Éditeur : Payot | Date & Lieu : 1933, Paris |
Préface : | Pages : 304 |
Traduction : | ISBN : |
Langue : Français | Format : 140x230 mm |
Code FIKP : Liv. lp. fra. 29 | Thème : Politique |
Présentation
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Table des Matières | Introduction | Identité | ||
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Introduction Au treizième siècle après Jésus-Christ survint la Grande Sécheresse. Depuis la muraille de Chine jusqu’au centre de l’Asie la terre fut brûlée et fendue par le manque de pluie, et les tribus se mirent en route avec leurs troupeaux à la recherche de nouveaux pâturages. L’une d’elles était celle des Turcs Osmanlis dont le chef, Soliman Shah, avait sur sa bannière la tête du Loup Gris. C’étaient des primitifs cruels et farouches que ces Turcs Osmanlis, forts comme des bêtes, les yeux fendus dans de larges faces mongoles, aussi féroces et infatigables que les loups gris qu’ils chassaient dans les immenses steppes de l’Asie centrale, mais les dangers de la vie nomade les avaient contraints à se plier à l’obéissance et à une certaine discipline. Pendant des siècles, ils avaient planté leurs tentes noires tressées en crins de cheval dans les plaines de la Sangarie, sur les bords du désert de Gobi, jusqu’à ce que le manque d’eau et de pâturages eut obligé Soliman Shah à mener son peuple vers l’Occident. Pour éviter les hordes tartares du Nord qui le pressaient, il se tourna vers le Sud, et, traver-sant l’Arménie, entra en Asie Mineure, et ainsi dans l’Histoire moderne. Après la mort de Soliman, Ertoghrul prit le commandement. Il y eut ensuite l’émir Othman, le sultan Ozchan et, pendant dix générations, les sultans se succédèrent de père en fils. Souvent brutaux et vicieux, injustes et cruels pour la plupart, ils furent tous des gouverneurs, des meneurs d’hommes et des chefs militaires. Ils se trouvaient entourés d’empires qui s’écroulaient : celui des Seldjoukides, celui de Bagdad et des Califes, et celui de Byzance. Les sultans achevèrent de les écraser et de s’emparer de leurs dépouilles. Trois cents ans après la mort de Soliman Shah, son dixième descendant, Soliman le Magnifique, le Législateur, gouvernait avec force et justice un immense empire qui s’étendait de l’Albanie, sur les côtes de la mer Adriatique, jusqu’aux frontières de Perse, et de l’Égypte jusqu’au Caucase. La Hongrie et la Crimée étaient ses vassales. Les souverains d’Europe lui envoyaient des présents ou demandaient son aide. Ses armées pénétraient jusqu’en Occident. Ses flottes tenaient toute la Méditerranée. L’Afrique du Nord reconnaissait sa suzeraineté. Constantinople lui appartenait. Il souhaitait vivement la domination mondiale. En 1580, il frappa aux portes de Vienne et saisit la Chrétienté à la gorge. Il échoua et, après lui, vint la corruption. Son successeur fut Soliman le Sot. On disait qu’il était un bâtard, le fils d’une servante arménienne et que le sang des sultans était altéré. Après lui, sauf une seule exception, vingt-sept sul-tans dégénérèrent à qui mieux mieux. Les eunuques, les femmes du harem et les entremetteurs devinrent les maîtres du palais. La Turquie, sans direction, se décomposa comme une chair pourrie, perdit son énergie, sa vitalité, sa force physique et sa force morale. Les peuples qu’elle avait soumis se révoltèrent. La Grèce, la Serbie et la Bulgarie déclarèrent leur indépendance. En trois siècles, le grand empire ottoman qu’avait fait Soliman le Magnifique était devenu une chose décrépite qui s’écroulait. Les puissances chrétiennes voyant sa décomposition se hâtèrent d’en saisir les morceaux. La Russie s’empara de la Crimée et du Caucase et manifesta des prétentions sur Constantinople et la route de la Méditerranée par les Dardanelles. La France mit la main sur la Tunisie, obtint des droits en Syrie; l’Angleterre occupa l’Égypte et Chypre. La nouvelle Allemagne, en voie d’expansion, prit la défense du Sultan Abdul Hamid contre le reste de l’Europe, dans le but de faire des annexions, après la défaite de ses rivaux. Toutes les nations réclamèrent des privilèges et des droits économiques. Comme des vautours qui attendent la mort de leur proie pour la dépecer, les puissances chrétiennes guettèrent la fin de la Turquie, tout en s’épiant les unes les autres avec une jalousie inquiète qui préparait la catastrophe de la guerre mondiale. Aucune n’osait commencer l’attaque. Au fond de son palais du Bosphore, le sultan Abdul Hamid commença à jouer habilement le jeu de dresser les Puissances les unes contre les autres afin de prolonger l’agonie de l’Empire ottoman. En 1877, la Russie résolut d’en finir, déclara la guerre et ses soldats arrivèrent jusqu’à quinze kilomètres de Constantinople. Les autres nations européennes, sous l’influence de Disraeli, au Congrès de Berlin, obligèrent le gouvernement du Tzar à ramener ses troupes et déclarèrent que l’Empire ottoman devait être maintenu dans son intégrité. Quatre ans après, dans la ville de Salonique, à la pointe de la mer Égée, un Turc nommé Ali Riza et sa femme Zubeïda fêtaient la naissance d’un enfant mâle qu’ils appelèrent Mustafa. PREMIÈRE PARTIE I Ali Riza et sa femme Zubeïda vivaient l’humble vie des Turcs ottomans, pauvre mais digne. Ils habitaient une maison décrépite, dans le quartier turc de Salonique, à mi-pente de la colline, sous les murs de la vieille citadelle qui domine la petite ville commerçante, malpropre, peuplée de Juifs, et le port auquel arrivent les exportations des pays balkaniques. Ali Riza était un petit homme insignifiant, sans caractère particulier. Il était venu, tout enfant, des montagnes de l’Albanie, sur la frontière serbe, et avait trouvé un emploi de commis dans les bureaux de l’Administration de la Dette ottomane, sur le port de Salonique. Ainsi que des milliers d’employés du gouvernement turc, il s’acquittait de sa besogne routinière avec indifférence et médiocrité. Ses gages étaient insuffisants et souvent arriérés de plusieurs mois, en sorte que pour entretenir sa famille et joindre les deux bouts, il devait les compléter en exerçant à ses heures de loisir divers petits commerces. La rue que le ménage habitait était une voie étroite, mal pavée, couverte de vignes en berceaux. La maison était en mauvais état, l’étage supérieur avançait en angle sur la rue. Toutes les maisons du quartier turc paraissaient muettes, et pour ainsi dire aveugles, les portes toujours fermées et les fenêtres strictement treillissées. Aucun mouvement n’y décelait la vie. Parfois des enfants jouaient gravement sur les pavés. Quelques flâneurs passaient à pas... |