Le Foyer Kurde : Extrait de l’Ethnographie
M. Mokri
Paul Geuthner
Sans pouvoir remonter à la préhistoire de la société kurde, membre de la grande société iranienne, cependant, à travers certaines caractéristiques du mode de vie qui nous apparaissent encore, nous décelons les affinités étroites existant entre les différents groupes du monde iranien. C’est d’ailleurs à partir du milieu social et religieux traditionnel que l’aristocratie et la féodalité, répandues dans les différentes provinces, ont pris leur essor.
L’institution du feu familial, et sa rénovation après des réformes d’ordre social et religieux, a réuni tous les membres de la famille autour d’un seul et même foyer dont le caractère de sacralité demeure.
C’est là un élément central de la cellule familiale, dont l’origine est sans doute le feu du clan. Il ne représenterait qu’un progrès dû à l’évolution de la famille, à son individualisation par rapport au clan.
A l’époque sassanide apparaissent ...
Le Foyer Kurde
Par Moh. Mokri
I. — Feu sacré et pyrée.
II. — Foyer primitif, lieu où brûle le feu, installation du feu.
III. — Korsi.
IV. — Permanence du feu : Continuité de là famille.
V. — Pouvoir magique des cendres ; odjâq et domaine familial.
VI. — Sédentarisme. .
VII. — Habitat sédentaire. VIII. — Milieu familial.
I. — FEU SACRE ET PYREE
Sans pouvoir remonter à la préhistoire de la société kurde, membre de la grande société iranienne, cependant, à travers certaines caractéristiques du mode de vie qui nous apparaissent encore, nous décelons les affinités étroites existant entre les différents groupes du monde iranien. C’est d’ailleurs à partir du milieu social et religieux traditionnel que l’aristocratie et la féodalité, répandues dans les différentes provinces, ont pris leur essor.
L’institution du feu familial, et sa rénovation après des réformes d’ordre social et religieux, a réuni tous les membres de la famille autour d’un seul et même foyer dont le caractère de sacralité demeure.
C’est là un élément central de la cellule familiale, dont l’origine est sans doute le feu du clan. Il ne représenterait qu’un progrès dû à l’évolution de la famille, à son individualisation par rapport au clan.
A l’époque sassanide apparaissent déjà en dehors des grands feux communautaires, tels que le feu de Varahran (1) et les trois grands feux Atür-burzïnmetr, Atür-goshansab et Atür-farnbag (2), des feux propres à une seule famille à propos desquels il existe une jurisprudence assez abondante (3).
Certainement, ce feu ne représenterait pas seulement une source de chaleur primitivement nécessaire à la vie domestique, mais encore et surtout un symbole concrétisant une force suprême ; c’est de là que viendraient sa grande importance et sa signification dans le Mazdéisme, la religion de l’ancien Iran.
L’habitat et les modes de construction des maisons et des chaumières kurdes révèlent ça et là, dans les villages non touchés par l’urbanisme moderne, certaines particularités de ce feu familial dont le souvenir existe encore.
Dans les types d’habitation qui nous ont semblé les plus caractéristiques et originaux dans leur archaïsme, apparaît une seule chambre carrée ou souvent rectangulaire. On y entre par une porte unique et parfois, à droite ou à gauche du fond de cette pièce, une petite fenêtre est pratiquée juste sous le plafond. Cette pièce comprend en son centre une dépression proportionnelle à l’architecture de la chambre, chacun de ses côtés étant contenu trois fois dans la face correspondante de la chambre. Au centre de cette dépression, dont la profondeur n’excède pas 20 cm, se trouve le foyer alimenté par du bois et différents débris végétaux. L’intérêt de cette dépression, qui sépare le feu des parties de la chambre dans lesquelles se tiennent les membres de la famille, semble à première vue être surtout d’ordre technique : protéger la chambre des flammes, des étincelles et retenir les cendres. Mais c’est probablement sa signification sacrée qui est à l’origine de son plan ; en effet, le foyer représente un véritable petit autel que la famille honore et respecte en se tenant à une certaine distance de lui.
Si les réformes religieuses et sociales ont privé ce foyer de son sens sacré réservé à d’autres établissements communautaires, le seul emploi domestique qui lui a été laissé n’efface pas pourtant ce souvenir sacré décelable dans l’architecture générale.
Les fumées sortent par une ouverture percée dans le toit juste au-dessus du foyer, et qu’on appelle kona-wâdja dans le Sanandadj et rôcên (pers : rawzan) dans l’Ubatü (4). Elle sert de cheminée.
C’est autour de ce foyer au bord de la dépression que' s’assemblent les membres de la famille et les invités ou amis qui viennent former avec eux des assemblées au cours desquelles ils bavardent et écoutent les hauts-faits de leur pays, racontés par les vieillards, ou le chant des épopées. C’est un mode d’habitat archaïque, mais déjà sédentaire, qui témoigne d’un certain degré de civilisation. Les différents travaux ménagers et la préparation artisanale des produits laitiers par les femmes s’effectuent à l’intérieur de l’habitation. C’est aussi dans cette chambre à deux ouvertures que les parents et les enfants passent la nuit, les premiers au fond de la pièce, les seconds, à partir d’un certain âge, sur les côtés du foyer. En été pourtant, à cause de l’aération insuffisante de la chambre, ils dorment le soir sur la terrasse. Parfois même ils vivent en cette saison dans les tentes dressées en pleine campagne, comme les tribus transhumantes.
Cette forme d’habitat simple est le propre des classes paysannes les plus modestes. Les maisons bourgeoises de la campagne sont composées de plusieurs pièces auxquelles s’ajoutent en général des dépendances, telles que étables, écuries, bergeries et hangars qui abritent les provisions. Quant aux combustibles, branchages ou excréments de vaches et de moutons, on les sèche et on les entasse devant la maison.
Pourtant, de jour en jour, l’évolution de la famille et son progrès amènent, un exode continu des paysans vers les villes où l’installation matérielle de la famille diffère sensiblement. Mais là aussi on retrouve les caractères distinctifs des modes de vie bourgeois et populaires.
II. — Foyer Primitif ; Lieu ou Brule le Feu ; Installation du Feu
Le foyer lui-même, âwerg (lieu où brûle le feu) (5) ou Kuanî (6) dans sa forme la plus primitive (7), tel qu’il est installé en plein air ou parfois dans les campements, est fait de deux pierres à peu près carrées, que sépare un espace de quelques centimètres, éventuellement fermé par une troisième pierre posée derrière les deux autres. C’est dans cet espace que l’on dispose le feu autour duquel s’assemble la famille nomade ; c’est aussi sur ce feu que sont cuits les repas.
Dans les chambres carrées ou rectangulaires, l’emplacement du foyer est la petite dépression que nous avons décrite ; celle-ci comporte un intérêt technique puisque les marmites ou le plat sur lequel on cuit le pain sont posés à cheval sur les bords. Ce n’est que si l’emplacement est trop large pour cet usage, que les pierres réapparaissent à l’intérieur du foyer ; à un stade plus avancé, elles sont remplacées par un trépied métallique qui sert de support aux récipients ménagers pendant la cuisson.
…..
(1) Pour le feu de Varahran ou Bahram voir : Darmesteter, Zend-Avesta, vol. I, p. LIX, LX (Paris, nouvelle édition, 1960) ; Spiegel, Avesta, t. II, LXXI.
(2) Pour les trois autres feux voir notamment : Zand-Akashï Iranian or Grea- terBundahishn. Ed. B. T. Anklesaria. Bombay, 1956. ch. XVIII.
(3) Contenue dans le Mâtigan-i Hazar-datistan (en langue pahlavi) ou « Recueil des Mille décisions juridiques », un des documents les plus importants qui nous soit parvenu de l’Iran préislamique. Le R. P. de Menasce, Professeur à 1 Ecole pratique des Hautes Etudes, prépare un recueil de tous les textes anciens relatifs aux Feux.
(4) On retrouve une telle ouverture percée dans le toit un peu partout en Iran, surtout dans les habitations rurales, et les voûtes des bazars ou des hammams (bains). Dans le Gonabad, région de l’est de l’Iran, qui fait partie de la province de Khorassan, ces percées dans les voûtes portent le nom de khul.
(5) Dans le dialecte de mokri.
(6) Dans le dialecte de Kermanchah.
(7) Et ceci résulte de ce que nous avons observé dans tout le Kurdistan, tant parmi les tribus nomades que chez les sédentaires des villes et des villages.
M. Mokri
Le Foyer Kurde
Extrait de l’Ethnographie
Paul Geuthner
Librairie Orientaliste Paul Geuthner
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M. Mokri
Extrait de l’Ethnographie
Revue de la Société d’Ethnographie de Paris
Année 1961
Librairie Orientaliste Paul Geuthner
12, Rue Vavin, Paris (Vie)
1961
Le Foyer Kurde
Par Moh. Mokri