Saywan Barzani est né en 1972, au Kurdistan d'Irak. II appartient à une des grandes familles dirigeantes du pays qui, depuis presque trois siècles, est au coeur du mouvement national kurde de cette région. Ayant fait toutes ses études supérieures en France, en 2005, il obtient avec succès son doctorat en sciences politiques à la Sorbonne. De 2000 à 2007, il a été Haut Représentant du Gouvernement Régional du Kurdistan en France et nommé ambassadeur d'Irak en 2008.
La situation au Kurdistan d'Irak prévaut par son originalité politique et l'intérêt stratégique crucial de son devenir, au regard des événements d'Irak et de tout le Moyen-Orient. Terrain d'affrontement et de guerre d'influence entre les grandes puissances mondiales et régionales, le Kurdistan, à cheval sur le monde arabe et turco-iranien, concentre, dès la fin de la Première Guerre mondiale, les questions majeures qui secouent la région jusqu'à nos jours : conflits de nationalités et de minorités ethniques et religieuses, guerre du pétrole, génocide... Retraçant 90 ans d'histoire au Kurdistan d'Irak, Saywan Barzani nous livre le portrait d'un pays mal connu en France, et pourtant riche de peuples et d'anciennes cultures. Ayant eu accès à des archives encore totalement inédites, en arabe, en persan, en kurde, sur les relations entre les Kurdes et le régime de Saddam Hussein, les relations diplomatiques et les tractations du mouvement kurde avec les grandes puissances, les origines de la guerre civile et des interventions étrangères au Kurdistan et en Irak, cet ouvrage est un outil essentiel pour comprendre à la fois le passé, le présent et le futur de la Question kurde en Irak, avec une prospective et un ensemble de solutions possibles pour l’avenir de ce pays.
Table des matières
Préface de Gérard Chaliand / 9 Introduction / 13
Chapitre I Les origines de la Question kurde en Irak : le démembrement de l'Empire ottoman et le partage du Kurdistan Le traité de Sèvres / 15 La Turquie de Kemal « Atatürk » / 16 Le vilayet de Mossoul / 17 Les révoltes de Cheikh Mahmoud Barzandji / 20 Les révoltes de Baran / 21 La République de Mahabad / 22
Chapitre II La République d'Irak et la Révolution kurde La République du 14 Juillet 1958 / 25 La « Révolution kurde » de 1961 / 27 Le coup d'Etat du 8 février 1963 / 29 Le schisme kurde et les « Djash 66 » / 29
Chapitre III L'avènement du Baath et l'effondrement de la « Révolution kurde » Le Baath au pouvoir / 33 La Déclaration du 11 mars 1970 / 35 La « Révolution kurde » de 1974 / 36 Les Accords d'Alger et l'effondrement kurde / 38
Chapitre IV La première guerre du Golfe et l'Anfal des Kurdes La guerre Iran - Irak / 43 L'Anfal des Kurdes / 44 Les « Amis de Saddam » et l'aide internationale / 47
Chapitre V La deuxième Guerre du Golfe et le « Grand exode » L'invasion du Koweït / 51 L'opération Tempête du Désert / 53 La survie du régime irakien / 55 Le soulèvement de mars 1991 / 56 Le « Grand exode » / 59
Chapitre VI La résolution 688 et la zone d'autonomie kurde L'internationalisation de la « Question kurde » / 61 La résolution 688 / 63 Provide Comfort et Safe Haven / 65 Le « baiser de Bagdad » / 67 Les raisons du retrait irakien / 69 Les Kurdes laissés à eux-mêmes / 70
Chapitre VII Naissance d'une autonomie politique au Kurdistan : une situation inédite Le Front du Kurdistan et les élections de 1992 / 73 Le scrutin du 19 mai 1992 / 76 Le compromis du « fıfty-fıfty » / 80
Chapitre VIII Les nouvelles institutions politiques au Kurdistan : un Etat qui ne dit pas son nom Un régime parlementaire / 83 Le chef du Mouvement de libération du Kurdistan / 84 Le Conseil du Gouvernement / 85 Le partage du pouvoir / 86
Chapitre IX La guerre civile Un consensus fragile / 89 Premiers affrontements / 91 La supériorité militaire de l'UPK / 92 L'occupation du Parlement / 93 Les pourparlers de Rambouillet / 94 Cessez-le-feu et médiations / 95 L'isolement du PDK / 95
Chapitre X L'internationalisation du conflit L'Iran entre dans le jeu / 99 Le coup de poker de Barzani ou l'alliance avec le diable / 100 La débâcle de l'UPK / 103 Le retour au dualisme et le partage du Kurdistan / 104 Le PDK face à une triple alliance / 105
Chapitre XI Le bilan de la guerre civile Les conséquences néfastes de la guerre / 107 Les réactions à l'étranger / 109 Les effets positifs de la guerre / 111
Chapitre XII La reconnaissance politique des Kurdes : une variable au gré des circonstances Un statut juridique en devenir / 113 Les raisons du choix fédéraliste / 115 Une indépendance de facto et une législation libérale / 117 Une diplomatie parallèle / 120 Les relations avec l'ONU / 126 ONG au Kurdistan / 129 Les partis politiques étrangers / 130 La presse internationale / 132
Chapitre XIII La troisième Guerre du Golfe Le Kurdistan se prépare à la guerre / 133 Un Parlement réunifié / 135 Une Constitution pour le Kurdistan / 136 Préparer l'après-Saddam Hussein / 138 La menace turque / 139 Les motifs de cette guerre / 141 Opération Iraqi Freedom / 143
Chapitre XIV L'effondrement de l'Irak et l'occupation américaine La désintégration de l'Etat irakien / 147 La légalisation a posteriori de la guerre / 150 Le chaos sécuritaire / 151 La refondation de l’Irak : un état tripolaire / 153 Les raisons de l'instabilité / 157 Les effets positifs de la libération / 157 La Loi sur l'administration provisoire / 158 L'exception kurde / 161
Chapitre XV L'indépendance de l'Irak et les élections du 30 janvier 2005 La résolution 1546 / 163 Les élections du 30 janvier 2005 / 165 Victoire chiite et appel au consensus / 166 Les deux présidents kurdes / 168 La constitution irakienne / 170 Une large autonomie au Kurdistan / 173
Chapitre XVI Le Kurdistan d'Irak : défis et perspectives Les défis internes / 177 Les défis extérieurs / 178 La question de Kirkouk / 178 La Turquie et le PKK / 181 La question du pétrole / 182
Conclusion / 185 Cartes / 187 Documents / 197 Bibliographie / 279 Index / 283 Table des matières / 287
PREFACE
Les ouvrages écrits par ceux qui sont partie prenante d'une réalité politique sont rarement sereins et moins encore soucieux de rigueur. Ce n'est pas le cas avec l'excellent livre de Saywan Barzani qui, comme son nom l'indique, appartient à une illustre famille qui s'est distinguée, des les années quarante du siècle dernier en luttant en Irak et parfois ailleurs pour la cause kurde.
Dans une langue claire et sobre, il remet dans son contexte la question nationale kurde au lendemain de la Première Guerre mondiale.
Le rapport de forces régionales, la démographie et un retard culturel des élites n'ont pas permis aux Kurdes, en 1920, tandis que se dessine la carte du Moyen-Orient moderne, de déboucher sur l'indépendance. Contrairement aux Turcs, aux Persans, deux sociétés ayant une longue tradition étatique, ou aux Arabes, servis par leur démographie, l'aire importante qu'ils occupent et un mouvement national embryonnaire, mais déjà présent au tournant du 19ème siècle, les Kurdes se retrouvent plus divises après qu'avant la guerre. Jadis partages entre l'Empire ottoman et la Perse, les Kurdes, avec les nouvelles frontières de l'Irak et de la Syrie, le sont désormais entre quatre Etats. En Irak, le mandat britannique est immédiatement contexte, au sud, par les chiites, au nord, par les Kurdes. Aussi les Britanniques assoient-ils leur pouvoir sur la minorité sunnite arabe tout en favorisant la minorité assyrienne (chrétienne) qui paiera cher sa collaboration dans les années trente lorsque l'indépendance est octroyée à l'Irak.
L'insurrection kurde est menée sous l'égide du cheikh Mahmoud. Elle est réprimée par la toute récente Royal Air Force.
Celle-ci avait déjà été utilisée, au lendemain immédiat de la Première Guerre mondiale, en Somalie, contre le « Mad Mollah » et contre les Afghans. La répression aérienne paraissait infiniment économique et s'avérait en effet efficace contre des adversaires concentres. La dispersion de la guérilla, une fois la leçon apprise, servira de parade. T. E. Lawrence le notait déjà (lettre au d. Wavell, 2 mai 1923) : « La tactique de guérilla est, pour la force aérienne, un ratage complet. »
Saywan Barzani esquisse en passant la situation générale des Kurdes qui sont partout réprimés dans l'entre-deux-guerres. Le pacte de Saadabad, en 1937, conclu entre la Turquie qui vient d'écraser la dernière insurrection kurde, celle du Dersim, l'Iran où le chef kurde Simko a été assassiné lors de pourparlers de paix, comme A. R. Ghassemlou, secrétaire général du PDKI le sera à Vienne, en 1989 et l'Irak n'est rien qu'un accord triparti pour s'opposer en commun à toute velléité kurde d'autodétermination.
La partie centrale du livre est consacrée, au lendemain de l'échec de la République de Mahabad, et après le long exil de Mustafa Barzani en Union soviétique, au dernier demi-siècle (1958-2008).
L'exposé factuel est rigoureux. Les jugements sur les dissensions et les divisions entre les partisans de Mustafa Barzani et ceux d'Ibrahim Ahmed et de Jalal Talabani mesurés. On est loin d'un plaidoyer pro domo. C'est surtout un constat sur la période qui est close avec l'effondrement de l'insurrection kurde en Irak en 1975 après les accords d'Alger entre Saddam Hussein et le Shah d'Iran.
La période moins relatée, parce que celle de la traversée du désert des mouvements kurdes d'Irak entre 1975 et 1991, est solidement étayée et marque la montée de l'Union patriotique du Kurdistan (UPK) de Jalal Talabani.
La première guerre contre l'Irak en janvier-mars 1991 modifie de façon inattendue, après la terrible répression de 1988, dont le bombardement à l'arme chimique d'Halabja, la situation des Kurdes en Irak. Celle-ci est d'abord due à la présence de télévisions occidentales qui montrent l'ampleur de l'exode kurde provoqué par les nouvelles exactions des troupes de Saddam Hussein après la cessation des combats avec la coalition dirigée par les Etats-Unis. Sur l'intervention de la France d'abord, puis de la Grande-Bretagne, les Etats-Unis consentent à l'opération Provide comfort qui sanctuarise une partie du Kurdistan d'Irak.
Saywan Barzani décrit remarquablement le processus qui, à travers une lutte fratricide entre les deux partis relatée avec beaucoup de détachement à l'égard des alliances circonstancielles de part et d'autre, mène aux accords de Dayton et au programme Oil for food.
Que la situation politique et économique que les Kurdes ont réussi à créer dans la partie de l'Irak où ils exercent une autonomie de facto et qui s'appelle le Kurdistan d'Irak soit remarquable, tous les observateurs en conviennent. Des institutions ont été mises en place, une reconstruction et au-delà, l'édification d'une toute nouvelle infrastructure routière, scolaire et sanitaire est effective. Tout comme l'effort d'harmoniser les rapports entre les deux partis dont l'alliance est le garant de la paix intérieure.
Dans le difficile processus de construction d'un nouvel Irak dont l'unique certitude est qu'il ne sera plus jamais dirigé par les Arabes sunnites seulement, la situation des Kurdes jusqu’à présent est enviable : ils jouissent de la sécurité et de conditions économiques relativement privilégiées.
Cependant l'avenir reste grevé par la résolution politique de la question de Kirkouk, légitimement revendiquée depuis 1970 par le mouvement national à condition que les droits des minorités soient garantis. Par dessus tout, le caractère enclavé du Kurdistan d'Irak le rend vulnérable aux pressions, sinon aux menaces, de ses voisins dont, au premier chef, la Turquie.
Saywan Barzani sait tout cela et il ne manque pas d'observer que l'équilibre social à l'intérieur même de la région autonome reste le garant de la cohésion. Toute direction doit se préoccuper du mieux être de sa population, tout particulièrement lorsqu'on est entouré de voisins hostiles.
Gérard Chaliand.
Le Kurdistan d’Irak, 1918-2008
Saywan Barzani
L’Harmattan
L’Harmattan Peuples et cultures de l’Orient Collection dirigée par Ephrem-Isa Yousif Le Kurdistan d’Irak, 1918-2008 Saywan Barzani Préface de Gérard Chaliand