Société des Études Iraniennes et de l’Art Persan
V. Minorsky
Ernest Leroux
La région du Dailam* est peut-être moins inconnue que ses habitants ; et encore Dailam fait-il tout d’abord penser au petit canton Dailamân, situé dans le Gïlân au sud de la ville de Lâhïdjân, bien que ce canton (i) ne soit qu’un restant, ou même une colonie, de l’ancien Dailam. Quant aux Dailamites, leur rôle dans l’histoire de la Perse commence à se dessiner avec clarté seulement depuis très peu de temps, grâce surtout à la publication de l’ouvrage d’Ibn Miskawaih, l’historien de la dynastie Büyide (2).
La renaissance persane, qui sous l’égide des Samanides (875-999) s’était ...
SOCIÉTÉ DES ÉTUDES IRANIENNES ET DE L’ART PERSAN
La domination des Dailamites
par V. Minorsky
La région du Dailam* est peut-être moins inconnue que ses habitants ; et encore Dailam fait-il tout d’abord penser au petit canton Dailamân, situé dans le Gïlân au sud de la ville de Lâhïdjân, bien que ce canton (i) ne soit qu’un restant, ou même une colonie, de l’ancien Dailam. Quant aux Dailamites, leur rôle dans l’histoire de la Perse commence à se dessiner avec clarté seulement depuis très peu de temps, grâce surtout à la publication de l’ouvrage d’Ibn Miskawaih, l’historien de la dynastie Büyide (2).
La renaissance persane, qui sous l’égide des Samanides (875-999) s’était opérée à l’extrême est de la Perse, a éclipsé pour les générations postérieures la vie de la Perse occidentale. On ne pouvait certainement pas ignorer l’importance de la dynastie Büyide, mais ses liens avec l’élément dailamite dont elle était sortie et qui constituait son appui principal, n’ont pas été suffisamment mis en évidence.
Or cette tribu iranienne qui, entre 928 et 1055, exerça son influence sur la vaste aire s’étendant de l’Océan Indien jusqu’aux confins de la Syrie, mérite pleinement notre atten-tion. En partant de cette base ethnique, nous chercherons surtout à montrer que pendant plus de cent ans les Dailamites étaient les porte-étendards de l’iranisme dans toute la partie de l’Iran qui est située à l’ouest du grand désert central.
Etudes Iraniennes
I
Tout d’abord parlons du pays des Dailamites. Au Xe siècle, alors que le pouvoir des Bûyides était à son apogée, le terme Dailam avait désigné toutes les provinces de la côte méridionale de la Caspienne ; et le grand géographe Muqaddasi (985 après J.-C.), dans son ardeur de réformer la terminologie géographique, comprend, sous la rubrique « Dailam », la totalité des territoires autour de la Caspienne (3). Toutefois le Dailam proprement dit (4), ce véritable berceau des Dailamites, était une région montagneuse déterminée qui formait une sorte d’antichambre du Gïlân.
1
Tous ceux qui de Téhéran sont allés vers la Caspienne ont dû suivre la grande trouée par laquelle le Sefïd-rüd, né au sud de la grande muraille de l’Elborz, s’échappe vers la mer. Après Qazvïn la route gravit l’obstacle secondaire qui sépare le plateau iranien du bassin du Sefîd-rüd et ensuite descend vers le pittoresque pont de Mendjîl, bâti en aval de la jonction confluent du Sefîd-rüd avec son affluent de droite le Châh-rüd, et en amont du défilé par lequel leurs eaux réunies franchissent la chaîne principale. C’est dans l’avant-montagne de l’Elborz, située au sud de la chaîne principale mais arrosée par les eaux qui ensuite trouvent une issue vers le nord, que se trouvait une partie des terres Dailamites. Sur le versant nord de l’Elborz les mêmes tribus occupaient les cantons montagneux entre le Sefïd-rüd et la rive gauche de la rivière Tchâlüs qui se jette dans la mer à environ 180 km. à l’est de l’embouchure du Sefïd-rüd (5).
Par contre la partie plate et marécageuse du littoral était occupée par les Gïl-s dont le nom explique celui de la province de Gïlân.
Au point de vue du climat le pays élevé de Dailam avait tous les avantages, tant sur le Gïlân, avec ses marais et ses paludismes, que sur le plateau central, avec sa grande séche-resse énervante. Ce pays « ni trop grand, ni trop beau » {Muqad-- dasi), avait produit une race forte et très nombreuse, renom¬mée pour son courage extraordinaire (djalâdatwn 'adjibatun) et sa grande endurance, et dont les représentants avaient une belle prestance et de belles barbes. Une source arabe appelle les Dailamites achqar « au teint vermeil » (6). Les cheveux longs et en désordre des Dailamites ont de tout temps fait les frais des métaphores des poètes. Ces derniers mentionnent également une calote dailamite de couleur noire (7).
2
Il est malaisé de se prononcer sur les origines lointaines de ces montagnards. On sait que, dans les provinces Caspiennes, il existait dans l’antiquité des peuples probablement non-iraniens qui avaient disparu depuis (les Tapur-s, les Amard-s, etc.). Peut-être les Dailamites étaient-ils apparentés ou issus d’un de ces peuples. Le géographe Istakhri, qui écrivait en 951, constate tout d’abord que la langue des Dailamites est différente de l’arabe, du persan et de l’arranien, et ensuite que dans leur montagne il y a une tribu qui parle une langue différente même de celles des Dailamites et des Gïl-s (8). La survivance sporadique des anciennes langues était possible ; mais il est sûr qu’à l’époque musulmane la plupart des Dailamites étaient déjà iranisés, à en juger par leurs noms propres que nous connaissons : Mâkird, Mâkân, Mâfannah, Vehsüdân, Marddûst, Mardâvïdj (« qui s’attaque aux hommes »), Lachkarsitân, Lachkarvarz, Vandâdkhurchïd, Vuchmgïr (« preneur de cailles »), Gôrgir (« preneur d’onagres »), Asfàr (« cavalier »), Chïrasfâr, Bilasuvâr (« grand écuyer »), Chïrzïl « cœur de lion », (zïl = dil en persan) etc. La toponymie du pays dailamite (Purdasar « tête de pont », où purd = pul en persan) corrobore l’impression que la langue des Dailamites à l’époque arabe était un dialecte iranien du nord assez distinct du persan (fàrsï), lequel est un dialecte du sud et tout d’abord de la province de Fars (9). Les Persans devaient éprouver quelque difficulté à comprendre ce patois, comme actuellement il leur est malaisé de comprendre le kurde et même le gïlakï.
3
Déjà Polybe au 11e siècle avant notre ère parle du peuple Delymaïoï et le géographe Ptolémée au 11e siècle après J.-C. connaît leur pays Delymaïs.
Leur pays paraît n’avoir jamais été conquis, du moins d’une façon solide, par les anciens rois de Perse : Achéménides, Parthes et Sâsânides (10). Mais les Dailamites s’engageaient volontiers comme mercenaires et c’est ainsi que les Byzantins, qui, depuis le IVe jusqu’au vue siècle, étaient constamment en guerre avec les Persans, mentionnent les contingents dailamites dans les troupes persanes (11). Les Dailamites organisaient aussi pour leur propre compte des expéditions lointaines ; et le géographe Yâqüt (II, 711) signale l’existence au Chahrazûr d’un endroit Dailamistân, lequel sous les anciens rois de Perse aurait servi aux Dailamites de point d’appui lorsqu’ils descendaient vers la plaine mésopotamienne, et de dépôt du butin qu’ils rapportaient de leurs razzias (12).
Les Dailamites avaient certainement des princes, car au moment de la conquête musulmane leur chef Mûtâ (ou Mürthà) organisa la résistance aux Arabes sur la rivière Vâdjrüd (entre Hamadân et Qazvïn), et il devait avoir un rang élevé car les autres chefs des provinces caspiennes lui étaient surbordonnés.
Les Dailamites avaient une organisation de clans qui s’appuyait sur l’autorité des chefs de famille. Du moins le grand savant al-Bïrünï reproche à l’Alide Nâzir al-Utrûch (c’est-à-dire Hasan al-Utrüch, vers 914) d’avoir décomposé l’ancienne organisation du Dailam qui datait du roi légendaire Farïdün et dont l’élément essentiel était les katkhudâ (« maître de la maison », ftater familias) : ceux-ci auraient été remplacés par un système de collaboration des rebelles (brigands) avec le peuple (13).
La religion des Dailamites était d’un caractère assez vague. Le zoroastrisme et probablement le christianisme pénétraient chez eux, mais Mas'üdï déclare formellement qu’au Dailam il y avait des gens qui vivaient dans l’ignorance de toute religion établie (14). Les auteurs musulmans enregistrent parmi les Dailamites de nombreux usages et coutumes qui les frappaient beaucoup. D’après Muqaddasi ils pratiquaient une stricte endogamie, c’est-à-dire, se mariaient toujours dans leur tribu ; et un jour l’auteur vit de ses propres yeux un homme qui un glaive à la main poursuivait une femme pour la punir d’avoir épousé un étranger. En ceci les Dailamites …
V. Minorsky
Société des Études Iraniennes et de l’Art Persan, n° 3
Ernest Leroux
Librairie Ernest Leroux
Société des Études Iraniennes et de l’Art Persan, n° 3
V. Minorsky
Publication de la
Société des Études Iraniennes
et de l’Art Persan
n° 3
La Domination Des Dailamites
Par V. Minorsky
Au Musée Guimet
Séance du 28 mai 1931
Paris (6e)
Librairie Ernest Leroux
28, Rue Bonaparte, 28
1932
Imprimerie des Presses Universitaires de France
Vendôme-Paris