La cause kurde, de la Turquie vers l’Europe Olivier Grojean EHESS
Je voudrais tout d’abord exprimer toute ma gratitude à Hamit Bozarslan, qui m’a accompagné avec générosité, disponibilité et confiance durant toute la durée de cette recherche. Sa curiosité, son érudition et son imagination scientifique ont été pour moi une formidable source d’inspiration et de réflexion dans la préparation et la rédaction de cette thèse.
Je tiens également à remercier ici toutes les institutions qui m’ont accueilli ou soutenu matériellement : le Centre d’analyse et d’intervention sociologique (CADIS), l’Institut français d’études anatoliennes (IFEA), le Wissenschaftszentrum Berlins (WZB), le Centre Marc Bloch de Berlin, le Centre interdisciplinaire d’étude et de recherche sur l’Allemagne (CIERA), le laboratoire « Etudes turques ...
Sommaire
Introduction / 15 A. Un objet à la croisée de différents domaines de recherche / 17 B. Action contestataire et transnationalisation : questions et partis pris théoriques. / 25 C. Implications méthodologiques : croiser les éclairages / 40 D. Hypothèses et grille de lecture : l’action transnationale en contextes / 50
Chapitre I. Mobiliser par-delà les frontières / 61 Introduction : de la transnationalisation des mouvements à celle des mobilisations / 63 Section 1. Nationalisation et transnationalisation du mouvement kurde de Turquie / 67 Introduction / 67 A. Le mouvement kurde dans les années 1950-1960 : l’arrimage national / 69 B. Les logiques de la radicalisation : violences et répression / 81 C. L’implantation des différents mouvements de Turquie en Europe / 98 Conclusion / 115 Section 2. La « diaspora kurde » : de la dispersion à la mobilisation / 117 Introduction : mobiliser et être mobilisé / 117 A. L’immigration : une population potentiellement mobilisable / 119 B. La construction des identités : dynamiques des pays d’origine et d’accueil / 135 C. Vers un horizon d’action transnational : les mobilisations de l’exil / 146 Conclusion / 161 Conclusion du chapitre I / 162
Chapitre II Vers l’internationalisation du conflit ? / 165 Introduction / 167 Section 1. Entre interne et externe : opportunités et contraintes du mouvement kurde / 171 Introduction / 171 A. La question kurde dans les relations turco-européennes / 172 B. Quand l’interne et l’externe s’entremêlent : l’exemple singulier de l’Allemagne / 187 Conclusion 214 Section 2. La médiatisation des mobilisations : l’exemple de l’« affaire Öcalan » / 217 Introduction 217 A. Etudier la couverture médiatique des mobilisations kurdistes en Europe / 217 B. Attention journalistique et cadrages médiatiques lors de l’ « affaire Öcalan » / 231 C. Des événements qui parlent... à certains : la protestation kurdiste dans la presse / 241 Conclusion : l’« affaire Öcalan » au sein de la question kurde / 259 Conclusion du chapitre II / 264
Chapitre III. La dynamique de l’action protestataire : homogénéiser les espaces / 265 Introduction / 267 Section 1. La. Protest Event Analysis : éléments de méthode / 270 Introduction : l’analyse quantitative des événements protestataires / 270 A. Analyser la protestation kurdiste à partir d’une revue de presse spécialisée / 276 B. Evaluer les biais d’une sélection de sources sélectives / 286 C. Degré de systématicité dans le temps des biais liés à la revue de presse / 296 Conclusion / 309 Section 2. Référentiels et temporalités de la protestation en Europe / 312 Introduction / 312 A. L’émergence d’un cycle de protestation kurdiste en Europe ? / 312 B. Entre référentiels turc et référentiels européens : les Kurdes en mouvement / 326 C. Une temporalité autonome, réactive et proactive : le rythme de la protestation / 337 Conclusion / 349 Section 3. Variations d’échelles : structurations nationale et locale de la protestation / 351 Introduction / 351 A. La mouvance PKK à l’épreuve de la fragmentation européenne / 352 B. Quand la mobilisation s’emballe : des campagnes à plusieurs échelles / 375 Conclusion / 390 Conclusion du Chapitre III / 391
Chapitre IV. Contexte, culture politique et formes des mobilisations / 393 Introduction : qu’est-ce qu’un « répertoire d’action » ? / 395 Section 1. La composante culturelle des répertoires / 410 Introduction / 410 A. Comment se constitue le répertoire d’un mouvement ? / 410 B. Répertoire(s) et structure du répertoire : l’invention d’une tradition protestataire / 429 Conclusion / 446 Section 2. « Le choix des armes », à moyen ou plus court terme / 447 Introduction : éléments de méthode / 447 A. A chaque mode d’action son objectif ? / 450 B. Interactions manifestantes et processus violents / 463 Conclusion / 482 Conclusion du chapitre IV / 483
Chapitre V. Le militant et l’institution : jusqu’à mourir pour la cause ? / 485 Introduction / 487 Section 1. Pouvoir et vérité au sein du PKK / 491 Introduction / 491 A. Doctrines et projets politiques / 492 B. La matérialisation du verbe dans différentes branches de l’organisation / 514 Conclusion : Autorité charismatique et rôles militants / 545 Section 2. Négocier avec l’institution, en Turquie et en Europe / 552 Introduction / 552 A. Dispositions et réseaux de recrutement en zones kurdes et en zones mixtes / 555 B. Modalités de l’engagement et trajectoires au sein de la mouvance PKK / 565 Conclusion : l’institutionnalisation de la domination / 578 Section 3. Héros et traîtres : pour une sociologie de l’arme corporelle / 581 Introduction : / 581 A. La construction sociale du désir de mourir pour la cause / 582 B. Des raisons d’une pratique radicale : les immolations par le feu en Europe / 608 Conclusion du Chapitre V / 638
Conclusion générale / 641 Annexes / 649 Bibliographie / 683 Liste des sigles rencontrés / 733 Table des graphiques, tableaux et encadrés / 741 Table des matières / 744
REMERCIEMENTS
Je voudrais tout d’abord exprimer toute ma gratitude à Hamit Bozarslan, qui m’a accompagné avec générosité, disponibilité et confiance durant toute la durée de cette recherche. Sa curiosité, son érudition et son imagination scientifique ont été pour moi une formidable source d’inspiration et de réflexion dans la préparation et la rédaction de cette thèse.
Je tiens également à remercier ici toutes les institutions qui m’ont accueilli ou soutenu matériellement : le Centre d’analyse et d’intervention sociologique (CADIS), l’Institut français d’études anatoliennes (IFEA), le Wissenschaftszentrum Berlins (WZB), le Centre Marc Bloch de Berlin, le Centre interdisciplinaire d’étude et de recherche sur l’Allemagne (CIERA), le laboratoire « Etudes turques et ottomanes » de l’EHESS, et surtout l’Université Lille 2 et le Centre d’étude et de recherche administrative, politique et sociale (CERAPS), qui a été mon laboratoire d’adoption pendant près de cinq ans.
Gilles Dorronsoro suit mes études et les étapes de cette recherche depuis bientôt dix ans : il sait tout ce que je lui dois et à quel point je lui en suis gré. C’est aussi grâce à ses talents de mobilisateur et de fédérateur que mes recherches ont pu bénéficier des conseils et des critiques toujours avisés de Jeanne Hersant, Elise Massicard, Benoit Fliche, Ayçen Uysal, Emre Öngün, Marie Leray, Clémence Scalbert, Nicole Watts, Jean-François Pérouse, Jean- François Polo et Claire Visier. Atelier dynamique, informel et multiforme de recherches sur la Turquie, ce groupe a aussi constitué un véritable espace d’entraide et d’amitiés. Parmi les autres spécialistes et amoureux de la Turquie, Isabelle Rigoni et Gilles Bertrand m’ont donné de judicieux conseils et m’ont toujours témoigné leur affection, Valérie Amiraux m’a constamment encouragé et Bülent Küçük a sans doute le plus contribué à ma compréhension du mouvement kurde. Des discussions avec Annah Neubauer m’ont aussi beaucoup apporté.
De nombreux autres chercheurs ont par ailleurs accompagné de près ou de plus loin tous les moments de cette recherche. Je pense d’abord à Virginie Guiraudon et Frédéric Sawicki (sans qui cette thèse n’aurait sans doute jamais vu le jour), ainsi qu’à Jean-Gabriel Contamin, Olivier Fillieule et Johanna Siméant (dont les critiques rigoureuses mais toujours justes m’ont invité à toujours mieux combiner théorie, méthodologie et matériel empirique). Julien Fretel, Annie Laurent, Nathalie Ethuin, Antoine Goxe et Karel Yon (à Lille), Amélie Blom, Lilian Mathieu, Daniel Cefaï, Eric Lagneau, Dominique Marchetti, Olivier Baisnée, Stéphane Dufoix, Xavier Crettiez, Donatella délia Porta, Guillaume Devin et Michel Wieviorka (ailleurs) ont tous contribué à faire avancer certains points de ma réflexion. Enfin, Ruud Koopmans et Dieter Rucht (à Berlin) m’ont très amicalement autorisé à utiliser leurs données, sans lesquelles je n’aurais pu mener à bien tout un pan de cette recherche.
Tout à la fois lieu de réflexion, de mobilisation, de ressourcement et de fraternité, le bureau d’une association au sigle imprononçable a également constitué un repère stimulant au cours des premières années de cette thèse. Parmi ses membres anciens et actuels, je dois beaucoup à Hélène Combes, Nicolas Hubé, Ivan Chupin, Magali Boumaza, Jérémie Nollet, Vincent Nguyen Van Hai et Pierre Mayance.
Les membres de l’Institut kurde de Paris, de la Berliner Gesellschaft zur Fôrderung der Kurdologie et de l’Înstîtuya kurdî de Berlin m’ont accueilli à de nombreuses reprises et ont toujours tout fait pour faciliter mes recherches : je les en remercie vivement. Ma plus sincère reconnaissance va également à tous les militants et sympathisants de la cause kurde, « objets » de cette recherche, qui ont accepté patiemment de répondre à mes multiples questions, de me faire longuement part de leurs souvenirs souvent douloureux et même de m’offrir parfois leur amitié. Je ne peux évidemment les citer tous, et certains ne le souhaiteraient d’ailleurs pas. Néanmoins, je voudrais surtout remercier ici Sultan et Esma (qui ont été d’une générosité et d’un dévouement incomparables), mais aussi Ali, Sadretin et Natalya, Hasan et Fatoş, Özer et Ünal, Naime et Sandra ont également été très attentionnées lors de mes séjours berlinois, ainsi que mon cousin Julien, qui m’a ouvert son appartement et a souvent prêté une oreille attentive au récit (pas toujours drôle) de mes journées.
Ma reconnaissance va enfin à toutes les personnes qui m’ont accompagné de leur affection durant ce travail. A mes amis (Joseph et Pauline, Anne-Laure et Benoit, Jeff et Valérie, Séverine et Jean-Luc, Mélodie et Frédéric, Coralie, Amalia et Antony, Ricardo, Peter et Fanny, Elisabeth et Philippe, Cécile et Samir, Aurélie et Didier, mes cousins Lucie et Romain...) ; à mes parents Brigitte et Denis, mes grands-parents François et Elisabeth, ma sœur Claire (et Jean-Lorain) et mon frère Guillaume (et Pélésa), ma jolie famille Chantal, Gilles et Justine ; et surtout à Aurélie, dont l’amour m’a porté dans les innombrables moments de joie et les plus difficiles périodes de doutes, et à Esma, notre petite daïdaï, dont les sourires ont le pouvoir magique de rendre immédiatement heureux : toutes deux ont été le plus grand et le plus merveilleux des soutiens.
Introduction
A. Un objet à la croisée de différents domaines de recherche
Le 21 août 1986 à 11h30, une dizaine de Kurdes se réclamant du Comité étudiant du Kurdistan ont occupé quelques minutes une agence de la compagnie aérienne nationale turque située dans le passage piéton de la gare à Dortmund, après avoir contraint le directeur à sortir. Selon la police, ils entendaient protester contre les bombardements de villages kurdes en Irak par l’armée turque, qui auraient fait plus de cent morts au cours des dernières semaines. Puis ils sont sortis et ont distribué des tracts aux passants, en restant à proximité du bureau. Ils ont également dénoncé le rôle de l’Allemagne, qui, selon eux, soutient politiquement, militairement et financièrement la Turquie et participe ainsi au génocide des Kurdes. Les forces de police, qui ont observé la scène sans intervenir, ont ensuite vérifié l’identité des membres du groupe1. Le même jour et le lendemain, des occupations de médias et de sièges locaux de partis politiques de gauche ont été organisées et ont rassemblé quelques dizaines de Kurdes à Nümberg, Frankfurt, Berne, Copenhague, Bruxelles, La Haye, Athènes et Paris2.
Le 24 juin 1994, un an jour pour jour après une première vague d’actions spectaculaires à l’échelle européenne ayant conduit à l’interdiction du Parti des Travailleurs du Kurdistan (PKK) en France et en Allemagne, entre 50 000 et 100 000 personnes, dont une très grande majorité de Kurdes (venus d’Allemagne, de France, de Suisse, des Pays-Bas, de Belgique et du Danemark) ont défilé à Frankfurt afin de protester contre la politique turque vis-à-vis des Kurdes et pour demander la fin des ventes d’armes allemandes à la Turquie. Ils exigeaient également une solution politique au conflit opposant l’armée turque et le PKK. La manifestation avait été organisée par l’association humanitaire Medico International, et relayée par une centaine de partis politiques kurdes et allemands (dont les Grünen et de nombreux syndicats). Six manifestants ont été interpellés car ils ne voulaient pas remettre des symboles interdits du PKK à la police. De nombreux petits drapeaux du PKK et des portraits de son chef Abdullah Öcalan ont malgré tout été brandis durant le défilé qui s’est terminé sans incident par un rassemblement festif en fin d’après-midi. Des échauffourées ont cependant éclaté à la frontière franco-allemande quand la police a refusé le passage à environ 400 Kurdes venus de région parisienne (2000 Kurdes au total auraient été refoulés aux frontières)3.
Le 14 avril 2000, près du centre d’Athènes, un jeune Kurde d’une trentaine d’années s’immole par le feu dans la cour de l’église de Saint Aimilianos, sur la colline de Skouzé. Il tient dans ses mains une photographique d’Abdullah Öcalan, le chef du PKK emprisonné en Turquie depuis 1999, ainsi qu’une feuille de papier où il a écrit : « je serai libre avec le feu ». On retrouvera par ailleurs un tract du PKK à proximité. Des témoins appellent les secours mais le jeune homme décède dans l’ambulance au cours de son transfert à l’hôpital4.
Le 7 janvier 2008 dans l’après-midi, environ 120 Kurdes se sont rassemblés devant le siège du Conseil de l’Europe à Strasbourg pour soutenir Abdullah Öcalan, emprisonné en Turquie depuis 1999. Les manifestants, dont certains venus d'Allemagne, ont dit craindre un empoisonnement au plomb du chef du PKK et ont demandé au Comité de prévention de la torture (CPT) du Conseil de l'Europe de publier son rapport sur son état de santé. "Ca …
1 Dortmunder Zeitung, 22 août 1986; Westfàlische Rundschau, 22 août 1986; Westdeutsche Allgemeine Zeitung, 22 août 1986. 2 Nous avons toujours conservé les noms originaux des villes allemandes, même lorsqu’elles possédaient des noms francisés. Ce n’est pas le cas pour les villes des autres pays. 3 Agence France presse (AFP), 24 juin 1994 ; Frankfurter Rundschau, 27 juin 1994 ; Die Tageszeitung, 27 juin 1994 ; Turkish Daily News, 27 juin 1994 ; Kurdistan Report, n°69, juillet 1994. 4 AFP, 14 avril 2000.
Olivier Grojean La cause kurde, de la Turquie vers l’Europe EHESS
Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales La cause kurde, de la Turquie vers l’Europe Contribution à une sociologie de la transnationalisation des mobilisations Olivier Grojean
Thèse pour l’obtention du grade de docteur Discipline : sociologie politique Présentée par Olivier Grojean
Directeur de recherche : M. Hamit Bozarslan, Directeur d’études à l’EHESS
Soutenance : vendredi 16 mai 2008
Membres du Jury : M. Gilles Bataillon, Directeur d’études à l’EHESS M. Christophe Jaffrelot, Directeur de recherche au CNRS (CERI, Paris) Mme Elizabeth Picard, Directrice de recherche au CNRS (IREMAM, Aix en Provence) M. Frédéric Sawicki, Professeur à l’Université de Lille 2 (Rapporteur) Mme Johanna Siméant, Professeure à l’Université Paris 1 - Panthéon Sorbonne (Rapporteur)
« Notre passé est triste, notre présent est tragique, mais heureusement nous n'avonspas d’avenir » Hiner Saleem, rapportant les propos de son grand-père, Kilomètre zéro (2005)