Description du Dialecte Kurde de Saghèze (Phonologie, Morphologie, Syntaxe)
Afzal Vossoughi
Universite Paris VII
La langue kurde (kordî), qui fait partie du groupe iranien de la grande famille linguistique indo-européenne, est actuellement parlée par une population d’environ 10 000 000 (1) de locuteurs disséminés sur une vaste étendue géographique qui va du Causase Occidental jusqu'au Golfe Persique et qui occupe de grandes parties des pays du Moyen-Orient : Iran, Turquie, Irak, Syrie et Ü.R.S.S. (Arménie et Géorgie). (2)
Cette langue comprend un grand nombre de dialects ...
Table des Matières
Avant Propos / 1
Première Partie : Phonologie / 11
Les Phonèmes / 12
- Voyelles longues / 12
- Voyelles brèves / 14
- Comparaison des voyelles / 20
- Consonnes / 21
- Semi-consonnes / 45
Répartition des Phonèmes / 49
- Une seule voyelle / 49
- Plus d’une voyelle / 51
- Une seule consonne / 63
- Deux consonnes / 68
- Initiales / 68
- Médianes / 80
- Finales / 90
- Trois consonnes /96
- Quatre et cinq consonnes / 98
Syllabe / 98
Accent Tonique / 103
- Particules toujours enclitiques / 108
- Particules toujours accentuées / 109
Intonation / 111
Valeur Morphologique des Voyelles / 114
Gémination / 121
Métathèse / 125
Assimitation / 126
Lénition Allophonique / 130
Deuxième Partie : Morphologie
Introduction / 133
Le Nom / 134
- Définition / 134
- Indéfinition / 135
- Nombre / 136
- Noms suivis des suffixes personnels / 139
L'Adjectif / 140
Le Pronom / 141
Le Verbe / 142
- Flexion du verbe / 143
- La transitivité / 145
- Le temps / 146
- La forme infinitive / 147
La Conjugaison
- Temps basés sur le radical du présent / 157
- Présent de l'indicatif / 157
- Présent de l'indicatif du verbe être / 159
- Présent de l'indicatif du verbe avoir / 160
- Présent du subjonctif / 162
- Présent du subjonctif des verbes (être) et (avoir) / 163
- Le Mode Impératif / 165
- Temps basés sur le radical du passé / 165
- Présent / 167
- Imparfait / 168
- Passé-composé / 170
- Plus-que-parfait / 171
- Passé du Subjonctif / 172
- Plus-que-parfait du subjonctif / 172
Voix (Passive Ou Active) / 173
- Conjugaison Passive du Verbe / 175
Particule / 177
- Interjections / 178
- Conjonctions / 178
- Interrogatifs / 179
- Nombres / 181
- Prépositions / 184
- Adverbes / 186
- Démonstratifs / 189
- Le relatif "Ka" / 190
- Le relatif "xô" / 191
- Le post verbe "awa" / 191
- Les préverbes / 191
Composition des Mots / 193
- Préfixation / 196
- Suffixation / 197
- Composition / 200
- Redoublement / 203
Troisième Partie : Syntaxe / 205
Introduction / 206
Le Syntagme / 206
- Le syntagme nominal minimal / 207
- L’expansion du syntagme nominal / 208
- Le syntagme verbal / 209
- L'expansion du syntagme verbal / 210
La Proposition / 211
- Le sujet / 211
- L'objet / 213
- L'ordre des termes / 215
- Le déplacement des suffixes verbaux / 218
Quatrième Partie : Textes Kurdes / 224
Introduction / 225
Masalî Kordî (Proverbes kurdes) / 227
Traduction française / 229
Hakâyat (Une anecdote) / 232
Traduction française / 242
Gôrânî Kordî (Chansons Kurdes) / 248
Traduction française / 252
Soxî Kordî (Histoires plaisantes Kurdes) / 255
Traduction française / 261
AVANT PROPOS
La langue kurde (kordî), qui fait partie du groupe iranien de la grande famille linguistique indo-européenne, est actuellement parlée par une population d’environ 10 000 000 (1) de locuteurs disséminés sur une vaste étendue géographique qui va du Causase Occidental jusqu'au Golfe Persique et qui occupe de grandes parties des pays du Moyen-Orient : Iran, Turquie, Irak, Syrie et Ü.R.S.S. (Arménie et Géorgie). (2)
Cette langue comprend un grand nombre de dialects souvent très différents les uns des autres, de sorte qu’un Kurde d'Arménie ne peut probablement pas communiquer en kurde dans les régions kurdes d'Iran ou d'Irak, de même qu'un Kurde de Saghèze a beaucoup de mal à se faire comprendre d'un Barzani d'Irak. Cette différence peut ressortir soit au niveau de la structure, soit au niveau du lexique, soit la plupart du temps, au niveau des deux à la fois.
Parmi les principaux dialectes kurdes, chacun comprenant à son tour une mosaïque de parlers locaux, les suivants ont été étudiés par des érudits et des linguistes occidentaux ainsi que par certains chercheurs orientaux :
1. - Le "Kurmandjî", souvent désigné sous le nom de dialecte du Nord et qui a pour domaine, les provinces kurdes de Turquie, du Caucase et de Syrie ;
2. - Le "Soranî", appelé aussi "Baba Kordî" qui est essentiellement parlé dans certains districts des environs de Soleymanié en Irak ;
3. - Le "Dumîlî" ou "Zâzâ", parlé dans certaines régions de la Turquie Orientale ;
4. - Le "Gorânî", dialecte en voie de disparition des Ahl-e-Haq (3) (Fidèles de Vérité) encore en usage dans les environs de Kermanchah en Iran.
Il convient de remarquer ici que ces dénominations n’ont pas été jusqu’à présent universellement acceptées. Par exemple, le dialecte étudié par l’éminent professeur français Roger Lescot sous le nom de "Kurmandjî" serait difficilement reconnu par un groupe de sujets parlants kurdes répandu dans une région du sud de l’Azerbaydjan d’Iran et qui eux-mêmes appellent "Kurmandjyî" le dialecte qu’ils parlent.
Par conséquent, présenter une carte linguistique authentique des dialectes kurdes, en l’état actuel des recherches en kurdologie, est assez difficile sinon impossible. En Iran, dans une grande partie des provinces de l’Ouest (Lorestan, Kurdistan, Kermanchah et Azerbaydjan) peuplées de Kurdes, il existe également un grand nombre de parlers kurdes parmi lesquels nous pouvons citer le Mokrî (ou Mokoryânî), le Kalhorî, le Bakhtiârî, le Hawrâmî, le Chekâkî et le Goranî. Là encore, les différences de structure et de lexique sont parfois si grandes qu'un Chekâkî ne peut très probablement pas se faire comprendre d'un Kalhorî, de même qu'un Hawrâmî aurait grande peine à communiquer avec un Gorânî. Il existe également dans deux provinces orientales d'Iran (le Khorassan et le Béloutchistan), de petites minorités kurdes dont le parler est pratiquement incompréhensible pour les Kurdes de l'Ouest du pays. Presque tous les dialectes kurdes parlés dans les différents pays du Moyen-Orient sont restés, pour diverses raisons (politiques, économiques, et culturelles), des langués uniquement orales. Seul, le parler de Suleymânyë en Irak a eu la chance de s'imposer comme langue écrite et langue d'enseignement dans le Kurdistan d'Irak. C'est pour cette même raison que les érudits et les linguistes occidentaux se sont le plus souvent tournés vers ce dialecte dans leur recherche sur la langue kurde parce qu'ainsi, ils pouvaient facilement avoir accès à des sources écrites pour leur documentation, tandis que l'étude linguistique des dialectes oraux qui exige un long et minutieux travail sur le terrain a été plus ou moins négligée. En Iran, les dialectes kurdes uniquement oraux, parlés par presque deux millions d'Iraniens, n'ont jamais eu l'occasion d'être codifiés afin de devenir une langue écrite. Les quelques livres qu'on peut trouver çà et là en dialectes kurdes, qui sont rédigés en écriture arabe et qui comprennent des recueils de poèmes lyriques, des chansons des épopées religieuses concernant l'évènement de la naissance du prophète Mahomet (Mawlu Nâma) (4) ou l'histoire de l'ascension du prophète vers le royaume de Dieu (Meerâj Nâma) (5), sont tellement imprégnés des langues arabes et persanes qu'on ne peut les considérer comme des textes kurdes proprement dits. Il est en outre, extrêmement rare que deux Kurdes s'écrivent des lettres en kurde. Les raisons essentielles de cet état de chose peuvent être les suivantes :
1. - La stabilité politique du pays sous un gouvernement centralisé pendant les cinquantes dernières années.
2. - L’expansion rapide du persan comme langue d’éducation, de la presse et de la radio-télévision dans le cadre d’une solide unité nationale.
3. - Une démocratisation de l'enseignement à l'abri de toute discrimination ethnologique ou religieuse.
Malgré cela, les études linguistiques, historiques et ethnologiques kurdes sont continuellement encouragées par le gouvernement iranien comme contribuant à conserver un héritage prestigieux au peuple iranien.
En ce qui concerne l'usage quotidien du kurde, il est bon de noter que presque tous les Kurdes emploient leur dialecte comme moyen de communication à l'intérieur des régions qu'ils habitent. Mais, depuis presque un demi-siècle, grâce aux échanges économiques, administratifs et culturels sans cesse croissants des communautés kurdes avec le reste du pays et grâce au développement des réseaux de la Radio-Télévision Nationale Iranienne, presque tous les Kurdes d’Iran, y compris les illettrés, sont devenus des sujets iraniens bilingues. En particulier, l’influence de la télévision durant ces dix dernières années a été telle que les enfants kurdes peuvent, avant l’âge scolaire, communiquer aisément en persan, ce qui aurait été inimaginable, il y a seulement vingt ans.
En ce qui concerne les relations sociales des Kurdes avec la majorité persane, notons simplement que selon une estimation non officielle (6) faite par l’auteur dans trois secteurs essentiels de l'activité urbaine de Saghèze, environ dix pour cent de la population actuelle de cette ville de 30 612 habitants, se compose de sujets iraniens non kurdes. Par contre, un très grand nombre de Kurdes de l’Ouest du pays se sont installés dans les régions non-kurdes et en particulier dans la capitale, Téhéran, ainsi que dans d’autres grandes villes du pays.
Le présent ouvrage a pour but une description plus ou moins complète d'un dialect kurde parlé dans le canton de Saghèze. Ce canton comprend une ville centrale de 30 612 habitants et 264 villages occupant une superficie de 4 991 km2 occupée par 126 610 habitants (7). Ce dialecte connu sous le nom de “Saqiz” fait partie de l'ensemble des parlers "mokoryanî".
Géographiquement, la ville de Saghèze est située sur l’autoroute qui relie Tabriz, chef-lieu de la province d'Azerbaïdjan, la plus grande province de l'ouest, à Kermanchah. (8) La ville de Saghèze se trouve dans une région montagneuse à 46' 35'' de Greenwich et à 36' 12" de l'équateur. L'altitude au-dessus du niveau de la mer est de 1 220 mètres.
Il est à noter qu'au fur et à mesure qu'on s'éloigne du centre du canton de Saghèze, le dialecte saghézien se trouve de plus en plus altéré par d'autres dialectes, parlés dans les cantons voisins (Hawramân, Sanandadj, Bâna, Mahabad, etc...) altération du voisinage et aux étroites relations économiques, culturelles et sociales de ces cantons. En d'autres termes, les frontières cantonales ne peuvent guère être considérées comme les frontières linguistiques mais des frontières simplement administratives, établies selon les exigences administratives du pays.
La présente étude est le résultat de nombreuses années de recherche que l’auteur a faites sur le dialecte de Saghèze. Les premiers pas dans cette recherche, furent commencés par la lecture des études kurdes accomplies par les orientalistes au cours de laquelle l’auteur s'aperçut que le dialecte kurde de Saghèze, qui à beaucoup d’égards, surtout dans le domaine de la phonologie, est très different des autres dialectes kurdes, a été négligé. Certainement cette négligence est due au fait que ce dialecte est resté toujours à l’état oral. Ainsi, l’auteur se décidât, en vue d'une étude préliminaire de ce dialecte, à présenter une description sommaire mais fondamentale. Il a, dans ses premières études sur les dialectes kurdes, grandement bénéficié des œuvres de "Mackenzie", "Mc Carus", et "Emir Djeladet Badir Khan", en ce qui concerne la structure de la langue et des œuvres de "Ayatollah Mardoukh.. Kordestanî" l’érudit et grand théologie Iranien et celles de "Tawfigh Wahbî" l'érudit arabe en ce qui concerne le lexique et l'étymologie. Qu'ils en soient ici remerciés.
Bien que l'auteur soit lui-même originaire de Saghèze et parle le dialecte de cette localité comme langue maternelle, il n'a jamais osé compter sur ses propres connaissances de cette langue, avant d'avoir fait une recherche minutieuse sur place, qui permît d'entreprendre un travail véritablement linguistique. Il a interviewé dans la commune d'innombrables sujets parlants, parmi lesquels on trouve des hommes et des femmes, des lettrés et des illettrés, des jeunes et des vieux. En particulier, dans le domaine de la phonologie, il a insisté sur la façon de parler des gens illettrés dont la prononciation se trouve très peu affectée par le persan.
Pour cela, l'auteur a contacté, au cours de ses investigations sur le terrain, une douzaine d'informateurs bénévoles et non spécialistes avec lesquels il a pu travailler régulièrement. Ces informateurs, par humilité ou des raisons personnelles, m'ont surtout demandé de ne pas les nommer bien que sans eux, cette recherche n'aurait probablement pu voir le jour. Que mes remerciements sincères, leur soient exprimés ici, en échange de toute l'hospitalité et de la patience qu'ils ont cordialement manifestées vis à vis de cette étude.
Les documents les plus précieux que l'auteur ait pu se procurer en vue de sa recherche sont des documents sonores qui consistent en environ soixante heures de conversations journalières, sur différents sujets de la vie de la commune, ainsi que quelques anecdotes, un certain nombre de proverbes et des chansons. Evidemment, il ne faut pas oublier que la présence des appareils enregistreurs empêche bien souvent d'obtenir des conversations normales et libres et donc que l'auteur a eu grande peine à faire les enregistrements aussi discrètement que possible. Ce qui peut faire la valeur de cette étude, c'est que la plupart des exemples donnés dans les trois premières parties de l'ouvrage, ainsi que les textes kurdes présentés aux dernières pages, ont été, à l'exception de quelques petites corrections, enregistrés sur cassette.
Néanmoins, l'auteur n'ose nullement prétendre que son travail scit sans reproches, mais il espère pouvoir dans ses études postérieures, remédier aux lacunes et présenter des travaux scientifiquement plus valables concernant ce dialecte.
La rédaction de cette thèse a été entreprise sans la direction de Monsieur Antoine Culioli, Professeur de linguistique et Directeur du Département de Recherches Linguistiques à l'Université de Paris VII, et je lui suis gré autant de ses suggestions et de ses corrections que de ses encouragements qui exigent mes remerciements les plus sincères et ma profonde reconnaissance.
(1) Roger Lescot, Grammaire Kurde, Introduction Ed. Adrien Maisonneuve, Paris, 1970.
(2) Voir carte n° 1
(3) Pour l'étude ethnographique, religieuse et linguistique des Ahl-e-Haq, voir : Mokrî Mohammad, "Recherches de Kurdologie", Paris, 1970, Librairie Klincksieck.
(4) Le Livre de la Naissance
(5) Le Livre de l'Ascension.
(6) Faute de statistiques officielles, l'auteur est parvenu à cette estimation grâce à des enquêtes faites auprès des responsables de quatre administrations de la ville : la municipalité, la police, la Chambre de Commerce et les bureaux de l'Education Nationale.
(7) Selon le dernier recensement du Centre National de Statistiques (Markaz-e âmâr-e 'omumî-e Iran), 1335 H.S./ 1976 (Voir carte n° 3) .
(8) Voir carte n° 2.
Vossoughi Afzal
Description du Dialecte Kurde de Saghèze
Universite Paris VII
Universite Paris VII
Description du Dialecte Kurde de Saghèze (Iran)
(Phonologie, Morphologie, Syntaxe)
Vossoughi Afzal
Université Paris VII
Département de recherches linguistiques
Description du dialecte kurde de Sagheze (Iran)
(Phonologie, Morphologie, Syntaxe)
Thèse de 5e Cycle
Présenté par Vossoughi Afzal
Sous la direction de Kr. Le Prof. Antoine Culioli
Paris 1977