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Les Kurdes en France, une communauté à part entière ?


Auteur : Multimedia
Éditeur : Compte d'auteur Date & Lieu : 1993, Paris
Préface : Pages : 130
Traduction : ISBN :
Langue : FrançaisFormat : 210x290 mm
Code FIKP : Liv. Fr. Gen. 3125Thème : Thèses

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Les Kurdes en France, une communauté à part entière ?

Les Kurdes en France, une communauté à part entière ?

Carole Riegel

Compte d’auteur

La recherche en Géographie devrait tendre, comme toute recherche scientifique, au maximum d'objectivité, à, comme nous l'explique Bachelard, "une rupture avec l'objet immédiat". Il faut ainsi, toujours selon lui, "opposer à l'esprit poétique expansif, l'esprit scientifique taciturne pour lequel l'antipathie préalable est une saine précaution"...

Mais lorsque le terrain de recherche est constitué en grande partie par le témoignage humain, lorsque les enquêtes amènent les personnes interrogées à raviver des tragédies personnelles, parfois enfouies depuis des années, lorsqu'une famille entière pleure en évoquant le passé, lorsque enfin, les confidences de jeunes filles au bord du suicide ou les prières d'autres, vous suppliant de les aider à fuguer, assaillent le chercheur, alors les principes traditionnels perdent un peu de leur sens, les prises de note deviennent déplacées, et la "distance à l'objet" s'avère hors d'atteinte.

Bachelard reconnaît lui-même qu'il oublie parfois d'être "taciturne", en admettant que "s'il s'agit d'examiner des hommes, des égaux, des frères, la sympathie est le fond de la méthode"...

« Quand on va chez un Kurde, on ne peut y aller qu'en ami, jamais en enquêteur. On est, pour un temps, intégré dans la grande famille, le clan, même si c'est provisoire. Il faut qu'il y ait un échange, sinon on n'apprend rien. »

(Kurde de Turquie, Paris)

Si ce fruit n'est pas juteux
Il est kurde et c'est là l'important.

(Ahmadê Khanî, 1650-1706)



AVANT-PROPOS

L'Occident a vraiment pris conscience d'un "problème Kurde" à l'occasion des suites de la Guerre du Golfe, en Mars 1991. Thème longtemps médiatisé, à grand renfort de campagnes humanitaires, il est retombé, comme bien d'autres, dans l'indifférence générale. Les attentats réguliers du P.K.K., le Parti des Travailleurs du Kurdistan, renouvellent parfois l'intérêt d'une opinion publique trop sollicitée et vite lassée. Mais les revendications et l'activisme de cette faction minoritaire présentent une image réductrice de la question kurde : quant aux coups d'éclat du P.K.K., en laissant de côté la question de leur légitimité ou de leur opportunité, ils provoquent en Occident un amalgame entre Kurdes-martyrs et Kurdes-terroristes qui nuisent sans aucun doute à la crédibilité des leaders plus modérés, et à la réputation du peuple Kurde dans son ensemble.

Parler des Kurdes en échappant à des images réductrices n'est donc déjà pas chose facile. De même conserver suffisamment de neutralité dans l'analyse est à la fois une nécessité sur un sujet sensible, et une tâche délicate, tant les drames humains sont présents et les matières à controverse (chiffres, interprétations...), fréquentes.

A cela s'ajoutent d'autres embûches, parmi lesquelles deux au moins méritent d'être relevées. Tout d'abord la maigreur des données et des sources, les statistiques et les diverses sources d'information traditionnelles portant plus volontiers sur des nationalités, plutôt que sur des ethnies. Cette pauvreté des sources documentaires a dû être compensée dans le cadre de la présente étude par un travail étalé sur plusieurs mois en différents points de la France auprès de familles kurdes, représentatives de diverses origines, et correspondant à des niveaux d'intégration variés. On ne s'étonnera donc pas de trouver dans ce document un nombre important de témoignages et d'histoires personnelles, retranscrits le plus souvent dans l'anonymat, et dans un style dont le relâchement oral a été conservé.

Autre difficulté, lorsque l'information existe, le plus souvent seulement parmi les Kurdes eux mêmes : ceux-ci sont partagés entre le désir de satisfaire l'intérêt qu'on leur porte et le souci de ne pas divulguer des informations qui pourraient leur nuire, leur sécurité étant presque toujours menacée. A ce propos, une brève mise en perspective des Kurdes et du Kurdistan fournit, ci-après, quelques éléments d'explication.

Le Kurdistan est un pays de montagnes et de hauts plateaux d'Asie occidentale, dominé par les chaînes du Zagros et du Taurus, et dont le plus haut sommet, le Mont Ararat au Nord, culmine à 5.165 mètres. Il s'étend sur 530.000 km2, entre, comme l'illustre la carte ci jointe, la Méditerranée et le Golfe Persique.

Les Kurdes sont d'origine indo-européenne et leur langue qui appartient au group des langues iraniennes, se subdivise en deux dialectes principaux, le Kurmandji, septentrional, parlé par 65 % des Kurdes, et le Sorani, méridional, parlé par 25 % de la population.
Les 10 % restants regroupent des dialectes comme le Zaza ou le Gorani, que l'on rencontre dans de rares "poches" linguistiques, à Dersim ou Diyarbekir (Turquie). Actuellement, les deux ou trois millions de zazaphones ont vu, pour l'essentiel, leur dialecte assimilé au Kurmandji ou au Turc, et se sont dispersés en Turquie et au Kurdistan. La carte ci-après donne un aperçu de cette répartition.

Islamisés à partir du Vllème siècle à la suite des conquêtes arabo-musulmanes, les Kurdes, outre des communautés chiite, chrétienne et juive, sont à l'heure actuelle à plus de 80 % musulmans sunnites. Mais des sectes hétérodoxes existent encore, comme celle des Yézidis, appelés improprement "adorateurs du diable", qui conservent des aspects pré-islamiques, et que l'on chiffre, selon diverses sources, entre 50.000 et 200.000.

Les Kurdes, agriculteurs et pasteurs transhumants, ont conservé des traditions rurales séculaires, leur assurant toujours une relative autonomie de subsistance. Les céréales (blé, orge, riz) sont cultivées sur des pentes irriguées et fortement escarpées.

Les reliefs ont constitué à la fois une prison et une protection pour ce peuple, qui dépasserait aujourd'hui les 25 millions d'individus. Ils ont, pour une part, contribué à l'enclavement, à l'isolement du territoire, et à son retard économique par rapport aux autres régions, de Turquie notament. En revanche, ils ont abrité des générations de Kurdes réfractaires aux tentatives d'assimilation de tous ordres.

Héritiers des Mèdes, peuple nomade installé au IXème siècle avant l'ère chrétienne sur le plateau iranien, les Kurdes ont connu, du VIIème au XVIème siècle, une succession de tutelles, Séleucides, Parthes, Romains, Arabes etc. ..., puis Ottomans, jusqu'au XIXème siècle, où l'on assiste au premier mouvement nationaliste kurde. Durement réprimés par la Sublime Porte, les Kurdes accueillent en libérateurs les Anglais à Mossoul (Irak) en 1918, tandis que le Traité de Sèvres, en Août 1920, leur offre la perspective d'un Etat autonome. Ce traité est remis en question par celui de Lausanne, en 1923, qui marque la victoire des troupes turques sur les Grecs, et le début de l'unification nationale turque à laquelle les Kurdes, comme les Arméniens, devront successivement se soumettre. A cette date, la délimitation des Etats modernes au Proche-Orient par les puissances occidentales, ajoutée à l'émergence des nationalismes turc, persan et arabe, signent le morcellement d'un Kurdistan dont on a oublié jusqu'à l'existence. Ainsi le peuple kurde, tout comme son pétrole, est divisé entre cinq pays : la Turquie, l'Iran et l'Irak, avec des minorités en Syrie et en ex-URSS.

Ce partage est toujours d'actualité, de par la volonté des puissances régionales -et internationales-, lesquelles ne veulent pas remettre en question le trop fragile équilibre de cette partie du Moyen-Orient. Le Kurdistan réunit en effet les deux éléments vitaux de cette région, à savoir l'eau et le pétrole. L'eau, car les deux grands fleuves mésopotamiens, le Tigre et l'Euphrate, prennent leur source en territoire kurde, et plusieurs de leurs affluents traversent des vallées fertiles, comme celle du Grand Zab. Quant au pétrole, ressource principale du Kurdistan, elle est la richesse la plus convoitée, par l'Irak notamment, qui renoncerait, dans la perspective redoutée d'une autonomie kurde, à près de 60 % de ses ressources pétrolières, situées en particulier autour de Kirkouk. Le facteur démographique doit être également cité : en recoupant des sources turques, kurdes et françaises, on compte environ 12 à 15 millions de Kurdes en Turquie (dont 3 à 6 millions dans les grandes métropoles régionales -plus d'un million à Istanbul par exemple-); 6 à 8 millions en Iran; 3 à 5 millions en Irak; et un peu moins d'un million en Syrie, ce qui représente respectivement 20 à 24 % de la population de Turquie, 10 à 15 % de celle d'Iran, 25 à 30 % de celle d'Irak, et 7 à 9 % de celle de Syrie, soit une richesse humaine non négligeable pour ces pays. On dénombre également entre 350.000 et 500.000 Kurdes en ex-URSS, 150.000 en Israël, et 100.000 au Liban, sans oublier quelques dizaines de milliers en Jordanie, Emirats du Golfe, Afghanistan, Somalie, etc. ... Ainsi le Kurdistan, qui compte aujourd'hui plus de 25 millions d'individus, se trouve au coeur d'un Moyen-orient au bord de l'implosion, et illustre à lui seul les stratégies, les luttes hégémoniques, aussi bien que les besoins fondamentaux des puissances régionales.

Les Kurdes ont ainsi supporté plusieurs siècles de domination, et des tentatives répétées d'assimilation forcée, en Turquie notamment depuis le régime d'Atatürk. Ils ont dû également subir dans les dernières années des campagnes d'extermination lancées par les dirigeants irakiens, ou le napalm et les gaz chimiques ont été utilisés. L'enclavement du territoire a obligé les Kurdes à chercher constamment des alliés de circonstance, se mettant à la merci du moindre renversement d'alliance. Et la préoccupation qu'ils suscitent, à l'inverse, a parfois donné lieu à des coalitions comme le pacte de Saadabad (1937), scellant l'accord de la Turquie, l'Iran, l'Irak et l'Afghanistan contre la "subversion" kurde. Ajoutons que cette population, déjà cernée de toutes parts, a connu de surcroît pendant des décennies des luttes fratricides sanglantes, faisant perdre à ses drigeants toute crédibilité aux yeux de l'Occident.

Du génocide culturel des "Turcs Montagnards" au massacre de Halabja, la résistance s'est organisée sur le plan militaire, avec les combattants Peshmergas (littéralement "au-devant de la mort"), et sur un registre culturel, par la conservation d'un riche patrimoine oral et musical, alimenté par des générations de Kurdes, toujours amoureux de leurs montagnes, et toujours plus désireux d'être enfin reconnus.

Les quelques références évoquées ci-dessus sur l'héritage des Kurdes au Moyen-Orient, les persécutions dont ils sont l'objet et les conflits qui les divisent, étaient indispensables avant d'aborder l'étude de la communauté kurde en France. Certains traits originaux de celle-ci sont en effet façonnés par cette histoire, qui constitue son ciment, en même temps qu'un facteur de préservation de cette identité que les Kurdes ont toujours défendue avec acharnement, mais qui, loin de la terre ancestrale et confrontée aux contraintes de l'exil, voit son authenticité menacé.



INTRODUCTION

Etre ou ne pas être Kurde ... en France.

On estime à 600.000 le nombre de Kurdes installés en Europe, dont 450.000 en Allemagne, 25.000 en Suisse et 15.000 en Suède. En France, les Kurdes seraient environ 70.0001. Cette évaluation est corroborée par l'association France-Libertés, patronnée par Madame Danielle Mitterrand. Le Ministère des Affaires Sociales la juge, toutefois, très en-dessous de la réalité, tandis que l'OFPRA2 l'estime nettement au-dessus...

La plupart des Kurdes sont arrivés en Europe dans les années soixante, comme travailleurs immigrés, dans le cadre des accords bilatéraux signés entre les gouvernements européens et turc. A partir des années soixante-dix, l'accès au marché du travail allemand devient impossible, et les travailleurs kurdes, en majorité en provenance de Turquie, se tournent vers la France. A cette communauté immigrée se sont ajoutées des vagues successives de réfugiés politiques, principalement en provenance de Turquie et d'Irak, occasionnellement d'Iran et de Syrie.

Les immigrés kurdes en France connaissent les mêmes difficultés que ceux issus d'autres nationalités, mais avec un problème supplémentaire : la non-reconnaissance de leur identité nationale, du fait qu'ils ne disposent pas d'un Etat qui leur est propre, et la "prise en considération", par tous les organismes officiels, des "nationalités et non pas des ethnies'.

C'est dans ce contexte que se situe une première interrogation, relative à l'existence d'une "communauté" kurde en France, au sens fort du mot, c'est-à-dire avec une spécificité, ainsi que des liens de solidarité, qui, au-delà des regroupements régionaux classiques, transcendent les liens nationaux. Les Kurdes sont-ils une simple addition d'immigrants…

1 Source : Institut Kurde de Paris.

2 OFPRA : Office Français pour la Protection des Réfugiés et Apatrides.

3 Lettre de l'OFPRA en réponse aux sollicitations en vue d'obtenir des documents sur l'immigration kurde en France.

 




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