NIMA YOUCHIDJ
R. Lescot
Entre tant de changements survenus en Iran au cours du demi siècle, l'un des plus considérables, comme aussi des moins connus à l'étranger, est assurément la révolution poétique amorcée par Nîmâ Youchîdj (1895- 1960). Dès une époque où les audaces du vers moderne restaient encore neuves et contestées en Occident et généralement ignorées en Iran, ce génial écrivain, mû bien davantage par le besoin de s'exprimer pleinement que par quelque désir d'originalité, eut le courage de rompre avec la prosodie et les thèmes du passé pour chercher une voie neuve. II adopta le vers libre, geste d'une témérité folle pour qui disposait de la gamme si riche et si parfaitement nuancée des mètres persans classiques.
Rejetant l'imagerie traditionnelle, les conventions sentimentales et mystiques d'une poésie millénaire, comme le langage qui en était le véhicule, il entreprit de dire dans une langue nouvelle, déroutante parfois, mais pleine de flamme, et d'emblée aussi parfaite dans son modernisme que celle de ses meilleurs devanciers les tourments de son cœur d'homme devant la vie, l'amour, la nature, les peines des humbles, la fuite du temps. Nîmâ retrouvait ainsi la sincérité et les harmonies profondes de la plus haute poésie persane; son tout premier essai, Afsâneh (1922), dont on lira plus loin la traduction, reste un de ses chefs d'œuvre. Publiés d'abord dans des journaux et dans des revues, puis en minces plaquettes, ses passèrent longtemps inaperçues, âprement critiquées lorsqu'elles cessaient de l'être et rarement louées. Elles sont devenues depuis lors comme en prose l'œuvre de Hedâyat… |