès les années 60 puis dans le cadre de l’asile politique en 1992, alors que les Kurdes Irakiens, dont l’exode en Europe est plus récent, peu nombreux en France3, n’ont donné lieu qu’à un petit nombre d’études brèves4. En l’absence de recensements précis, on estime le nombre de Kurdes en Europe à près de 850 000, voire un million, (beaucoup de clandestins parmi eux) dont 85 % de Turquie, les 15 % restant étant surtout de l’Irak5. Si la grande majorité d’entre eux se trouve en Allemagne (près de 600 000 Kurdes), cette diaspora concerne aussi les autres pays européens qui abritent tous des communautés kurdes6.
Idéalement l’étude d’une trajectoire, pour être complète, devrait aussi comprendre, à l’arrivée, le temps de l’installation. Toutefois, dans le cas de Sangatte, l’arrivée dans le pays d’accueil est écartée puisque nous nous trouvons encore dans une étape de ce parcours, en principe la dernière. Nous avons affaire à un mouvement migratoire inachevé, et où l’arrivée revêt un caractère aléatoire, en raison des difficultés croissantes des passages illégaux vers l’Angleterre. L’étude de l’installation dans le pays d’accueil était par ailleurs difficilement réalisable dans le cadre d’un DEA, une étude restreinte dans le temps. En revanche une telle approche, qui permettrait de compléter cette trajectoire et d’en savoir plus sur la communauté kurde irakienne en Europe, pourrait faire l’objet d’un prochain travail de thèse.
Pour le moment, je me suis limitée à aborder le parcours migratoire des Kurdes Irakiens à partir de l’un des points de passage de cette migration en Europe, à savoir le camp de Sangatte, l’une des étapes des plus problématiques et des plus médiatisées aujourd’hui. Alors qu’au départ le camp avait ouvert, en 1999, pour accueillir des familles du Kosovo qui cherchaient à rejoindre illégalement l’Angleterre, aujourd’hui, même si dans la région on parle encore de « Kosovars », par habitude, ce sont surtout des Kurdes Irakiens. Ces derniers y sont devenus majoritaires depuis février 2002, dépassant depuis cette date les Afghans en nombre, dont le flux s’est tari. En juillet, le camp de Sangatte hébergeait une population composée à 60 % de Kurdes en grande majorité Irakiens, les 40 % restant étant encore surtout des Afghans7 8. Dans ces conditions, on peut se demander si la direction de l’Angleterre ne tend pas de plus en plus à l’emporter pour les Kurdes Irakiens, du moins pour une partie d’entre eux, et pour quelles raisons, ce que ce travail pourra peut-être aider à déterminer.
L’objet de ce travail n’est pas seulement d’enrichir la connaissance que nous avons de la communauté kurde irakienne en Europe, en cherchant à dégager des spécificités propres aux Kurdes Irakiens passant par Sangatte. Ce mémoire se place par ailleurs dans une situation d’urgence, dans la mesure où l’avenir de cette population est plus qu’incertain.
- Intérêt social
Le camp de Sangatte, on ne peut manquer de le constater et de le rappeler, a été cette année au cœur de toutes les discussions politiques et des débats européens. S’il est question de le fermer d’ici 2003, comme l’envisagent Nicolas Sarkozy, le ministre de l’Intérieur et son homologue anglais, on peut se demander quelles solutions peuvent se dessiner en échange. Alors qu’il était question, début juillet, de rapatrier les Afghans, avec l’aide du HCR, le sort des Kurdes Irakiens, qui forment pourtant la majorité de la population du camp, comprenant aujourd’hui plus de 1500 réfugiés en permanence, voir 1800, a été peu évoqué. Jugés « inexpulsables » en raison des menaces qu’ils encourent en retournant en Irak, il n’en demeure pas moins que peu d’entre eux ont une chance d’obtenir l’asile politique, partout en crise en Europe, submergé par la forte augmentation des demandes.
Dans ce contexte de toute actualité, auquel s’ajoutent les discussions internationales en cours sur le sort de l’Irak, menacé d’une intervention américaine imminente, à moins que l’Irak, ce qui est plutôt improbable, n’accepte le retour des inspecteurs de la commission du désarmement UNMOVIC, une étude sur le parcours des Kurdes Irakiens, redevenus à l’ordre du jour, pourra peut-être, en l’espérant bien, apporter quelques informations utiles à la résolution de ce problème.
Une telle étude pourra au moins contribuer à redonner humanité à des personnes en situation d’illégalité dont l’identité est tour à tour niée ou menacée d’effacement par les guerres, puis par l’exil poursuivi dans la route de l’exode et enfin dans le maintien dans des zone de non droit apparues un peu partout ces dernières années en Europe, en réponse provisoire mais sans doute amenées à durer, à l’immigration clandestine.
Le camp de Sangatte, ouvert sur une initiative de l’Etat9 en 1999 pour faire face à une situation d’urgence, et dont la gestion a été confiée à la Croix Rouge, semble caractéristique de ces « espaces de ségrégation planétaire »10 seules réponses pour le moment à l’instabilité …
1 Maxime Tandonnet le grand bazar ou l’Europe face à l’immigration, 2001, p. 76.
2 Isabelle Rigoni, Mobilisation et enjeux des migrations de Turquie en Europe de l'Ouest, 2001.
3 D’après France Terre d’Asile, 2000 Irakiens étaient inscrits dans les Centre d’Accueil de Demandeurs d’Asile entre 1995 et 2001 (surtout des arabes Assyro-Chaldéens et des Kurdes Yézedi). I^oïc Duarté responsable de l’Asile aux Frontières pour le Ministère des Affaires Etrangères évalue cette communauté à 3000 personnes.
4 C. Mohseni « les réfugiés kurdes d’Irak en France, réussite ou échec d’une intégration maîtrisée », 1994; Abdulkarim Amir "les Kurdes irakiens en Europe, nouveaux "boatpeople", 1998
5 Kendal Nezan, « la diaspora kurde en Europe » ; Sophie Crouzet « le malaise des immigrés kurdes », 2001.
6 (Op. cit) 120 000 en France (surtout Turcs), 70 000 aux Pays-Bas, 30 000 en Suède, 25 000 en Angleterre...
7 Sylvia Zappi, le Monde, 15 juillet 2002.
8 Ce passage est inspiré de la lecture de Michel Agier, Au bord du monde, les réfugiés, 2002.
9 Sur financement de la DPM (Direction de la Population et des Migrations) du Ministère de l’Emploi et de la Solidarité.
10 Michel Agier, op. cit, pp. 115-117.
Alexandra Blasselle
Le Parcours Migratoire Des Kurdes Irakiens
Une pré-enquête à Sangatte
Université Paris 7
Université Paris 7 Denis Diderot
Le Parcours Migratoire Des Kurdes Irakiens
Une pré-enquête à Sangatte
Alexandra Blasselle
Mémoire de DEA
Sociologie Migration et Relations Inter-Ethniques
Sous la direction de Monsieur Marc Bernardot
Mémoire soutenu par Alexandra Blasselle
Septembre 2002
