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Les Kurdes, Révolution Silencieuse


Auteur :
Éditeur : Ducros Éditeur Date & Lieu : 1968, Bordeaux
Préface : | MultimediaPages : 288
Traduction : ISBN :
Langue : FrançaisFormat : 120x200 mm
Code FIKP : Liv. Fra. Pros. Kur. Gén. 29 (2)Thème : Général

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Les Kurdes, Révolution Silencieuse

Les Kurdes Révolution Silencieuse

Jean Pradier

Ducros

Le Kurdistan : 500 000 km2, 13 millions d'habitants.
Une terre grasse, riche en minerais, gorgée de pétrole, fichée comme un coin de bûcheron dans les défenses Est de l'O.T.A.N., entre l'Union soviétique et les pays arabes.
Dépecé en cinq parts, martyrisé, le Kurdistan fait appel.
En Irak, six ans de combats ensanglantent les plaines et les montagnes kurdes.

C’est la guerre ?
Non : la Révolution.
Kurdes et Arabes progressistes luttent côte à côte, tandis que le monde se tait.
Apparaît, au-delà des massacres, le visage étonnant d'une société nouvelle, forgée dans la souffrance.



Jean Pradier est né en 1939 à Marrakech (Maroc). Ancien collaborateur technique à l’Institut de psychologie de la Faculté des Lettres et Sciences humaines de Toulouse, il se consacre à la recherche en sciences humaines. Jean Pradier a réalisé deux longs séjours au Kurdistan de Turquie, d'Iran et d'Irak.

 



PRÉFACES


Pradier est une voix qui crie dans le désert. L'histoire de l’humanité prouve que nous avons besoin de ce genre d’hommes et que nous n’hésitons pas à servir leur tête sur un plateau d’argent pour mieux les honorer. Fort heureusement pour lui (et pour nous), Pradier n’en est pas encore là. Il est trop débordant de vie pour rechercher une quelconque palme, fût-ce celle du martyre.

Que dit Pradier? Le Kurdistan n’existe pas. Morcelé entre la Turquie, l’Irak, l’Iran, la Syrie et une légère frange d’U.R.S.S., il n'octroie à ses ressortissants que des possibilités fort restreintes. Pour quelques-uns se battre, pour la plupart se faire anéantir. Le fil de l’épée, l’obus ou la bombe au napalm: c’est par ce type d'objets que se signale à travers les siècles le progrès dans ses montagnes et dans ses vallées. Certains de ses envahisseurs sont allés au début du dix-neuvième siècle (l'homme ne suffisant plus) jusqu'à en tuer les arbres. Que de nos jours les autorités turques accordent aux Kurdes le droit d'être esclaves ou que les irakiennes leur confèrent le titre de frères, le résultat est toujours le même: le massacre. Et les U.S.A. qui, dans ce genre de performances, n’entendent jamais rester en arrière, rêvent de faire de certains territoires kurdes une ceinture atomique pour «se protéger du communisme».

Qui proteste? Parmi tous les organismes nationaux, internationaux, politiques, confessionnels qui embouchent le clairon de la dignité de l'homme, lequel proteste?

Un seul a élevé la voix : la Société protectrice des | animaux qui s'est indignée contre le bombardement au napalm des troupeaux kurdes par l’aviation irakienne. Ce peu d’indignation que l'on s’accorde pour la mort d’un animal, l’homme kurde n’y a pas droit.

Et pourtant... Visages kurdes rencontrés au hasard de la route et des voyages, vous avez la meurtrissure, la patience et la compréhension de l'homme que de génération en génération on opprime — et ce quelque chose de plus qui vous poussera toujours à opposer à la malédiction d’être kurde la rude silhouette de l’homme insurgé. Votre terre assassinée demeure l’un des rares endroits où les guerriers parlent comme des poètes. Quelques échos nous en parviennent parfois.

A l'occasion de la visite du général Aref en France, Mustapha Barzani, général des Kurdes insurgés, adressait au Président de Gaulle une lettre dont le journal le Monde publiait quelques extraits: «Veuillez permettre à un vieil homme qui lutte depuis sa jeunesse pour la liberté et la dignité de son peuple de vous adresser ce suprême appel. Vous êtes le plus grand résistant d’Europe et vous avez libéré votre patrie : vous ne pouvez donc qu’être sympathique à la résistance presque désespérée que soutiennent depuis six ans en Irak du Nord les montagnards kurdes... Mon général, vous n’avez pas hésité à dénoncer la guerre du Vietnam : je suis sûr que le sort du peuple kurde ne vous est pas moins cher que celui du peuple vietnamien. Dans cette lutte pour notre survie nationale nous sommes seuls : l’O.N.U. nous ignore et certaines grandes puissances se disputent le soin de fournir à l’Irak les armements modernes destinés à notre extermination. La France de de Gaulle reste donc notre seul espoir. Les Irakiens réclament à la France des armes sans le règlement préalable du problème du Kurdistan d'Irak. Ces fournitures d’armes ne feront qu’encourager de nouvelles destructions et le massacre de femmes et d’enfants. Le Coran dit : « Chaque homme a un petite plage du ciel vers laquelle il se tourne en priant. » Notre plage du ciel, c’est vous, c’est la France. »

Que peut dire ou -faire le minuscule — et innombrable — caillou de cette plage ? Se laisser bercer par le va-et-vient des flots n’est pas suffisant lorsqu’il s’agit de l’homme luttant contre la mort qu’à tant d’exemplaires on veut lui imposer.
Qu’il fasse sienne cette voix que lui amène le vent du large, pour briser le mur de silence qui entoure le Kurdistan.
A notre échelle, le combat kurde commence là.

Armand Gatti.



Mille amis c’est peu,
Un ennemi c'est trop

(Proverbe kurde).

Etre kurde est un métier difficile !...

Lés quarante-neuf années de ma vie tourmentée, consacrées au service de mon brave peuple opprimé, m’ont confirmé cette cruelle réalité. Pourtant les Kurdes sont aimés et appréciés pat ceux qui les approchent de près. Mais le facteur humain jouet-il un rôle dans les chancelleries?... Hélas ! le sous-sol kurde est trop riche, partout du pétrole!...
Tout dernièrement, le journaliste turc Cetin Altan publiait dans le quotidien d'Istanbul Aksam un article consacré à la situation du Kurdistan et de la Turquie et intitulé «En rentrant de l'Est». Le distingué chroniqueur écrit: «Quand vous parvenez à faire plus ample connaissance avec « l’homme de l’Est» (le Kurde), vous vous étonnez de sa douceur, de son honnêteté, de sa franche amitié, de ses sentiments loyaux et ceci malgré toutes les souffrances qu’il endure. Ceux-ci sont de vrais hommes !... En dépit de toutes sortes de tromperies, d’oppressions, de mauvais traitements, de tyrannies dont ils sont l’objet, ils restent des hommes au coeur d’or : doux comme de la soie, vigoureux et résistants comme de l’acier !... »

L’étude présente, due à la plume d'un témoin oculaire, Jean Pradier, est précieuse pour plus d’une raison:
M. Jean Pradier est un Français, c’est-à-dire un observateur neutre; c’est un universitaire, un homme de méthode et de science, donc objectif ; en plus, lors de son séjour de plusieurs mois dans la partie libre du Kurdistan irakien, il a été en contact permanent soit avec le chef de la Révolution, le général Barzani, soit avec les membres du Conseil de la Révolution et ceux du Comité exécutif.

Par ailleurs, libre de toute entrave, il a eu le loisir de faire des recherches, des enquêtes, des investigations dans tout le pays et a pu questionner et interviewer telles ou telles personnes de son choix appartenant à toutes les couches de la population musulmane ou chrétienne.

Cet ouvrage nous prouve à quel point il jouissait de la confiance illimitée de tous, que ce soit des dirigeants eux-mêmes ou de la population tout entière. Il a laissé dans le pays un souvenir impérissable que me confirment les échos que j'en reçois. Le peuple kurde tout entier entoure de son affection ce jeune universitaire fils du grand et généreux peuple de France.

Hélas !... la situation tragique du peuple kurde ne se limite pas uniquement aux terres kurdes attachées à l'Irak.
Le Kurdistan de Turquie avec ses 7 millions d’habitants se trouve privé des droits les plus élémentaires, tels que: se dire kurde, parler librement sa langue maternelle, avoir ses propres écoles, sa propre presse et les mêmes avantages économiques, sociaux et sanitaires dont jouit la partie turque de la République. En un mot, le Kurde est loin d’y être citoyen à part entière.

Accorder ces droits naturels au peuple kurde de Turquie n'aurait apporté aucune menace à l’intégrité territoriale, aucun affaiblissement à la cohésion nationale de la République turque, bien au contraire. En effet, la reconnaissance des particularismes, notamment linguistiques, est, pour un pays, non seulement une grande preuve de libéralisme, mais aussi un renforcement de stabilité, de sécurité, de cohésion politique, comme plusieurs républiques fédératives en donnent l’exemple.

C’est pourquoi les Kurdes ont fait confiance aux déclarations de M. Ismet Inonu, chef de la délégation turque à la Conférence de Lausanne (plus tard président de la République), lors des discussions sur la question de Mossoul, et selon les procès-verbaux officiels de ladite conférence, lorsqu'il affirmait que la Turquie était le pays de deux peuples: «le Turc et le Kurde», et que « tous deux avaient droit au gouvernement du pays dans une absolue égalité nationale ».
En confirmant cette déclaration officielle, M. Hussein Awni Bey, député d’Erzeroum, pouvait à juste titre déclarer lors d’une réunion de la grande assemblée nationale à Ankara: «Ce pays appartient aux Turcs et aux Kurdes. A cette tribune deux nations ont le droit d'élever la voix: la nation kurde et la nation turque.»

Peu de temps après, toutes ces déclarations furent piétinées et quelle ne fut pas notre surprise d’entendre de la bouche même des plus hauts responsables du gouvernement d’Ankara des absurdités, des menaces, des contre-vérités ou des insultes telles que: «Le peuple kurde ?... Cela n’existe pas !... » ou « Si les Kurdes ne se tiennent pas tranquilles, l’armée n'hésitera pas à bombarder leurs villes et leurs villages. Il y aura un tel bain de sang qu’ils seront engloutis eux et leur pays.»

Ajoutons encore qu’un président de la République turque, en pleine ville de Diyarbekir, capitale du Kurdistan de Turquie, n'a pas trouvé déplacé ni de mauvais goût de dire: «Crachez au visage de celui qui vous appelle Kurde !... »
Enfin, lors du dernier séisme qui affecta le Kurdistan de Turquie, M. Haldun Menteseoglu, ministre de la Population et de la Construction, déclarait à la face d'une délégation de Kurdes pendant sa visite dans cette région sinistrée : «Vous voulez nous faire «avaler» (croire) que vos écuries (le ministre veut dire par là «vos habitations») étaient des palais... De quoi vous plaignez-vous? Ici, le nombre des victimes n'est que de 3 000, au Vietnam, par contre, il est de 30 000. » Et quand il entendit parler en kurde, il s’exclama: «J’entends des sons animaux sortir de la bouche de soidisant êtres humains», et il ajouta: «Si vous n’êtes pas satisfaits de cet Etat, cherchez-vous-en un autre !...» Je remarque avec tristesse que, par ses paroles, un ministre du gouvernement d'Ankara atteignait l’apogée du racisme, de l’inconscience et de la bêtise.

On peut facilement se rendre compte que toutes ces déclarations précitées n'étaient pas gratuites. En niant l'existence même des Kurdes et en les qualifiant de «Turcs montagnards», le gouvernement d’Ankara croyait avoir trouvé une justification pour les priver des garanties du traité de Lausanne concernant les droits des minorités.

En effet, la section III de ce traité stipule: «Il ne sera édicté aucune restriction contre le libre usage par tout ressortissant turc d’une langue quelconque, soit dans les relations privées, de presse ou de publication de toute nature, soit dans tes réunions publiques.» Et l’article 37 de ce même traité précise: «La Turquie s'engage à ce que les stipulations contenues dans les articles 38 à 44 (protection des minorités) soient reconnues comme lois fondamentales, à ce qu'aucune loi, aucun règlement, ni aucune action officielle ne soit en contradiction ou en opposition avec ces stipulations et à ce qu’aucune loi, aucun règlement ni aucune action officielle ne prévale contre elles (1).»

Tout ceci nous rappelle une déclaration d’un autre chef d'Etat dont le pays englobe actuellement le Kurdistan du Sud, dit Kurdistan d’Irak, le maréchal Aref: «Il n'y a pas de problème kurde chez nous !... Les bandes de hors-la-loi sont en pleine déroute... » Nous étions en septembre 1963... et, à la question du correspondant de Jeune Afrique (n° 149) : «Selon vous, que sont les Kurdes qui vivent en Iran, en Turquie, en Syrie ? », le maréchal répondit: «Ils n'ont rien à voir avec les nôtres qui sont arabes !» (sic).

Et pourtant, ce même gouvernement de Bagdad, précédant de peu les déclarations d'Ismet Inonu, le 24 décembre 1922, déclarait : « L'Irak reconnaît les droits des Kurdes vivant dans les frontières de l'Irak, à établir un gouvernement kurde à l'intérieur de ces frontières.»

Un mot encore sur l’oppression et les sévices policiers dans les territoires kurdes de la Syrie.
Le 12 décembre 1967, sous le titre « La coopération franco-syrienne», l’éditorialiste du grand quotidien le Monde, parlant du gouvernement baasiste, écrit : « Un panarabisme, fortement teinté de chauvinisme, lui a valu également l’hostilité des Kurdes dont plus de 100 000 ont été arbitrairement privés de leur nationalité. » Leurs biens furent confisqués sans contrepartie et leur déportation vers les zones désertiques du pays continue. « L’arabisation à outrance de la Djezireh, territoire kurde riche en pétrole, a jl pour raison la création d’une majorité arabe qui n'a j) jamais existé dans cette région.»

Pour la seule raison qu’ils étaient kurdes, 54 officiers de l’armée syrienne ont été mis à la retraite. Malgré les règles de droit et de justice admises à travers le monde, une terrible oppression pèse sur le peuple kurde en dépit des engagements solennels et internationaux contractés envers lui par l’Irak et la Turquie.

Et face à la moindre revendication kurde dans les domaines culturel, économique ou administratif, on taxe les Kurdes de «séparatistes» et on leur prête l’intention de vouloir créer un Kurdistan uni et indépendant; alors les portes des cachots et les voies de déportation s’ouvrent toutes grandes devant eux.

Il est incontestable que le Kurdistan constitue une entité géographique, historique et linguistique, ''dotée d’importantes ressourcés naturelles. Il est évident que le peuple kurde, comme tous les autres peuples du monde, a droit à l’unité et à l’indépendance.

Toutefois, nous sommes convaincus que les bienfaits que cette indépendance apporte aux hommes, en leur permettant de vivre dans la dignité, la liberté, la prospérité et la sécurité, peuvent être aussi trouvés dans l'association avec une autre communauté humaine. Et cela nous paraît d’autant plus facile qu’il s’agit, comme c’est le cas pour nous, de communautés qui, souvent au cours du temps, ont vécu côte à côte, cohabitant harmonieusement dans un mutuel respect et partageant la même foi, les mêmes croyances et aussi les mêmes foies et les mêmes souffrances.

C’est à cette harmonieuse coexistence qu'aspire le peuple kurde, avec l’espoir que les dirigeants des Etats qui se partagent aujourd'hui son pays renonceront aux conceptions d’un nationalisme étroit et suranné, à l’esprit de domination et d’assimilation, aux notions vaines et néfastes de supériorité raciale ou culturelle, en un mot aux vanités creuses des grandeurs futiles et comprendront enfin, dans leur intérêt même, que la véritable grandeur et la réelle sagesse résident moins dans un orgueilleux esprit de domination que dans le respect des droits les plus élémentaires des hommes et des communautés avec lesquels ils doivent vivre.

Emir Kamuran A. BEDIR-KHAN



Emir Kamuran A. Bedir-Khan

(1) Pendant ces quarante dernières années, les Kurdes de la Turquie, au nombre de plus de 7.000.000, ne sont parvenus à faire paraître que trois livres en langue kurde: un dictionnaire kurde-turc, une grammaire et une pièce de théâtre. Mais la Sûreté turque faisait disparaître rapidement ces publications des vitrines des libraires, leurs auteurs étaient jetés en prison ou déportés. Il en fut de même des rédacteurs des quatre périodiques bilingues turc-kurde qui furent saisis au bout du cinquième ou sixième numéro.

Tout récemment, M. Sükrü Koç, député d’Aydin, publiait dans le grand quotidien d’Istanboul Cumhuriyet, le 31 juillet 1966, une enquête sur le développement du Kurdistan de la Turquie. «Neuf des dix-huit départements orientaux (en tout en Turquie il existe 67 «villayet») possèdent 336 postes de police ou de gendarmerie. Par contre, on n'y compte que 50 instituteurs, 20 médecins et 6 pharmacies (pas même une par département). Quant à la politique de «turquisation», inaugurée sous Moustafa Kemal, il semble qu’elle ait entièrement échoué.» M. Koç donne des chiffres: à Mardin 91 % de la population ne parle pas un mot de turc; à Siirt, 87 %; à Hakkarî, 81 %; à Diyarbekir, 67 %; à Bingol, 68 %; à Urfa, 64 %; à Agri- Ararat, 61 %; à Bitlis, 66 %; à Van, 52 %; à Mus, 53 %.

Par contre, en Union soviétique, la communauté kurde, au nombre de 150.000, a, durant ces trente dernières années, fait paraître plus de 600 volumes en langue kurde et 5 dictionnaires dont un kurde-russe de 34.000 mots et un autre russe-kurde de 30.000 mots. Elle a pu également traduire en russe plusieurs classiques kurdes, entre autres Ahmed Khani, écrivain et poète du milieu du XVIIe siècle. Il faut préciser qu’entre les 4 Etats qui se partagent le Kurdistan, en Iran seulement le Kurde est respecté en tant que tel, il y parle librement sa langue et écoute les émissions radiophoniques diffusées à son intention en langue kurde par les émetteurs d’Etat iraniens.



Le soleil est sur l'horizon


Dans le hall d’un petit hôtel bon marché de l’avenue Abou-Nouas, une sentinelle monte la garde. Sentinelle impressionnante au turban gris, portant petit gilet et larges pantalons bouffants taillés dans une étoffe légère de Sienne qui semble tissée à la main. A la ceinture, une double cartouchière et les chargeurs en demi-lune d’un pistolet-mitrailleur russe.

La sentinelle guette la rue. Pourtant le quartier est calme. A 6 heures du matin, le 26 septembre 1966, Baghdad n'est pas réveillée. La fraîcheur pâle du ciel n’annonce guère la trépidation et la chaleur du jour. D’ailleurs, ce bord du Tigre n’est beau qu'à la tombée de la nuit, lorsque grésillent les poissons largement ouverts sur les braises et que s’illumine — en face — le cube blanc du palais républicain. Un énorme soleil rouge se glisse alors derrière les silhouettes qui franchissent en ombres chinoises le pont Ahrar, tandis que des gamins en tuniques longues, souples comme des danseurs, apportent des sodas aux familles qui regardent les télévisions en plein air. Les visages portent les éclats bleus, verts, rouges, des chapelets de lampes accrochés aux boutiques.

A 6 heures, le matin, le claquement des jetons de jacquet n’est qu’un souvenir ou une promesse. L’avenue est déserte. Devant la porte de l’hôtel, auquel deux colonnes de fonte voudraient donner de l'importance, stationne un taxi Mercédès au pare-brise étoilé. Des gerbes de fleurs en matière plastique épaisse bordent l’intérieur et le volant. La voiture porte une immatriculation du Nord : Arbil, petite ville kurde qui fut Arbèle où Alexandre vainquit Darius dans la plaine de Gaugamèle.

.....

 




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